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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


140

12e année - N°140
Juin 1988
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 

L'INQUISITION A ANKARA

Pendant que commençait le procès des dirigeants du Parti communiste unifié de Turquie (TBKP) à Ankara le 8 juin 1988, dans un autre procès de masse, le procureur militaire réclamait 74 condamnations à mort et des centaines d'emprison-nements à vie pour les militants de la Voie Révo-lutionnaire (DEV-YOL). Des milliers de militants politiques risquent toujours la peine capitale ou de lourdes peines de prison dans les autres pro-cès en cours d'organisations de gauche telles que TKP-ML, TKP-B, TDKP, PKK et DEV-SOL. Toutefois, tous ces procès politiques sont ignorés par les institutions européennes et les grands médias qui portent toute leur attention seulement sur le procès de Yagci et Sargin du TBKP.

PROCES DES DIRIGEANTS DU TBKP

    Le procès des secrétaires généraux du Parti Communiste de Turquie (TKP) et du Parti Ouvrier de Turquie (TIP), Nabi Yagci et Nihat Sargin, a commencé le 8 juin devant la Cour de la sûreté de l'état d'Ankara.
    Comme le rapporte The Guardian, "l'affaire a provoqué une vague d'intérêt à l'intérieur comme à l'étranger, l'interdic
tion du communisme en Turquie, datant de 65 ans, étant réexaminée de la façon la plus approfondie. En Europe, elle est considérée comme l'un des facteurs qui empêchent une pleine adhésion de la Turquie à la CEE. A l'intérieur, il y a souvent un débat intense pour savoir si une interdiction du communisme est appropriée, dans un pays supposé être retourné à la démocratie après le coup d'état militaire de 1980, mais le gouvernement n'a fait aucun pas en vue d'un changement de la loi."
    Emmenés menottes aux poings au tribunal, Yagci et Sargin ont été conduits par une escorte militaire jusqu'à la porte d'entrée de la salle d'audience, alors que 800 personnes, parmi lesquels des observateurs internationaux et 200 avocats de la défense, essayaient d'y avoir  accès.
    Il y a eu des échauffourées quand l'accès à la salle d'au-dience pleine à craquer a été refusée à des journalistes, des observateurs internationaux et certains avocats, ainsi qu'à la plus grande partie du public. Les juges, deux civils et un militaire, ont rejeté les requêtes de la défense pour passer dans une salle d'audience plus grande. En signe de protestation tous les avocats de la défense sauf cinq ont quitté la salle. Les cinq restant ont soumis une plainte disant que la défense ne pouvait être assurée convenablement.
    Les procureurs ont demandé 66,5 ans de prison pour Yagci et pour Sargin. Bien que la lecture de l'acte d'ac-cusation devrait durer trois jours, les juges, prenant une décision inattendue, ont ajourné le procès jusqu'au 17 juin. Aucune raison n'a été donnée, mais certains supposent que les autorités turques cherchent à apaiser la tension en laissant jouer le temps.
    Tous le observateurs locaux et étrangers ainsi que de nombreux journaux turcs ont qualifié le procès "d'i-néquitable" et d'incompatible avec les normes internationales de la justice. Les observateurs étrangers ont été profondément choqués par le fait qu'un des juges et l'un des deux procureurs portaient des uniformes.
    Un groupe de 32 Grecs, dont le musicien Mikis Théodorakis, constituait la délégation étrangère la plus importante. D'autres délégations provenaient de Gr. Bretagne, d'Allemagne de l'Ouest, de France, des pays scandinaves et du Canada. Le Comité central du parti communiste de l'Union Soviétique a envoyé un télégramme exprimant sa solidarité avec Yagci et Sargin.
    Regrettant l'attitude de la cour, Lord Tony Gifford, qui représentait le groupe des droits de l'homme tous-partis de la Chambre des Lords, a dit: "Une des questions que je soulèverai dans mon rapport sera de savoir si un tel procès ne devrait pas être organisé dans une salle où le public puisse avoir plus d'accès."


RIPOSTE
"DEMOCRATIQUE"
DU GOUVERNEMENT
A INFO-TÜRK

    Alors que le gouvernement turc mène une campagne de charme destinée à l'opi-nion européenne, deux rédacteurs d'Info-Türk, M. Dogan Özguden et Mme Inci Tugsavul, viennent d'en recevoir une riposte "démocratique" parce qu'ils avaient posé des questions embarrassantes au premier ministre Özal au cours d'une conférence de presse qu'il a tenue à Bruxelles. Il s'agit de la notification de la privation de leur nationa-lité turque, décrétée il y a cinq ans.
    En fait, Özgüden et Tugsavul, exilés en Belgique, avaient été privés de la nationalité turque par le gouvernement militaire le 8 juin 1983 pour leurs activités d'information dévoilant les violations des droits de l'hom-me en Turquie. Cette décision avait été publiée à l'époque  dans le Journal Officiel et dans la presse turque.
    Les deux journalistes font partie des centaines d'opposants qui ont perdu leur nationalité par décision gouvernementale, et parmi lesquels figurait aussi le plus grand cinéaste de Turquie, Yilmaz Güney, mort en exil en 1984.
    Le premier ministre turc Özal, dans le cadre de sa campagne de charme, a tenu une conférence de presse à Bruxelles le 4 mars 1988 après avoir rencontré les chefs de gouvernement des pays de l'OTAN. Au cours de cette conférence de presse, les deux journalistes ont contredit par leurs questions les déclarations du premier ministre sur la restauration de la démocratie en Turquie. (Voir: Info-Türk, mars 1988).
    Quelques semaines plus tard, le 21 mars 1988, Özgüden, en tant que porte-parole du Comité de Solidarité et de Coordination des Réfugiés Politiques, nouvellement  formé, avait rendu public une série de revendications des réfugiés politiques, en-tre autres le rétablissement de la nationalité turque pour les opposants rendus apatrides. Comme riposte, le 18 avril 1988, le ministère turc de l'intérieur a ordonné au Consulat turc à Bruxelles de renotifier aux deux journalistes le décret gouvernemental sur leur nationalité publié cinq ans plus tôt.
    Enfin, le 1er juin 1988, Özgüden et Tugsavul ont reçu du Consul général de Turquie à Bruxelles, M. Selcuk Incesu, une lettre recommandée notifiant qu'ils avaient été privés de la nationalité turque en 1983 et que leurs biens en Turquie auraient été saisis par l'Etat.
    D'autre part, le ministère de l'intérieur a publié un nouveau communiqué demandant à 94 personnes de se rendre aux autorités militaires pour accomplir leur service militaire.
    Le leader du Parti Ouvrier du Kurdistan (PKK), Abdullah Ocalan se trouve sur cette liste. Le PKK est la principale organisation kurde qui mène la guerre de guérilla dans le Kurdistan turc.
    Le communiqué rappelle aussi que si elles ne se rendent pas aux autorités, ces 94 personnes seraient privées de la nationalité turque.

