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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


139

12e année - N°139
Mai 1988
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 

LE REGIME EVREN-ÖZAL  DANS L’IMPASSE

    D’après les résultats d’un récent sondage d’opinion, publié par le quotidien Milliyet du 30 avril 1988, le Parti de la Mère Patrie (ANAP) du premier ministre Özal, quatre mois après les dernières élections législatives, a perdu sa popularité et est tombé au rang de troisième force politique après le Parti Populiste Social-Démocrate  (SHP) d’Erdal Inönü et le Parti de la Juste Voie (DYP) de l’ancien premier ministre Süleyman Demirel. Un autre sondage d’opinion montre que, lors d’une nouvelle élection locale, le SHP vaincrait  l’ANAP dans les municipalités des plus grande villes de Turquie telles qu’Istanbul, Ankara et Izmir.
    L’enquête d’opinion montre également qu’alors que le SHP fait une percée dans les régions urbaines, le DYP gagne progressivement les électeurs de l’ANAP dans les régions rurales. Quant à la jeunesse, elle se tourne vers le SHP.
    En fait, le parti d’Özal a déjà perdu sa popularité en 1987 en comparaison avec les élections de 1983 (de 45,1 % à 36,3 %). Mais, grâce au système électoral de la “double barrière”, l’ANAP a gagné 292 sièges à l’assemblée nationale sur 450, soit 64,9 %, tandis  que l’opposition, en dépit de ses 63,3 % du total des votes, ont du se contenter de 158 députés, soit 35,1 % des sièges.
    C’est  l’inflation  galopante  et  la  dette  extérieure  montante  en  fléche  autant  que  le  maintien  du  terrorisme  d’Etat qui conduisent l’ANAP à son écroulement dramatique.
    Malgré les déclarations triomphalistes d’Özal, le taux d’inflation annuel n’a pas pu être maîtrisé et a commencé d’osciller entre les 50 et 70 % après les élections de novembre 1987, principalement à cause de hausses des prix draconiennes imposées par le gouvernement.
    Selon le quotiden Cumhuriyet du 1er mai 1988, les fournitures alimentaires d’une famille de 4 personnes ont grimpé de 120.525 LT en avril 1987 à 203.530 LT en avril 1988.
    Le quotidien Hürriyet  du 22 février 1988 rapporte que le pouvoir d’achat d’un salarié est tombé de 100 points en 1983 à 74,33 à la fin de 1987.
    Ceci est le résultat de l’injustice sociale, qui s’aggrave de plus en plus sous le régime d’Özal. Toujours d’après Hürriyet, la part des salariés dans le revenu national brut est tombée de 24,8 % en 1983 à 16,3 % à la fin de 1987, et celui des paysans de 20,2 % à 16,9 %.
    A l’inverse, au cours de la même période, la part des revenus d’intérêt, de profits et des rentiers  s’est élevée de 55 % en 1983 à 66,8 %.

    Nouvelles tendances de l’opinion publique

PARTIS    ELECTIONS    SONDAGE     
    DE 1987    DE 1988

ANAP (Özal)    36,3 %    23,3 %
SHP (Inönü)    24,8 %    28,0 %
DYP (Demirel)    19,2 %    26,9 %
DSP (Ecevit)    8,5 %    2,4 %
RP (Erbakan)    7,2 %    3,3 %
MCP (Türkes)    2,9 %    1,2 %
Autres    1,2 %    1,7 %
Sans opinion    —    13,2 %

    Les travailleurs ont subi cet appauvrissement pour que puisse réussir la politique monétariste drastique imposée par le FMI en 1980 en vue de sauver la Turquie menacée d’une dette étrangère  abyssale.  Mais  la Turquie reste le pays le plus pauvre de la région avec un PNB de 1.200 $ et le total de la dette étrangère a monté de 23 milliards $ en 1983 à 40 milliards en 1988, ce qui signifie un accroissement de 74 % en cinq ans. La dette extérieure de la Turquie équivaut à 60 % de son PNB. Le service annuel de la dette incluant les intérêts s’est élevé à 6,7 milliards $ et engloutit environ 70 % des revenus de l’exportations. Quant à la dette intérieure de l’Etat, elle atteignait 12.200 milliards de LT (9,5 milliards $) à la fin de 1987.
    En bref, les 5 années de régime d’Özal ont conduit  la Turquie au désastre économique et social. La réaction des masses populaires contre cette situation ne se manifeste pas seulement dans les sondages d’opinion, mais aussi par des différentes formes d’actions de protestation menées par les ouvriers et les étudiants. Comme on le montrera dans les articles suivants, les mesures policières ne peuvent plus empêcher le peuple de recourir à des actes de protestation dans la rue.
    De plus, la faillite des mesures du gouvernement a conduit à l’aggravation des contradictions internes des cercles dirigeants. Tandis qu’une partie des milieux d’affaires  recherche une alternative dans les autres partis et même dans le SHP social-démocrate, les fonctionnaires au sommet critiquent les structures mises en place par les militaires. La constitution de 1982 et le rôle des militaires sont devenus un des principaux points de discussion au sein des partis politiques, dans la presse et au parlement.
    Dans la crainte d’être complètement ruinés aux élections locales prévues pour 1989, la majorité gouvernementale au parlement a présenté un projet de loi pour des élections locales anticipées en octobre de cette année. La loi stipule également que les élections municipales partielles pour les sièges mayoraux vacants prévues pour juin de cette année se tiendront en même temps que les élections locales d’octobre.

