"La
situation des droits de l'Homme en Turquie doit
rester à l'ordre du jour
du Conseil de l'Europe "
UN RAPPORT EUROPEEN SUR LA TURQUIE
La situation des droits de l'homme en Turquie
continue d'être l'une des préoccupations principales du Conseil de
l'Europe. Récemment, le 20 janvier 1992, la Commission des question
juridiques et des droits de l'Homme de l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe a adopté un rapport détaillé exposant les
violations des droits de l'homme dans ce pays membre et a, dans un
projet de résolution, demandé aux autorités turques de prendre des
mesures urgentes en vue de respecter les droits de l'Homme.
Le rapport a été rédigé par deux rapporteurs, Mme
Lentz-Cornette (Luxembourg, parti chrétien social) et Mme
Baarveld-Schlaman (Pays-Bas, socialiste) suite à leur visite à la
Turquie en juillet 1991.
Ce rapport a également été pris note par la
Commission des questions politique le 24 janvier 1992.
Bien qu'il ait dû être débattu aux séances plénières
de l'Assemblée parlementaire en février 1992, ce débat a, suite aux
démarches pressantes des parlementaires turcs, été reporté à une date
ultérieure. De plus, certains médias turcs ont qualifié le rapport
d'"une nouvelle preuve de l'hostilité européenne à l'égard de la
Turquie."
Ci-bas nous reproduisons le texte légèrement abrégé
du rapport sur la situation des droits de l'Homme en Turquie:
1. Introduction
Plus de cinq ans se sont déjà écoulés depuis que
l'Assemblée a adopté sa Résolution 860 (1986) relative à la situation
en Turquie, dans laquelle elle a chargé ses "commissions des questions
politiques et des questions juridiques de continuer de suivre
attentivement l'évolution de la situation". En fait, depuis
l'intervention militaire du 12 septembre 1980, ces deux commissions ont
attentivement étudié l'évolution de la situation en Turquie. Leurs
délégations et leurs rapporteurs se sont rendus à plusieurs reprises
dans ce pays et ont présenté de nombreux textes que l'Assemblée a
adoptés entre octobre 1980 (Recommandation 904) et avril 1985
(Résolution 840). Après l'adoption de la Résolution 860, la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme a continué de suivre
de très près l'évolution de la situation des droits de l'homme en
Turquie. Elle a examiné plusieurs communications de ses rapporteurs et
procédé à des échanges de vues à leur sujet, et a tenu des auditions
sur les droits syndicaux dans le cadre de sa mini-session à Istanbul,
le 30 juin 1986, ainsi qu'une grande audition à Paris, le 7 septembre
1987, sur proposition de la Confédération européenne des syndicats.
Elle a organisé une autre grande audition sur les droits de l'homme en
général, à Paris, le 16 janvier 1990. A l'issue de cette audition, il a
été décidé - avec l'approbation du Bureau - de charger les rapporteurs
des deux commissions de se rendre en Turquie. Initialement prévue pour
la fin d'août 1990, cette visite a été ajournée à plusieurs reprises en
raison de la crise et de la guerre du Golfe. Elle a maintenant eu lieu
du 21 au 28 juillet 1991.
Nous avons rendu compte oralement de cette visite à
nos commissions au cours de la partie de session de septembre 1991 et
avons été chargés de leur soumettre un rapport écrit, à une date
suffisamment rapprochée pour en permettre la présentation ultérieure à
l'Assemblée, à sa partie de session de février 1992.
2. Notre visite officielle à Ankara, Diyarbakir et Istanbul
2.1. Au cours de notre visite nous avons eu des
entretiens avec M. Giray, M. Kalemli (ancien membre de la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme.) et M. Seker,
respectivement ministre des Affaires étrangères, ministre de
l'Intérieur et ministre de la Justice, les ambassadeurs des Pays-Bas et
de la CEE en Turquie, les membres de la délégation parlementaire auprès
du Conseil de l'Europe, le vice-président de la Grande Assemblée
Nationale, le président de la commission parlementaire des droits de
l'homme (qui joue en quelque sorte le rôle d'un ombudsman investi de
pouvoirs consultatifs), ainsi qu'avec plusieurs autres députés. Nous
avons rencontré des professeurs, des journalistes, des représentantes
d'organisations féminines et avons, lors de notre séjour à Ankara,
visité la Fondation des droits de l'homme où des victimes de torture
sont en traitement. Dans les trois villes nous nous sommes entretenus
avec des avocats et des représentants nationaux et locaux de
l'Association turque pour les droits de l'homme dont certains avaient
été obligés d'effectuer un voyage de plusieurs heures par car pour nous
rencontrer. Lors de notre séjour à Diyarbakir, nous avons eu une longue
conversation avec le gouverneur général, chargé du maintien de l'ordre
dans tout le sud-est de la Turquie où l'état d'urgence a été proclamé.
2.2. Une rencontre avec le Président Ozal, prévue
pour le samedi 27 juillet, a dû être annulée, le président étant
hospitalisé pour un bref laps de temps.
2.3. Au total, nous avons rencontré un nombre
impressionnant de personnes que, par souci de concision, nous omettrons
de mentionner nommément dans notre rapport. Certaines d'entre elles
pourraient d'ailleurs préférer que leur nom ne soit pas révélé.
...
3. La situation politique
3.1. Après son intervention en 1980 l'armée a
procédé au rétablissement de la démocratie comme à une opération
militaire. En fait, la démocratie a été rétablie comme prévu en 1983,
après l'adoption par référendum d'une nouvelle constitution en 1982. Le
parti de la mère patrie, qui venait d'être créé, est sorti grand
vainqueur des élections législatives de 1983. Le mérite de ses succès
et de sa victoire revenait en grande partie à son fondateur et chef de
file Turgut Ozal. Alors que les anciens dirigeants et partis politiques
étaient discrédités ou avaient été écartés de la vie politique, M. Ozal
est apparu à une large fraction de la population turque comme l'homme
qu'il fallait placer à la tête du pays. Homme charismatique, arrivé par
lui-même, ne faisant pas partie de l'ancienne coterie politique,
bénéficiant de la confiance de l'armée sans toutefois être son propre
candidat et associant des idées islamiques traditionnelles à une
approche pragmatique moderne, Ozal était l'homme avec lequel de
nombreux Turcs pouvaient s'identifier. C'est incontestablement grâce à
Ozal que le parti de la mère patrie a obtenu à la Grande Assemblée
Nationale la majorité des sièges, et l'a conservée jusqu'aux élections
législatives du 20 octobre 1991.
3.2. Devenu Premier ministre en 1983, M. Ozal a
succédé en 1987 à M. Evren à la présidence de la République. Même en
qualité de président, M. Ozal est resté dans une très large mesure le
chef de file de son parti au lieu de devenir un chef d'Etat impartial,
s'abstenant d'intervenir dans la gestion quotidienne, se tenant
au-dessus des partis et représentant la totalité de la population au
plan national et l'Etat à l'étranger. On affirme que le népotisme
d'Ozal l'a privé et a privé son parti d'une bonne partie de sa
popularité antérieure. La politique de marché pratiquée par Ozal s'est
soldée par une croissance économique rapide. Malheureusement son
gouvernement s'est montré incapable d'enrayer l'inflation galopante, de
réduire l'injustice sociale et de trouver des solutions appropriées aux
problèmes toujours plus graves qui se posaient dans les provinces du
sud-est (Kurdistan), problèmes qui seront examinés plus en détail dans
le chapitre suivant.
