editorslinks

A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


223

20e année - N°223
Novembre-Décembre 1995
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 



LE CHAOS SORTI DES URNES EN TURQUIE

    Les élections du 24 décembre, contredisant les affirmations de Ciller et de ses partisans occidentaux selon lesquelles la ratification de l'Union douanière était la dernière chance d'arrêter la montée des fondamentalistes en Turquie, le Parti du Bien-être (RP)  de Necmeddin Erbakan est devenu avec 21,38% la force politique la plus représentative du pays.
    Ensemble avec les voix des deux autres partis turco-islamistes, 8,18% du Parti d'Action Nationaliste (MHP)  et 0,45% du Parti de la Nation (MP), le pourcentage de l'extrême-droite en Turquie a grimpé à 30% lors de ces élections. Etant donné que le RP, le MHP et le MP avaient ensemble obtenu 16,9% des suffrages lorsqu'ils s'étaient présentés sur une liste commune, les résultats électoraux montrent que l'extrême-droite en Turquie a doublé son électorat durant la période de coalitions de quatre ans DYP-CHP.
    Les principaux perdants de ces élections sont sans aucun doute les deux partenaires de la coalition, le Parti de la Juste Voie (DYP)  et le Parti Républicain du Peuple (CHP).  Le pourcentage du parti de Ciller, le DYP, est tombé de 27,03% en 1991 à 19,18% à ces élections, et celui du CHP de Deniz Baykal a chuté de 20,75% à 10,71%. Le pourcentage total des deux partenaires se situe à 29,89% alors qu'il était de 46,21% en 1991.
    Ils ont ainsi payé la note de leurs politiques économiques catastrophiques marquées principalement par une inflation astronomique, un chômage dévastateur et une dette extérieure sans précédent ainsi qu'un terrorisme d'état incessant. Les irrégularités et la fortune douteuse de la famille de Ciller ont été un des principaux facteurs de ce rejet spectaculaire de la part des couches défavoriées.
    Alors qu'une part importante de leur électorat déçu votait pour les partis d'extrême-droite, principalement pour le RP et le MHP, certains ont préféré voter pour le Parti Démocratique de Gauche (DSP)  de Bülent Ecevit. Ainsi, le pourcentage du DSP est monté de 10,75% en 1991 à 14,64% en 1995.
    Quant au principal parti d'opposition, le Parti de la Mère-Patrie (ANAP)  de Mesut Yilmaz, contrairement à toute attente, il n'a pas réussi à émerger comme le premier parti. Incapable de donner l'image d'un parti cohérent "libéral et démocratique", le pourcentage de l'ANAP, au lieu d'augmenter, a régressé de 24,01% en 1991 à 19,65% en 1995.
    Trois autres nouveaux petits partis de centre droit, le Nouveau Parti (YP),  le Mouvement de la Nouvelle Démocratie (YDH)  et le Parti de la Renaissance (YDP),  n'ont pas réussi non plus à obtenir le soutien populaire, le total de leurs voix est resté sous la barre du 1%.
    C'était aussi le cas pour le Parti Ouvrier (IP). Ses votes ont chuté de 0,44% en 1991 à 0,22% en 1995.
    La véritable surprise de ces élections a été le résultat spectaculaire obtenu par le Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP),  fondé en tant que successeur du Parti de la Démocratie (DEP).
    En dépit de toutes les pratiques répressives qu'elle a subies telles que des arrestations, des rafles dans des meetings, des assassinats, le HADEP a connu un réel succès dans les provinces kurdes au sud-est du pays. Le pourcentage du HADEP a atteint 54.35% à Hakkari, 46,47% à Diyarbakir, 37,40% à Batman, 27,77% à Van, 26,68 à Siirt, 25,86% à Sirnak, 22,01% à Mardin, 21,70% à Igdir, 18,04 à Agri, 17% à Tunceli, 16,77% à Mus et 13,61% à Sanliurfa.
    Dans beaucoup de ces provinces, les suffrages combinés de deux ou de trois des grands partis étaient moindres que ceux du HADEP. Toutefois, vingt-quatre candidats HADEP élus par le peuple ne pourront entrer au Parlement à cause du seuil national de dix pourcent.
    Par exemple, à Diyarbakir, l'arrondissement électoral de Mme. Leyla Zana, ancienne député kurde en prison, le HADEP n'a aucun député bien qu'il ait obtenu 46.47% des votes. A l'inverse, dans cette province, le DYP de Ciller a obtenu deux sièges avec 10.78%, l'ANAP trois sièges avec 13.79% et le RP cinq sièges avec 18.04%.
    Après l'expulsion et l'arrestation de députés du DEP dans la période législative précédente, cette obstruction constitue un nouveau coup porté au choix de la population kurde.
    En fait, outre l'injustice à l'égard du HADEP, la façon hâtive d'organiser les élections anticipées en adoptant une loi électorale anti-démocratique a déjà jeté une ombre sur la légitimité de ces élections. Du reste, la présence de l'état d'urgence dans les provinces kurdes, la privation des émigrés de voter dans leur pays d'accueil et le manque de temps pour les partis d'opposition comme le HADEP de se préparer aux élections et d'organiser leur campagne électorale ont empêché l'électorat de faire un choix bien élaboré. Le nombre élevé d'abstentions, 5 millions sur 34 millions, malgré le fait que le vote est obligatoire sous peine d'inculpation, en est la preuve.