UNE CAMPAGNE POUR LA CITOYENNETE DE NAZIM HIKMET

    Un groupe d'avocats qui représentent la famille du poète turc Nazim Hikmet, mort en exil volontaire à Moscou il y a 25 ans, a remis une pétition au bureau du premier ministre le 3 juin 1988, demandant la restauration de la citoyenneté du poète et le rapatriement de ses restes en Turquie.
    Après avoir passé 13 ans en prison sur l'accusation d'incitation de l'armée et de la marine à la rébellion, Hikmet avait été libéré lors d'une amnistie générale en 1950. Cependant, mis en demeure de se rendre aux autorités militaires pour être envoyé en service militaire obligatoire, et menacé d'être assassiné, Nazim Hikmet a dû s'échapper d'Istanbul à bord d'un navire roumain qui traversait le Bosphore vers la mer noire.
    Après son évasion, un décret du gouvernement daté du 25 juillet 1951 l'a privé de la nationalité turque. Nazim Hikmet a vécu à Moscou jusqu'à sa mort le 3 juin 1963.
    Après sa mort, de nombreux avocats et même les autorités légales ont dit que le verdict contre Hikmet n'était pas conforme avec la procédure légale normale. Il n' y a aucune preuve solide des accusations portées contre lui.
    Sa soeur a affirmé que si les droits à la nationalité du poète sont restaurés, elle prendra une nouvelle initiative afin de ramener les restes de son frère de Moscou en Turquie pour un nouvel enterrement.
    Dans un poème qu'il a écrit en exil, Nazim Hikmet a exprimé le désir d'être enterré sous un peuplier dans un village reculé de l'Anatolie.


74 CONDAMNATIONS A MORT RECLAMEES

    Le plus grand procès de masse de la période d'après le coup d'état est entré dans sa phase finale le 5 mai, avec la lecture de l'acte final d'accusation du procureur militaire, dans lequel la peine capitale a été réclamée pour 74 des 723 inculpés. Le procureur a demandé  des peines de prison jusqu'à 15 ans pour 334 autres membres supposés de DEV-YOL (Voie Révolutionnaire).
    Le procès a commencé il y a six ans, deux mois et huit jours devant la cour militaire du Commandement de la Loi martiale d'Ankara. La rédaction de l'acte final d'accusation a duré neuf mois et sa lecture 43 jours.
    Tous les inculpés sont accusés de tentative de renverser l'ordre politique et social établi dans le pays.
    Dans un autre procès devant la Cour de la sûreté de l'Etat d'Istanbul, le 10 mai 1988, le procureur a réclamé des peines de prisons totalisant 500 ans pour neuf membres supposés du TKP/ML.
    D'autre part, le 11 mai, la cour militaire de cassation ont approuvé quatre peines de morts et des emprisonnement à vie prononcées contre un groupe de militants qui sont supposés avoir été impliqués dans des violences politiques dans le district d'Aybasti (Ordu).

RECONDUCTION DE L'ETAT D'URGENCE

    Cédant à la directive du Conseil de la Sûreté Natio-nale, composé de chefs militaires et de quelques minis-tres, l'Assemblée nationale a décidé, le 25 mai, de reconduire l'état d'urgence pour quatre mois à partir du 19 juillet, à Istanbul et dans huit provinces du sud-est.
    Bien que la loi martiale ait été levée, les gouverneurs civils usent de tous les pouvoirs exceptionnels des commandants de la loi martiale dans les provinces sous l'état d'urgence. Par ailleurs, les gouverneurs de onze provinces dans le sud-est anatolien, ont été placés sous l'autorité suprême d'un super-gouverneur.

43 NOUVELLES PRISONS EN DEUX ANS

    Le ministère de la justice a annoncé le 14 mai que 43 nouvelles prisons avaient été ouvertes en Turquie depuis deux ans. Ainsi, le nombre total des prisons civiles s'élève maintenant à 644, et 49.219 détenus et condamnés y sont emprisonnés.
    Bien que l'administration de certaines prisons militaires ont été récemment reprises en main par le minis-tère de la justice, les plaintes contre les conditions d'emprisonnement continuent comme par le passé.
    En mai, des centaines de détenus à Amasya, Diyarbakir, Aydin, Buca (Izmir), Gaziantep et Ankara ont lancé différents types d'actions de protestation telles que les grèves de la faim ou le boycot des repas.
    Le 17 mai 1988, deux mères de prisonniers politi-ques, Saliha Sener et Rahime Sahin, ont tenté de s'im-moler par le feu devant la municipalité de Diyarbakir pour protester contre les mauvais traitements infligés à leurs fils, mais elles ont été sauvées par les passants.
    Récemment, deux délégations de l'Association des Droits de l'Homme (IHD) et de l'Association pour la Solidarité avec les Parents des Prisonniers (TAYAD) sont venues en Europe et ont tenu une série de confé-rences de presse à Bruxelles et dans d'autres capitales pour attirer l'attention sur les conditions carcérales.