3.3. Les attributions et Ies pouvoirs du Président
turc sont principalement exposés à l'article 104 de la Constitution de
1982, pour la rédaction de laquelle les auteurs se sont inspirés de la
Constitution française. Mais les pouvoirs du président peuvent paraître
plus impressionnants qu'ils ne sont en réalité et risquent d'être
sensiblement réduits par un parlement hostile. Certains de nos
interlocuteurs se sont déclarés préoccupés par les pouvoirs du Conseil
national de sécurité. On se rappelera que c'est le Conseil national de
sécurité qui a assumé l'ensemble des pouvoirs du gouvernement et de la
Grande Assemblée Nationale en 1980. Le Conseil national de sécurité a
incontestablement une importance plus grande que ne le laissent
entendre les dispositions de la Constitution. Il est composé du Premier
ministre, du chef d'état-major, des ministres de la Défense, de
l'Intérieur et des Affaires étrangères, des commandants en chef de
l'Armée de terre, de la Marine et de l'Aviation ainsi que du commandant
de la Police militaire. Le Président de la République établit l'ordre
du jour du Conseil national de sécurité, qui exerce des fonctions
consultatives.
3.4. Lors des élections générales de 1987, l'ANAP
(parti de la mère patrie) a obtenu 64,9 % des sièges au parlement. Ce
résultat est toutefois très méritoire, le système électoral étant très
favorable aux grands partis politiques, et notamment au plus grand
d'entre eux. Il existe par exemple un seuil de 10 %, et l'ANAP a obtenu
ce nombre élevé de sièges avec 36,3 % seulement des suffrages exprimés.
Après les élections générales du 20 octobre 1991, la répartition des
sièges à la Grande Assemblée Nationale était la suivante: Parti
de la juste voie 178, Parti de la mère patrie 115, Parti
populiste démocratique et social 88, Parti de la prospérité 62, Parti
de la gauche démocratique 7.
3.5. Lorsque nous nous sommes rendues en Turquie, la
date des élections générales n'avait pas encore été fixée. On ne savait
même pas avec certitude si ces élections allaient avoir lieu dans le
cadre de la loi électorale en vigueur ou si celle-ci serait au
préalable modifiée. A cet égard, nous exposons la situation en Turquie
telle qu'elle nous est apparue en juillet 1991, au cours de notre
séjour. Nous examinerons toutefois au chapitre 14 la situation
politique nouvelle, issue des élections générales.
4. La situation dans le sud-est de la Turquie
4.1. La région du sud-est de la Turquie, qui se
compose de 11 provinces, a une frontière commune avec la Syrie, l'Irak
et l'Iran. La grande importance stratégique et la fragilité de sa
situation sont apparues plus nettement encore au cours de la crise et
de la guerre du Golfe. La principale ville de la région est Diyarbakir,
siège du gouverneur général chargé du maintien de l'ordre dans
l'ensemble de la région. Celle-ci est très riche. Elle possède un
certain nombre de matières premières et assure 95 % de la production
pétrolière de la Turquie, encore que le revenu moyen des habitants n'y
atteigne qu'environ la moitié du revenu moyen du citoyen turc. Un
certain nombre de barrages ont récemment été construits pour accroître
la production d'électricité. La population est composée de Kurdes qui
sont à maints égards différents de la population des autres régions de
la Turquie. Le peuple kurde a une vieille histoire et une civilisation
et un folklore remarquables. On évalue à environ 12 millions le nombre
des Kurdes dont beaucoup vivent dans d'autres régions de la Turquie,
notamment dans les grandes villes de l'ouest.
4.2. La langue kurde est une langue indo-européenne
parlée depuis plus de 2.500 ans. Nombre de mots kurdes ressemblent à
des mots néerlandais ou allemands. "Je suis heureux d'être Turc" était
l'une des célèbres formules d'Ataturk. Sa politique et celle de ses
successeurs consistaient à unifier la Turquie; le dénominateur commun
de tous les peuples vivant en Turquie était la langue turque dans
laquelle - était-il affirmé - tout pouvait être exprimé. Cette
politique s'est traduite par l'interdiction de la langue kurde, et
toute manifestation de l'identité kurde était sévèrement réprimée. Le
conducteur d'un camion citerne, peint en rouge, jaune et vert -
couleurs du Kurdistan - a ainsi été roué de coups par la police et
s'est vu infligé une peine de prison de 6 mois. Jusqu'à une date
récente ceux qui employaient la langue kurde s'exposaient à de lourdes
peines privatives de liberté. Au printemps dernier, l'interdiction de
parler le kurde en privé ou sur la voie publique a été levée mais il
n'est toujours pas possible d'employer cette langue dans des réunions
publiques, des édifices publics, à la radio et à la télévision, etc.
L'emploi du kurde dans les écrits demeure entièrement interdit. Ainsi,
lors de notre séjour, nous avons appris que la police avait fait
obligation aux commerçants de Diyarbakir de retirer de leurs magasins
toutes les indications en kurde. Lors de notre rencontre avec le
gouverneur nous lui avons demandé pourquoi des cassettes de chansons
kurdes avaient été confisquées. Il nous a répondu que c'était parce que
l'impôt sur le chiffre d'affaires n'avait pas été acquitté.
4.3. Devant le refus catégorique de reconnaître
l'identité des Kurdes et le manque de tolérance à leur égard, le
mécontentement, l'agitation et - depuis une date récente - la révolte
grandissent. Nombre d'habitants de la région estiment que la politique
du gouvernement central est injuste et méconnaît qu'un groupe restreint
seulement prend effectivement les armes contre Ankara. Le PKK (parti
des travailleurs du Kurdistan), parti marxiste initialement, est devenu
de plus en plus agressif et violent. Dans la pratique, tous les actes
terroristes commis dans la région le sont par des membres du PKK. Le
gouvernement a répondu par une égale violence et des mesures de grande
envergure, destinées à intimider la population qui a été contrainte
d'évacuer d'importants secteurs le long des frontières et ailleurs et
de se regrouper dans un certain nombre de villages. Les bergers ne sont
plus autorisés à se rendre en montagne et sont ainsi privés de leurs
sources de revenus. Un gardien de village a été nommé dans chaque
village. Ce gardien, auquel un fusil est délivré et qui perçoit un
salaire d'un million de livres turques du gouvernement central, a pour
tâche de protéger le village contre le PKK.
4.4. Dans ces conditions, on comprendra aisément que
la région glisse lentement vers une terrible guerre civile qu'on
pourrait encore éviter en accordant à la population un certain nombre
de droits culturels et linguistiques et en permettant à la région de
jouir de quelque type d'autonomie dans le cadre de la République
turque. Un certain nombre d'Etats membres du Conseil de l'Europe, (le
Danemark, l'Espagne, la Finlande, l'Italie, le Portugal, la Suisse,
etc.) ont accordé une large autonomie à certaines de leurs régions et
l'on ne voit pas pourquoi la Turquie n'en ferait pas de même au
Kurdistan. Lors de notre séjour à Diyarbakir nous avons rencontré un
grand nombre de personnes raisonnables et modérées qui réprouvent le
terrorisme à la PKK et sont encore prêtes à accepter une telle solution
pacifique.
4.5. Malheureusement tout laisse présager une
accentuation de la violence et une escalade du terrorisme, d'une part,
et une réaction offensive des forces gouvernementales, d'autre part. Il
ressort de statistiques fournies par le ministre de l'Intérieur
qu'entre 1986 et juillet 1991, 437 membres de la police ou des forces
armées et 576 civils ont trouvé la mort. En outre, les terroristes
avaient enlevé 1.144 personnes, principalement des enfants.
Entre 1987 et juillet 1991, les forces gouvernementales, quant à elles,
ont causé la mort de 1.273 terroristes.
4.6. Il faut y ajouter un certain nombre
d'exécutions non ordonnées par des instances judiciaires et pour
lesquelles on ne dispose pas de chiffres. Par exemple, à minuit le 5
juillet 1991, trois semaines avant notre arrivée à Diyarbakir, M.