    De plus, 804.470 citoyens ont manifesté leurs protestations en rendant des bulletins nuls.
    Parmi ceux qui ont émis un vote valide, 3.866.822 ne sont pas représentés au Parlement par les candidats pour lesquels ils ont voté parce que ces derniers ont été remplacés par d'autres candidats issus de partis plus grands, à cause du seuil national de dix pour-cent.
    En résumé, 10.203.353 électeurs sur les 34 millions, près d'un tiers donc, n'ont pas leurs représentants dans le nouveau parlement.
    En dépit de toutes ces pratiques injustes et du soutien des puissances occidentales, les partis de la coalition, le DYP et le CHP, ont été condamnés à une défaite sans précédent.
    Malgré cet effondrement, Ciller n'a pas abandonné le rêve de gouverner le pays en tant que Premier Ministre. En affirmant qu'un gouvernement dirigé par les islamistes pourrait mener la Turquie à une catastrophe, elle a lancé une campagne pour former une nouvelle coalition avec l'ANAP et l'un des deux partis de centre gauche, le CHP ou le DSP.
    Il s'agit d'une nouvelle hypocrisie de Ciller.
    La véritable raison de la montée du RP n'est pas seulement le souhait de retourner aux valeurs religieuses, ignorées par les gouvernements kémalistes depuis le début de la République. Comme expliqué ci-dessus, les couches populaires appauvries par les politiques économiques catastrophiques de Ciller, ont dû voter, à l'exception des provinces kurdes, pour les partis d'extrême droite comme le RP et le MHP, en l'absence d'une réelle alternative pour résoudre leurs problèmes. C'est Ciller elle-même et ses partenaires sociaux-démocrates qui sont les principaux responsables de la situation qui alarme le monde occidental.
    En outre, il n'y a pas que le RP qui exploite les sentiments religieux du peuple.
    Depuis le début de son mandat, Ciller a donné toutes les concessions aux groupes fondamentalistes. Il est très significatif que durant son mandat long de deux ans et demi, Ciller ait ouvert soixante et onze écoles religieuses de niveau secondaire à travers le pays. En outre, les diplômés de ces écoles ont été autorisés à occuper, dans le secteur public, des postes  qui n'ont aucun lien avec des fonctions religieuses.
    La coalition DYP-CHP a toujours eu des relations très étroites avec un autre parti turco-islamique, le MHP, et a joui de son appui au cours des travaux parlementaires pour faire passer de nombreuses lois répressives. Les derniers mois, Ciller a tenté de présenter aux élections une liste commune réunissant les ténors du DYP et du MHP mais a échoué au dernier moment à cause d'une dispute concernant l'attribution des places sur ces listes. Cependant, après cette dernière défaite, ses collaborateurs parlent de mener la Turquie à de nouvelles élections anticipées au cours desquelles le DYP ne recommettra pas "l'erreur" de perdre le partenariat du MHP. Elle espère ainsi obtenir aux alentours de trente pour-cent des voix et partager le gouvernement avec ce parti néo-fasciste.
    De plus, c'est Ciller elle-même et son partenaire Baykal qui n'ont pas hésité à collaborer avec le RP au cours de l'adoption du nouveau Code électoral. Grâce à cette loi, le RP a obtenu, au détriment des partis plus petits, un nombre de députés plus élevé qu'il ne mérite réellement.
    Ce qui est pire, c'est que, parmi les députés nouvellement élus, plus d'une centaine sont membres actifs de divers ordres et confréries religieux. Ces députés islamistes ne se retrouvent pas uniquement dans les rangs du  RP mais aussi dans ceux de deux partis de centre droit, le DYP et l'ANAP, qui prétendent défendre l'Etat laïc contre un RP islamiste.
    Parmi les députés DYP, il y a deux figures issues de l'ordre des Naksibendi, onze de l'ordre des Nurcu  et une de l'ordre des Kadiri.  Trois députés DYP sont connus comme étant les chefs de file de certaines communautés religieuses.
    Le célèbre Ministre d'Etat Ayvaz Gökdemir, que Ciller a gardé dans son gouvernement jusqu'aux élections en dépit du fait qu'il a traité de "prostituées" les présidentes des trois groupes politiques du Parlement Européen, est connu comme étant le représentant de l'ordre des Rifai  au Parlement!
    Quelle que puisse être l'issue des négociations de coalition dans l'année nouvelle, que ce soit un gouvernement mené par le RP ou un  gouvernement formé par le DYP et l'ANAP avec la participation ou l'appui externe d'un parti de centre gauche ou encore de nouvelles élections, l'extrême-droite sera un facteur déterminant  dans le façonnement de l'avenir de la Turquie.
   
