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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie

197


17e année - N°197
Mars 1993
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 



Après la proposition kurde pour une solution politique, on attend
une décision du gouvernement et de l'armée turcs avant le 15 avril 1993.

GUERRE OU PAIX ?


    Alors que les forces armées turques préparaient une ample offensive dans le sud-est de la Turquie pour le prochain printemps, le Parti Ouvrier du Kurdistan (PKK) annonçait le 17 mars un "cessez-le-feu unilatéral" entre le 20 mars et le 15 avril 1993, "pour autant que les forces armées turques ne tirent pas sur le PKK". Au cours d'une conférence de presse tenue dans la Vallée de Bekaa, une région située dans l'est du Liban sous contrôle syrien et à laquelle assistait également Jalal Talabani, le leader du PKK, Abdullah Öcalan, déclarait: "Le cessez-le-feu du Newroz [Nouvel An kurde] est un geste de bonne volonté qui répond aux appels de la communauté internationale".
    Il y a déjà quelques semaines, le 18 février, des députés kurdes qui participaient à une grève de la faim à Bruxelles, informaient le Parlement Européen de la disposition des Kurdes à cesser le feu et à discuter avec le gouvernement turc les conditions d'une solution politique au conflit.
    A la question de s'il s'agissait d'un cessez-le-feu conditionné, Öcalan répondit dans cette même conférence de presse: "Il y a une condition, qu'ils ne viennent pas nous détruire. Nous pensons qu'ils [les dirigeants turcs] ont besoin de réévaluer la situation. Pour y parvenir, nous estimons que cette période [le cessez-le-feu] est nécessaire... et nous avons fait ce qu'il fallait. J'espère que ce sera le début d'un processus de paix, d'amitié et de fraternité historique entre les Turcs et les Kurdes.
    "La question fondamentale est de savoir si le gouvernement turc est disposé à mettre fin au bain de sang, à ouvrir la voie à des solutions politiques, à donner des garanties légales à notre peuple et à reconnaître l'identité kurde - dans les plus brefs délais et d'une manière démocratique", déclara Öcalan. Mais il avertit que si le gouvernement turc continuait à dire aux Kurdes "vous n'existez pas", le prix serait un retour à "la guerre continuelle". "Le PKK dispose de 10.000 guérilleros dans l'est de la Turquie et ce nombre peut être porté à 50.000", ajouta-t-il.
    Honorant sa promesse, les guérillas du PKK n'ont mené aucune opération armée depuis le 21 mars. Contrairement donc aux tragiques incidents de l'année dernière, dans lesquels sont morts près de 100 personnes, cette année le Newroz s'est déroulé dans le calme si l'on excepte quelques incidents sporadiques provoqués par les forces de sécurité. A Cizre, par exemple, un groupe de Kurdes, principalement des femmes et des enfants, dansaient tranquillement pour célébrer le Newroz. Une voiture blindée de la police interrompit brutalement la soirée. Mais les militants du PKK ont décidé de respecté la trêve.
    Dans un deuxième geste, le PKK mit en évidence sa volonté d'améliorer ses relations avec d'autres groupes kurdes aussi bien en Irak qu'en Turquie, dans le but de rassembler toutes les forces politiques kurdes dans une plate-forme démocratique. Après avoir rétabli le dialogue avec Jalal Talabani, qu'il avait accusé de trahison pendant les opérations contre le PKK en Irak, le leader du PKK, Öcalan, signa un protocole qui établit les principes de leur lutte commune avec Kemal Burkay, Secrétaire Général du Parti Socialiste du Kurdistan [Turc] (PSK). Burkay avait critiqué les méthodes du PKK et avait été accusé par le passé de collaboration avec le régime turc. Cette fois-ci, les deux leaders se sont mis d'accord pour oeuvrer en faveur d'une solution démocratique au problème kurde dans tout le Kurdistan.
    Ankara se trouve maintenant à un tournant important. L'offensive politique du PKK semble avoir mis le régime turc dos au mur
    L'actuel gouvernement avait déjà raté une occasion d'arriver à une solution pacifique lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 1991. Juste après les élections, dans une interview concédée au Turkish Daily News du 26 novembre 1991, Öcalan déclarait: "Ont-ils vraiment l'intention de supprimer l'état d'urgence, les tactiques de guerre spéciales, les mesures contre-guérilla, les gardiens de village et d'autres dispositifs similaires, ou veulent-ils les rendre plus systématiques? Nous sommes en train de considérer les mesures développées actuellement. Si des étapes sont franchies on avancera. Nous avons 900 ans de vie commune avec la Turquie. Même si nous le voulions, nous ne pourrions pas nous séparer d'elle. Nous avons un plan pour créer un front démocratique".
    Cependant, le Premier Ministre Demirel refusa cette première branche d'olivier prétextant que les rapports des organes militaires et civils comme l'Etat-Major, le Conseil de Sécurité Nationale (MGK) et l'Organisation Nationale de Renseignement (MIT) seraient déterminants dans l'établissement de nouvelles politiques contre le mouvement national kurde. En fait les nouvelles politiques étaient établies au gré de l'armée et le PKK dut poursuivre ses opérations de guérilla.
    Comme il est dit dans le rapport d'Helsinki Watch (voir les autres articles), la situation des droits de l'homme dans le Kurdistan turc n'a fait qu'empirer depuis que le gouvernement de Demirel prit le pouvoir en 1991.
    L'état d'urgence est toujours en vigueur dans cette région. Le 8 mars, quelques jours avant la proposition d'Öcalan, l'Assemblée Nationale approuvait un prolongement de 4 mois de l'état d'urgence dans les 10 provinces du sud-est et ce à partir du 19 mars. Bien que le SHP et le DYP étaient contre ce régime d'exception lorsqu'ils étaient dans l'opposition, le gouvernement et la majorité des députés de ces deux partis ont obéi une nouvelle fois au Conseil de Sécurité Nationale et ont décidé de maintenir l'état d'urgence dans la région du sud-est.
    Comme il a été dit dans l'édition précédente, les motions pour un débat parlementaire sur les activités subversives de l'Organisation Contre-Guérilla furent rejetées par le gouvernement.
    Les premières réactions à l'offensive politique d'Öcalan n'avaient pas du toute une approche pacifique. Les autorités ont écarté toute possibilité d'un arrangement entre les "terroristes" et l'Etat. Le Ministre de l'Intérieur, Ismet Sezgin, déclara même que l'appel d'Öcalan était dû à l'isolement du PKK suite aux efforts déployés par la Turquie aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays et aux opérations de l'armée turque. Concernant le désir d'Öcalan de retourner en Turquie et de participer à la vie politique, le Ministre de la Défense, Nevzat Ayaz, manifesta: "Notre système dispose de juges et de tribunaux. Ils feront le nécessaire".
    Reste à savoir si le gouvernement turc et l'armée vont changer d'attitude sous la pression de l'opinion mondiale, considérer la proposition de cessez-le-feu du PKK et saisir l'occasion de mettre fin à la croissante polarisation et au bain de sang dans lequel se trouve plongée actuellement la Turquie. Accepteront-ils d'entreprendre un dialogue constructif avec le mouvement kurde avant le 15 avril?
    Ankara porte sur elle une très lourde responsabilité non seulement vis-à-vis des populations turque et kurde, qui veulent vivre en paix dans un pays vraiment démocratique, mais aussi vis-à-vis de l'opinion publique internationale qui suggère aux deux parties d'entreprendre un dialogue afin de trouver une solution pacifique pour cette partie du monde particulièrement agitée.
    Quelle serait une preuve de bonne volonté de la part du régime turc?
    _ lever l'état d'urgence,
    _ interrompre les opérations militaires dans le Kurdistan turc,
    _ mettre fin au système des gardiens de village,
    _ cesser les activités subversives de contre-guérilla,
    _ supprimer la Loi Anti-Terreur,
    _ Modifier la Constitution pour que le Conseil de Sécurité Nationale ne puisse plus dicter sa loi à l'Assemblée Nationale et que tous les droits fondamentaux des Kurdes et des autres minorités soient reconnus. Telles sont les conditions requises pour un tel dialogue.
    Pour ce qui est de la reconnaissance des droits fondamentaux des nationalités et des minorités, quelles seraient les conditions minimales? Le 1er février 1993, l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe adoptait une recommandation (N° 1201) demandant que le Comité des Ministres adopte un protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l'Homme. La Turquie devrait être un des premier signataires de ce protocole.