Aydin, président du parti travailliste du peuple (HEP) et membre de
I'Association turque pour les droits de l'homme, était enlevé par
quatre hommes; le 8 juillet, il était retrouvé assassiné au bord d'une
route, à quelque 60 km du lieu d'enlèvement. Selon sa femme, M. Aydin
aurait reconnu ces hommes armés comme étant des officiers de police et
les aurait accompagnés au poste de police pour y être interrogé. Le
ministre de l'Intérieur a toutefois nié toute participation de la
police ou de forces de sécurité quelles qu'elles soient. Avant d'être
assassiné M. Aydin avait été traduit devant la Cour de sûreté de l'Etat
à Ankara pour avoir prononcé un discours en kurde lors de la réunion
annuelle de l'Association pour les droits de l'homme, en octobre 1990.
Il avait purgé une peine d'emprisonnement de deux mois au titre de ce
chef d'inculpation.
4.7. Des milliers de personnes ont assisté aux
funérailles de M. Aydin, le 10 juillet 1991. Lorsque la police a tiré
sur la foule, trois personnes ont été tuées. De nombreuses autres ont
été blessées par balle ou en sautant d'un mur, dans la panique créée
par la fusillade. Durant et après ces incidents la police a arrêté plus
de 350 personnes. Jusqu'à présent il n'a pas été établi qui est
responsable de l'assassinat de M. Aydin et qui a donné l'ordre de
commencer à tirer lors de ses funérailles.
4.8. L'affaire Aydin n'est malheureusement qu'un
exemple parmi d'autres. De nombreux autres incidents sont signalés. Le
18 juin 1991, la voiture d'un membre de l'Association pour les droits
de l'Homme à Diyarbakir a été complètement détruite par une bombe
cependant qu'une autre explosion démolissait le bureau local de
l'association. Ces agissements et d'autres encore sont attribués à la
police.
4.9. Le PKK semble bénéficier du soutien de certains
voisins de la Turquie, désireux d'encourager la subversion dans ses
provinces du sud-est. On affirme que la Syrie entraîne sur son
territoire des adolescents kurdes qui sont enlevés par le PKK puis
reviennent sur le territoire turc comme guérilleros. Selon des
informations récentes, le Gouvernement irakien armerait et
approvisionnerait le PKK pour se venger de l'étroite coopération de la
Turquie avec les forces alliées, durant la guerre du Golfe.
5. Liberté d'expression - Les médias
5.1. La liberté d'expression est garantie par
l'article 26 de la Constitution. Elle est toutefois soumise à un
certain nombre de restrictions et de conditions qui correspondent -
grosso modo - à celles énumérées à l'article 10 de la Convention
européenne des Droits de l'Homme. En vertu de la loi relative à la
lutte contre le terrorisme, que nous examinerons plus en détail
ci-après, les délits d'opinion ont été supprimés, si bien que de
nombreux journalistes ont depuis lors été remis en liberté. Certains
d'entre eux étaient incarcérés depuis plus de dix ans. Dans son
bulletin du 18 juin 1991, consacré à la liberté d'expression en
Turquie, le Comité de surveillance de l'application de l'Accord
d'Helsinki donne les noms de 21 journalistes remis en liberté mais le
nombre effectif de journalistes initialement incarcérés pourrait être
bien plus élevé. Le comité signale qu'en 1990 la liberté d'expression a
été violée dans 294 cas, notamment par confiscation, interdiction ou
autre censure de 98 numéros distincts de journaux et de revues. Au
cours de la même année, des charges ont été retenues contre des
journalistes dans 568 cas énumérés dans le bulletin, qui se fonde sur
des informations fournies par l'Association turque pour les droits de
l'homme. Dans 12 cas, des journalistes ont été roués de coups par la
police qui a fait des descentes dans les locaux de sept journaux. Elle
a aussi, à plusieurs reprises, immobilisé la presse typographique d'un
journal. Officiellement il n'existe aucune censure en Turquie mais
journalistes et rédacteurs en chef sont parfaitement conscients qu'il
leur faut faire preuve d'une grande circonspection et s'imposer une
autocensure rigoureuse s'ils tiennent à ce que leur activité ne soit
pas entravée. Le nombre des incidents est tout bonnement trop élevé
pour qu'on puisse dire que la presse est vraiment libre.
5.2. Aujourd'hui, la radio et, surtout, la
télévision jouent un rôle extrêmement important et la Turquie ne fait
pas exception à cet égard. La radio et la télévision sont très
étroitement contrôlées par l'Etat et le Gouvernement tire avantage de
sa position dominante, comme l'a montré la récente campagne électorale
où le parti de la mère patrie, ses dirigeants et les ministres qui en
sont issus, se sont vus de toute évidence accorder un temps de parole
bien plus long que les partis d'opposition.
6. Droits syndicaux
6.1. Le droit de former un syndicat et d'être
affilié à un syndicat et les droits des syndicats eux-mêmes sont
énumérés dans les articles 51 à 54 de la Constitution de 1982. Ils ont
été développés dans la loi relative aux syndicats et dans la loi
relative aux conventions collectives, aux grèves et aux lock-out (lois
n° 2821 et 2822 du 5 mai 1983). La Constitution turque et ces deux lois
ont été traduites par le Conseil de l'Europe dans ses deux langues
officielles et reproduites sous forme de documents de travail. Il ne
nous a malheureusement pas été possible d'avoir aussi avec les
syndicats des rencontres et des entretiens. Le présent chapitre n'a par
conséquent pas été rédigé sur la base de nos propres constatations et
expériences.
6.2. Au cours de l'audition sur les droits
syndicaux, tenue à Paris le 7 septembre 1987, les membres ont reçu des
informations sur le procès intenté contre la Confédération des
syndicats DISK et ses dirigeants. L'Assemblée a toujours été préoccupée
par ce procès, qui s'est ouvert devant le tribunal militaire d'Istanbul
peu de temps après le coup d'Etat militaire de 1980. En fait,
lorsqu'une délégation de l'Assemblée s'est rendue en Turquie, au début
de 1982, ses membres ont assisté à une audience du tribunal dans ce
procès collectif, qui s'est déroulé dans un centre sportif à la
périphérie d'Istanbul. Ce n'est que le 23 décembre 1986 que le tribunal
a rendu son verdict final. Il y a confirmé la dissolution de la DISK et
de ses 28 organisations affiliées, confirmé la confiscation de leurs
biens par l'Etat et condamné 264 de ses dirigeants à des peines de
prison allant jusqu'à 10 ans. 1.209 dirigeants ont été reconnus
innocents. Le président Bastürk, qui avait accompli une partie, mais
non la totalité, de sa peine d'emprisonnement, a été provisoirement
relaxé et autorisé à participer à l'audition où il a créé une forte
impression. Vu que dans l'intervalle il avait été élu député à la
Grande Assemblée nationale, il n'a pas été obligé de retourner en
prison. Les critiques formulées à l'encontre du procès de la DISK
visaient les tortures auxquelles ses dirigeants auraient été soumis,
notamment durant la période de leur interrogatoire, de nombreuses
violations du droit à un jugement équitable, le verdict lui-même qui
était - du moins partiellement fondé sur des faits qui n'auraient pas
été considérés comme criminels dans les autres Etats membres du Conseil
de l'Europe mais l'étaient en vertu des dispositions du code pénal
turc, lesquelles dataient de 1936, et avaient été reprises du code
pénal de Mussolini. De surcroît, les personnes acquittées ne se sont
vus accorder aucune indemnisation pour la période d'incarcération subie
avant leur jugement.
6.3. Lorsque la DISK a été dissoute en 1980, 29
syndicats qui exerçaient leur activité dans 24 secteurs différents de
l'économie ont adhéré à cette vaste confédération qui représentait
quelque 580.000 travailleurs. Au cours de la semaine qui a précédé
notre arrivée, la Cour de Cassation a annulé les décisions des
tribunaux militaires et déclaré que la DISK ne poursuivait pas de buts
ni n'avait d'activités inconstitutionnels. Ses dirigeants ont été
acquittés et la Confédération remise en possession de ses biens,
évalués à environ 1,5 billion de livres turques (soit quelque 20
milliards de francs français). Le 9 septembre dernier, la DISK a repris
ses activités.