LA NEGLIGENCE MEDICALE  DES PRISONNIERS

    Amnesty International a publié un nouveau rapport sur "la torture et les négligences médicales des prisonniers" en Turquie. Nous reproduisons ci-dessous les extraits concernant les négligences médicales:
    "Les autorités turques ont argué à plusieurs reprises que les prisonniers politiques ne peuvent s'attendre à recevoir un meilleur traitement que la population dans son ensemble. Néanmoins, les autorités doivent se con-former aux prescriptions légales minimales concernant la santé dans les prisons, et leur argument ne tient pas compte du fait que de nombreux détenus souffrent de problèmes liés à la prison, maladies infectieuses telles que la tuberculose, et blessures dues à la torture et aux mauvais traitements au cours des interrogatoires par la police ou dans les prisons. Alors que la législation turque fournit des instructions claires pour l'apport des soins médicaux aux prisonniers —fréquence des examens, procédures en cas d'urgence, etc.
 les soins mé-dicaux, effectivement prodigués, restent souvent en deçà des prescriptions légales.
    "Les allégations au sujet des  négligences médicales rapportent fréquemment que l'effectif de l'équipe médica-le dans la prison est insuffisant et que celle-ci est souvent inexpérimentée. Dans les prisons militaires en par-ticulier, des jeunes médecins ayant juste terminé leurs études médicales sont nommés pour toute la période du service militaire, sans disposer d'aucune expérience pratique antérieure (normalement, en Turquie, toutes les personnes aptes, de sexe masculin, âgées de 20 à 41 ans, doivent effectuer un service militaire de 18 mois.) La presse turque a publié, en août 1987, les chiffres suivants afin d'illustrer le rapport entre le  nombre des médecins et celui des détenus  dans  quelques prisons:
    "à la prison de Mamak: trois médecins et  un dentiste pour 347 détenus.
    "à la prison de Sagmalcilar: trois médecins et un dentiste pour 2.829 détenus.
    "dans les prisons de Sanliurfa et de Sinop: aucun médecin pour des centaines de détenus.
    "La prison de Mamak, malgré un rapport relativement meilleur entre le nombre de médecins et celui des prisonniers, est un des lieux d'où sont parvenues de nombreuses allégations de négligences médicales. Les prisonniers s'y sont souvent plaints du fait qu'ils doivent attendre des semaines; jamais plus de sept prisonniers sur 70 ne sont examinés à la fois, lors d'une garde, et les autres détenus qui ont besoin de soins doivent attendre jusqu'à la semaine suivante. La même chose vaut pour les prisonniers qui veulent voir un spécialiste comme le dentiste, en plus du médecin de la prison. Ils doivent attendre au moins deux semaines avant d'être examinés par les deux.
    "Il a, de plus, été rapporté que, même dans des cas graves, les examens ont été faits très superficiellement, souvent par simple inspection visuelle, à travers la fenêtre, à la porte de la garde. On a rapporté qu'un nombre limité de médicaments est disponible pour les prescriptions, quelle que soit la maladie. Des plaintes similaires ont été faites dans presque toutes les prisons mais le plus fréquemment à Diyarbakir et dans la pri-son militaire de Metris. Dans certains cas les prisonniers doivent payer leurs propres médicaments. Dans d'autres, des médicaments fournis par des parents n'ont pas été acceptés par l'administration pénitentiaire.
    "Les réglementations sur l'administration et l'exécu-tion des sentences dans les prisons militaires, datées du 30 septembre 1986 (pour les parties concernant les soins médicaux,) affirment dans l'article 50 que chaque prisonnier doit subir un examen médical complet tous les trois mois. Des rapports d'anciens prisonniers, pourtant, indiquent que ces examens complets ne sont organisés qu'une fois par an.
    "On rapporte communément que les prisonniers ma-lades ont des difficultés pour obtenir l'admission à l'hôpital ou que le transfert à l'hôpital a été délibérément retardé. Dans la plupart des prisons les infirme-ries sont mal équipées et ne peuvent faire face qu'aux nécessités les plus élémentaires. Seule une prison en Turquie —La prison de Sagmalcilar à Istanbul— a ses propres installations hospitalières. En août 1987, 56 des 2.829 détenus étaient à l'hôpital de la prison, et 71 autres recevaient des traitements dans des hôpitaux extérieurs. En novembre 1987, la prison militaire de Sagmalcilar, qui avait été fermée en février 1986 à cause des mauvaises conditions d'hygiène, a été réouverte. Cette prison est maintenant appelée prison de Sagmalcilar de type E ou Sagmalcilar II. Le 10 janvier 1988, Kubilay Akpinar, ancien éditeur du journal Günese Çagri (Appel au Soleil), en procès pour appartenance au Parti communiste turc/Union (TKP/B) illégal, a rédigé une plainte qu'on a fait sortir clandestinement de la prison. Dans sa lettre, Kubilay Akpinar, qui aurait été torturé pendant 20 jours au cours de son interrogatoire, en août et septembre 1987, dit que lui et 25 prisonniers politiques avaient été transférés à la prison de type E le 22 décembre 1987, mais qu'ils n'avaient été examinés par un docteur que deux semaines plus tard. Il affirmait que sept prisonniers qui étaient sérieusement malades et avaient besoin d'un traitement hospitalier n'avaient pas été transférés à l'hôpital voisin (200 m) bien que le docteur avait ordonné leur transfert. Seuls trois d'entre eux avaient été emmenés à l'hôpital deux jours plus tard. Le refus du traitement médical était fon-dé sur le refus par les prisonniers en détention préventive de porter l'uniforme de la prison. Seuls les prisonniers qui acceptaient de porter les uniformes de la pri-son étaient emmenés à l'hôpital.
    "Dans les cas où les prisonniers détenus dans de petites villes ont besoin de soins médicaux nécessitant un traitement très sophistiqué, ils doivent être emmenés, soit à Istanbul, soit à Ankara, mais même alors très peu d'hôpitaux acceptent des prisonniers comme patients. Les prisonniers politiques détenus dans les prisons militaires sont le plus souvent traités dans les hôpitaux militaires pourvus de mesures  de sécurité.
    "Dans les petites villes, les hôpitaux d'état acceptent normalement des prisonniers, mais à Adana par exemple, pour plusieurs centaines de prisonniers, les hôpitaux  d'état ont  seulement une garde pour les prisonniers, qui prend un maximum de 10 patients. Le 5 juillet 1987, Yeni Gündem rapportait que les prisonniers, à l'hôpital d'état de Samsun, étaient enchaînés à leurs lits, et que tous les prisonniers de l'hôpital Numune à Ankara avaient été enchaînés à leurs lits pendant de longues périodes (probablement en 1984). Ha-lil Kirik, par exemple, membre supposé du Parti Ou-vrier Kurde (PKK) illégal, était dans l'attente d'une se-conde opération du cœur et était enchaîné à son lit pendant des semaines jusqu'à ce que l'opération puisse avoir lieu. Hakki Zabçi, qui a passé 32 mois à la pri-son militaire Mamak, aurait passé, quatre à cinq mois, enchaîné à l'hôpital militaire Gülhane en 1983.
    "Les chaînes semblent être utilisées fréquemment quand les prisonniers sont traités hors des prisons. Dans le but d'empêcher une évasion d'un prisonnier de l'hôpital, deux gardiens montent habituellement la gar-de (souvent en plus de la contrainte des chaînes). L'in-cident suivant qui s'est passé à Izmir a été porté à l'at-tention du public par Amnesty International. Le 1er mai 1986, Adnan Kirtay a été emmené de la prison de Buca vers l'hôpital pour la poitrine de Tepecik, afin d'être soigné contre la tuberculose, et a été enchaîné à son lit sur les ordres du commandant militaire, avec deux gardes à ses côtés. Quand le docteur demanda que le patient soit libéré pour son traitement, les gardes re-fusèrent de retirer les chaînes, expliquant les ordres re-çus. Adnan Kirtay resta enchaîné à son lit jusqu'à son renvoi de l'hôpital le 24 juillet 1986.
    "Le 11 août 1986, Yeni Gündem rapportait le cas d'Ümit Kaya, un prisonnier politique qui passa 27 mois à la prison militaire de Diyarbakir à partir de 1981, et dont on dit qu'il  souffrait toujours des séquelles de la torture et des mauvais traitements en prison. Il était également affirmé dans l'article qu'il avait été enchaîné à son lit, à l'hôpital Elazig, pendant 45 jours.
    "Abdülkadir Genelioglu, directeur général des prisons au ministère de la justice, a dit lorsqu'il était interrogé par des journalistes sur ce que le gouvernement avait l'intention de faire au sujet du manque d'espace pour les prisonniers dans les hôpitaux, en août 1987, que des contacts entre son ministère et le ministère de la santé étaient en cours pour discuter de la question de pourvoir les hôpitaux civils en gardiens de sécurité afin de leur  permettre de recevoir des prisonniers.
    "On rapporte que de nombreux prisonniers et anciens prisonniers souffrent de maladies mentales suite à la torture et aux mauvais traitements en détention et en prison. Le 11 août 1986, Yeni Gündem rapportait que Hüseyin Simsek, qui avait été emprisonné pendant plusieurs années à la prison militaire Metris, était mentalement souffrant. Dans le même article Mustafa Cos-kun est mentionné comme étant toujours dans la même prison depuis 1981. Il a été arrêté à l'âge de 17 ans et a passé sept mois à l'hôpital Haydarpasa. Souvent, il ne reconnaît pas sa mère au cours des visites. En août 1987, on rapportait que Veysi Kubat, un inculpé du procès de la Devrimci Yol (Voie Révolutionnaire) à Ankara, détenu à la prison militaire Mamak, était devenu violent envers ses co-détenus, criant la nuit et re-quérant l'emploi de sédatifs.
    "L'association Médicale Turque (Türk Tabipleri Birligi, TTB) a pris une position ferme contre la torture, la peine de mort et les autres questions ayant rapport aux droits de l'homme. Leur souci pour le problème des droits de l'homme a conduit à la soumission d'une lettre datée du 7 octobre 1985 aux autorités de l'état demandant l'abolition de la peine de mort. En accord avec une décision de la 34 ème  assemblée de l'association Mé-dicale Mondiale en 1981, ils  demandaient en particu-lier que les médecins ne puissent être présent au cours des exécutions. Six membres du conseil  central de la TTB ont été accusés d'avoir enfreint la loi sur les associations qui interdit les communiqués d'associations. Après un long procès ils ont tous été acquittés le 26 septembre 1986 par la cour de la sûreté de l'état.
    "A la fin de 1986, le TTB a fait un projet de Statut pour l'Ethique de la Profession Médicale dans le but de s'aligner sur les standards internationaux agréés. Bien que ce statut n'ait pas passé tous les obstacles légaux, il devrait former une base nouvelle pour un serment d'Hippocrate révisé. L'article 16 du statut manifeste une position claire sur la torture et la peine de mort , ainsi que les soins médicaux pour les prisonniers."