DROITS FONDAMENTAUX DES MINORITES

    L'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe recommande à tous les états membres, y compris la Turquie, d'adopter le protocole suivant en complément de la Convention Européenne des Droits de l'Homme pour la protection des droits et libertés fondamentaux des personnes appartenant aux minorités nationales:
    "Les Etats membres du Conseil de l'Europe, signataires du présent Protocole,
    1. Considérant que la diversité des peuples et des cultures qui l'ont fécondée est une des sources essentielles de la richesse et de la vitalité de la civilisation européenne;
    "2. Considérant la contribution importante des minorités nationales à la diversité culturelle et au dynamisme des Etats européens;
    "3. Considérant que la reconnaissance des droits des personnes appartenant à une minorité nationale à l'intérieur d'un Etat et la protection internationale de ces droits sont seules susceptibles de mettre durablement un terme aux affrontements ethniques et de contribuer ainsi à garantir la justice, la démocratie, la stabilité et la paix;
    "4. Considérant qu'il s'agit de droits que toute personne peut exercer aussi bien seule qu'en commun;
    "5. Considérant que la protection internationale des droits des minorités nationales est une composante essentielle de la protection internationale des droits de l'homme et comme telle un domaine de la coopération internationale;
    "Sont convenus de ce qui suit:
    ARTICLE 1
    Aux fins de cette Convention, l'expression minorité nationale désigne un groupe de personnes dans un Etat qui
    a. résident sur le territoire de cet Etat et en sont citoyens,
    b. entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet Etat,
    c. présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques,
    d. sont suffisamment représentatifs tout en étant moins nombreux que le reste de
la population de cet Etat ou d'une région de cet Etat,
    e. sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue.
    ARTICLE 2
    1. L'appartenance à une minorité nationale relève du libre choix de la personne.
    2. Aucun désavantage ne doit résulter du choix de cette appartenance, non plus que de sa résignation.
    ARTICLE 3
    1. Toute personne appartenant à une minorité nationale a le droit d'exprimer, de préserver et de développer en toute liberté son identité religieuse, ethnique, linguistique et/ou culturelle sans être soumise contre sa volonté à aucune tentative d'assimilation.
    2. Toute personne appartenant à une minorité nationale peut exercer ses droits et en jouir individuellement ou en association avec d'autres.
    ARTICLE 4
    Toute personne appartenant à une minorité nationale a droit à l'égalité devant la loi. Toute discrimination fondée sur l'appartenance d'une personne à une minorité nationale est interdite.
    ARTICLE 5
    Des modifications délibérées dans la composition démographique de la région d'implantation d'une minorité nationale au détriment de cette dernière sont interdites.
    ARTICLE 6
    Toutes les personnes appartenant à une minorité nationale ont le droit de créer leurs propres organisations, y compris des partis politiques.
    ARTICLE 7
    1. Toute personne appartenant à une minorité nationale a le droit d'utiliser librement sa langue maternelle en privé comme en public, tant oralement que par écrit. Ce droit s'applique aussi à l'utilisation de sa langue dans les publications et l'audiovisuel.
    2. Toute personne appartenant à une minorité nationale a le droit d'utiliser son nom et ses prénoms dans sa langue maternelle ainsi que le droit à la reconnaissance officielle de son nom et de ses prénoms.
    3. Dans les régions d'implantation substantielle d'une minorité nationale, les personnes appartenant à cette minorité ont le droit d'utiliser leur langue maternelle dans leurs contacts avec les autorités administratives ainsi que dans les procédures devant les tribunaux et les instances juridiques.
    4. Dans les régions d'implantation substantielle d'une minorité nationale les personnes appartenant à cette minorité ont droit à une présentation dans leur langue des dénominations locales, enseignes, inscriptions et autres informations analogues exposées à la vue du public. Ceci ne fait pas obstacle au droit des autorités de présenter les informations mentionnées ci-dessus, dans la ou les langues officielles de l'Etat.
    ARTICLE 8
    1. Toute personne appartenant à une minorité nationale a le droit d'apprendre sa langue maternelle et de recevoir un enseignement dans sa langue maternelle dans un nombre approprié d'écoles et d'établissements d'enseignement public et de formation dont la localisation doit tenir compte de la répartition géographique de la minorité.
    2. Les personnes appartenant à une minorité nationale ont le droit de créer et de gérer leurs propres écoles et établissements d'enseignement et de formation dans le cadre du système juridique de l'Etat.
    ARTICLE 9
    En cas de violation alléguée des droits protégés par le présent protocole, toute personne appartenant à une minorité nationale, ou toute organisation représentative d'une minorité nationale, a droit à un recours effectif devant une instance de l'Etat.
    ARTICLE 10
    Toute personne appartenant à une minorité nationale a le droit, dans le respect de l'intégrité territoriale de l'Etat, d'avoir des contacts libres et sans entraves avec les ressortissants d'un autre pays avec lesquels cette minorité partage des caractéristiques ethniques, religieuses ou linguistiques, ou une identité culturelle.
    ARTICLE 11
    Dans les régions où elles sont majoritaires les personnes appartenant à une minorité nationale ont droit de disposer d'administrations locales ou autonomes appropriées, ou d'un statut spécial, correspondant à la situation historique et territoriale spécifique et conformes à la législation nationale de l'Etat.
    ARTICLE 12
    1. Aucune des dispositions du présent protocole ne peut être interprétée comme limitant ou restreignant un droit individuel d'une personne appartenant à une minorité nationale ou un droit collectif d'une minorité nationale inséré dans la législation de l'Etat contractant ou dans un accord international auquel ce dernier est partie.
    2. Les mesures prises à seule fin de protéger les minorités nationales et de favoriser leur développement approprié, de leur assurer l'égalité de droits et de traitement avec le reste de la population dans les domaines administratifs, politique, économique, social et culturel et autres, ne seront pas considérées comme discriminatoires.
    ARTICLE 13
    L'exercice des droits et libertés énoncés dans ce protocole s'applique intégralement aux personnes appartenant à un groupe majoritaire dans l'ensemble de l'Etat mais minoritaire dans une ou plusieurs de ses collectivités territoriales ou régionales.
    ARTICLE 14
    L'exercice des droits et libertés énumérés dans ce protocole ne saurait limiter les devoirs et responsabilités qui s'attachent à la citoyenneté d'un Etat. Toutefois cet exercice ne peut être soumis qu'à des formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