OUTCOME OF THE 24 DECEMBER 1995 ELECTIONS

    1991    1995    Difference

Electorate    29,978,837    34,155,981    +4,177,144
Participants    25,157,089    29,101,469    +3,944,380
Rate of Participation    83.92%    85.20%    +1.28%

VALID VOTES    24,416,526    28,126,993    +3,710,467

DYP    6,600,644 (27.03%)    5,396,009 (19.18%)    -1,204,635 (-7,85%)
ANAP    5,862,639 (24.01%)    5,527,288 (19.65%)    - 335,351 (-4,36%)
RP    4,121,292 (16.88%)    6,012,450 (21.38%)    +1,891,158 (+4,50%)
MHP    -    2,301,343 ( 8.18%)    +2,301,343 (+8,18%)
YDH    -    133,889 (0.48%)    +133,889 (0,48%)
MP (former IDP)    -    127,630 (0.45%)    +127,630 (0,45%)
YDP    -    95,484 (0.34%)    +95,484 (0.34%)
YP    -    36,853 (0.13%)    +36,853 (0.13%)

TOTAL RIGHT    16,584,575 (67.92%)    19,630,946 (69.79%)    +3,046,371 (+1.87%)   

CHP (former SHP)    5,066,546 (20.75%)    3,011,076 (10.71%)    -2,055,470 (-10.04%)
DSP    2,624,310 (10.75%)    4,118,025 (14.64%)    +1,493,715 (+3,89%)
IP (former SP)    108,374 (0.44%)    61,428 (0.22%)    -46,946 (-0.22%)
HADEP    -    1,171,623 (4.17%)    +1,171,623 (+4.17%)

TOTAL LEFT    7,799,230 (31.94%)    8,362,152 (29.74%)    +562,922 (-2.20%)

INDEPENDENTS    32,721 (0.14%)    133,895 (0.47%)    +101,174 (+0,33%)




DISTRIBUTION OF THE SEATS

    1991    1995    Difference

TOTAL SEATS    450    550    +100

DYP    178 (39.55%%)    135 (24.54%)    -43 (-15.01%)
ANAP    115 (25.55%)    132 (24,00%)    +17 (-1.55%)
RP    62 (13.78)    158 (28.73%)    +96 (+14.95%)

TOTAL RIGHT    355 (78.88%)    425 (77,27%)    +70 (-1.61%)

SHP    88 (19.56%)    49 (8.91%)    -39 (-10.65%)
DSP    7 (1.56%)    76 (13.82%)    +69 (+12.26%)