FONDATION D'UNE ASSOCIATION D'EDUCATEURS
    En dépit des efforts d'intimidation du régime, les professeurs ont continué à résister.
    Après le coup d'état militaire de 1980, l'Associa-tion des Professeurs (TOB-DER) a été fermée, ses membres dirigeants arrêtés et condamnés et des milliers de professeurs renvoyés de leur poste pour leur opinions. Un groupe de membres dirigeants de la TOB-DER, par-mi lesquels le président Gültekin Gazioglu, sont toujours en exil en Europe.
    Comme les professeurs en fonction ne peuvent former ou rejoindre des unions, leurs collègues à la retrai-te ou renvoyés ont mis sur pied une nouvelle organisation sous le nom d'Association des Educateurs (EGIT-DER), qui marque une étape concrète dans le combat des enseignants. Au nom des membres fondateurs, le président Ali Bozkurt a tenu une conférence de presse, le 16 février 1988, et a dit:
    "Dans des conditions de vies et sous des pressions administratives aggravées, des professeurs sont forcés de quitter leur emploi, ou de trouver un second ou un troisième emploi pour gagner leur vie. Depuis le minis-tère jusque dans les écoles, du sommet jusqu'à la base, les structures administratives sont utilisées comme mo-yen de répression politique. Dans le monde, la Turquie est le seul pays qui ne reconnaît pas le droit des professeurs à former un syndicat ou bien une association professionnelle.
    "Basés sur ces faits et sur le principe de l'unité la plus large des professeurs, nous qui avons exercé des fonctions à différents niveaux dans des associations de professeurs auparavant, avons fondé l'EGIT-DER. Notre association a pour but de protéger les enseignants dans les écoles privés et d'état, ainsi que tous les enseignants et professeurs qui peuvent être admis. Bien que les professeurs en fonction ne puissent joindre EGIT-DER, ils pourraient en être membres honoraires."