TERRORISME D'ETAT EN FEVRIER

    Le 1.2, des députés du HEP annonçaient que le hameau de Güneyce, dans la province de Sirnak, avait été bombardée par des avions militaires le 31 janvier et que cinq membres de la famille Ekici, connus pour être des sympathisants du PKK, avaient été assassinés.
    Le 1.2, des tireurs inconnus abattaient Ali Yildirim, de 31 ans, à Diyarbakir et Kadri Balcik, de 55 ans, à Silvan.
    Le 2.2, à Ankara, les forces de sécurité arrêtaient onze militants présumés de l'organisation islamiste IBDA-C. Le même jour, à Denizciler (Hatay), cinq personnes étaient placées en détention par un tribunal pour propagande en faveur du Hezbollah.
    Le 4.2, après dix jours d'opérations, les forces de sécurité arrêtaient 19 personnes en connexion avec le Mouvement d'Action Islamique (IHÖ).
    Le 4.2, la CSE de Diyarbakir condamnait Cemalettin Cenap Arici à la peine capitale pour avoir pris part aux activités du PKK. Dans ce même procès, deux défendeurs étaient condamnés à la réclusion à vie et cinq autres à des peines de prison allant jusqu'à 12 ans et six mois.
    Le 5.2, au cours d'une série d'opérations à Ankara, Adana et Hatay, un total de 29 personnes étaient arrêtées pour avoir participé aux activités des Avant-Gardes Révolutionnaires du Peuple (HDÖ).
    Le 5.2, une équipe du Hezbollah abattait Fevzi Kazici (de 50 ans) à Silvan. A Pervari, Yusuf Akkan (25) était retrouvé assassiné. A Viransehir, des personnes non identifiées abattaient le travailleur Mehmet Kaya.
    Le 6.2, à Malatya, Ekrem Kaval et Münir Colak déclaraient au tribunal qu'ils avaient été torturés pendant 15 jours, après leur détention, le 5 janvier.
    Le 6.2, à Ankara, 150 membres du groupe religieux Aczmendi étaient arrêtés à l'entrée de la ville alors qu'ils arrivaient d'Elazig et Malatya pour protester contre les dernières manifestations anti-islamistes. Dans la ville, 25 personnes appartenant au même groupe étaient arrêtées parce qu'elle portaient des habits considérés incompatibles avec la Loi sur l'Habillement.
    Le 7.2, l'embargo alimentaire imposé par les forces de sécurité à la ville de Güclükonak, à Sirnak, était toujours en vigueur. Les habitants affirment que cet embargo fut imposé en raison de leur aide prétendue aux militants du PKK. Aucune communication téléphonique entre Sirnak et Güclükonak n'est possible.
    Le 8.2, à Batman, des personnes inconnues abattaient Ihsan Yesilirmak (45) et blessaient son fils, Mahmut Yesilirmak (17).
    Le 9.2, la CSE d'Izmir condamnait huit représentants du Parti Travailliste du Peuple (HEP) à six mois et vingt jours de prison et à payer une amende de 55.000 LT, pour incitation à l'hostilité ethnique.
    Le 9.2, des personnes inconnues abattaient Kerem Ozgen (29) à Diyarbakir et Mehmet Bagis (43) à Kozluk (Batman).
    Le 10.2, à Istanbul, 12 personnes auraient été arrêtées pour avoir participé aux actes de l'Armée Révolutionnaire des Travailleurs-Paysans de Turquie (TIKKO).
    Le 10.2, Sabahat Varol, membre de l'IYO-DER (association d'étudiants universitaires basée à Istanbul) arrêtée 16 fois par la police, déclarait dans une conférence de presse que celle-ci avait menacée de l'exécuter.
    Le 11.2, à Istanbul, les visites habituelles aux détenus de la Prison de Bayrampasa étaient suspendues par les autorités sans aucune raison. Sur ce, un groupe de parents décida d'organiser une manifestation devant la prison.
    Le 12.2, à la Prison Buca d'Izmir, tous les détenus de gauche furent battus par les gardiens et la gendarmerie suite à la découverte d'une tentative de creuser un tunnel. Selon les avocats de la défense, dix prisonniers furent blessés. Pour protester contre ce traitement, 55 prisonniers se sont mis en grève de la faim.
    Le 12.2, le procureur de la CSE d'Istanbul inculpait onze personnes pour avoir participé aux activités du Hezbollah. Cinq des défendeurs risquent la peine capitale.
    Le 12.2, à Batman, une équipe du Hezbollah tuait Yasar Bulus (33 ans). A Mazidag (Mardin), Azad Adiloglu et Vedat Dilekoglu étaient assassinés par des personnes inconnues.
    Le 13.2, à Diyarbakir, le membre du HEP Mehmet Akdag était assassiné par des inconnus. Le même jour, à Mersin, Mehmet Tatli (35) était retrouvé mort.
    Le 14.2, le président local du SHP, Hüseyin Demir, et 29 autres personnes auraient été arrêtées au cours d'une série d'opérations policières à Idil (province de Sirnak).
    Le 15.2, à Gaziantep, onze personnes étaient arrêtées et accusées d'avoir participé aux activités du PKK. A Adana, six personnes étaient arrêtées pour appartenance au Parti Travailliste Communiste de Turquie/Léniniste (TKEP/L).
    Le 16.2, à Istanbul, la police empêchait une manifestation de travailleurs qui protestaient contre les licenciements. Quatre personnes furent arrêtées.
    Le 16.2, la CSE d'Istanbul condamnait deux membres du Hezbollah à dix ans et dix mois de prison chacun et un troisième à dix mois pour des actes violents. Les trois défendeurs furent également condamnés à payer une amende de 210.600.000 LT (23.400$).
    Le 16.2, deux Kurdes, Mahmut Korunay (33) et Halil Erdemir (35) étaient retrouvés morts à Karacailyas (Mersin).
    Le 16.2, la police de Balikesir arrêtait 21 personnes au cours d'une opération de capture de militants présumés du Dev-Sol. Parmi les détenus, 10 sont des étudiants de l'enseignement supérieur et trois autres sont des universitaires.
    Le 17.2, un médecin de l'hôpital pour enfants de Diyarbakir, Ilhan Diken, était traduit devant la CSE de Diyarbakir et accusé de soutenir le PKK. On lui reproche d'avoir fourni des soins médicaux à un militant présumé du PKK.
    Le 17.2, les forces de sécurité attaquaient le village de Yesilyurt, à Sirnak, et arrêtaient neuf paysans. Parmi eux se trouvaient des victimes des atrocités commises par la gendarmerie en 1989. A ce moment-là, un officier de gendarmerie avait forcé des paysans à manger des excréments humains. Une plainte contre ce traitement inhumain figure encore dans l'agenda de la Commission Européenne des Droits de l'Homme.
    Le 19.2, à Istanbul, le IHD rapportait dans une conférence de presse que trois personnes, Osman Korkut, Hüsnü Aydin et Ekrem Deniz, avaient été torturées au Poste de Police de Cinili. Les tortures furent certifiées par un rapport médical. Le même jour, douze étudiants universitaires, arrêtés le 17 février au cours d'un sit-in, déclaraient une fois relâchés avoir subi les tortures de la police.
    Le 19.2, à Mersin, une manifestation d'un millier de personnes en faveur du PKK était dispersée de force par la police. 13 manifestants ont été blessés et une centaine de personnes arrêtées.
    Le 19.2, les forces de sécurité arrêtaient trois membres présumés du Parti Révolutionnaire Communiste de Turquie (TDKP) à Kirsehir.
    Le 19.2, la CSE de Malatya condamnait Hasan Hüseyin Karakus à la prison à vie pour avoir participé aux activités du TIKKO.
    Le 21.2, à Ankara, 24 étudiants de gauche étaient expulsés du dortoir de l'Université Technique du Moyen-Orient (ODTÜ) en raison de leurs activités politiques. Dans la ville de Hopa (Artvin), cinq étudiants étaient arrêtés pour la même raison.
    Le 21.2, à Mersin, Süleyman Akyüz (44) était abattu par des inconnus.
    Le 23.2, le gouverneur d'Izmir interdisait l'envoi d'aide matérielle au district de Güclükonak (Sirnak), encerclée depuis longtemps par les forces de sécurité. Le matériel avait été recueilli par le IHD à Izmir.
    Le 23.2, la CSE d'Izmir condamnait cinq représentants du HEP à des peines de prison de 20 mois et à payer des amendes de 41.660.000 LT (4.630$), pour une déclaration publiée l'année dernière dans laquelle ils critiquaient l'opération du Newroz.
    Le 23.2, la section de Bolu du Syndicat des Travailleurs des Finances (Tüm Maliye Sen) était fermée par le gouverneur.
    Le 23.2, les forces de sécurité arrêtaient 12 personnes à Istanbul pour activités pro-PKK.
    Le 24.2, le procureur de la CSE d'Istanbul introduisait une action en justice contre trois personnes arrêtées le 28 janvier pour un attentat conte la vie de l'homme d'affaires d'origine juive Jak Kamhi. Ils risquent la peine capitale.
    Le 24.2, le procureur de la CSE d'Izmir inculpait 19 personnes pour avoir exercé des activités en faveur du PKK à Antalya. Sept des défendeurs risquent la peine capitale.
    Le 24.2, le procureur de la CSE de Diyarbakir intentait une action en justice contre un activiste du Hezbollah, Nedim Uysal, et demandait pour lui la peine capitale.
    Le 25.2, un groupe d'activistes des droits de l'homme qui s'étaient rendus à l'Assemblée Nationale pour y déposer une plainte était harcelé par la police et cinq de ses membres furent blessés.
    Le 25.2, à Alanya, le président local du HEP, Abdullah Arslan et cinq autres personnes étaient arrêtés pour activités en faveur du PKK.
    Le 25.2, à Siirt, le président local du IHD, Haci Oguz, et cinq autres personnes étaient arrêtés au cours d'une série d'opérations policières.
    Le 26.2, le Procureur Principal introduisait une demande auprès du Tribunal Constitutionnel pour interdire le Parti pour la Turquie Socialiste (STP). Fondé le 7 novembre 1992, le STP est accusé de mener un programme séparatiste incompatible avec la Constitution.
    Le 27.2, la section d'Agri du Syndicat des Travailleurs des Finances (Tüm Maliye Sen) était fermée par le gouverneur.