LE CHEF DE LA JUSTICE CRITIQUE LA CONSTITUTION

    Le président de la cour constitutionnelle, Mahmut Cuhruk, a critiqué la constitution de 1982 au cours de son discours à la cérémonie commémorative du 26ème anniversaire de la cour constitutionnelle de Turquie, le 26 avril 1988.
    Montrant les insuffisances de la présente constitution, Cuhruk dit:  “Ce  n’est pas une prophétie de dire qu’une telle situation affaiblit le régime au lieu de le renforcer. L’importance pratique des constitutions dans les sociétés libres démocratiques  tient dans leur capacité à imposer des limites au pratiques du pouvoir exercé par ceux qui dirigent le pays. Certains lois  qui  émanaient  de la  situation  politique  chaotique de la fin des années 70 sont obsolètes en 1988.”
    "Tous les partis politiques au parlement devraient se réunir et amender les aspects négatifs de la constitution actuelle," a déclaré le chef de la justice.
    Au mettant au jour les inconsistances constitutionnelles, Cuhruk a permis  une ouverture pour des critiques plus détaillées de la constitution.
    Emil Galip Sandalci, président de la branche d’Istanbul de l’association des droits de l’homme de Turquie (IHD), a affirmé que la constitution de 1982 n’est rien d’autre qu’une “glorification” de l’Etat par rapport aux citoyens. “La constitution est infecte,” a-t-il dit, “je dirais que c’est la plus mauvaise constitution dans l’histoire de ce pays. En violant des libertés fondamentales telles que les droits à s’organiser et à s’associer, elle sert les intérêts de l’Etat et non le peuple.”
    Immédiatement  après  ces  déclarations,  des  représentants des deux partis de l’opposition au parlement, le SHP et le DYP, se sont rencontrés afin de discuter de possibles amendements constitutionnels.
    Néanmoins,   le  premier  ministre  Turgut  Özal,  s’adressant  au  groupe  parlementaire  de  son  parti,  l’ANAP,  a  dit  qu’il ne songeait  pas à des changements imminents dans la constitution. “Changer la constitution n’est pas un jeux d’enfant. Je dois dire que nous ne pourrons pas faire de changements constitutionnels aisément,” a-t-il ajouté.
    Quant au général Evren, il s’est immédiatement opposé à l’idée d’un changement de la constitution: “Qu’il  s’agisse de la constitution ou d’autres lois, elles émanent de certaines nécessités. On en parle comme d’une réaction. Ce n’est pas une réaction. Elles sont toutes faites pour combler un vide.”

MENACE DE COUP D’ETAT DU GENERAL EVREN

    S’adressant à la foule à Trabzon le 30 avril 1988, le général président Evren a dit que l’armée est la seule puissance capable de sauver la Turquie d’une crise civile similaire à celle d’avant le renversement militaire du 12 septembre 1980.
    Déclarant que sans l’intervention militaire du 12 septembre, la Turquie se serait trouvée dans une situation de guerre civile semblable à celle du Liban, Evren a dit: “Bien que personne ne le souhaite, si la Turquie devait faire face à nouveau à une situation similaire, seules les forces armées pourraient en sauver la Turquie.”
    Les remarques d’Evren ont provoqué une réaction immédiate des leaders de l’opposition. “C’est complètement déplacé, inconsistant et extrêmement incorrect et trompeur,” a dit M. Inönü, leader du parti populiste social-démocrate (SHP). “Comment  un  président  qui détient  tout  le  pouvoir  et  l’autorité  pour  empêcher  les  troubles  dans  le  pays  peut-il  affirmer qu’un jour pourrait venir où il ne pourrait pas faire usage de  son  autorité  et  où  la seule  solution  serait  l’intervention des forces armées contre leur propre volonté?”
    Le leader du Parti de la Juste Voie (DYP) et l’ancien premier ministre Demirel a également répondu au président en disant qu’alors que tout le monde dans le pays s’applique à construire une image de la Turquie qui est celle d’un pays libre et démocratique, “la déclaration malheureuse a fait apparaître la Turquie comme un pays de coups d’état militaire.”

LE PREMIER MAI SOUS LE TERRORISME D’ETAT

    Depuis  le  coup d’état militaire de 1980 c’était la première fois que la Fête du Travail était célébrée publiquement en Turquie en dépit de l’interdiction et des brutalités policières.
    Jusqu’en  1980  le  premier  mai  était  célébré  officiellement en Turquie comme congé national du printemps, et les syndicats  se  joignaient  aux  travailleurs  du  monde  entier pour le célébrer comme fête du travail. Mais après le coup d’état de 1980, les militaires l’ont supprimé comme fête nationale, déclarant qu’elle provoquait la division au sein de l’unité nationale, et ont décrété l’obligation pour tout le monde de travailler le premier mai.
    Cette année, une foule d’environ 1.000 personnes s’est rassemblée dans les bureaux du parti populiste social-démocrate (SHP) afin de célébrer le premier mai. Huit députés du SHP, dont le président de la confédération démantelée des syndicats progressistes (DISK), Abdullah Bastürk, se sont rendus à la place Taksim et ont déposé des fleurs aux pieds de la statue d’Atatürk. Bastürk a présenté 34 bouquets d’oeillets rouges, symbolisant les 34 personnes tuées lors d’une manifestation du 1er mai en 1977, quand des personnes non-identifiées ont ouvert le feu sur la foule qui remplissait  la place.
    Alors que les députés se retiraient, la foule en attente devant les quartiers généraux du SHP ont commencé à descendre dans la rue avec une couronne. A quelques mètres seulement du bâtiment du SHP, la police anti-émeute a bouclé la rue et sommé les manifestants de  se   disperser.  Alors  que  ceux-ci s’étaient assis dans la rue, les groupes anti-émeutes ont chargé, dispersant la foule à l’aide de matraques, de coups de poings et de coups de pieds. Certaines personnes ont été emmenées dans des cars de police postés en attente, et d’autres ont tenté de s’échapper  par les rues arrières donnant sur Taksim.
    Alors que le groupe quittait la rue, un autre groupe d’environ 1.000 personnes, principalement des étudiants d’université, ont commencé à remonter Istiklal Caddesi, la voie principale conduisant à la place. Ce second groupe a rencontré la police sur une ligne établie face au consulat français. Comme ils refusaient eux aussi d’obéir aux ordres de la police, un second affrontement s’est produit.
    Quand des milliers de policiers à la place Taksim et dans les rues environnantes sont finalement parvenus à contrôler complètement la situation, 85 personnes ont été arrêtées et un certain nombre d’entre elles blessées.
    Suite aux incidents de Taksim, un groupe de protestataires s’est rendu à un cimetière et a rendu visite à la tombe d’un travailleur tué le 1er mai 1977. Le rassemblement s’est terminé pacifiquement sans aucune intervention de la police.
    A Izmir, 11 personnes ont été arrêtées par la police alors qu’elles plaçaient une couronne noire à l’entrée  des bureaux du gouverneur pour protester contre l’interdiction des célébrations du premier mai.
    Les députés du SHP se sont plaints de la brutalité inutile de la police dans l’attaque d’une foule pacifique. Trois syndicats ont publié une déclaration conjointe protestant contre ces événements.
    Le président  du  SHP  Erdal  Inönü  a  effectué  une  tournée  dans la capitale dans sa voiture  de campagne,  congratulant la population à l’occasion du premier mai au moyen de haut-parleurs.