PROCES DE 12 CHRETIENS A ANKARA
    Douze personnes résidant à Ankara, dont sept expatriés et cinq turcs, sont passés en procès le 26 mai 1988, devant la seconde cour criminelle sur l'accusa-tion de "propagande chrétienne illégale" en Turquie. Au cours de l'audition initiale, les inculpés ont catégoriquement nié la possession de matériaux hors-la-loi ou toute violation du code de loi sur la sécularité en Turquie, concernant la pratique de la liberté religieuse.
    Le procès d'Ankara est une des trois affaires actuel-lement en cours devant des tribunaux turcs contre les activités illégales supposées de chrétiens turcs ou d'ex-patriés en Turquie.
    Depuis une vague d'articles de journaux et d'enquêtes policières qui a commencé en février dernier, plus de 60 personnes dont 40 Turcs qui se font appeler "mes-sih inanlilari"  (Croyants du Messie) ont été mis en détention par la police et interrogés dans les villes de Samsun, Gaziantep, Eskisehir, Adana, Izmir, Iskenderun, Ankara et Mersin.
    Dans le premier procès, entamé le 12 mai, l'homme d'affaire ouest-allemand Stefan Pilz ainsi que trois Turcs ont été formellement inculpés de subversion des principes séculiers de l'état  dans des buts religieux sous le coup de l'article 163 du code pénal.
    Une autre affaire en est à la troisième séance d'au-dition devant la cour de la sûreté de l'état à Malatya, où deux chrétiens turcs de Gaziantep sont accusés de "ré-pandre la propagande chrétienne."
    Au procès d'Ankara, un des inculpés, un professeur de 27 ans a dit "Bien sur j'ai des exemplaires du Nouveau Testament et d'autres livres concernant la chrétienté chez moi. Je les possède parce que je crois en le Christ. Ce n'est pas contraire à la loi."
     Cependant, deux des inculpés expatriés ont été suspendus de leurs postes, et un des inculpés turcs a en fait été démis et envoyé pour la forme  vers un poste dans une ville de province.
    Deux professeurs d'anglais à l'Université Technique du Moyen-Orient et à l'Université Hacettepe, l'améri-cain Steve Wibberely et l'anglais Julian Lidstone ont reçu notification de leur renvoi de leurs postes. Contestant la décision arbitraire, ils ont annoncé qu'ils en appeleraient à la Cour Administrative.

PROFITS FABULEUX DES HOLDINGS

    Bien que la majorité de la population souffre d'un appauvrissement constant, les bilans annuels des hol-dings turcs géants ont révélé que les gros profits financiers se sont  accrus de façon significative en 1987.
    Les principaux d'entre eux, Koc Holding et Sabanci Holding , ont accrus leurs profits de quelques 160 % et 122 % respectivement l'année passée.
    Quand les chiffres d'affaires de huit holdings sont comparés avec l'ensemble du budget national pour 1988 qui se montait à 10.900 milliards de LT, la croissance de ces holdings devient plus apparente. Les chiffres d'affaires de huit holdings, Koç, Sabanci, Yasar, Dinckök, Ercan, Profil, Alarko et Sise Cam totalisaient 11.000 milliards LT en 1987, soit plus que le budget national. Cette somme est aussi le double de celle des dix plus grandes entreprises économiques de l'état qui opèrent dans le secteur industriel.
    En termes d'exportations, les 8 plus gros holdings détiennent 12 % du total des exportations de l'année passée. Alors que les 91 plus grandes entreprises  d'état avaient réalisé un total de $569 millions d'exporta-tions en 1987, les exportations des holdings mentionnés ci-dessus se sont montés à $1,1 milliards.
    Koç Holding, présidé par Rahmi Koç, a réussi le taux de croissance le plus rapide en termes de ventes en 1987. Le total de Ses ventes s'est élevé de 2.300 milliards de LT en 1986 à 4.200 milliards de LT l'année passée. Ce montant était approximativement égal au total du revenu provenant des taxes de l'état en 1987.
    En 1983, le profit annuel réalisé par chaque travailleur de Koç Holding était de 616.000 LT. Ce chiffre s'est élevé à 1.4 million de LT en 1987.
    Sabanci Holding, opérant dans divers secteurs allant du textile à l'industrie pétrochimique, conserve sa position dominante depuis 1980 quand on considère ses profits. Le chiffre d'affaires de Sabanci Holding s'est accru de 46 % en 1987, soit de 2.100 milliards de LT à 3.200 milliards de LT. Ses profits ont également connu une forte croissance en 1987 et ont atteint 395 mil-liards de LT, ce qui représente un accroissement de 122 pour cent par rapport aux 178 milliards de LT de 1986.
    L'année passée, alors que Koç Holding faisait un profit de huit LT pour 100 LT, le profit de Sabanci Holding se montait à 12 LT.
    Le profit annuel créé par chaque travailleur de Sabanci Holding s'est accru de 533.000 LT en 1983 à 1.8 millions de LT en 1987. Le nombre d'employés est de 34.260 à Koç Holding et 29.100  à Sabanci Holding.