ASSASSINAT DU 14e JOURNALISTE EN UN AN

    Kemal Kilic, de 28 ans, ancien reporter du défunt quotidien Özgür Gündem et représentant de l'IHD d'Urfa, était tué le 18 février par un groupe d'assaillants sur l'autoroute Urfa-Akcakale. Ses collègues affirment qu'il avait demandé un permis de port d'armes pour se protéger mais les autorités le lui avaient refusé. Avec l'assassinat de Kilic, le nombre de journalistes tués en un an s'élève à 14.

NAZIM HIKMET S'EST VU REFUSER LA NATIONALITE TURQUE

    Le Conseil de l'Etat appuya le 24 février dernier la décision d'un tribunal qui refusait une demande pour rendre la nationalité turque à Nazim Hikmet.
    Hikmet était le poète le plus célèbre de Turquie. Ses oeuvres ont été traduites en plusieurs langues dans le monde. Après avoir purgé 13 ans de prison pour ses opinions politiques, il quitta la Turquie en 1951 lorsqu'il fut appelé au service militaire à l'âge de 46 ans. Il mourut à Moscou en 1963.
    En 1988, la soeur cadette du poète, Samiye Yaltirim, remit au bureau du Premier Ministre une demande pour qu'il annule la décision de 1951, qui avait privé Nazim Hikmet de sa nationalité. Mais elle ne reçut aucune réponse.
    Yaltirim considéra ce silence comme "un refus indirect" à sa demande, ce qui la poussa à intenter un procès pour restaurer la nationalité de son frère.
    La cour décida que Yaltirim n'avait aucun "intérêt direct" dans l'affaire et estima qu'elle n'avait pas l'autorité pour intenter ce procès.
    La cour précisa que "la nationalité est un droit personnel et individuel. Une soeur n'a aucun intérêt dans l'affaire". Cette décision fut appuyée par le Conseil de l'Etat.

LA PLUS GRANDE AMENDE DEMANDEE POUR BESIKCI

    Le 8 février, le procureur de la CSE d'Ankara demandait que soit infligée au sociologue et écrivain Ismail Besikci une amende de 26 milliards de LT (2.888.888$) pour ses 13 livres sur le problème kurde. Cette demande, si elle est confirmée, serait la plus grande jamais imposée pour du matériel publié en Turquie. Tous ces livres ont déjà été confisqués par les autorités.
    Besikci déclara au quotidien Cumhuriyet que la Turquie est loin d'être un pays démocratique, même si les autorités affirment avoir instauré une démocratie à l'occidentale.
    "Le nombre de cas comme le mien ne cesse d'augmenter et l'Etat est en train de s'enliser dans une voie sans issue. Ces procès et inculpations sont la raison pour laquelle nous ne faisons pas confiance au système judiciaire turc".
    Par ailleurs, Ünsal Öztürk, éditeur du livre de Besikci et propriétaire de la Maison d'Edition Yurt, déclarait: "Nous ne voulons pas être jugés par les tribunaux turcs. Ils ne sont même pas conformes aux accords internationaux signés par l'Etat. Lorsque la CSE prendra sa décision finale, nous userons de notre droit de recours à la Commission Européenne des Droits de l'Homme".

PRESSIONS SUR LES MEDIAS EN FEVRIER

    Le 2.2, l'édition N° 45 de l'hebdomadaire Gercek était confisquée par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 3.2, l'ancien éditeur responsable de l'hebdomadaire Mücadele, Erdogan Yasar Kopan, était jeté en prison pour y purger une peine de deux ans et quatre mois. Il avait été condamné par une cour pénale d'Istanbul pour avoir fait l'éloge de certains actes considérés criminels et avoir insulté le Président de la République dans un article.
    Le 3.2, deux journalistes du quotidien Hürriyet, Nuriye Akman et Hasan Kilic, ainsi que le célèbre humoriste Aziz Nesin, étaient inculpés pour une interview de ce dernier publiée le 27 septembre 1992. Dans cette interview, Nesim déclarait: "Le peuple turc est stupide". Accusé d'avoir violé l'Article 159 du Code Pénal Turc, ils risquent tous une peine de prison de six mois.
    Le 4.2, l'éditeur responsable du mensuel Odak, Hidir Ates, était condamné par la CSE d'Istanbul à une peine de prison de six mois et à payer une amende de 100 millions de LT (11.100$), pour propagande séparatiste en vertu de la l'Article 6 de la Loi Anti-Terreur.
    Le 5.2, la CSE d'Istanbul condamnait trois journalistes du mensuel Newroz pour propagande séparatiste: le journaliste Remzi Bilget écopa d'une peine de prison de vingt mois et d'une amende de 41.666.000 LT (4.630$), le rédacteur-en-chef responsable, Celal Albayrak, fut condamné à six mois de prison et à payer une amende de 41.666.000 LT et l'éditeur Hüseyin Alatas à verser une amende de 83.333.000 LT (9.260$).
    Le 7.2, l'édition N° 14 du mensuel Newroz fut confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 9.2, l'édition N° 39 de l'hebdomadaire Azadi fut confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 9.2, le rédacteur-en-chef du mensuel Emek, Tuncay Atmaca, fut condamné à deux ans et six mois de prison et à payer une amende de 83.333.000 (9.260$) en vertu de l'Article 8 de la LAT.
    Le 10.2, Sedat Karatas, rédacteur-en-chef de l'hebdomadaire Azadi, soulignait que la CSE d'Istanbul avait commis un curieux faux-pas en décidant de confisquer son journal pour la publication d'un article qui, en fait n'était jamais paru dans son hebdomadaire. "C'est la preuve que les procureurs de la CSE ne regardent même pas le journal avant d'en décider la confiscation", commentait Karatas. Des 35 éditions d'Azadi, 15 ont été confisquées par la police sous les ordres de plusieurs CSE d'Istanbul.
    Le 11.2, le reporter d'Hürriyet, Toygun Attila, était harcelé par la police alors qu'il couvrait les incidents devant la Prison de Bayrampasa, à Istanbul. Sa camera et son enregistreur furent confisqués.
    Le 12.2, l'édition N° 9 du mensuel Newroz Atesi était confisquée par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 16.2, l'édition N° 33 de l'hebdomadaire Mücadele était confisquée par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 17.2, trois journalistes de grands médias, Togay Bayatli et Altan Öymen, du quotidien Milliyet et Ridvan Yelekci, du quotidien Hürriyet, étaient condamnés pour avoir critiqué la décision d'un tribunal contre une star de football. Ils seront jugés par une cour pénale d'Istanbul.
    Le 19.2, après un concert du groupe musical Ekin à Bergama (Izmir), 39 personnes étaient arrêtées. Bon nombre d'entre elles furent torturés pendant leur détention. Deux ont dû être transférés à l'hôpital.
    Le 21.2, le gouverneur de Diyarbakir interdisait la distribution de 23 cassettes de chansons kurdes interprétées par Sivan Perwer, Nizmettin Ariç et Gönül Sahin.
    Le 23.2, s'ouvrait le procès d'Edip Polat pour son livre Les Kurdes et le Kurdistan en langage scientifique - Une réponse de la biologie à l'idéologie officielle, à la CSE d'Ankara. Le procureur demande des peines de prison allant jusqu'à cinq ans pour Polat, le Dr Ismail Besikci, qui écrivit la préface du livre, et l'éditeur Vedat Yeniceri. Chacun d'eux risque également une amende de 41.666.000 LT (4.630$) en vertu de la LAT.
    Le 27.2, le procureur d'Istanbul inculpait une fois encore le sociologue Ismail Besikci pour un article publié dans l'hebdomadaire Yeni Ülke du 25 octobre 1992. Il risque une peine de prison de trois pour avoir fait l'éloge d'actes criminels en vertu de l'Article 312 du CPT. Le rédacteur-en-chef de l'hebdomadaire, Bülent Aydin, risque la même sentence.