6.4. Les critiques élevées pendant et après
l'audition de Paris et visant la situation juridique des syndicats
peuvent être résumées comme suit:
- l'article 52, paragraphe 1, de la Constitution
fait interdiction aux syndicats d'avoir des "activités politiques".
Cette disposition peut donner l'impression que les syndicats sont
privés de leur raison d'être même. En revanche, l'article 37,
paragraphe 2, de la loi relative aux syndicats dispose que les
activités professionnelles des syndicats, entreprises en vue de la
défense et de la promotion des intérêts sociaux ou économiques de leurs
membres, ne doivent pas être considérées comme des "activités
politiques" au sens de la Constitution. A interpréter ainsi la
Constitution, les syndicats ont donc la faculté de remplir leur mandat
conformément à leur mission spécifique, qui est d'améliorer la
situation sociale et économique des travailleurs;
- la législation turque énumère d'une manière
exhaustive et, partant, délimite les secteurs d'activité dans lesquels
des syndicats et des associations d'employeurs peuvent être constitués
(article 60 de la loi relative aux syndicats). Des millions de
travailleurs, notamment les enseignants, les fonctionnaires et le
personnel des organisations religieuses, sont ainsi privés du droit de
créer un syndicats ou de s'affilier à un syndicat;
- la disposition de l'article 14, paragraphe 14, de
la loi relative aux syndicats, en vertu de laquelle il faut avoir
accompli une période d'activité effective de dix ans pour pouvoir
devenir dirigeant d'un syndicat;
- l'article 12 de la loi relative aux conventions
collectives etc., dispose qu'un syndicat n'est reconnu comme organe de
négociation que si plus de 50 % des travailleurs de l'établissement
considéré en sont membres;
- les restrictions apportées au droit de grève (voir
article 54 de la Constitution et article 25 de la loi relative aux
conventions collectives etc.);
- l'ensemble des restrictions apportées au droit de
conclure des conventions collectives (articles 52 et 53 de la
Constitution et articles 9, 11 et 12 de la loi relative aux conventions
collectives);
- les pouvoirs particuliers et étendus dont les
autorités publiques sont investies pour contrôler et surveiller la
gestion et les finances des syndicats. A maints égards, la législation
turque relative aux syndicats va à l'encontre des dispositions et de
l'esprit de la Charte sociale européenne et de certaines des
conventions de l'OIT. Dans la déclaration qu'elle a faite lorsqu'elle a
accepté l'article 25 de la Convention européenne des Droits de l'Homme,
la Turquie a déclaré qu'aux fins de la compétence attribuée à la
Commission européenne des Droits de l'Homme, les articles 33, 52 et 135
de la Constitution devaient être interprétés comme étant compatibles
avec les articles 10 et 11 de la Convention. Il y a lieu de rappeler
que l'article 11 de la Convention garantit le droit à la liberté de
réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de
fonder avec d'autres un syndicat et de s'affilier à un syndicat pour la
défense de ses intérêts.
7. Garde à vue et détention préventive
7.1. En Turquie, la torture (voir chapitre 8) serait
surtout pratiquée au stade de la garde à vue. Aussi la durée de
celle-ci et les conditions dans lesquelles elle se déroule,
revêtent-elles une grande importance. Le délai de garde à vue a été
ramené de 15 jours à 48 heures pour les individus soupçonnés d'avoir
commis seuls un acte délictueux et de 90 à 15 jours pour les individus
prévenus d'association de malfaiteurs. Ce délai de quinze jours peut
être doublé dans les provinces du sud-est où l'état d'urgence a été
proclamé. L'expression "délit d'association de malfaiteurs" s'entend de
l'ensemble des délits qui sont commis par deux ou plusieurs personnes.
Tout détenu doit être présenté à un juge avant l'expiration du délai de
garde à vue. Théoriquement, ses avocats et ses proches jusqu'au
troisième degré peuvent lui rendre librement visite durant cette
période alors que les autres personnes doivent au préalable solliciter
l'autorisation du parquet. Mais, dans la pratique, le détenu est
entièrement gardé au secret. Le détenu peut recevoir la visite de son
ou de ses avocats dont le nombre est toutefois limité à trois. Mais
normalement il n'a pas d'avocat et, s'il en a un, celui-ci n'est pas
obligatoirement informé de son arrestation. Même si l'avocat est ainsi
informé, il peut ne pas être en possession d'une procuration écrite
exigée par la police et comme il ne peut se rendre auprès de son
client, celui-ci n'est pas à même de signer cette procuration. En
outre, les détenus ne peuvent communiquer qu'en présence d'un officier
de police, avec leurs avocats et leur famille.
7.2. Il est évident que dans ces conditions tout
peut arriver durant la garde à vue. Le cas d'une femme suisse âgée de
36 ans, arrêtée à Istanbul en mai dernier et détenue par la police à la
prison de Gayrettepe, où le Consul général de Suisse lui a rendu
visite, est révélateur à cet égard. Cette femme n'a manifestement pas
osé informer intégralement le Consul général des conditions de sa
détention. Ce n'est que par la suite qu'elle a signalé à son avocat
qu'on lui avait fait des électrochocs et donné des coups sur la tête.
[Tessiner Zeitung, 8 juin 1991]
7.3. La commission des questions juridiques et des
droits de l'homme analyse actuellement les réponses des délégations
parlementaires nationales, y compris la réponse de la Turquie, à un
questionnaire sur la détention provisoire qui a été adressé aux Etats
membres au début de 1991. Les données de cette étude comparative
pourraient être extrêmement intéressantes et démontrer la nécessité
d'adopter des critères européens communs en ce qui concerne la durée de
la détention préventive, y compris la garde à vue, et les conditions
dans lesquelles elle se déroule. Sur la base de ces données, il sera
peut-être proposé d'établir un 11e protocole additionnel à la
Convention européenne des Droits de l'Homme en vue duquel des travaux
ont déjà été entrepris au sein d'un comité d'experts gouvernementaux
pour les droits de l'homme.
8. Torture
8.1. Depuis la fin des années 70 où Amnesty
International a signalé pour la première fois que la torture était
"générale et systématique", celle-ci constitue un sujet de vive
préoccupation pour les membres de notre Assemblée. En fait, on peut la
considérer comme l'un des principaux problèmes qui continuent de se
poser aujourd'hui dans le domaine des droits de l'homme, en Turquie, ce
que la quasi-totalité de nos interlocuteurs ont admis. Aussi la
question de la torture nous a-telle paru constituer la question la plus
importante lors de notre visite et l'avons-nous fréquemment et
systématiquement soulevée dans le cadre de nos discussions. Mais encore
que pratiquement toutes les personnes que nous avons rencontrées se
soient déclarées opposées à la torture, nous avons constaté qu'elle
leur paraissait souvent justifiée et concevable dans le cas de
terroristes. Nous avons eu des conversations avec d'éminents hommes
politiques, avocats et représentants d'associations de défense des
droits de l'homme, qui se sont déclarés résolument hostiles à la
torture. Outre qu'elle est inhumaine, immorale et illégale, ils se
rendent compte qu'elle ternit l'image de marque de la Turquie à
l'étranger, qu'elle risque de faire de la personne torturée un ennemi
de l'Etat, qui cherchera par la suite à se venger, et qu'elle est peu
fiable et inefficace en tant que méthode d'interrogatoire. Déjà la Cour
constitutionnelle a indiqué que les déclarations faites à la police ne
constituaient des preuves suffisantes.