GREVES OUVRIERES EN PREPARATION

    Pendant que 6.000 ouvriers employés dans un certain nombre de secteurs sont  en grève, plus de 20.000 employés sont au point d’entrer en grève à cause du fait que les pourparlers des conventions collectives se sont soldés par une impasse au sujet des accroissements et d’autres avantages sociaux.
    Etant donné la hausse du coût de la vie, les syndicats demandent des accroissements de salaires proportionnels au taux d’inflation, qui est aux alentours de 70 %. Mais les syndicats d’employeurs ne veulent concéder que 30 à 69 %.
    La position ferme des patrons a conduit plusieurs syndicats, dont Laspetkim-Is et Petrol-Is opérant dans l’industrie pétrolière, Tek-Gida dans l’industrie alimentaire et Cimse-Is dans l’industrie du ciment de lancer des grèves ouvrières dans plusieurs usines, comptant plus de 6.000 ouvriers.
    D’autre part, environ 50.000 travailleurs municipaux dans quatre grandes villes de Turquie, Istanbul, Ankara, Adana et Izmir, n’ont pas non plus réussi à se mettre d’accord avec le syndicat des employeurs. Presque la moitié des 50.000 travailleurs municipaux travaillent dans des secteurs où les grèves sont interdites par la loi actuelle du travail. Il s’agit des services de la santé et des transports publics ainsi que du département des pompiers.


NOUVEAU PROJET DE LOI DU TRAVAIL

    Suite aux débats sur les changements de la loi du travail et le droit de grève, un nouveau projet de loi a été approuvé lors d’une assemblée du Conseil des Ministres le 3 mai 1988, et envoyé au parlement turc pour examen complémentaire.
    Le ministre du travail Mme Imren Aykut s’est montrée empressée d’effectuer les changements nécessaires concernant la loi syndicale, la loi sur les conventions collectives, et la loi sur les grèves et fermetures d’usines avant la réunion de l’Organisation Internationale du Travail le 1er juin à Genève.
    La conférence de l’OIT semble importante cette année pour le gouvernement turc étant donné qu’une mauvaise réputation dans les milieux de l’OIT aurait probablement pour résultat une attitude négative de la Communauté Européenne  et du parlement européen.
    Les conditionS de travail et les droits des travailleurs en Turquie se trouvaient en tête des préoccupations de l’OIT en 1986 et en 1987 et la Turquie a été menacée de figurer sur la liste des pays qui violent les droits du travail. Mais deux lettres envoyées par le gouvernement turc disant que des changements  nécessaires  seraient  apportés  aux  lois  sur  le  travail ont évité à la Turquie de figurer sur la liste d l’OIT.
    Cependant, au sein du gouvernement certains ministres se sont opposés à l’adoption des changements suggérés par l'OIT et ont même objecté aux droits de grève pour les travail-leurs. En conséquence, les nouvelles mesures sont encore très loins de satisfaire l’OIT.
    Voici les principaux changements du nouveau projet de loi:
    -    Les étudiants et religieux auront le droit de s’affilier à des syndicats.
    -    Toutes les assertions des syndicalistes fondées sur des motifs économiques et sociaux ne seront pas soumises à des interdictions  politiques pour les syndicats.
    -    Les dirigeants syndicaux auront tous les droits de servir dans les équipes administratives d’institutions publiques.
    Bien que le gouvernement n’ait pas accepté de lever bien d’autres restrictions sur le droit de grève et les droits syndicaux, le président de la Confédération Turque des Syndicats (TURK-IS), M. Sevket Yilmaz, a exprimé sa satisfaction après sa rencontre avec le premier ministre Özal.
    Pourtant, quelques semaines auparavant, la TURK-IS avait organisé des manifestations de masse dans trois centres industriels dans le but de forcer le gouvernement à améliorer les conditions de travail.  Le 3 avril 1988, s’exprimant lors d’un rassemblement à Adana auquel assistaient des milliers d’ouvriers, Yilmaz avait annoncé que la TURK-IS essayerait par tous les moyens d’obtenir des meilleures conditions et a dit: “Bien que les lois interdisent aux syndicats de s’occuper de politique, nous nous engagerons politiquement si nécessaire pour ce combat.”
    La nouvelle position conciliante de Yilmaz a provoqué de vives réactions de la part des ouvriers. De nombreux affiliés des syndicats de la TURK-IS ont accusé M. Yilmaz d’avoir vendu les intérêts des travailleurs au gouvernement et aux milieux des affaires.
    La Confédération des Syndicats Progressistes (DISK), la seconde organisation des travailleurs de Turquie en importance, est toujours frappée d’interdiction.