LE PARLEMENT EUROPEEN ADOPTE DEUX RESOLUTIONS CONDAMNANT LE REGIME  TURC

    Le parlement européen a adopté deux résolutions, les 19 et 20 mai 1988, sur les violations des droits de l'homme en Turquie et la question de Chypre.
    La première réssolution condamne "les violations flagrantes des droits démocratique" et demande la libé-ration immédiate des 69 personnes arrêtées au cours des célébrations du premier mai à Istanbul.
    Au cours du débat, les remarques du général Evren faites deux semaines auparavant, d'après lesquelles si la Turquie se trouvait confrontée avec une situation rappelant la guerre civile d'avant 1980, l'armée n'hésiterait pas à prendre à nouveau le pouvoir ont été critiquées par les parlementaires européens.
    La première résolution dit:
    Le Parlement Européen
    "A. constatant que la célébration du 1er est toujours interdite en Turquie et ce depuis le coup d'Etat du 12 septembre 1980,
    "B. constatant que, malgré cette interdiction, huit députés du parti social-démocrate —dont le président de la Fédération syndicale de gauche, interdite, le DISK— ont déposé une gerbe au monument de la République, au centre d'Istanbul, à la mémoire des 34 manifestants tombés à cet endroit le 1er mai 1977,
    "C. constatant qu'à cette occasion, 500 à 1.000 personnes, dont de nombreux syndicalistes, ont été violemment dispersées par la police, laquelle a procédé à 69 arrestations,
    "D. constatant que ces événements avaient été pré-cédés, deux jours auparavant, par des manifestations contre la vie chère rassemblées par les deux leaders de l'opposition, MM. Inönü, président du parti populiste social-démocrate, et Demirel, président du parti de la juste voie, ainsi que des arrestations à la suite d'affron-tements entre des étudiants et la police à l'université d'Istanbul,
    "E. constatant que, devant ce regain de tension, M. Kenan Evren, président de la République turque, a rap-pelé que l'armée interviendrait "pour sauver la démocratie" si l'on revenait "au chaos et à la terreur" qui précédèrent le coup d'Etat,
    "F. considérant que le gouvernement turc n'a toujours pas répondu à l'appel du Parlement européen demandant la libération des prisonniers politiques, notamment MM. Kutlu et Sargin,
    "1. constate que les événements liés à l'interdiction de la célébration du 1er mai sont un signe du peu de volonté du gouvernement turc à réaliser des progrès significatifs en matière de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales;
    "2. condamne ces nouvelles violations flagrantes des droits démocratiques par un gouvernement d'un pays qui a conclu un traité d'association avec la CEE;
    "3. demande la libération de toutes les personnes emprisonnées après les manifestations, une enquête objective sur les circonstances au cours desquelles des personnes ont trouvé la mort le 1er mai ainsi que la li-bération des détenus politiques en Turquie;
    "4. demande le plein rétablissement des libertés syndicales et politiques pour toutes les forces démocratiques qui, actuellement, restent interdites."

    Sur la question de Chypre

    La résolution qui concerne Chypre demande aux mi-nistres des affaires étrangères de faire pression sur la Turquie en vue de la forcer à retirer au moins certaines de ses troupes de Chypre, à réinstaller les réfugiés chypriotes grecs à Varosha près de Famagusta et à évacuer les familles qui ont été envoyées de la Turquie continentale pour s'installer à Chypre.
    La résolution  dit:
    "Le parlement européen,
    "1. invite le Conseil, afin de faciliter la reprise et le succès des négociations intercommunautaires, à étudier notamment la possibilité, les modalités et les conséquences d'une ouverture économique de la Communauté vers la République de Chypre dans son ensemble, ainsi que celles, à long terme, d'une éventuelle adhésion de Chypre à la communauté;
    "2. constate que l'occupation illégitime d'une partie du territoire d'un pays associé à la Communauté par les forces militaires d'un autre pays également associé à la Communauté constitue un obstacle considérable à la normalisation des relations avec ce dernier, à savoir la Turquie;
    "3. demande aux ministres des Affaires étrangères réunis dans le cadre de la coopération politique européenne d'examiner les voies et moyens par lesquels un Etat de droit pourrait être rétabli à Chypre, notamment par la réouverture de négociations intercommunautaires, sous les auspices du Secrétaire général des Nations unies, ayant pour but de donner à la République de Chypre une forme fédérale, dont les parties seraient proportionnées à la composition de la population, qui garantirait les droits des deux communautés, et serait libérée de la présence de toutes les troupes étrangères, dans le respect de la liberté de circulation, de la  liberté d'établissement et du droit de propriété des membres des deux communautés, que la sécurité tant des communautés grecque et turque soit assurée et que le Parlement européen soit régulièrement tenu au courant;
    "4. attend que les ministres des Affaires étrangères réunis dans le cadre de la coopération politique européenne fassent simultanément pression auprès du gouvernement turc à l'adhésion, pour qu'il établisse un calendrier précis de retrait de ses troupes, conformément aux propositions du Secrétaire général des Nations unies, ainsi que des colons turcs, et prenne, conformément au droit international, un certain nombre de mesures positives, en particulier en évacuant, sans attendre la conclusion de l'accord définitif entre les deux communautés,  une partie non négligeable de son contingent, et en accordant aux réfugiés de Famagouste la possibilité de rentrer et de se réinstaller librement dans leurs foyers, et que le Parlement européen soit régulièrement tenu au courant des initiatives prises;
    "5. demande aux ministres des Affaires étrangères réunis dans le cadre de la coopération politique européenne de faciliter des accords partiels intercommunautaires comportant notamment la révision des livres scolaires des deux côtés pour donner à chaque communauté une image positive de l'autre communauté et pour apprendre aux jeunes génération à mieux se connaître sans haine et dans le respect de l'autre;
    "6. demande également aux ministres des Affaires étrangères réunis dans le cadre de la coopération politique européenne de recommander des accords partiels entre les deux communautés, portant notamment sur des échanges techniques, économiques, culturels ou sportifs entre les deux parties de la République, et souligne que de tels échanges sont un moyen d'améliorer la compréhension mutuelle et de prévenir de nouveaux conflits;
    "7. souligne le droit à la vérité des familles des personnes disparues et attend des ministres des Affaires étrangères réunis dans le cadre de la coopération politique européenne qu'ils redoublent d'efforts pour aboutir, en accord avec les autorités chypriotes grecques et avec les représentants de la communauté chypriotes turque, à une solution positive de ce problème humanitaire, et leur suggère de s'efforcer d'obtenir un accord de toutes les parties pour confier une mission de recherche au Comité international de la Croix-Rouge, sans que celui-ci se heurte à aucune entrave en quelque lieu où il estimera pouvoir découvrir des éléments à ce sujet;
    "8. attire l'attention des ministres sur la nécessité de parvenir rapidement à une solution définitive de ce douloureux problème, notamment par la libération des personnes disparues qui pourraient être détenues dans les prisons;
    "9. rappelle que l'héritage culturel de chaque peuple doit être préservé et condamne la politique systématique d'élimination du passé et de la culture hellénique et chrétienne entreprise par la Turquie dans la partie de Chypre occupée par ses troupes, tant sur le plan de la dénomination des localités que sur ceux de la disparition ou de la transformation du patrimoine culturel;
    "10. considère avec beaucoup d'inquiétude l'action en prétendue diffamation intentée devant les tribunaux par le dirigeant chypriote turc M. Rauf Denktas contre le dirigeant du plus grand parti d'opposition chypriote turc M. Özker Özgür; constate avec préoccupation que si un tribunal chypriote turc condamne M. Özgür à verser des dommages s'élevant à 100.000£, et que si cet arrêt est exécuté, il entraînera la fermeture des bureaux du parti de M. Özgür, de son journal et conduira à sa banqueroute personnelle;
    "11. demande aux ministres des Affaires étrangères réunis dans le cadre de la coopération politique européenne d'intervenir auprès de autorités turques et des représentants de la communauté chypriote turque pour qu'elles acceptent que soit confiée à l'UNESCO une mission de préservation de l'héritage culturel chrétien et hellénique dans la partie occupée de l'île."
    Cependant, à Ankara, le porte parole du ministère des affaires étrangères a dit: "Les résolutions n'ont pas un caractère suffisemment sérieux et important pour mériter une réponse officielle."