DEUX RAPPORTS SUR LA VIOLATION DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE

RAPPORT D'HELSINKI WATCH SUR L'OPPRESSION DES KURDES EN TURQUIE

    Helsinki Watch, dans un nouveau rapport publié le 18 mars, affirmait que les assassinats de citoyens kurdes par les forces de sécurité turques, ainsi que les disparitions, les meurtres mystérieux et les tortures brutales infligées à des civils kurdes dans le sud-est de la Turquie s'étaient intensifiés depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement de Demirel en 1991.
    Ci-après nous reproduisons l'introduction du rapport intitulé Les Kurdes de Turquie: Assassinats, Disparitions et Tortures:

    La coalition gouvernementale du Premier Ministre Süleyman Demirel, qui s'était engagée à entreprendre des réformes pour le respect des droits de l'homme, accéda au pouvoir en novembre 1991. Pendant la campagne électorale, le candidat Demirel reconnut publiquement la "réalité kurde", faisant référence aux Kurdes turcs habitant dans le sud-est de la Turquie. En janvier 1992, deux mois après son élection, le Premier Ministre déclarait à Helsinki Watch qu'il était disposé à gagner la confiance de la grande minorité kurde de Turquie (estimée à dix millions de personnes sur les 57 que compte la Turquie) par le rétablissement de leurs droits culturels et l'abolition du système des gardiens de village qui force les habitants de la région à prendre les armes et à soutenir l'armée dans sa lutte contre le PKK.
    Malheureusement, les droits culturels de la minorité kurde sont toujours bafoués dans le Sud-est et le système des gardiens de village est mieux implanté que jamais. Ce système force les villageois à choisir entre servir comme gardiens, s'exposant aux représailles du PKK, ou abandonner leur maison et leurs terres. Par ailleurs, les forces de sécurité turques ont décimé près de 300 villages kurdes et forcé leurs habitants à fuir depuis que l'actuelle coalition gouvernementale a pris le pouvoir.
    Les forces de sécurité turques ont également attaqué, avec une agressivité croissante, des villes kurdes dans le Sud-est. En août dernier, à Sirnak, elles ont fait preuve d'une telle volonté de destruction que la quasi totalité de la population aurait chargé ses biens sur des wagons et des camions et aurait abandonné la ville. Deux ou trois mille personnes seulement, sur un total de 35.000, seraient restées chez elles. Les autorités ont empêché l'accès des journalistes à la majeure partie des quartiers de la ville et leur ont interdit d'interviewer le maire, d'autres autorités ou des résidents, ce qui induit à penser que le gouvernement tentait de cacher les faits au public. En 1992, d'autres attaques de grande envergure se seraient produits contre des civils à Batman, Agri, Kulp et Cizre. Les Kurdes ont donc fui le Sud-est par milliers vers d'autres zones de la Turquie.
    En outre, le gouvernement turc n'a demandé aucune enquête sur les assassinats intervenus en 1992 dans le Sud-est, de 450 personnes par des assaillants aux tactiques militaires. Parmi les personnes tuées figurent des journalistes, des professeurs, des médecins, des activistes des droits de l'homme et des leaders politiques. Nombreux sont ceux qui soupçonnent le gouvernement d'en être complice. Certaines personnes disparues étaient retrouvées mortes le long d'une route peu de temps après. Bien que des témoins aient vu certaines des victimes entre les mains de la police, celle-ci nie généralement les avoir arrêtées ou prétend les avoir retenues pendant un bref moment avant de les relâcher. Il apparaît clairement que le gouvernement turc n'a fait aucun effort sérieux pour retrouver les assassins ou pour enquêter sur une possible participation de la police à ces enlèvements.
    Parmi les nombreuses victimes de ces assassinats il y avait treize journalistes et quatre distributeurs de journaux en faveur des Kurdes. Onze des journalistes travaillaient pour des journaux de gauche ou proches des Kurdes; certains d'entre eux avaient écrit sur des liens supposés entre la "contre-guérilla", le groupe Hezbollah et les forces de sécurité turques. Apparemment, ces journalistes étaient visés dans le cadre d'une vicieuse campagne destinée à réduire au silence la presse dissidente. Bon nombre d'entre eux furent abattus par derrière -parfois d'une balle dans la nuque- par des assaillants inconnus.
    En arrivant au pouvoir, la coalition du Premier Ministre Demirel promit d'apporter des améliorations significatives à la lamentable situation des droits de l'homme en Turquie. Malheureusement, les réformes promises ne sont jamais arrivées. Bien au contraire, les assassinats, les tortures et autres violations des droits de l'homme se sont ostensiblement intensifiés, aussi bien dans l'est que dans le sud-est de la Turquie.
    En 1992, les forces de sécurité ont abattu 74 personnes au cours de descentes effectuées dans des maisons... et tout porte à croire qu'il s'agissait d'exécutions délibérées. Au cours de la même année, ces mêmes forces de sécurité ont également tué plus de 100 manifestants pacifiques au cours de divers incidents dans le Sud-est.
    La promesse de mettre fin à la torture fut maintes fois rompue par le gouvernement de coalition, bien que le Premier Ministre Demirel avait promis des "postes de police avec des murs de verre". En novembre dernier était promulguée une loi de réforme. Malheureusement, les périodes de détention maximales qu'elle prévoit ne correspondent pas aux normes établies par la Cour Européenne des Droits de l'Homme: les suspects de délits ordinaires peuvent être détenus pendant huit jours, et les suspects politiques pendant trente jours.
    En août 1992, Helsinki Watch interviewait 24 personnes dans quatre villes de l'est de la Turquie: Istanbul, Ankara, Adana et Antalya. Elles ont raconté de terribles histoires de tortures policières récentes. La plupart étaient des Kurdes. Leurs témoignages montrent que la pratique de la torture est toujours d'actualité en Turquie. Elle passe entre les mailles du système judiciaire et n'est pas réservée, comme certains le pensent, à des suspects terroristes ou à des séparatistes kurdes. En 1992, seize personnes sont mortes sous détention policière dans des circonstances douteuses. La police soutient que six d'entre elles, dont trois enfants de 13 à 16 ans, se sont suicidées. Dix des seize personnes décédées étaient des Kurdes habitant dans le Sud-est. Le gouvernement de Demirel n'a consenti aucun effort sérieux pour faire la lumière sur ces cas ou pour mettre fin à la torture.
    En janvier 1992, le Premier Ministre Demirel, le Vice-Premier Ministre, Erdal Inönü, et d'autres représentants des autorités turques faisaient part à Helsinki Watch de leurs ambitieux plans de réforme, comprenant des amendements à la Constitution et la révision de la restrictive loi sur la presse.
    Rien de tout cela n'a été appliqué. Outre l'assassinat de reporters dans le Sud-est, d'autres membres de la presse -surtout des journalistes de l'opposition de gauche- continuent d'être harcelés, menacés, battus, arrêtés et torturés. Les reporters sont accusés d'insulter le président, de critiquer l'armée ou les procureurs publics, de disséminer de la propagande communiste ou séparatiste et de faire l'éloge d'actes considérés délictueux. Certains ont écopé de peines de prisons pour ces crimes de conscience. Les journaux ayant eu les plus graves ennuis avec les autorités turques sont des petites publications pro-kurdes.