8.2. Etant donné que la torture serait surtout
pratiquée dans les postes de police et les prisons, la durée de la
garde à vue et les conditions dans lesquelles elle se déroule revêtent
une importance capitale. L'Association pour les des droits de l'homme,
qui compte de nombreux avocats en exercice parmi ses membres, nous a
signalé que quelque 500 personnes étaient arrêtées chaque mois à
Istanbul, et a estimé qu'environ 150 d'entre elles étaient soumises à
la torture. Les méthodes employées sont simples et bien connues: volées
de coups portés sur toutes les parties du corps, pendaison
palestinienne et électrochocs. Le détenu peut être enfermé dans un pneu
d'automobile usagé qu'on fera rouler comme un tonneau ou être forcé de
se déshabiller et de s'étendre; de la glace sera ensuite placée sur son
corps cependant qu'un ventilateur électrique dirigera un courant d'air
sur lui.
8.3. Nous avons appris que la torture procédait de
passions et de traditions très profondément enracinées. Elle est
considérée comme un acte de discipline, destiné à intimider le détenu,
et comme une méthode d'interrogatoire. Elle participe d'une mentalité,
du degré de respect que le fonctionnaire éprouve pour ses concitoyens.
De nombreux Turcs estiment certainement qu'elle fait partie de la
sanction pénale. Nous avons été informées que, d'une manière générale,
un père turc, dont le fils est assassiné, s'attend, sinon exige, que la
police torture l'assassin. Dans de nombreuses familles turques il est
courant que la mari batte sa femme et le père ses enfants. Pourquoi la
police n'agirait-elle pas de même avec les criminels? Il convient de
préciser à ce stade qu'on ne se contente pas de torturer des hommes et
que de nombreux cas sont signalés où des femmes sont également soumises
à la torture. En fait, les femmes sont peut-être plus vulnérables que
les hommes et, dans leur cas, plus nombreux et plus diversifiés les
sévices et les humiliations susceptibles d'être infligés.
8.4. La torture est interdite par la loi et par
l'article 17 de la Constitution ainsi que par plusieurs traités
internationaux auxquels la Turquie a adhéré. Des instructions
ministérielles à l'usage de la police précisent certes que la torture
ne saurait être tolérée mais ces instructions n'ont pas eu beaucoup
d'impact et la torture continue d'être pratiquée, peut-être selon des
méthodes plus subtiles et plus occultes que dans le passé.
8.5. M. Kalemli, alors ministre de l'Intérieur, nous
a informées qu'au cours de la période du 1er janvier au 15 décembre
1989, 508 plaintes relatives à la torture ont été soumises aux
tribunaux turcs et que 15 officiers de police ont été condamnés à des
peines d'emprisonnement. Entre le ler janvier et le 12 novembre 1990,
906 incidents concernant des mauvais traitements infligés par des
agents de l'Etat ont été signalés à l'attention de la magistrature. Les
tribunaux ont été saisis de 354 affaires. 32 fonctionnaires ont été
reconnus coupables, et dans le cas de 450 fonctionnaires une procédure
judiciaire est en cours.
8.6. Les avocats et les défenseurs des droits de
l'homme voient ces chiffres d'un oeil très sceptique. On a fait
observer que les condamnations étaient pour l'essentiel des
condamnations avec sursis et des condamnations conditionnelles et qu'un
officier de police notamment après l'adoption de la loi relative à la
lutte contre le terrorisme - était dans une position (juridique) bien
plus forte que sa victime. Un policier prévenu de torture n'est ni
arrêté ni même suspendu de ses fonctions et son cas est d'abord examiné
par une commission de membres de la fonction publique. Au besoin,
l'Etat prend à sa charge les honoraires de trois avocats chargés de le
défendre. Il est évident que ces privilèges n'incitent aucun officier
de police à s'abstenir de torturer un détenu, s'il en ressent le
besoin.
8.7. Lors de notre séjour à Ankara, nous nous sommes
rendues dans les locaux de la Fondation des droits de l'homme,
organisation privée qui traite les victimes de la torture. Nous avons
été très impressionnées par ses activités. L'année dernière, la
fondation a traité 40 victimes. Cette année leur nombre serait même
plus élevé. Le 2 août dernier, la fondation a ouvert un autre centre à
Izmir, en présence de M. Espersen, Président du Centre international
pour la réadaptation des victimes de la torture au Danemark et membre
de notre Assemblée.
8.8. Que faire pour combattre l'affreuse pratique de
la torture? La volonté politique, et du Gouvernement et du Parlement,
constitue de loin le moyen de lutte le plus important. Parmi les
mesures juridiques à prendre, il y a lieu de mentionner l'abrogation ou
du moins la modification de la loi relative à la lutte contre le
terrorisme, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. Il faut
réduire encore le délai de garde à vue et adopter des mesures d'ordre
pratique pour que la personne arrêtée puisse recevoir immédiatement la
visite de ses proches, de son médecin et de son avocat. Après son
arrestation, ladite personne ne devrait plus être interrogée par le
même officier de police que celui qui a procédé à son arrestation.
8.9. Une délégation du Comité européen pour la
prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
dégradants s'est rendue en Turquie du 9 au 21 septembre 1990 et du 29
septembre au 7 octobre 1991. Au cours de son premier voyage, le Comité
a visité huit et au cours de son deuxième voyage douze établissements
pénitentiaires, centres d'interrogatoire et quartiers généraux de la
police. Malheureusement les informations recueillies par le Comité sont
confidentielles, de même que les rapports établis sur ces visites, qui
sont communiqués au seul Gouvernement turc. Nous espérons vivement que
la Turquie suivra l'exemple de l'Autriche, du Danemark et du
Royaume-Uni qui ont décidé de publier les rapports établis par ledit
comité sur les visites qu'il a effectuées dans ces pays en 1990.
9. Peine de mort
En novembre 1990, le nombre des crimes punissables
de la peine de mort a été ramené de 29 à 16 énumérés dans le code pénal
turc. Aucune exécution n'a eu lieu depuis 1984 et - par voie de
conséquence heureuse - la Turquie pourrait remplir les conditions
requises pour adhérer au 6e Protocole additionnel à la Convention
européenne des Droits de l'Homme qui déclare abolie la peine de mort.
Le fait que toute condamnation à la peine capitale doit être ratifiée
par la Grande Assemblée nationale, qui dans le passé a beaucoup hésité
à donner son accord, contribue incontestablement à cette évolution
positive. La loi relative à la lutte contre le terrorisme (voir
ci-après chapitre 10) dispose que l'ensemble des 25 condamnations à la
peine de mort prononcées avant le 8 avril 1991 seront commuées en
peines de 10 ou 20 ans d'emprisonnement en fonction de l'infraction
commise.
10. La loi relative à la lutte contre le terrorisme
10.1.Le 12 avril 1991, la Grande Assemblée nationale
a adopté la loi n° 3713 pour lutter contre le terrorisme. Cette loi
présente incontestablement plusieurs aspects positifs. Elle a commué
toutes les peines de mort en suspens en peines d'emprisonnement et
autorisé la libération conditionnelle de 43.000 sur 46.000 condamnés,
dont nombre peuvent être considérés comme des prisonniers politiques.
En même temps, les articles 141, 142 et 163 du code pénal ont été
abrogés. Ces articles interdisaient les activités "visant à établir la
domination d'une classe sociale sur d'autres classes sociales" ou "à
renverser l'un quelconque des ordres économiques ou sociaux
fondamentaux établis du pays", ainsi que les activités et la propagande
communistes et antilaïques.
10.2. La loi relative à la lutte contre le
terrorisme a été violemment critiquée par des hommes politiques, des
avocats et des organisations de défense des droits de l'homme comme
l'Association turque pour les droits de l'homme, Amnesty International
et le Comité de surveillance de l'application de l'Accord d'Helsinki.
Ces personnes et ces organisations sont surtout préoccupées par la
définition du terrorisme à l'article premier, laquelle est si générale,
à leur avis, qu'il suffit que deux personnes quelconques insistent sur
une modification du régime économique ou social pour qu'elles soient,
même sans avoir commis aucun acte de violence, visées par son libellé.