CONFERENCE DE  L'IPI A ISTANBUL

    L'Institut Internationale de la Presse a tenu une conférence de trois jours à Istanbul du 9 au 11 mai 1988, avec la participation de plus de 200 journalistes de 64 pays, et adopté des résolutions protestant contre les conditions de la presse en Turquie et dans cinq autres régions troublées.
    La déclaration sur la Turquie a mentionné des améliorations pour la presse, mais a dit qu'elle "était préocuppée par les pressions directes et indirectes sur les journaux."
    Ces pressions comprennent la mise en détention de journalistes, les hausses de prix sur le matériel d'imprimerie produit par le gouvernement, les lourdes amendes contre des publications sous le prétexte de protéger les mineurs et le retrait des  publicités de certains journaux par les banques d'état, à cause du fait qu'il ont une position critique à l'é-gard du gouvernement.
    L'IPI a demandé l'amnistie pour les journalistes poursuivis, déclarant qu'aucun ne devrait être mis en prison pour avoir exprimé des opinions.

NOUVELLES PRESSIONS SUR LA PRESSE

    Sans égard pour les critiques de l'IPI, les autorités turques continuent de poursuivre des journalistes et des éditeurs. Avant la conférence, le 5 mai, l'éditeur responsable de l'hebdomadaire 2000e Dogru, Mme. Fatma Yazici, a été condamnée par une cour criminelle d'Istanbul à 16 mois de prison pour n'avoir pas révélé le nom du reporter qui avait écrit un article critiquant le général Evren.
    Le premier jour de la conférence, à Ankara, le mensuel Toplumsal Kurtulus a été confisqué et son éditeur respon-sable, Felemez Ak arrêté pour certains articles parus dans le numéro de mai.
    Le deuxième jour de la conférence, des exemplaires de Tropique du capricorne d'Henri Miller ont été confisqués pour la seconde fois. Une décision de la cour datant du 22 mars avait ordonné que les exemplaires du livres soient confisqués et brûlés pour leur obscénité. Suite à cela, 40 maisons d'édition, dans une action conjointe, ont préparé Tropique du capricorne pour l'édition en supprimant les chapitres qui avaient été trouvés obscènes, mais ajoutant en prologue le verdict du Comité sur l'Obscénité.
    La raison de la seconde confiscation du livre avant sa parution sur le marché, dans sa nouvelle forme, était que le juge a  trouvé  l'ordonnance de la Cour sur l'Obscénité, imprimée comme prologue à un roman, obscène.
    Les 40 éditeurs ont protesté contre la censure en Turquie et ont appelé les citoyens et la presse à se solidariser avec eux.
    Entretemps, l'hebdomadaire 2000e Dogru rapportait que le département de l'instruction des Forces Navales avait ordonné à toutes les école militaires sous son commandement de brûler 40 livres se trouvant dans les  bibliothèques des écoles. Parmi ceux-ci, on trouve de nombreuses oeuvres classiques écrites il y a des siècles.
    13 mai, à Istanbul, deux journalistes du quotidien Cumhuriyet, Cüneyt Arcayürek et Okay Gönensin ont été inculpés pour avoir critiqué le premier ministre Özal. Ils risquent une peine d'un an de prison.
    16 mai, un concert du chanteur populaire Sadik Gürbüz, organisé par l'association des droits de l'homme, a été interdit sur ordre du gouvernement d'Ankara.
    22 mai, le gouverneur de Kars a ordonné la confiscation de toutes les copies d'une musi-cassette, "Le démocrate fatigué", d'un autre chanteur populaire, Ahmet Kaya.
    26 mai, le professeur d'université et ancien président de l'Union des Ingénieurs, le professeur Sedat Ozkol, a été arrêté à Istanbul.