ARRESTATION D’ETUDIANTS D’UNIVERSITES

    La plus violente confrontation entre les étudiants des universités et la police depuis le coup d’état de 1980 a eu lieu le 28 avril 1988, sur le campus principal de l’Université d’Istanbul.  Des centaines d’étudiants se sont rebellés contre la police et ont occupé les bureaux du recteur.
    Quand l’action étudiante qui a duré cinq heures, elle a été durement réprimée par la police anti-émeute, 158 étudiants universitaires se sont retrouvés dans les quartiers généraux de la police.
    Les incidents ont commencé quand une étudiante s’est plainte devant des journalistes et des amis qu’un  policier en civil en service sur le campus de l’université l’avait harcelée sexuellement. Alors qu’elle racontait son histoire à des reporters qui s’étaient rendus au campus pour couvrir une cérémonie  commémorant  les  émeutes étudiantes du 28 avril 1960, plusieurs étudiants ont  attaqué un autre homme en civil qui  se trouvait justement dans le local des étudiants. Suite  à  cela,  d’autres  policiers sont venus en aide à leur collègue et ont arrêté six étudiants en déclarant qu’ils avaient agressé  des policiers en service.
    Suite aux arrestations, des groupes d’étudiants se sont rassemblés sur le campus principal à Beyazit et ont commencé à marcher vers le bureau du recteur, lançant des slogans contre la police et le YOK (Conseil de l’Education Supérieure).
    “La police hors du campus,”, “Démission du recteur,” criaient les étudiants alors qu’ils se dirigeaient vers le bureau du recteur.  Entre  temps,  des  brigades  anti-émeutes  arrivaient sur le campus et commençaient à l’évacuer. Les étudiants qui étaient parvenus à s’enfermer dans le bureau du recteur ont barricadé les portes avec du mobilier et crié qu’ils resteraient là jusqu’à ce que le recteur ait été trouvé.
    Finalement, les brigades casquées de la police anti-émeute ont brisé les portes et pénétré dans le bureau du recteur pour se saisir des étudiants  protestataires. 
    Par la suite, la Cour de la Sûreté de l’Etat d’Istanbul a arrêté 31 des étudiants et relâché les autres. Au cours de l’interrogatoire, environ 1.000 étudiants et leurs parents se sont rassemblés dans la rue étroite en face du bâtiment de la cour, anciennement utilisé comme morgue de la ville, et ont attendu silencieusement que les voitures de police y amènent les étudiants arrêtés. Quand les voitures de police ont stoppé, les étudiants à l’intérieur de celles-ci et ceux qui se trouvaient dans la rue ont commencé à frapper ensemble dans leurs mains.
    Par ailleurs, les étudiants du campus principal de l’université d’Istanbul ont boycotté leurs repas, organisé des rassemblements assis, et lancé des slogans contre les mesures de la police dans les universités et exigé qu’il soit mis fin aux pratiques du YOK.
    A Ankara, Izmir, Kocaeli, Eskisehir, Adana, Van et Diyarbakir, les étudiants ont également boycotté les repas et manifesté leur désapprobation de façons variées.
    Suite à ces actions, le ministre de l’éducation Hasan Celal  Güzel a déclaré que “le gouvernement est décidé à mettre un frein aux activités des associations étudiantes, dirigées par des organisations illégales.” Déclarant que ceux qui incitent aux troubles dans les universités ne représentent pas plus de 0,3 % de l’ensemble du corps étudiant, le ministre a dit que ”des changements seraient apportés aux lois réglementant les activités des associations d’étudiants dans les universités de telles sorte que celles-ci ne soient plus contrôlées par la minorité.”
    D’après de  nouveaux projets, les associations étudiantes qui comptent moins de 50 % d'étudiants comme membres seraient fermées par les gouverneurs de provinces.


CONFLIT ENTRE ÖZAL ET LA PRESSE

    Le conflit entre la presse turque et le gouvernement a connu une nouvelle escalade à la fin du mois d’avril 1988, avec de nouvelles hausses de prix et une nouvelle série d’accusations  très dures.
    Dans une déclaration conjointe, les dix principaux quotidiens de Turquie affirmaient, le 23 avril: “Nous devons dire à notre regret que le gouvernement a opté pour une ligne politique  qui a pour but de ruiner les journaux financièrement et économiquement, simplement  parce qu’il ont rendu publiques ses insuffisances et ses erreurs.”
    Le jour suivant, le gouvernement répliquait par une déclaration écrite qui se réduisait à accuser la presse de mensonge.
    Dans une  action  exceptionnelle, Erol Simavi, éditeur du  principal quotidien du pays Hürriyet a adressé au premier ministre  une lettre ouverte sur huit colonnes en  tête du journal.
    Simavi  a dit que le pontage coronarien subi par Özal   l’année passée aux Etats-Unis a laissé une séquelle sur sa personnalité: la “haine de la presse.” Il a accusé Özal de se placer au dessus des organes de l’état incluant le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire.
    Sur  ces  accusations , Özal  a  annoncé qu’il  allait  entamer des procédures légales  contre  certains quotidiens.
    Le leader du principal parti d’opposition (SHP), Erdal Inönü, a également fait usage de mots très forts contre la politique d’Özal sur la presse: “Les hausses des prix du papier d’imprimerie n’ont rien à voir avec des calculs de coûts. Ces augmentations ne résultent pas de nécessités économiques. Elles sont le produit d’une  politique arbitraire,  maladroite et irrationnelle.”
    Süleyman Demirel, ancien premier ministre et leader du Parti de la Juste Voie (DYP), a décrit la hausse des prix comme “revancharde.” “Attaquer la presse libre équivaut à attaquer le régime démocratique,” a-t-il dit.


UN JOURNALISTE DISPARU DEPUIS 1984

    Le quotidien Cumhuriyet du 21 avril rapporte que Nurettin Öztürk, éditeur responsable de la revue politique Kurtulus, a disparu depuis son arrestation par la police en 1984.
    Oztürk a vécu pendant des années comme réfugié politique en Suisse et décida de retourner en Turquie à la fin de 1983. Après son retour, il a immédiatement été arrêté, en même temps que d’autres personnes, et depuis ni sa famille ni ses amis n’ont pu obtenir la moindre information au sujet d’Öztürk. Sa mère dit qu’il pourrait  avoir été tué par les policiers.


NOUVEAU MAGAZINE CONFISQUE

    Le premier numéro d’un nouveau magazine, Medya Günesi, a été confisqué le 20 avril sur ordre du procureur de la Cour de la Sûreté de l’Etat.
    Le 16 avril, Muzaffer Erdost, auteur et éditeur de recherches sociologiques sur une ville kurde, Semdinli, a été interrogé par le procureur de la presse d’Istanbul. Il est accusé d’incitation à la lutte d’une classe sociale contre une autre.