Il convient toutefois de mentionner l'avis exprimé par M. Ozbudun à la
Conférence d'Antalya (3-5 octobre 1991) et selon lequel une lecture
attentive de l'article montre à l'évidence que seuls relèvent de la
définition du terrorisme les actes commis par recours à "la coercition,
la force et la violence, l'intimidation, la contrainte ou la menace".
Les activités pacifiques d'associations qui cherchent à faire évoluer
le système social, économique ou constitutionnel ne sauraient par
conséquent donner lieu à poursuites en vertu de la loi relative à la
lutte contre le terrorisme.
10.3. Ladite loi limite, dans le cas de personnes
prévenues de terrorisme, le droit de consulter librement un avocat; et
aggrave les conditions de détention et restreint les privilèges de tout
terroriste dont la culpabilité est établie. Elle dispense les officiers
de police qui ont recueilli les aveux de détenus de faire une
déclaration sous serment au tribunal et rend plus difficile la
condamnation d'officiers de police qui ont torturé des détenus. Elle
limite de surcroît la liberté de la presse ainsi que le droit de
réunion et de manifestation. Ceux qui critiquent la loi relative à la
lutte contre le terrorisme estiment qu'elle est aussi restrictive que
les articles du code pénal qu'elle tend à remplacer.
10.4. Le terrorisme pose effectivement une grave
menace à la population et à la République turques et s'accentue de
toute évidence. Encore que la plupart des actes de terrorisme soient
perpétrés dans les provinces du sud-est, les organisations terroristes
restent également actives dans d'autres régions du pays. Certains
membres de l'Assemblée se souviendront de M. Aksoy, ancien doyen de
l'Ordre des avocats d'Ankara et membre de la Commission des questions
juridiques et des droits de l'homme, qui a été assassiné en janvier
1990, et il ne se passe guère une semaine sans que plusieurs actes
terroristes soient signalés. Au moins 16 personnes ont ainsi péri le 16
août dernier lors de la célébration de l'anniversaire de la campagne
d'indépendance du Kurdistan. Au cours de la semaine du 10 octobre, au
moins cinq officiers de police ont trouvé la mort à Istanbul.
(D'anciens) généraux et officiers supérieurs de police sont fréquemment
victimes d'actes terroristes.
10.5. Nous comprenons que la République turque soit
tenue d'adopter des mesures efficaces pour se protéger et protéger sa
population contre le fléau du terrorisme. Nous doutons toutefois que
l'approche adoptée par la loi relative à la lutte contre le terrorisme
soit la bonne.
11. Les tribunaux
Lorsque la loi est claire et complète, la tâche du
juge consiste simplement à l'appliquer. Mais lorsque des textes de loi
sont peu clairs ou incomplets, le juge est tenu de les "'interpréter",
en d'autres termes de leur attribuer, si possible, le sens exact. Cette
tâche risque d'être lourde de responsabilités et extrêmement difficile,
et suppose de solides connaissances juridiques et du courage moral. On
ne saurait évidemment généraliser, mais nous avons acquis l'impression
que l'ordre judiciaire turc a bonne réputation, qu'il fonctionne bien
et qu'il s'acquitte de son rôle si essentiel à la légalité et au
respect des droits et libertés fondamentales. Certaines des instances
supérieures ne craignent pas de rendre des décisions contraires aux
voeux du gouvernement. Ainsi, au terme d'une procédure qui a duré onze
ans, la Confédération des syndicats DISK a été jugée non illégale. En
juillet dernier, la Cour constitutionnelle a annulé deux sections de la
loi relative à la lutte contre le terrorisme mais a, en revanche,
déclaré inconstitutionnel le parti communiste turc. Après l'abrogation
des articles 141 et 142 du code pénal, tout donnait à penser que le
parti communiste pourrait en définitive reprendre ses activités comme
un parti politique normal. Mais la Cour constitutionnelle, estimant
qu'il violait l'article 14 de la Constitution, a déclaré le parti
communiste illégal.
12. La Turquie et la Convention européenne des droits de l'Homme
12.1. La Turquie a ratifié la Convention dès 1954,
mais nul n'ignore que la ratification ne peut prendre pleinement effet
que si elle est accompagnée des déclarations prévues aux articles 25
(droit de requête individuelle) et 46 (juridiction obligatoire de la
Cour européenne des Droits de l'Homme): à défaut de ces déclarations
facultatives, l'exercice dans les pays des droits et libertés énumérés
relève de la seule responsabilité des autorités nationales, sous
réserve des requêtes interétatiques. Ces requêtes sont prévues à
l'article 24, et les Gouvernements du Danemark, de la France, de la
Norvège, des Pays-Bas et de la Suède se sont prévalus de la possibilité
d'en présenter le 1er juillet 1982. Les gouvernements requérants ont
fait valoir que six articles différents de la Convention avaient été
violés entre le 12 septembre 1980 (date de l'intervention militaire) et
la date à laquelle ils ont introduit leurs requêtes, qui ont été
déclarées recevables par la Commission et ont débouché sur un règlement
amiable le 7 décembre 1985. De nombreuses personnes ont
incontestablement été déçues par cette issue. Mais le fait que le
Gouvernement turc ait reconnu le droit de requête individuelle, le 28
janvier 1987, doit être considéré comme un résultat direct de cette
issue. La reconnaissance, initialement faite pour une période de trois
ans, a été renouvelée en 1990 lorsque la Turquie a également reconnu la
juridiction obligatoire de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Ce
sont là des décisions extrêmement importantes et courageuses qui
permettent aux citoyens et aux organisations privées turcs de saisir
les organes de la Convention européenne des Droits de l'Homme à
Strasbourg de toutes les violations alléguées des dispositions de
celle-ci.
12.2. Malheureusement la déclaration par laquelle le
Gouvernement turc a reconnu le droit de requête individuelle au titre
de l'article 25 était assortie de plusieurs réserves qui visaient à
limiter sensiblement les circonstances dans lesquelles de telles
requêtes pourraient être introduites. La déclaration a été enregistrée
par le Secrétaire Général qui a informé le Gouvernement turc que son
enregistrement ne préjugeait aucunement la décision relative à sa
recevabilité, qui devrait être prise par l'organe compétent, à savoir
la Commission européenne des Droits de l'Homme. La commission des
questions juridiques et des droits de l'homme a analysé la déclaration
avec l'aide d'un expert consultant qui, chose assez surprenante, a
conclu à sa recevabilité.
12.3. Dans sa décision du 4 mars 1991 la Commission
des Droits de l'Homme s'est prononcée sur trois requêtes
introduites contre la Turquie et concernant des faits qui s'étaient
produits à Chypre en juillet 1989. L'une des réserves formulées par le
Gouvernement turc faisait état d'une restriction ratione loci en vertu
de laquelle des requêtes ne pourraient être introduites qu'à raison de
faits survenus sur le territoire auquel la Constitution turque
s'appliquait. Réfutant cette restriction, la commission a déclaré que
des violations commises ailleurs par les autorités turques pouvaient
également faire l'objet de requêtes individuelles. De l'avis de la
Commission, une restriction territoriale telle que celle dont le
Gouvernement turc faisait état n'était par conséquent pas recevable.
Cela n'est toutefois pas à dire que la partie restante de la
déclaration turque est également privée de sa validité.
12.4. Depuis 1987 plusieurs particuliers se sont
prévalus de la possibilité d'introduire des requêtes contre la Turquie.
Certaines de ces requêtes ont dans l'intervalle été déclarées
recevables. Ainsi, le 10 octobre 1991, la Commission a déclaré
recevables les requêtes présentées par des membres du "Dev-Yol", qui
soulèvent des problèmes au titre des articles 5 paragraphe 3 (durée
raisonnable de la détention préventive) et de l'article 6 paragraphe 1
(durée raisonnable de la procédure pénale, jugement équitable devant un
tribunal indépendant et impartial). Le 11 octobre dernier,
la Commission a déclaré partiellement recevables les requêtes
introduites par certains membres du parti communiste turc
qui se plaignaient de violations des articles 6, 9, 10 et 11 rapprochés
de l'article 14 (liberté de pensée, d'expression et de réunion
pacifique) et de l'article 3 (interdiction de la torture et des peines
ou traitements inhumains ou dégradants).