TOTAL LEFT    95 (21.12%)    125 (22.73%)    +30 (+1.61%)
LE PKK DECLARE UN CESSEZ-LE-FEU UNILATERAL

    A l'appel lancé par le Parlement Européen en direction du gouvernement turc et des représentants kurdes pour trouver "une solution non violente et politique" au conflit, la seule réponse positive est venue du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).
    Au cours d'une émission de la télévision kurde MED-TV, le Président du PKK Abdullah Öcalan a dit : "Nous respectons la décision prise hier par la Parlement Européen au sujet de la recherche d'une solution politique avec le PKK et les autres parties concernées. Pour aider cette décision à produire ses effets et pour remplir nos responsabilités nous avons aussi décidé de mettre un terme au long conflit entre les groupes kurdes dans le sud du Kurdistan, de déclarer un cessez-le-feu unilatéral et de stopper nos actions militaires en Turquie.
    "Si l'armée turque ne tente pas de nous détruire, nous n'entreprendrons pas d'opération militaire au Kurdistan ou en Turquie. Si les forces turques essaient de nous détruire, nous nous défendrons et nous userons aussi de notre droit d'exercer des représailles."
    "Si je suis un terroriste, ou si le PKK est terroriste, il y a d'autres groupes kurdes qui ne le sont pas. S'ils ne veulent pas parler avec nous, qu'ils parlent avec ces Kurdes qui ne sont en rien mêlés au 'terrorisme'. Pourquoi ne pas rencontrer ces milieux kurdes? Sont-ils aussi des terroristes?"
    "La Turquie a maintenant rejoint l'Union douanière. Par conséquent, le Parlement Européen est obligé de prendre ses responsabilités dans le cadre des accords qu'il a passés. Si le Parlement Européen ne veut pas de la guerre et s'il est sincère sur la question d'une solution politique, il devrait marcher sur les traces de sa résolution. Il devrait conditionner son aide financière à la démocratisation. S'il ne peut faire cela, il doit réaliser que chacun de ces centimes sera dépensé dans la sale guerre."
    De cet appel, la présidente du groupe socialiste au Parlement, Pauline Green, a salué le cessez-le-feu unilatéral annoncé par le PKK.
    Dans un communiqué de presse daté du 15 décembre, Green a appelé le gouvernement turc à prendre des mesures réciproques pour donner "un élan à la paix."
    "Je suis ravie que le PKK ait écouté notre appel et qu'il ait décidé de faire le pas nécessaire pour la paix. Le gouvernement turc a maintenant l'opportunité d'exercer un leadership et de relever le défi qui l'attend dans le sud-est de la Turquie. Des mesures appropriées pourraient comprendre une levée de l'état d'urgence et un geste de bonne volonté à l'adresse du peuple kurde, telle la libération des députés kurdes, y compris Leyla Zana."
    Cependant, le gouvernement turc a catégoriquement refusé la proposition du PE. Après avoir fêté la ratification de l'Union douanière, Ankara a repris ses attaques contre le PE. Le 27 décembre, le porte-parole du Ministère des Affaires étrangères, Ömer Akbel, a accusé le Parlement Européen d'adopter deux poids deux mesures sur la question du terrorisme, en traitant différemment l'ETA en Espagne et le PKK en Turquie.