STARS DE CINEMA EN PROCES

    Un groupe de vedettes et de réalisateurs célèbres du cinéma turc ont été amenés dans les bureaux du procureur public à Istanbul le 26 avril, et interrogés pour leur marche de protestation contre la censure de certains films pendant le Festival du Film d’Istanbul. Les acteurs Tarik Akan, Hale Soygazi et les réalisateurs Ali Ozgentürk, Basar Sabuncu, Isil Ozgentürk, Baris Pirhasan, Duygu Sagiroglu et Seref Gür sont accusés d’avoir transgressé la loi sur les rassemblements et les marches.


PRESSIONS EXERCEES SUR UN REALISATEUR

    Un réalisateur turc a protesté  contre la confiscation de ses films par les autorités turques. Muammer Ozer, 43 ans, a dit que  son  film  “Nuage de mélancolie”  a  été  saisi  le  27  mars dans les bureaux de la compagnie du film d’Istanbul, Kino-Mosaik, sur base du fait qu’il était un étranger travaillant en Turquie sans permission appropriée.
    Ozer détient à la fois les nationalités  turque et suédoise, ce qui est permis par la loi turque.
    “Je pensais que puisque la démocratie existait en Turquie je pouvais faire le film ici," a-t-il expliqué aux journalistes. “Sans cela je l’aurais fait en Suède...Mais  par dessus tout je suis un artiste turc et je voulais introduire mon oeuvre  dans mon  propre pays.”
    Ozer a passé cinq ans et dépensé presque 10 millions de LT pour son film.
    Le bureau du procureur a seulement déclaré que le film était saisi  parce que Ozer “est un citoyen étranger” et “n’a pas obtenu la permission requise pour tourner un film en Turquie.”
    Le film, basé sur un poème du poète Nazim Hikmet, est un  drame au sujet d’une famille traversant  des années difficiles de transition et de désintégration. C’est le troisième long métrage d’Ozer. “Une poignée de paradis”, qu’il a réalisé en 1984,  a été récompensé dans cinq festivals internationaux du film.

SIX DIRIGEANTS DU SP INCULPES

    Le procureur de la Cour de la Sûreté de l’Etat d’Istanbul a ouvert un procès politique contre six fondateurs du Parti  Socialiste  et  réclamé  des peines  de prison  allant  jusqu’à  25 ans ans en vertu des articles 141 et 142 du Code Pénal Turc.
    Le procureur public en chef avait déjà demandé à la cour constitutionnelle de supprimer ce nouveau parti socialiste qui n'avait selon lui, d'autres buts que celui  d’établir la domination de la classe ouvrière dans le pays.

CHIFFRES OFFICIELS DU TERRORISME D’ETAT

    Le ministère de la justice a annoncé le 6 avril 1988 que 202.501  personnes avaient été traduites  devant des cours militaires depuis la proclamation de la loi martiale le 26 décembre 1978. 61.220 des accusés ont été condamnés à des peines diverses et les verdicts ont été approuvés par la Cour Militaire de Cassation.
    Malgré le fait que la loi martiale ait été levée dans toute la Turquie, 5.309 personnes sont toujours en procès devant les tribunaux et les condamnations de 1.254 autres, elles, sont au stade de l’examen par la Cour de Cassation.
    Le ministère a également établi que 1.493 prisonniers politiques sont toujours détenus dans cinq prisons militaires dans les provinces d’Istanbul (Metris), Ankara (Mamak), Erzincan, Erzurum et Diyarbakir.

TOUJOURS DES GREVES DE LA FAIM DANS LES PRISONS

    Les actions de protestation contre les conditions d’emprisonnement se sont poursuivies en avril 1988. Tout d’abord, 127 prisonniers de la prison civile de Diyarbakir ont entamé une grève de la faim le 6 avril et cette action a été suivie par les grèves de la faim des prisonniers d’Adana, Canakkale, Sanliurfa, Ankara, Konya et Sinop.
    Au cours de la grève de la faim dans la prison de Sinop, un détenu, Salih Sezgin, a tenté de se suicider.
    En solidarité avec ces actions, les parents des prisonniers et environ 50 dirigeants  et membres locaux du Parti Populiste Social Démocrate (SHP) se sont joints eux aussi à l’action  de grève de la faim.

EXAMEN DE VIRGINITE

    Le quotidien Cumhuriyet du 15 avril 1988 rapporte qu’à Diyarbakir, la police a emmené un groupe de jeunes filles détenues pour raisons politiques à l’hôpital, afin d’obtenir un rapport médical déterminant si elles étaient vierges.
    Les autorités policières  affirment que ce contrôle a été demandé en vue de prouver l’innocence de la police si les jeunes filles affirmaient après leur libération avoir été violées au cours de l’interrogatoire.

PLAIDOYER EN KURDE DEVANT LA COUR

    L’ancien maire de Diyarbakir, Mehdi Zana, en protestation contre l’interdiction de la langue kurde, a déclaré devant la cour militaire de Diyarbakir qu’il refusait de parler en turc et qu’il ferait sa défense dans la langue kurde.
    Au procès du 28 avril, quand Zana a commencé à faire sa défense en kurde, le chef du tribunal militaire, le major Yildiray Alparsan est intervenu en disant: “Seul le  turc est parlé ici. La langue de l’état est  le turc. Autrement je vous renverrai de la salle d’audience”.
    En dépit de cette menace, Zana a insisté à nouveau pour s’exprimer en kurde. Alors qu’il était emmené par des soldats hors de la salle d’audience, il a crié: “Bimre Zordesti” (A bas la tyrannie) et “Bimre Koleti” (A bas l’esclavage).
    Après son expulsion, le tribunal a décidé de requérir la Cour de la Sûreté de l’Etat de Diyarbakir afin de juger Zana pour transgression de l’article 142 du code pénal.
    Zana avait été élu maire avec le soutien de toutes les forces progressistes de Diyarbakir, mais avait été immédiatement arrêté après le coup d’état. Au cours de sa détention il avait été torturé maintes fois, et condamné à la prison à vie dans différents procès politiques bien qu’il n’avait jamais été impliqué dans aucun acte de violence.
    Par ailleurs, le 8 avril 1988, le député social-démocrate Mehmet Ali Eren a mis sur pied un projet de loi  stipulant la levée de l’interdiction de la langue kurde. Il propose d’annuler la loi n° 2932, adoptée par la junte militaire le 19 octobre 1983, qui stipule “une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans  pour celui qui parle et écrit dans une langue autre que celles qui ont été adoptées comme premières langues officielles par les états reconnus par la république de Turquie.” Comme le kurde n’est la première langue officielle d’aucun état dans le monde, cette loi interdit implicitement l’usage de la langue kurde.