13. Conclusions
13.1. En sa qualité de membre du Conseil de
l'Europe, la Turquie a des droits et des obligations en droit
international. Le préambule et l'article 1er du statut du Conseil de
l'Europe astreignent ses Etats membres au respect complet et
absolu des droits et libertés fondamentales. L'Assemblée a l'obligation
d'appeler l'attention sur les violations des droits de l'homme - quel
que soit le lieu où, en Europe, elles se produisent. S'agissant de la
Turquie, l'on est fondé à nourrir de vives préoccupations, notamment au
sujet de la situation dans les provinces du sud-est.
13.2. Dans un passé récent, la Turquie a
incontestablement pris un certain nombre de mesures positives en faveur
des droits de l'homme. Ces mesures, qui ont été adoptées notamment sur
le plan interne mais aussi sur le plan international, sont
énumérées dans le projet de résolution que nous présentons
conjointement avec le présent rapport. Cela étant, des motifs de
préoccupation subsistent. Certaines des mesures adoptées sont
plus apparentes que réelles. Le terrorisme et la lutte contre la
violence sont en voie d'intensification, et le pays est peut-être au
bord de la guerre civile dans ses provinces du sud-est.
13.3. Dans le projet de résolution nous formulons à
titre indicatif un certain nombre de propositions qui, nous l'espérons,
contribueront peut-être à améliorer la situation des droits de l'homme
en Turquie. Bien entendu, nous espérons vivement que ce que
M. Giray, alors ministre des Affaires étrangères, a dit à
une conférence de presse le 21 septembre 1991, se réalisera un jour:
"La Turquie sera à la tête des pays qui n'ont pas de problèmes des
droits de l'homme... Nous sommes sur le point de devenir un champion
des droits de l'homme au-dessus de tout soupçon". Et d'ajouter qu'"au
cours des huit dernières années Ankara a fait des progrès rapides en
matière de droits de l'homme car elle fait l'objet d'une
surveillance suivie de la part du monde extérieur."
13.4. Il semblerait que la police turque soit
devenue de plus en plus arrogante et dédaigneuse de l'ingérence
étrangère, en affirmant qu'il n'y a pas lieu de prendre celle-ci au
sérieux vu que l'Occident a de toute manière besoin de la Turquie en
raison de son importance et de sa situation stratégique.
13.5. Notre Assemblée, organe politique, doit son
autorité au fait qu'elle attribue la priorité la plus élevée au respect
des droits de l'homme et de la démocratie parlementaire. Aussi
voudra-t-elle maintenir son appui aux nombreuses forces démocratiques
et progressistes qui, en Turquie, défendent sincèrement les droits et
les libertés de l'individu. Pour ces raisons, nous recommandons que la
commission des questions politiques et la commission des questions
juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée continuent de faire
figurer la Turquie à leur ordre du jour.
14. La nouvelle situation politique
14.1. Comme suite aux élections générales, dont nous
avons parlé au paragraphe 3.4, une coalition a été formée entre le
parti de la juste voie et le parti populiste démocratique et social. M.
Demirel, qui a été maintes fois premier ministre avant 1980 - où il a
été évincé par l'armée - est redevenu premier ministre, et M. Inonu,
vice-premier ministre. La coalition détient 266 des 450 sièges à la
Grande Assemblée Nationale, ce nombre étant toutefois insuffisant
pour modifier la Constitution.
14.2. Nous avons pris acte avec une vive
satisfaction de la volonté de modifier la Constitution
ainsi que des nombreuses précisions extrêmement
positives qui ont été données, dans
la déclaration gouvernementale, sur des sujets à propos desquels
nous avons manifesté une préoccupation particulière dans le présent
rapport. Ces sujets sont notamment:
- la réduction du délai de la garde à vue;
- la formation de la police aux droits de l'homme et
aux libertés;
- le renforcement des droits des détenus de recevoir
la visite de leurs proches et de leurs avocats;
- l'élimination de la torture;
- l'octroi aux personnes arrêtées du droit de
refuser de faire une déclaration hors de la présence de leur avocat;
- la réduction des restrictions apportées aux
droits des syndicats et des partis politiques;
- une plus grande liberté pour les médias;
- une plus grande autonomie pour les
universités;
- le réexamen de la loi relative à la lutte
contre le terrorisme.
14.3. Qu'il nous soit
permis, pour terminer, de citer le
paragraphe 20 des "principes de
démocratisations" adoptés par le nouveau gouvernement de
coalition de la Turquie. Aux termes de ce paragraphe "les
insuffisances, obstacles et limitations juridiques et pratiques
auxquels nos citoyens se heurtent dans les domaines de la liberté
d'expression, de la protection et de l'épanouissement de leur
identité ethnique, culturelle et
linguistique seront éliminés conformément à l'esprit de la
Charte de Paris à laquelle la Turquie est partie et dans le cadre de
l'intégrité nationale".
Ce paragraphe pourrait annoncer le début de la
reconnaissance de l'identité culturelle et de la liberté de la
population kurde dans le sud-est de la Turquie.
Extraits du projet de résolution
- La Turquie est un pays important, avec ses 58
millions d'habitants, et son économie en croissance rapide. Toutefois,
la situation décrite ci-dessus préoccupe vivement l'Assemblée. Les
provinces du sud-est souffrent d'un retard dans de nombreux domaines:
développement économique, respect des droits de l'homme, etc. La
situation s'y dégrade rapidement, au point de devenir inquiétante.
- L'Assemblée note avec satisfaction la manière dont
les droits de l'homme et les libertés fondamentales sont traités par le
nouveau Gouvernement de coalition de la Turquie, dans sa proclamation,
ainsi que par M. Cetin, ministre des Affaires étrangères qui, le 26
novembre 1991, a déclaré à ses collègues du Comité des Ministres du
Conseil de l'Europe: "Nous lèverons toutes les barrières légales et
constitutionnelles entravant encore la démocratie et les droits de
l'homme en Turquie".
- Elle demande à l'Assemblée nationale et au
Gouvernement de Turquie:
i. de démontrer sa volonté politique de faire
évoluer les mentalités au sujet de l'emploi de la force en général et
de la torture en particulier;
ii. de tout mettre en oeuvre pour empêcher la
torture;
iii. de revoir la loi de lutte contre le terrorisme
du 12 avril 1991;
iv. de réduire la durée maximale de garde à vue,
d'améliorer les conditions de cette dernière et veiller à faire
disparaître les obstacles juridiques et pratiques à la visite des
personnes en garde à vue par leurs proches, leurs avocats ou leur
médecin;
v. d'améliorer la formation de la police;
vi. de respecter pleinement l'identité, les libertés
et les droits des populations kurdes du sud-est de la Turquie;
vii. de lever les restrictions imposées aux
syndicats.
- L'Assemblée demande également à la Turquie:
i. de suivre l'exemple de l'Autriche, du Danemark et
du Royaume-Uni en rendant public le compte rendu des visites de la
Commission européenne pour la prévention de la torture à Ankara,
Diyarbakir et Istanbul, en septembre 1990 et en septembre/octobre 1991;
ii. de réétudier, à la lumière de la jurisprudence
récente de la Cour européenne des Droits de l'Homme, les réserves
exprimées lors de l'acceptation, et de son renouvellement, du droit de
recours individuel en vertu de l'article 25 de la Convention européenne
des Droits de l'Homme;
iii. de s'attacher strictement au principe énoncé à
l'article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des Droits de
l'Homme que "Toute personne accusée d'une infraction est presumée
innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie";
iv. de mieux contrôler la police, et les
commissariats de police;
v. de mettre fin à l'état d'urgence dans les
provinces du sud-est.