LE PARLEMENT EUROPEEN CEDE A LA REALPOLITIK

    Le Parlement Européen, ignorant ses propres conditions préalables concernant la "démocratisation" et faisant la sourde oreille à la mise en garde de dernière minute de la part d'organisations internationales des droits de l'homme, a légitimé le régime répressif d'Ankara au sein de l'Union Européenne avec la ratification de l'Union douanière le 13 décembre 1995.
    Le vote du Parlement Européen, 343 oui contre 149 non, et 36 abstentions, a aussi permis à la Turquie d'obtenir ECU 375 millions  de l'Union Européenne dans le cadre d'une assistance financière à la coopération pour une durée de cinq ans.
    De nombreux membres de l'assemblée qui défendaient le refus ou la remise à plus tard de l'Union douanière ont changé d'avis au dernier moment en se soumettant au chantage du Premier Ministre Ciller qui prétendait que les islamistes du Parti du bien-être (RP)  deviendraient la première force politique du pays si le Parlement Européen ne ratifiait pas l'accord.
    Avant le vote, et pendant des semaines, un certain nombre de ministres, de diplomates et d'hommes d'affaires turcs ont rempli les bâtiments du Parlement à Bruxelles et à Strasbourg pour y exercer un lobbying dans le but d'obtenir la ratification de l'Union douanière. A tel point que lors d'une réunion à Strasbourg, un somptueux banquet était offert aux membres du Parlement Européen par des hommes d'affaires turcs.
    A côté de cela, les chefs des grandes puissances occidentales, en donnant la priorité à leurs intérêts économiques et stratégiques au détriment du respect des droits de l'homme, ont tout fait pour influencer les groupes politiques du Parlement Européen pour augmenter les chances électorales de Ciller par la ratification de l'accord.
    A la grande surprise des observateurs, l'ambassadeur des Etats-Unis à Bruxelles a visité un par un chacun des présidents des groupes politiques du Parlement Européen et leur a demandé de soutenir le régime d'Ankara.
    L'ambassadeur israélien en Turquie, Zvi Elpeleg, a déclaré aux journalistes turcs le 17 décembre à Ankara qu'Israël, pays qui jouit de relations étroites avec l'Union Européenne, avait fourni un soutien considérable à la Turquie en s'engageant dans des activités de lobbying en faveur de l'Union douanière préalablement au vote du Parlement Européen. Le Premier Ministre israélien Shimon Peres a envoyé des lettres aux présidents de groupe du PE, et l'ambassadeur Elpeleg a travaillé en coordination avec les ambassades en Turquie des pays membres de l'UE.
    Pourtant, les résultats des élections du 24 décembre ont une fois de plus montré que tous ces efforts ne pouvaient empêcher d'une part le RP de devenir le premier parti politique du pays et d'autre part le DYP et le CHP de réaliser leurs plus mauvais scores électoraux de tous les temps.
    En considérant comme suffisants certains changements de façade à l'article 8, le Parlement Européen s'est rendu complice des honteuses violations des droits de l'homme dans le flanc sud-est de l'Europe avec ses prisons remplies de détenus politiques.
    Bien que la décision de l'assemblée plénière ait été suivie d'une résolution fort débattue sur les droits de l'homme, les membres du Parlement Européen savent très bien qu'aucune des résolutions similaires adoptées par le passé n'a été prise au sérieux par le régime d'Ankara.
    Dans cette résolution sur les droits de l'homme, le Parlement a appelé la Turquie à continuer dans la voie des réformes démocratiques, faire tout son possible pour trouver une solution politique au conflit du Sud-est anatolien et mettre fin à son "occupation de Chypre". Le PE a également demandé à la Commission Européenne de préparer un rapport qui lui serait soumis "au moins une fois par mois" sur l'évolution de ces questions.
    Toutefois, la résolution sur les droits de l'homme, qui n'est pas contraignante, n'a pas irrité les autorités turques qui ont dit que la version adoptée était "beaucoup plus modérée" que celle de départ.
    Après le vote, le régime d'Ankara a salué la décision du PE comme un triomphe remporté par la diplomatie turque face aux "ennemis de la Turquie". Le Premier Ministre Ciller a donné l'ordre d'organiser des manifestations de célébration dans tout le pays en vue d'exploiter cette décision dans sa campagne électorale. S'adressant à des étudiants à l'Université Bilkent d'Ankara, le 15 décembre, elle a déclaré que la Turquie serait membre à part entière de l'Union Européenne endéans les trois ans.
    Quelles que soient les raisons du "oui" du Parlement Européen, l'exposé des motifs suivant du membre espagnol du PE Carlos Carnero Gonzales, le rapporteur de la Commission des Affaires Etrangères, demeure un document indéniable mettant en évidence le vrai visage d'un régime répressif embrassé par l'Union Européenne.