CHANTEUR POPULAIRE CELEBRE POURSUIVI

    L’un des plus populaires chanteurs de Turquie, Ibrahim Tatlises, a été interrogé par le procureur de la Cour de la Sûreté de l’Etat d’Istanbul pour avoir chanté des ballades kurdes pendant son concert en Europe.
    Comme  il est d’origine kurde, au cours de ses concerts en France et en RFA, les auditeurs lui ont demandé de chanter  quelques  chansons  kurdes  et  il  n’a pas pu refuser leur demande.
    Tatlises risque une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans pour avoir chanté en kurde.
    D’autre part, le procureur de la Républic à Ankara a entamé une procédure légale contre un autre chanteur populaire, Cem Karaca, pour son concert à Hamburg en 1981. Il est accusé d’avoir chanté certaines chansons contre la Turquie et risque une peine de prison d’au moins cinq ans.
    Cem Karaca a été privé de la nationalité turque en 1981, mais il est retourné au pays sur la garantie donnée personnellement par le premier ministre Özal et  a réintégré sa nationalité. Après  son retour, Cem a fait l’éloge du régime et est devenu l’objet de critiques de la part de l’opposition.

PETITION  DE L’ASSOCIATION DES DROITS DE L’HOMME

    L’Association des Droits de l’Homme a soumis à M. Yildirim Akbulut, président de l’Assemblée Nationale, une pétition portant 15.500 signatures, qui réclame une amnistie générale et que soit supprimée la peine de mort.
    M. Nevzat Helvaci, président de l’Association des Droits de l’Homme a dit que depuis le coup d’état de 1980 des arrestations avaient été faites sur des critères politiques, et que des gens avaient été jugés devant des tribunaux pour délits d’opinion. Il a dit que des personnes arrêtées avaient été forcées sous la torture à avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis, et que des injustices avaient été commises d’une façon générale. Dans le but de corriger toutes les erreurs judiciaires depuis le coup d’état, Helvaci a dit qu’une amnistie générale était inévitable.
    M. Akbulut a dit aux pétitionnaires que des cas de peines de mort se trouvent sur l’agenda  du Comité de la Justice de l’Assemblée Nationale. Suite à une décision de la majorité parlementaire du parti dirigeant de la mère patrie (ANAP), le Comité de la Justice est en train d’étudier un projet de loi qui commuerait automatiquement les peines de morts non  votées  par l’assemblée  dans les 12 mois. Le code pénal turc laisse l’approbation finale des peines capitales à la Grande Assemblée Nationale.

RENCONTRE AVORTEE TURQUIE-CEE

    La réunion longtemps attendue du Conseil de l’Association entre la Turquie et la Communauté Européenne a avorté le 25 avril 1988 quand la délégation grecque a fait une référence au “problème de Chypre” inclue dans la déclaration d’ouverture.
    Le ministre des affaires étrangères turc Mesut Yilmaz, objectant à cette phrase, a dit: “Le problème de Chypre affecte le développement des relations entre la Communauté et la Turquie dans leur ensemble.”
    En dépit de pourparlers intensifs entre la partie turque et le ministre des affaires étrangère Hans-Dietrich Genscher, le président du Conseil des Ministres de la CEE pour la période  actuelle, aucun compromis n’a été obtenu. La réunion du Conseil de l’Association, qui devait se tenir entre Yilmaz, le ministre d’état Ali Bozer et les ministres des 12 pays membres de la CEE, n’a pas eu lieu.
    Genscher a dit à la presse qu’il travaillerait à organiser une autre réunion du Conseil de l’Association peu avant juin. Mais en Turquie, l’atmosphère n’était pas aussi optimiste que Genscher l’aurait voulu. Selon la presse turque, toute l’euphorie venue de l’”esprit de Davos” ou  du nouveau rapprochement entre la Turquie et la Grèce s’était maintenant envolée.
    La détérioration des relations entre Ankara et Athènes était subite.
    Trois mois plus tôt, la réunion au sommet entre les premiers ministres, grec et turc, à Davos en Suisse avait conduit à une amélioration des relations entre les deux pays. Au sommet de Bruxelles le 3 mars, les deux chefs de gouvernement avaient publié un communiqué conjoint affirmant qu’une pleine entente existait sur de nombreux aspects du conflit.
    Au début d’avril, une délégation grecque conduite par le musicien populaire et homme  politique Mikis Théodorakis, a effectué une visite de trois jours en Turquie et remis un message de bienveillance de Papandreou au peuple turc.
    Ce message a été suivi d’un communiqué de l’Association d’Amitié Gréco-Turque, une nouvelle organisation de 46 membres fondateurs en Turquie .
    Enfin, le 20 avril, le protocole d’adaptation entre la Turquie, la Grèce et les Communautés Européennes, qui  resté sans ratification complète depuis sept ans, a été signé à Bruxelles.
    Mais un jour avant la réunion du conseil, un envoyé personnel du premier ministre grec arrivait dans la capitale turque avec un message verbal, demandant de réduire le contingent des troupes turques à Chypre en signe de bonne volonté de la part de la Turquie. Les onze autres pays membres de la communauté européenne se sont joints par la suite à cette demande, ce qui a conduit à l’échec de la réunion du Conseil.
    Répondant aux critiques d’Ankara, le premier ministre grec Papandreou a dit qu’il ne voyait pas pourquoi les développements intervenus à Luxembourg devraient assombrir le climat de détente entre les deux pays. Il a insisté sur le fait qu’un signe de  bonne volonté de la part de la Turquie par le retrait des troupes turques de Chypre serait la clé de la solution du problème de Chypre.
    D’autre part, poursuivant ses efforts afin d’avoir une rencontre avec Özal, le nouveau président chypriote grec George Vassiliou a affirmé qu’il était prêt à discuter aussi avec le chef de la communauté turque Rauf Denktash.
    Vassiliou a dit  que l’aspect international du problème de Chypre, en l’occurence la présence des troupes turques sur l’île, devrait être séparé des questions nationales telles que la discussion  sur la constitution de la république insulaire.
    “Il serait approprié de discuter des aspects internationaux de la question avec Özal tandis que les relations entre les deux communautés devraient être traitées avec Denktash,”a-t-il dit.”Chypre est la seule question où aucun progrès n’est en vue. Notre voeu sincère est l’annonce par la Turquie qu’elle va retirer ses troupes et ses colons. Une telles annonce comme conséquence de Davos montrera que la Turquie est prête et désireuse de paver la voie pour un  tel progrès.”
    Ankara n’a pas encore répondu à cette nouvelle approche du leader chypriote grec. Un responsable de haut rang du ministère des affaires étrangères a dit qu’il n’y avait aucun changement à attendre dans la politique de la Turquie à l’égard de Chypre.