- L'Assemblée appelle enfin la Turquie (et tous les
Etats membres du Conseil de l'Europe qui ne l'ont pas encore fait) à
ratifier les protocoles suivants de la Convention européenne des Droits
de
l'Homme:
i. n° 4, reconnaissant certains droits et libertés
autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier
Protocole additionnel (1963; STE n°46);
ii. n° 6, concernant l'abolition de la peine de mort
(1903; STE n°114);
iii. n° 7, portant addition de certains droits à la
Convention (1904; STE n°117);
iv. n° 9, permettant aux particuliers de saisir
individuellement la Cour européenne des Droits de l'Homme (1990; STE
n°140).
Projet de directive
- L'Assemblée est une entité politique qui doit son
autorité à la priorité absolue qu'elle accorde au respect des droits de
l'homme et de la démocratie parlementaire. Elle aimerait coopérer
pleinement avec toutes les forces vives de la démocratie en Turquie, et
avec ceux qui désirent sincèrement protéger les droits de l'homme et
les libertés fondamentales. C'est pourquoi elle charge sa commission
des questions politiques et sa commission des questions juridiques et
des droits de l'homme de continuer à suivre les événements de près.
- Elle invite en outre sa commission des questions
juridiques et des droits de l'homme à poursuivre l'étude des conditions
de détention préventive en Turquie, y compris du droit pour les avocats
de voir leurs clients, et à lui soumettre ses conclusions dès que
possible.
LES DEPUTES TURCS ONT VOTE CONTRE LES DROITS DES MINORITÉS
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a,
le 5 février 1992, adopté une recommandation relative aux droits des
minorités par 98 votes contre 31.
Les votes des membres turcs de l’Assemblée démontent
une fois de plus les contradictions du régime turc concernant la
question de minorités. Alors que les députés du Parti de la Juste Voie
(DYP), du Parti de la Mère-Patrie (ANAP) et du Parti du Bien-être
votaient contre la recommandation, deux députés du Parti populiste
social-démocrate (SHP), Ismail Cem et Ercan Karakas, ont voté pour; un
autre député du même parti, Istemihan Atalay, s’est abstenu.
Pendant le débat sur le projet de recommandation,
Bülent Akarcali (ANAP) s’est opposé au texte en termes suivants:
“Dans le contexte actuel, je trouve la présentation de ce rapport un
peu inopportune. En politique, il ne suffit pas de défendre les bonnes
causes; il est nécessaire, voire impératif, de le faire au bon moment.
Or je considère que ne n’est nullement le bon moment.”
• L’histoire a constitué le continent européen en
une mosaïque de peuples différents par leur langue, leur culture, leurs
traditions et coutumes, leur pratique religieuse.
Ces peuples sont tellement brassés, imbriqués les
uns dans les autres, qu’aucun découpage territorial ne peut les
circonscrire totalement et exclusivement. Les frontières étatiques
héritées des deux dernières guerres mondiales n’y sont pas parvenues.
Celles de l’avenir, quelles qu’elles soient, n’y réussiraient pas non
plus.”
Il ne peut y avoir dans un Etat démocratique de
citoyens de deuxième zone: la citoyenneté est égale pour tous. La
première et ultime garantie de cette égalité de droits et de devoirs
découle du respect rigoureux des droits de l'homme pour les Etats et de
leur ratification de la Convention européenne des Droits de
l'Homme.
• A l'intérieur de cette citoyenneté commune, des
citoyens qui partagent avec d'autres des caractéristiques spécifiques -
d'ordre culturel, linguistique ou religieux notamment - peuvent
cependant désirer se voir reconnaître et garantir la possibilité de les
exprimer.
• Ce sont ces groupes partageant de telles
spécificités à l'intérieur d'un Etat que la communauté internationale,
depuis la première guerre mondiale, dénomme minorités sans que ce terme
implique en rien une quelconque infériorité dans aucun domaine.
• Il est urgent de déboucher sur des décisions et
engagements internationaux susceptibles d'être mis en oeuvre rapidement
sur le terrain. Il en va de la paix, de la démocratie, des libertés et
du respect des droits de l'homme sur notre continent.
• Les différents organismes intergouvernementaux du
Conseil de l'Europe devront bientôt donner leurs avis au Comité des
Ministres lui permettant de conclure ses travaux sur le projet de
Charte des langues régionales et minoritaires. L'Assemblée est
consciente de certaines faiblesses déjà relevées de ce projet.
Toutefois ne voulant pas retarder sa conclusion, l'Assemblée recommande
au Comité des Ministres de conclure ses travaux dans les meilleurs
délais et de faire tout son possible pour une mise en oeuvre rapide de
la Charte.
• L'Assemblée a pris note du mandat que le Comité
des Ministres a donné au Comité directeur pour les droits de l'homme.
Dans le cadre de ce mandat la proposition pour une convention sur les
droits des minorités sera examinée. Toutefois, bien qu'elle contienne
une définition remarquable des droits à garantir, la proposition de
convention paraît faible sur le mécanisme de contrôle. Aussi
l'Assemblée estime-t-elle préférable et urgent l'élaboration d'un
protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'Homme
et elle se félicite du fait que le ministre autrichien ait soumis le
projet d'un tel protocole à ses collègues lors de la réunion du Comité
des Ministres du 26 novembre 1991.
• En outre, sans que cela puisse en rien remplacer
l’élaboration d’un instrument juridique, l’Assemblée recommande
l’élaboration et l’adoption rapide par le Comité des Ministres d’une
déclaration définissant les principes de base concernant les droits des
minorités qui font déjà l’objet d’un concensus international.
L’Assemblée estime qu’une telle déclaration devrait
servir de texte de référence pour juger des demandes d’adhésion au
Conseil de l’Europe et pour fonder les prises de position du Conseil de
l’Europe et les interventions de l’instance de médiation proposée
ci-dessous.
• Dans sa Directive 456 (1990) l'Assemblée a décidé
de jouer un rôle de médiation et de conciliation dans les conflits
mettant en cause des minorités chaque fois que la demande lui en sera
faite. Pour renforcer ce rôle du Conseil de l'Europe l'Assemblée
recommande au Comité des Ministres de doter le Conseil d'un outil de
médiation approprié, associant les plus hautes autorités
internationales et nationales compétentes. Cette instance aurait une
triple compétence:
i. Observer et recenser: il
s'agirait dune fonction d'observatoire permanent de l'évolution de la
situation des minorités dans les différents Etats européens;
ii. Conseiller et prévenir: cette
instance aurait aussi pour mission d'intervenir "à froid, avant toute
dégénérescence conflictuelle, pour aider les Etats et les minorités à
définir les règles de leurs rapports;
iii. Dialoguer et concilier: en
cas de conflit ouvert, forte de sa caution internationale et de ses
acquis, cette instance aurait vocation à rechercher sur le terrain les
voies de la conciliation entre les parties en conflit et dune solution
pacifique et durable aux problèmes qui les opposent.
Eu égard à l’extrême urgence des mesures proposées,
l’Assemblée demande au Comité des Ministres de mettre en œuvre cette
recommandation avant le 1er octobre 1992.
RESTRICTIONS AUX DROITS DE L’ENFANT
D’après Hürriyet du 27 décembre 1991, Le
gouvernement d’Ankara a mis trois réserves à la Convention des Droits
de l’Enfant, adoptée par les Nations-Unies. Ces réserves fait état des
restrictions dans les droits des enfants appartenant aux minorités
ethniques. Ces restrictions ont également été approuvées par la
Commission juridique de l’Assemblée nationale.
Les articles qui n’ont pas été adoptés par Ankara
concernent:
- l’utilisation dans les médias la langue des
enfants appartenant à une minorité;
- le développement de la culture d’origine,
- la reconnaissance de l’égalité et la tolérance
entre les enfants d’origine ethniques différentes.