EXPOSÉ DES MOTIFS

    1. Le nouveau cadre politique, économique et stratégique existant dans les régions du Moyen Orient et du Caucase impose à l'Europe de renforcer ses relations avec la Turquie, compte tenu notamment de la fin de la guerre froide et de la mise en oeuvre de la nouvelle politique euro-méditerranéenne. Au cours des années 90, la Turquie n'a cessé de renforcer son rôle au sein de la communauté internationale: il suffit de rappeler à cet égard le rôle joué par Ankara dans la "guerre du Golfe" ou la fonction de "zone tampon" que joue le territoire turc pour l'Europe vis-à-vis de l'Iran, de l'Irak, de la Syrie et de la région du Caucase. La Turquie est appelée aujourd'hui à jouer un rôle important sur le plan régional et dans le sud-est de la Méditerranée, surtout si l'on considère l 'importance acquise au cours de ces dernières années par le Moyen-Orient avec les processus incertains de paix et l'explosion de la guerre dans les Balkans. C'est dans ce contexte que la Turquie tente de redéfinir son système de relations internationales, surtout avec l'Europe et l'Asie centrale, afin de trouver la place qui lui convient sur le plan géopolitique.
    C'est précisément dans la perspective des potentialités qu'offrent les relations UE-Turquie que le Parlement européen a souligné, au cours des derniers mois, la nécessité d'obtenir du système politique turc des signes évidents d'un processus irréversible conduisant à une plus grande démocratie: l'ancrage structurel à l'Europe que représente l'union douanière doit en effet se faire entre des pays où l'État de droit et le libre exercice des droits civils, politiques, culturels, sociaux et économiques fondamentaux sont pleinement respectés. C'est dans ce contexte qu'il convient de déchiffrer les appels de l'Europe à la Turquie, qui ne sont que des indications d'une série de réformes indispensables pour établir des relations de qualité, durables, entre l'UE et la Turquie, souhaitées par tous. L'Europe et le Parlement européen veulent, pour d'évidentes raisons, que la Turquie fasse partie intégrante du système politique et économique du continent: mais ils ne sauraient tolérer que des violations des droits de l'homme, des politiques militaires visant à nier l'existence des Kurdes ou des situations de fait contraires au droit international continuent à se perpétrer dans un pays avec lequel ils entendent nouer des relations privilégiées dans tous les domaines.
    L'union douanière est un pas irréversible vers l'ancrage de la Turquie à l'Europe et prend dans ce pays une signification politique qui va bien au-delà des contenus commerciaux et économiques. Cette union douanière a été prévue dans l'accord d'association CEE/Turquie de 1963; le Protocole additionnel (entré en vigueur en 1973) fixait le calendrier de mise en oeuvre en prévoyant une période transitoire de 22 ans. La 36e session du Conseil d'association CE/Turquie du 6 mars 1995 a lancé définitivement l'union douanière qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 1996 et la 37e session du Conseil CE-Turquie du 30 octobre 1995 a confirmé que toutes les conditions techniques étaient pour cela réunies.
    Le Parlement européen n'a manifesté à aucun moment une opposition de principe à l'Union douanière. En tant qu'organe démocratique de l'union européenne, il a insisté sur la nécessité que le système politique turc évolue vers des niveaux qui permettent la normalisation des relations entre les parties. En ce sens, il a énoncé, dans toute une série de résolutions, un certain nombre de points où il estime indispensable de progresser afin d'approfondir avec ce pays les relations de tous ordres, y compris sur le plan économique. Il s'agit des points suivants:

1.1. LA REFORME DE LA CONSTITUTION DE 1982

    La Constitution actuellement en vigueur en Turquie a été élaborée en 1982 à la suite du coup d'État, par les militaires qui, le 12 septembre 1980, ont pris le pouvoir à Ankara: il s'agit d'un texte qui sacrifie à la sauvegarde et à la suprématie de l'État l'exercice des libertés politiques, civiles et sociales et qui établit un système sophistiqué de limitation des droits des citoyens, lequel - sur le plan de la législation ordinaire - a produit de véritables mécanismes de répression politique et policière, incompatibles avec un État de droit. En janvier 1995, le nombre de signatures nécessaires à la présentation à la Grande Assemblée nationale turque d'un "paquet pour la démocratie" de 21 amendements à la constitution militaire était réuni; ces amendements, bénéficiant du soutien des principales forces politiques, visaient à éliminer une série de restrictions afin de promouvoir une plus grande participation de la société civile à la vie institutionnelle et politique de la Turquie. Sur les seize amendements adoptés le 23 juillet 1995 et dûment détaillés dans le document PE 211.399 élaboré par la Direction générale des Études, il convient de noter qu'aucun d'entre eux ne concerne explicitement des dispositions destinées à promouvoir et à protéger les droits et libertés individuels, ni n'énonce de garanties pour la protection des droits de l'homme. Il s'agit le plus souvent d'ajustements institutionnels (nombre de parlementaires, convocation du parlement, abaissement de l'âge du droit de vote actif ou de l'inscription aux partis, etc.) ou de réformes marginales. Cela ne veut pas dire pour autant que des amendements importants n'aient pas été adoptés, tel celui sur le préambule qui ôte toute légitimation politique au coup d'État, celui qui étend aux syndicats et associations le droit de participation politique ou celui concernant les négociations collectives.
    On peut considérer que l'adoption de ces réformes constitutionnelles représente un fait positif dans la vie démocratique de la Turquie. Il convient de souligner que c'est la première fois qu'un Parlement turc, composé de civils, modifie une constitution imposée par les militaires. Ce phénomène confère, dans ce pays, une haute valeur symbolique au rôle des forces politiques; il est par ailleurs significatif que le "Refah Party" ait été le seul à voter contre les réformes, lesquelles ont été finalement adoptées par 360 pour et 32 voix contre. Il convient toutefois de préciser qu'un nombre important d'amendements proposés ont fait l'objet d'un marchandage politique qui en a dénaturé le sens. Parmi les "victimes" des luttes de pouvoir qu'ont livrées les partis du Parlement turc, figurent des dispositions visant à exiger que les militaires responsables du coup d'État rendent compte de leurs actes, ou à garantir toute la panoplie des droits syndicaux à tous les fonctionnaires d'état, quel que soit leur ordre ou leur grade. Il convient enfin d'attirer l'attention sur le fait qu'il existe d'autres articles de la constitution turque restreignant les droits individuels et qui n'ont même pas été évoqués lors du débat ni n'ont fait l'objet d'une discussion.
    Il ne fait aucun doute que l'importance des réformes constitutionnelles tient bien davantage à la dynamique politique et institutionnelle qu'elles ont déclenchée qu'à leur contenu même. Celui ci demeure insuffisant en ce qui concerne la promotion de niveaux démocratiques plus élevés: modifier la Constitution en tenant compte des indications du Parlement européen et du Conseil de l'Europe ne signifie pas adopter n'importe quelle réforme constitutionnelle, ainsi que le démontre l'existence d'autres articles qui auraient dû être modifiés et qui ne l'ont pas été, ou le rejet d'amendements très importants sur le plan politique. Il reste à souhaiter que cela soit le premier pas vers d'autres réformes plus profondes et que les partis qui, le 23 juillet 1995, ont soutenu les amendements harmonisent les différentes lois ordinaires avec les nouveaux principes constitutionnels de façon à répondre par des faits concrets aux critiques de la communauté internationale. Les libertés plus importantes contenues dans la nouvelle Constitution doivent désormais déboucher sur une plus grande liberté d'expression et d'information, sur une plus grande liberté de participation démocratique et de critique constructive à tous les niveaux, au stade de l'élaboration des lois.