    Les autorités turques, lorsqu'on les rend responsables de ces abus, s'empressent de dénoncer l'escalade terroriste en Turquie. Une vague croissante d'incidents terroristes est en train de s'abattre sur le pays. Dans le Sud-est, selon le gouvernement, près de 1.000 civils ont été tués par le PKK depuis 1984. Dans l'ouest de la Turquie, les assassinats d'agents de police, de juges et d'autres fonctionnaires de l'Etat, la plupart d'entre eux attribués à l'organisation d'extrême-gauche Dev-Sol (Gauche Révolutionnaire), deviennent de plus en plus fréquents à Istanbul et dans d'autres villes importantes. Au moins 54 policiers et d'autres représentants officiels ont été tués en 1992.
    Mais le gouvernement turc, devant cette situation déplorable, semble avoir abandonné son engagement initial de créer un "Etat de droit basé sur le respect des droits de l'homme et des libertés". Au lieu d'essayer de capturer, questionner et juger les suspects de ces assassinats, la police s'est embarquée dans une campagne de descentes dans les maisons. En 1992, quarante terroristes présumés furent abattus au cours de ces descentes dans l'ouest de la Turquie: 26 à Istanbul, 9 à Ankara et 5 dans d'autres villes de l'Ouest. Le même scénario se produit dans le Sud-est, où 34 membres présumés du PKK ont été abattus au cours de descentes policières. La police donne constamment la même version: tous ces décès se sont produits au cours d'affrontements armés avec les suspects. Mais alors que ces derniers sont morts, quasiment aucun policier n'est décédé ou blessé, ce qui porte à croire qu'il ne s'agissait pas d'affrontements mais d'exécutions délibérées. Les exécutions extrajudiciaires dans lesquelles la police s'érige en juge, jury et bourreau, sont illégales aussi bien en vertu des lois des droits de l'homme que de celles de la guerre.
    Violant les lois et les normes internationales, la police continue de tirer sur des manifestants pacifiques, tuant au moins 103 personnes en 1992. A l'exception de trois d'entre elle, toutes sont mortes dans le Sud-est. En mars, pendant les célébrations du Newroz, le Nouvel An kurde, les troupes gouvernementales ont ouvert le feu et tué au moins 91 manifestants dans trois villes du Sud-est. Neuf autres  ont été abattues au cours de manifestations dans cette même région. Des manifestants pacifiques ont également été tués en 1992 à Izmir, Adana et Antalya. Pas un seul des assassins ne fut inculpé pour l'un des ces meurtres.
    Le gouvernement semble avoir oublié bon nombre de ses promesses qui auraient pu protéger les minorités. Il s'était engagé à remplacer la répressive Constitution de 1982 -rédigée après le coup-d'Etat militaire de 1980- et entre-temps, d'en abolir les clauses anti-démocratiques, notamment celle qui empêche les professeurs et les fonctionnaires publics d'être membres de partis politiques. Le programme gouvernemental prévoyait la modification de lois discriminatoire envers les femmes, de concéder des droits syndicaux aux fonctionnaires publics, de promulguer des lois syndicales conformes aux normes de l'Organisation Internationale du Travail, d'abolir les restrictions sur les libertés politiques et religieuses et d'abolir le Conseil de l'Education Supérieure. Ces promesses furent à leur tour oubliées.
    Au cours des premiers jours, la nouvelle administration entreprit quelques mesures positives: la Prison d'Eskisehir, connue pour sa brutalité et ses cellules d'isolement, était fermée; 227 personnes qui avaient été privées de leur citoyenneté pour des motifs politiques ont pu la récupérer; et plusieurs films et cassettes furent effacés d'une liste d'oeuvres artistiques censurées. Le gouvernement mit également fin à l'interdiction d'utiliser la langue kurde dans les rues, bien que cette langue est toujours interdite dans les tribunaux et les institutions publiques et officielles. On autorisa cependant la publication d'un journal en langue kurde, Welat, et une nouvelle loi permit aux parents de choisir librement le prénom de leurs enfants, même parmi les kurdes. Un institut kurde put ouvrir ses portes à Istanbul, mais ne fut pas autorisé à placer une enseigne à l'extérieur du bâtiment. Le 15 novembre 1992, la police y fit même une descente, confisqua ses livres et ses archives et arrêta ses employés. Le 18 janvier 1993, le journal Cumhuriyet rapportait même qu'une cour d'Istanbul lui avait refusé un registre officiel parce qu'il avait un caractère "racial". La décision fit l'objet d'un appel.
    Le Ministre de la Justice, Seyfi Oktay, le Ministre de l'Intérieur, Ismet Sezgin et le Ministre des Droits de l'Homme, Mehmet Kahraman, ont tous souligné, lors de conversations avec Helsinki Watch en août 1992, que le gouvernement était toujours animé par la volonté de changement, d'établir une "démocratie transparente" et d'introduire des changements à la Constitution et aux lois, comme il l'avait proposé précédemment.
    Les mesures attendues ne pointent pas à l'horizon. Les assassinats, les disparitions, les tortures brutales et d'autres violations des droits de l'homme n'ont toujours pas cessé. Le gouvernement du Premier Ministre Demirel n'a pas fait preuve de la volonté politique ou des capacités pour mettre fin à ces détestables pratiques, ni sur papier ni dans la réalité.
    L'administration Bush a soutenu énormément le gouvernement de Demirel, allant jusqu'à féliciter la Turquie pour sa "retenue" pendant le Newroz, alors que les troupes gouvernementales avaient tué au moins 91 manifestants pacifiques. La Turquie demeure le troisième plus grand bénéficiaire de l'aide américaine, derrière Israël et l'Egypte. Pour l'année fiscale 1993, les Etats-Unis fourniront à la Turquie 575 millions de dollars en tant qu'assistance extérieure: 450 millions en prêts militaires et 125 millions en concessions économiques.
    Devant la continuelle violation des droits de l'homme en Turquie, Helsinki Watch recommande au gouvernement américain de mettre fin à toute assistance militaire à la Turquie jusqu'à ce que ce pays élimine toute trace grossière de violations des droits de l'homme ou précise clairement, comme il est stipulé dans la Section 502b de la Loi d'Assistance Etrangère, quelles circonstances extraordinaires justifient cette assistance aux vues de ces violations. Helsinki Watch recommande également de suspendre rapidement la formation d'officiers de police turcs dans le cadre du Programme d'Assistance Anti-Terroriste.
    Helsinki Watch conseille également au gouvernement turc de faire cesser les abus dont sont victimes les civils dans le Sud-est et de se conformer aux lois humanitaires internationales et aux lois de la guerre; qu'il abolisse les restrictions imposées à l'identité éthnique kurde; qu'il abolisse le système des gardiens de village; respecte les normes internationales qui exigent que les représentants de l'ordre n'utilisent des armes mortelles que quand il est absolument nécessaire et avec une force équivalente au danger couru lors des descentes dans les maison soupçonnées de contenir des "terroristes"; qu'il déploie des méthodes légales de contrôle des foules; qu'il punisse les membres des forces de sécurité qui tuent des civils sans justification; qu'il enquête minutieusement et rapidement sur les cas de morts suspectes et de disparitions et traduise en justice les responsables; qu'il mette fin à toutes formes de torture dans les centre d'interrogation de la police et poursuive les tortionnaires; qu'il réduise les périodes de détention et permette aux détenus d'avoir accès immédiatement à leurs avocats; et qu'il mette fin aux restrictions de la liberté d'expression. D'autres recommandations sont détaillées à la fin de cet article.
    Helsinki Watch demande au Parti Ouvrier du Kurdistan (PKK) de cesser les abus contre les civils et de respecter scrupuleusement et dans les plus brefs délais les lois humanitaires internationales et les lois sur la guerre.