LE PROJET "GAP" ET LES KURDES

     A l'occasion du 40ème annniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, le Parti Socialiste du Kurdistan Turc (TKSP) a adressé  à l'ONU, au Parlement Européen, au Conseil de l'Europe ainsi qu'aux chefs d'états et de gouvernements, un quatrième rapport sur la violation des droits de l'homme dans le Kurdistan turc.
    Dans ce rapport, l'ambitieux Projet de l'Anatolie du Sud-Est (GAP) du gouvernement turc est évalué dans les termes suivants:
    "Le projet consiste en la construction de 15 barrages et 18 centrales énergétiques le long des rives du Tigre et de l'Euphrate. Selon les statistiques officielles, après l'achèvement de ce projet, il serait possible de produire de l'é-lectricité jusqu'à 2.500 mégawatts par an. De plus, une superficie de 18 millions de dönüm ( ancienne mesure turque de surface, 1 dönüm=919 mètres carrés), dans les provinces kurdes d'Urfa, Diyarbakir, Mardin, Adiyaman, Antep et Siirt pourra être irriguée. Un accroissement de la rentabilité de la production agricole est donc attendu. Le GAP concerne une région du Kurdistan où le secteur industriel est le plus sous-développé en Turquie. Ici, les rapports de production semi-féodaux sont toujours en vigueur. Une grande portion des familles de paysans ne possèdent aucune ter-re. Dans les provinces mentionées, 43,8 % des paysans sont sans terre. A Diyarbakir, ce nombre est de 48,5 % , et à Urfa de 54 %. Alors que 4,5 % de la population détient 60 % de la terre, 60 % de la population n'en dispose que de 10%.
    "Cette distribution injuste présuppose qu'une réforme agraire de grande envergure soient entreprise pour que le GAP puisse bénéficier à la majorité de la population. Mais c'est précisément ce dont les seigneurs féodaux, les gros propriétaire terriens et l'administration de Turgut Özal (qui coopère avec les premiers) ne veulent pas.
    "Dans la perspective d'une réforme agraire il avait été projeté tout d'abord de donner à 2.000 paysans 60 dö-nüm de terre chacun. Sur le 2.750 demandes remplies par les paysans, seule 825 ont été agréées, car elles étaient les seules à remplir les conditions. Les conditions étaient les suivantes: la capacité à lire et à écrire doit être prouvée; le demandeur ne peut pas avoir être reconnu coupable d'un délit envers l'état." (Yeni Gündem, N° 67, 14 juin 1987).
    "En parallèle à l'irrigation, de plus en plus de machines sont également utilisées et des méthodes économiques modernes sont en application dans le secteur agricole. L'ouverture au marché s'accélère elle aussi. La situation conduira directement à la faillite des petits propriétaires, avec, comme résultat, la perte de leur propriété. Pour empêcher un tel développement, un système coopératif bien géré, par exemple, doit être mis sur pieds pour les paysans. De plus, l'accord d'un crédit permettrait aux paysans de faire des dépenses supérieures pour l'acquisition du matériel agricole essentiel.
    "Néanmoins, le gouvernement turc ne manifeste pas la plus infime volonté d'un tel développement. Pour les membres du gouvernement, la question n'est pas de protéger les paysans pauvres kurdes, mais bien plutôt de poursuivre leurs propres objectifs par la réalisation du GAP.
    "Les résultats du GAP vont être un appauvrissement accru de la population, et sa migration subséquente de la campagne vers la ville, ce qui provoquera un accroissement du chômage. A ce sujet, il faut signaler que la pauvreté et le chômage dans le Kurdistan sont bien plus élevés que la moyenne pour la Turquie. Comme il n'y a pas de perspective de travail dans les provinces kurdes, la plupart des travailleurs migrants sont forcés de se déplacer  vers la Turquie occidentale. Ils y essayent de trouver un emploi dans les domaines agricole ou industriel. On estime que 5 millions de kurdes vivent en Turquie aujourd'hui - ce qui  veut dire, hors du Kurdistan. Le GAP provoquera une augmentation importante de ce nombre.
    "Le GAP se révèle être particulier bénéfique pour les grandes entreprises domestiques et étrangères et pour les gros propriétaires fonciers du Kurdistan. De nombreuses firmes, en particulier celles des USA et de la Hollande, ont demandé de pouvoir établir des grandes plantations dans le style des latifundia sud-américaines. L'administration d'Ankara a signé des contrats avec les fabriquants d'armes américains pour la construction d'avions de combat F-16. En conséquence, la porte du Kurdistan est ouverte pour ces firmes.    Le capital d'Arabie Saoudite est également intéressé au projet du GAP; l'Association Turco-Saoudienne se prépare à établir des grandes plantations. La seconde puissance financière par importance en Turquie, Sabanci Holding (Voir: Profits fabuleux de la finance dans ce numéro), a déjà acheté des grandes portions de terres.
    "Les villages qui entourent les barrages planifiés seraient en voie d'irrigation et devraient en conséquence être dépeuplés. Les habitants des villages affectés sont forcés de quitter cette région. Ni maisons ni terres ne sont dispo-nibles pour eux, et aucun emploi ne leur est offert. Le régime offre aux paysans un seule alternative: la migration vers la Turquie occidentale.
    "D'un autre côté, le gouvernement turc envisage d'établir la population des côtes de la mer noire, ainsi que celle de Marmara et des régions égéennes, au Kurdistan. Pour rendre cette région attrayante pour la population turque  le gouvernement propage l'idée que cette région sera rendue fertile par le GAP. Il serait avantageux d'y émigrer." (comparer Tercüman, 18 février 1987 et Milliyet, 21  juin 1987)
    (Le texte complet du rapport peut être demandé à P.O Box 674-11421 Stockholm-Suède)