POURPARLERS DE HAUT  NIVEAU SOVIETO-TURCS

    Une délégation soviétique de haut niveau, conduite par le premier député ministre des affaires étrangères Yuli Mikhailovitch Vorontsov, est arrivée à Ankara le 26 avril  1988 et a conclu quelques accords nouveaux  avec la partie turque.
    Le premier accord signé entre les deux pays est un document réglementant les activités consulaires de chaque partie sur le territoire de l’autre.
    D’autres sujets discutés incluaient l’accord  commercial à long terme et l’achat de gaz naturel soviétique. Il y a un projet important en cours en Turquie pour brancher la consommation en énergie dans les centres les plus peuplés et les grands centres industriels, tels qu’Istanbul et Ankara, sur le gaz naturel soviétique.
    Les exportations de la Turquie vers l’Union Soviétique se montaient à 169,5 millions $ en 1987. Sur ce total, 122,2   millions $ concernent le commerce par les procédures normales, environ 27 millions $ consistaient en commerce par compensation en nature, et les 10,3 millions $ restants représentaient le commerce dans le cadre de l’Accord sur le Gaz.
    La Turquie exporte principalement des produits de l’agriculture et des matières brutes vers l’union soviétique.
    Les importations,  d’un  autre  côté,  se  montaient  à un total de 341,2  millions $.  Sur ceux-ci,  30 millions $  allaient aux importations de gaz et 14 million $ aux importations d’électricité.
    La pêche au turbot dans la mer noire, qui est interdite par les Soviétiques dans leur zone économique de 200 miles, a également été discutée. Les deux parties ont décidé de collaborer pour contrôler le stock de turbots dans la mer noire, comme première étape vers la conclusion d’un accord bilatéral sur la pêche.
    Vorontsov a tâté le terrain pour savoir si la Turquie était prête à accepter de nouvelles armes nucléaires à courte portée afin de renforcer la défense de l’alliance occidentale, suite à l’accord INF entre Reagan et Gorbachev. La Turquie a subi des pressions de ses alliés occidentaux pour accepter plus de responsabilités nucléaires afin de compenser les  effets de l’accord INF.
    Les délégations ont également travaillé à préparer une visite en Turquie du ministre soviétique des affaires étrangères Edouard Shevarnadze dans le courant de l’année.
   