LE RAPPORT DE RSF SUR LES MEURTRES DE JOURNALISTES

    La Section suisse de Reporters Sans Frontières publia un rapport détaillé et intitulé Intimidation sur les assassinats de journalistes et autres pressions exercées sur la presse turque à la suite d'une enquête sur place par une équipe internationale entre le 10 et le 21 janvier 1993.
    L'équipe regrette de ne pas avoir pu rencontrer les autorités responsables de l'état d'urgence à Diyarbakir, malgré une demande introduite plus d'un mois à l'avance. La raison invoquée fut la visite d'un représentant du gouvernement dans la région. Cependant, l'équipe estime avoir recueilli suffisamment d'information.
    Nous reproduisons ci-après un résumé des 65 pages que comprend le rapport:
    1, Ayant pu constater qu'ils étaient bien les auteurs d'articles publiés par des organes de presse, et en l'absence de preuves d'une activité violente, nous estimons que les treize tués doivent bien être considérés comme des journalistes.
    2. Il restait à déterminer s'ils avaient été tués en raison de leurs activités de journaliste, et à tenter d'établir les responsabilités de ces meurtres. En l'absence de preuves irréfutables, il n'est pas possible de donner des réponses dénuées du moindre doute. Ceci vaut aussi pour les deux cas où des suspects membres du Hezbollah, ont été arrêtés par la police (dans I'attente d'un jugement, les détails de l'instruction ne nous ont pas été communiqués) .
    3. Néanmoins, nous considérons que dans certains cas, nous disposons d'un faisceau d'éléments suffisant pur avoir de très fortes présomptions. Celles-ci sont les suivantes:
    - Deux journalistes au moins ont été tués par le PKK, parti indépendantiste kurde qui recourt à la lutte armée. L'un des deux  a été accusés d'informer la police, le motif du meurtre ne paraît donc pas lié  son activité (antérieure) de journaliste. L'autre a été tué dans le cadre d'une attaque dans sa bourgade; vraisemblablement, sa fonction lui valu d'être tue.
    - Quatre Journalistes au moins ont été tués en raison de leur activité de journaliste et avec une implication directe ou indirecte des forces de l'ordre. L'identité des tueurs fait l'objet de diverses hypothèses: contre-guérilla, Hezbollah, groupes paramilitaires. Mais nous sommes convaincus qu'il y avait au moins complicité, sinon participation de membres des forces de l'ordre.
    - Dans les sept autres cas, il peut exister des éléments de présomption, fondés sur des témoignages, mais la mission estime qu'ils ne suffisent pas en tant que tels.
    4, Néanmoins, la délégation estime que ses présomptions à l'encontre de membres des forces de sécurité sont renforcées par les nombreux exemples et témoignages d'autres pressions que subissent les journalistes et les journaux dans cette région: entraves aux déplacements, violences physiques, menaces, camions et kiosques brûlés, etc.
    Nous avons été particulièrement alarmés par les meurtres récents de trois vendeurs et distributeurs de presse, tous menacés auparavant s'ils ne cessaient pas de vendre certains journaux. Un vendeur a été l'objet d'un attentat au cours de notre séjour et ses proches nous ont informés de menaces proférés par un commissaire de police
    5. Ces morts de journalistes se situent dans un contexte de violence croissante à l'égard de civils. Des centaines de personnalités de la société civile kurde ont été assassinées de façon similaire par des tueurs mystérieux et jamais retrouvés. Les autorités blâment "le terrorisme" et lui seul, avec ses rivalités et ses règlements de comptes. Ce blâme exclusif ne nous  a pas convaincus, et cela d'autant moins que nous l'avons observé à plusieurs reprises —les autorités turques se refusent tout simplement à entrer en matière sur toute accusation précise quelle qu'elle soit, dont ses forces peuvent être l'objet.
    6. Nous avons constaté et saluons la grande liberté d'expression dont bénéficie la presse de large audience. De plus, nous avons constaté que plusieurs publications donnent abondamment le point de vue du PKK. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce pays d'autoriser la parution de publications très proches d'une organisation considérée comme terroriste. Cependant, celles-ci font l'objet d'un harcèlement juridique constant, notamment par de fréquentes saisies. La procédure est légale, mais se fonde sur des lois limitant abusivement la liberté d'expression. Il existe encore tout un arsenal de lois répressives; 152 de leurs articles peuvent être employés contre la presse.
    7, Nous prenons acte avec satisfaction de la réforme prévue de la loi sur la presse, mais la jugeons très insuffisante. Nous estimons en particulier que les articles 6 et 8 de la "loi anti-terreur" d'avril 1991, qui punissent de façon vague toute propagande séparatiste, doivent être supprimés.
    Le quotidien Cumhuriyet a publié fin janvier une liste des journalistes tués depuis que la presse existe en Turquie. Le nombre total est de 34. Treize d'entre eux, soit plus du tiers, ont été tués en 1992.
    1891: Zeki Bey, 1909: Hasan Fehmi Bey, 1910: Ahmet Samim, Hüseyin Hilmi Bey, 1919: Osman Nevres, 1920: Hasan Tahsin, 1930: Hikmet Sevket, 1974: Adem Yavuz, 1978: Ali Ihsan Özgür, 1979: Abdi Ipekçi, Ilhan Darendelioglu, 1980: Ismail Gerçek, Ümit Kaftancioglu, Muzaffer Fevzioglu, Recai Ünal, 1988: Mevlut Isik, 1989: Sami Basaran, Kamil Basaran, 1990: Çetin Emeç, Turan Dursun, 1992: Halit Güngen, Cengiz Altun, Izzet Kezer, Bülent Ülkü, Mecit Akgün, Hafiz Akdemir, Çetin Ababay, Yahya Orhan, Hüseyin Deniz, Musa Anter, Yusuf Aktay, Hatip Kapçak, Namik Taranci, 1993 (janvier): Ugur Mumcu.
    Le rapport donne le détails sur les 13 meurtres signalés et confirmés en 1992, avec une évaluation quant à la réponse à donner aux questions suivantes:
    - Ont-ils été tués dans, ou à cause de l'exercice du métier de journaliste?
    - Y a-t-il assez d'éléments pour désigner les auteurs probables du meurtre?
    Quelques indications préliminaires nous paraissent nécessaires.