RAPPORT  D’AI  SUR  LA  PEINE  DE  MORT

    Amnesty international a publié en avril 1988 un document de 7 pages sous le titre “La peine de mort en Turquie: Récents développements et cas d’exemples”. Voici la première partie de ce document:
    “En 1987, 28 nouvelles peines capitales ont été décidées par des cours civiles et militaires en Turquie. En mars 1988 le journal turc Cumhuriyet a rapporté 192 cas de personnes actuellement condamnées  à mort et qui ont épuisé tous les recours légaux. Ces sentences requièrent seulement la ratification par la Grande Assemblée Nationale Turque (TBMM) et le Président, après quoi les condamnés peuvent être exécutés à n’importe quel moment. Le 8 novembre 1987, le journal Yeni Gündem a recensé 700 peines capitales à des stades divers de la procédure légale. Aucune exécution n’a eu lieu en 1987 et le Comité Judiciaire de la TBMM ne s’est occupé  d’aucune  des condamnations à mort attendant sa confirmation.
    “En 1986, deux députés d’un des partis de la minorité ont soumis au Comité Judiciaire un projet  de loi pour l’abolition de la peine de mort mais l’ont retiré en avril 1987, prévoyant son rejet de toute façon. Ils prévoyaient un nouvelle soumission à un moment plus opportun. Un projet d’amendement au code pénal turc, réduisant le nombre de délits passibles de la peine de mort mais ne proposant pas son abolition totale, a été soumis par le gouvernement aux médias et aux organisations professionnelles au début de 1987, ce qui provoqua de nouvelles discussions sur la peine de mort. Bien que des organisations telles que l’Union des Barreaux Turcs, l’Association Médicale Turque et l’Association des Droits de l’Homme en Turquie aient publiquement déclaré leur opposition à la peine de mort, aucune mesure nouvelle n’a été prise par le gouvernement en vue de l’abolition.
    “L’ANAP est au pouvoir depuis novembre 1983 et il est improbable que le parti adoptera une position hostile à la peine de mort. Le principal parti d’opposition, le SHP, est opposé à la peine capitale. N’ayant obtenu que 99 sièges, cependant, , il n’a pas une influence prédominante sur  la législation. Le leader du parti conservateur DYP, Süleyman Demirel, a annoncé peu avant les élections qu’il était favorable à un référendum sur la peine de mort.
    “Les principaux quotidiens en Turquie ont contribué de façon majeure à la discussion publique sur la peine de mort en 1987. Le 10 mai, Nokta a fait un grand article  appelant à une campagne pour l’abolition de la peine de mort. Le journal 2000e Dogru, dans son article principal du 20 septembre, a concentré son attention sur l’exécution d’Erdal Eren en décembre 1980 et soulevé des doutes sérieux quant  à la légalité du verdict. Le 8 novembre Yeni Gündem a contribué au débat par un grand article intitulé “De l’espoir pour les gens sur le fil de la mort”. Le vice-président de l’ANAP, Bülent Akarcali, a été cité pour avoir dit que les sentences capitales non prises en charge par le Comité Judiciaire lui-même après un certain temps ou qui n’ont pas été confirmées par la TBMM devraient être commuées en emprisonnement à vie. Certains députés ont donné suite à ceci en annonçant publiquement, peu de temps après les élections, leur intention de soumettre un projet de loi  pour que toute peine capitale non traitée par le Comité Judiciaire dans les six mois soient automatiquement commuée en prison à vie.
    “Le ministre de la justice, Mahmut Oltan Sungurlu,a parlé aux journalistes le 24 janvier 1988. Tout en admettant que prendre une décision concernant la vie d’un être humain était un fardeau pour des politiciens, il refusa de se prononcer de façon définie sur l’abolition de la peine de mort. Quoiqu’il ne soit pas opposé en principe à l’abolition, il a jugé le moment  prématuré ‘tant que les combats dans l’est et le sud-est anatolien continuent’. Alpaslan Pehlivanli, président du Comité Judiciaire,  a répondu le même jour. Il a salué l’initiative prise par le ministre de la justice de discuter de la peine de mort et avancé une proposition similaire à celle de Bülent Akarcali mentionnée plus haut, en suggérant un délai limite d’un an pour que le parlement prenne en charge les condamnations à mort.
    “Le principal événement concernant la peine de mort en 1987, cependant, a été l’initiative de l’Association des Droits de l’Homme de Turquie fondée en 1986. Le 10 septembre l’association a lancé une campagne pour une amnistie  générale pour les prisonniers, et pour l’abolition de la peine de mort.
    “ Des appels lancés par des membres d’Amnesty International pour l’abolition de la peine de mort ont également touché le public turc.
    “Le 21 janvier 1988, le parlement a adopté une résolution concernant la Turquie, qui dit dans l’article 1: ‘(Le parlement européen)...demande au chef du gouvernement de Turquie récemment réélu, au parlement turc et au président de la république de prendre les mesures nécessaires pour commuer toutes les peines capitales en attente dans le pays, jusqu’à ce que cette peine abominable soit abolie.’”

3 PEINES CAPITALES APPROUVEES

    La Cour Militaire de Cassation a approuvé, le 12 avril 1988, la peine de mort pour trois membres supposés de l’Union pour l’Action (THKP/C-EB), la prison à vie pour trois autres, et diverses peines d’emprisonnements pour 17 autres.
    Le 26 avril 1988, à Ankara, la Cour de la Sûreté de l’Etat a condamné un membre de la Libération Nationale du Kurdistan (KUK) à une peine de prison de quatre ans et deux mois.




UN TRIBUNAL INTERNATIONAL CONTRE LE REGIME TURC

    Un groupe d’organisations turques, kurdes et allemandes organisent, à l’occasion du 8ème anniversaire du coup d’état militaire de 1980, un tribunal international contre le régime turc.
    Le procès se tiendra les 9,10 et 11 septembre 1988.
    Les objectifs du tribunal ont été annoncés comme suit:
    -    Condamner  la justice du 12 septembre.
    -    Obtenir la libération des prisonniers condamnés par la junte fasciste du 12 septembre.
    -    Demander à la Turquie de respecter la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et la convention de l’Organisation Internationale du Travail.
    -    Permettre aux réfugiés politiques et à ceux qui ont été privés de leur nationalité de recouvrir leur nationalité et de retourner dans leur pays.
    Le tribunal essayera également d’obtenir:
    -    La levée des interdictions et des pressions sur les masses populaires.
    -    La reconnaissance de tous les droits du peuple kurde.
    -     La mise en pratique d’une démocratie conforme aux normes européennes.
    -    La restructuration des administrations officielles et de l’état en conformité avec les principes démocratiques.
    -    La prise de sanctions contre les tortionnaires et les assassins des peuples turc et kurde.
    -    Des élections libres sans aucune restriction.   
    -    La défense des travailleurs contre les monopoles.
    -    La liberté de la presse et les droits à l’association politique.
    Le jury sera constitué de représentants des syndicats, d’états démocratiques, d’organisations de protection des droits de l’homme. Le lieu du procès  sera annoncé plus tard.
    Pour le moment la liaison avec l’initiative du tribunal international est prise en charge par Türkei Informationsbüro (c/o R. Oncan- Postfach 91 08 43-3000 Hannover 91 -FRG; Tel: 49-511-210 20 07.)

UN MONUMENT POUR YILMAZ GÜNEY

    La famille et les amis du célèbre réalisateur Yilmaz Güney a lancé une campagne pour l’érection d’un monument aux côtés de sa tombe à Paris.
    Yilmaz Güney, réalisateur de “Yol”, primé à Cannes, a fuit la Turquie en 1981 alors qu’il purgeait une peine de prison. Il a été privé de la nationalité tuque par le gouvernement militaire pour son combat démocratique à l’étranger. Après avoir tourné un autre film “Le Mur”, il est mort à Paris en 1984.
    La Güney Production  a  récemment sorti un film vidéo de 112 minutes illustrant l’art, le combat et la vie privée de Yilmaz Güney.
    Toutes les rentrées provenant de ce film  vidéo seront utilisées pour le financement de l’érection du monument à Yilmaz Güney.
    La vidéo peut être commandé au prix de 265 FF à l’adresse suivante:
    Güney Productions
    41, rue Barrault
    75013 Paris
    FRANCE
    Tél: 33-1-43 36  20 67