    Pourquoi les considérer comme des journalistes?

    "Ceux qui sont tués ne sont pas de vrais journalistes. Ce sont des militants déguisés en journalistes. Ils s'entre-tuent"  (SüIeyman Demirel premier ministre, le 11 août 1992.)
    En raison de cette déclaration et de déclarations similaires d'autres membres du gouvernement, notre délégation a en premier lieu cherché. à déterminer si les treize tués devaient ou non être considérés comme des journalistes .
    Pour attester de la qualité de journaliste en Turquie, il existe deux moyen formels (mais sans valeur juridique, selon un avocat spécialisé);
    - La carte de presse, délivrée par l'Etat, plus précisément par le Directorat général de la presse et de l'information, attaché au premier ministre. Il s'agit d'une carte jaune ou bleue. Pour l'obtenir, il faut faire acte de candidature, et celle-ci doit être appuyée par l'organe de presse. Elle est délivrée après une période de stage dans le métier d'une durée variable selon les études effectuées: 18 mois si le candidat  fait une école de presse, 24 pour un universitaire, 30 pour un lycéen. Environ 3000 personnes la détiennent.
    - Les "cartes d'identité de journaliste" distribuées par l'organe de presse. Celle-ci requiert que le journaliste soit déclaré parmi les employés de l'organe de presse.
    Selon nos informations, dans un seul des treize cas en question (celui de Kezer), il est incontesté que la victime avait une carte de presse. Cependant, dans un rapport intitulé "Qui est journaliste?"  le Conseil de la Presse précise que la majorité des journalistes n'ont ni l'une ni l'autre. Ceci est dû aux raisons suivantes:
    - La carte de presse n'est pas donnée automatiquement aux candidats qui en remplissent les conditions. Il semble qu'il se pratique une forme de quota par journal. D'autre part, à en croire le Conseil de la Presse, la carte est dévaluée par le fait qu'elle est délivrée à des personnes "qui n'ont aucune relation avec le métier de journaliste" — notamment des fonctionnaires ministériels. Ces abus seraient dus aux privilèges qu'elle apporte, notamment sous forme de tarifs réduits.
    - la carte d'identité de journaliste n'est souvent pas distribuée par l'organe de presse à ses journalistes, parce qu'elle l'oblige à les déclarer et donc à payer leur sécurité sociale et d'autres charges.
    La possession d'une carte n'est donc pas déterminante pour établir la qualité  de journaliste.
    Il en découle également que l'appartenance à une association professionnelle ne l'est pas non plus: l'association de journalistes du sud-est, par exemple, requiert la possession d'une des deux carte pour devenir membre.
    Or toutes les association professionnelles sont de l'avis qu'il s'agissait bien de journalistes, et cela malgré le fait qu'ils n'en faisaient pas partie (seul Kezer appartenait à une association, celle d'Istanbul):
    - "A nos yeux, ils étaient des journalistes. Ils travaillaient régulièrement à l'Information. Peu importe si ce n'était pas leur seule activité" (Necmi Tanyolaç, président de l'association de journalistes d'Istanbul) .
    - "Pour dire que ce n'étaient pas des journalistes, le gouvernement se base sur le fait qu'ils n'avaient pas la carte de presse. Pour nous, c'est faux. Ils faisaient tous du journalisme" (Orhan Erinç, président du syndicat des journalistes).
    - "Pour nous, l'essentiel est qu'ils travaillaient pour un journal" (Ramazan Pamuk, président de l'association de journalistes du sud-est).
    Au vu des avis et témoignages qu'elle a recueillis, notre délégation estime que dans tous les cas, sauf un, il est clairement établi que les victimes exerçaient une activité de journaliste.
    Le cas discutable à nos yeux est celui de Mecit Akgün ancien correspondant occasionnel de Yeni ÜIke  Nusaybin, il avait cessé d'écrire depuis huit mois au moment de sa mort, affirme le journal. Cette cessation d'activité nous a été confirmée par la plupart de nos interlocuteurs, à deux exceptions près; un journaliste à Diyarbakir, en particulier, nous  affirme avoir collaboré sur une enquête avec Akgün trois mois avant sa mort. En tout état de cause, à en croire deux témoignages recueillis à Diyarbakir, il restait essentiellement considéré, à Nusaybin, comme un journaliste, en dépit de ses activités politiques. Nous estimons donc qu'à défaut d'informations contraires concluantes, il doit être maintenu sur la liste en tant que journaliste.
    Dans la plupart des cas, il ressort que le journalisme n'était pas une activité plein temps; dans certain cas, ce n'était même pas l'activité principale. Notre délégation estime cependant que ça ne doit pas les priver d'être considérés comme des journalistes. La raison principale tient aux conditions de travail de la région du sud-est de la Turquie, soumise a l'état d'urgence et plongée dans une atmosphère de guerre. Il y est difficile pour les journalistes de se déplacer. Les journaux ont donc besoin d'un réseau très fourni de correspondants qui, de ce fait, n'ont pas du travail à temps plein. Dans un contexte de chômage massif de nombreux correspondants n'exercent que cette activité occasionnelle, et le journalisme est leur identité sociale. Même pour ceux qui exercent une autre activité principale, c'est plutôt la fonction de journaliste qui les expose à l'attention publique locale.
    Au cours de nos entretiens avec les autorités, celles-ci se sont démarquées des opinions émises par les membres du gouvernement. M. Demirel, nous a-t-on confié, se serait exprimé un peu hâtivement. Dans notre entretien au ministre de l'intérieur, la qualité de journaliste n'a pas été mise en cause.
    - "Malheureusement des journalistes ont été tués dans l'exercice de leur fonction. Nous cherchons bien sûr les meurtriers. (...) Anter et Kezer en tout cas étaient des journalistes. Pour nous, les autres  étaient bien des correspondants locaux des journaux" (AIi Pitirli, directeur général de la recherche, la planification et la coordination).
    Toutefois, il nous a été souligné à plusieurs reprises que certains étaient aussi des "militants", la preuve en étant que sept d'entre eux avaient été arrêtés, soupçonnes ou condamnés dans le passé pour des activités illégales. Il est à préciser que le terme "militant", en turc, signifie couramment: membre d'une organisation terroriste.
    Or dans aucun cas, il n'y à des preuves ou même des indices sérieux selon lesquels les journalistes ont été tués dans le cadre d'activités "militantes". Et si c'était le cas, il conviendrait encore de distinguer s'il s'agissait d'activités violentes ou non. La législation turque inclut sous le terme de terrorisme des délits d'opinion , amalgame inacceptable aux yeux de RSF.
    Il est pour le moins surprenant, pour ne pas dire scandaleux, que le gouvernement turc invoque des peines purgées, ou même de simples inculpations qui n'ont pas débouché sur une condamnation, pour disqualifier implicitement les morts, les priver de leur qualité de victimes.
    Tant qu'il n'y a pas de preuves d'activités violentes, notre délégation estime, à l'instar des associations professionnelles turques, que l'exercice éventuel d'autres activités par les victimes n'a aucune incidence sur leur qualité de journalistes.
    [Ce rapport peut être commandé à Reporters Sans Frontières, association suisse à l'adresse suivante: Case Postale 162, 1010 Lausanne 10, SUISSE.]