1.2. LES DEPUTES TURCS D'ORIGINE KURDE DU DEP

    Le 7 juin 1990, a été fondé en Turquie le "People Labor Party   HEP". Une alliance électorale avec le "Social Democratic Populist Party   SHP" a abouti, en octobre 1991, à ce que certains députés d'origine kurde, défenseurs affichés de l'identité politique kurde, soient élus membres de la Grande Assemblée. Leur activité politique résolument favorable à la défense des droits du peuple kurde a provoqué de nombreuses tensions au sein du Parlement turc. Le 14 août 1993, la Cour constitutionnelle a prononcé la dissolution du HEP. Les députés concernés par cette décision ont été de ce fait amenés à constituer dans un premier temps le "Freedom and Democracy Party   OZDEP" (qui a été dissous par la Cour constitutionnelle le 23 novembre 1993), puis le "Democracy Party   DEP" (dissous par la Cour constitutionnelle le 16 juin 1994). Par un acte éminemment politique et à la demande du Procureur d'Ankara, six députés du DEP ont été privés, le 2 mars 1994, de leur immunité parlementaire: Hadip Dicle, président de ce mouvement, Ahmet Turk, Leyla Zana, Orhan Dogan, Sirri Sakik, Mahmut Alinak. Le jour suivant, ce fut le tour des députés Selim Sadak et Hasan Mezarci. Le Parlement européen dispose d'un rapport, élaboré par M. Marc Galle, concernant l'arrestation des députés turcs d'origine kurde et adopté le 15 mars 1994 (doc. PE 207.032) qui retrace toute l'affaire et auquel on se référera pour plus de détails; rappelons à ce sujet que le rapport souligne justement que "il ne fait pas de doute que la levée de l'immunité de ces parlementaires revêt un caractère essentiellement politique. Les principaux responsables ne s'en cachent pas et en particulier, Mme Tansu Ciller, Premier ministre, puisque c'est son parti DYP qui, avec l'ANAP, a pris l'initiative de faire figurer en tête de l'ordre du jour de l'Assemblée" la levée de l'immunité parlementaire des députés DEP. Le 8 décembre 1994, dans un procès truqué, dénoncé par la communauté internationale, qui a suscité les protestations de l'opinion publique mondiale et auquel ont assisté de nombreux députés européens, les députés Zana, Dogan, Dicle, Sadak et Türk ont été condamnés à quinze ans de prison pour association de malfaiteurs; le député Sedat Yurttas à sept ans et six mois, alors que Sirri Sakik et Mahmut Alniak l'étaient à trois ans et six mois pour propagande séparatiste, conformément à l'article 8 de la loi anti terroriste.
    Lors d'une visite à Ankara, votre rapporteur a eu l'occasion de transmettre aux collègues incarcérés la solidarité du Parlement européen, exprimée dans diverses résolutions, et de rappeler que l'Assemblée de Strasbourg avait dénoncé à plusieurs reprises le processus dont ils faisaient l'objet: processus à coup sûr incompatible avec un État qui se prétend démocratique, qui s'est singularisé par l'absence de garanties de la défense, qui a mis en évidence dans toute sa brutalité la persécution des organes de police de l'État contre des représentants du peuple. Les autorités turques ne doivent pas s'étonner  de la réaction internationale indignée, européenne en particulier, qu'a provoquée l'arrestation de ces députés et leur condamnation: il est en effet inacceptable que certains collègues   dans une quelconque partie du monde   soient empêchés d'exercer leurs fonctions politiques, de participer, le cas échéant, à un débat politique inhérent à tout système démocratique. La démocratie et l'État de droit ne se mesurent pas à l'imposition par la majorité de ses positions politiques mais au respect des minorités et de leur expression, dans le cadre d'un respect réciproque à l'intérieur de la légalité républicaine qui doit garantir un débat serein entre toutes les parties.
    Le 26 octobre 1995, la Cour de cassation turque, la plus haute instance judiciaire du pays, a prononcé un arrêt confirmant dans son intégralité la peine de 15 ans de prison à l'encontre de Leyla Zana, Hatip Dicle, Selim Sadak et Orhan Dogan pour "création et appartenance à une bande armée" alors que pour deux députés   Ahmet Türk et Sedat Yurttas   la peine a été annulée et les intéressés ont été libérés. Il convient également de considérer que pour deux autres députés d'origine kurde, Sirri Sakik et Mahmut Alniak, la Cour de cassation a décrété la révision de leur procès conformément à l'article 8 de la loi anti terroriste, bien que ceux ci aient été déjà libérés alors qu'ils avaient purgé plus des deux tiers de leur peine.
    Votre rapporteur entend exprimer la déception profonde et l'amertume que lui cause la décision de la Cour de cassation turque, dont la sentence s'inspire de critères davantage politiques que judiciaires, et il juge bon de rappeler la volonté européenne unanime de voir remis en liberté au plus vite les quatre autres collègues.
    Cet arrêt ouvre l'aspect supranational de la question: il faut en effet souligner que la Cour européenne des droits de l'homme, dont la Turquie a accepté la juridiction et le recours individuel au 22 janvier 1990, a été saisie de quatre recours présentés par les quatre députés incarcérés. En outre, les avocats des députés du DEP ont annoncé l'ouverture d'un recours auprès de la Commission européenne des droits de l'homme dont la Turquie a accepté la juridiction le 28 janvier 1987. Une déclaration de presse du 26 octobre 1995 du gouvernement turc précise que "la Turquie accepte la juridiction de ces deux organes européens" et qu'elle respectera par conséquent le jugement qu'ils prendront. Votre rapporteur a toute confiance en la juridiction européenne des droits de l'homme et souhaite que les deux organes judiciaires se prononcent dès que possible sur l'affaire: en même temps, il convient toutefois de souligner le point de vue de nombreux journalistes turcs qui ont dénoncé les "solutions bâtardes qui cherchent à calmer les Européens au lieu d'améliorer résolument le bien être du peuple turc et de transformer de façon irréversible la Turquie en un pays moderne".
    Votre rapporteur estime enfin qu'il convient d'explorer tout autre moyen permettant d'obtenir la libération des quatre députés encore incarcérés, notamment en ce qui concerne la possibilité d'une grâce présidentielle ("presidential pardon"), prévue par les codes turcs, ou l'adoption d'une amnistie.

1.3. LA LOI 3713 DENOMMEE LOI "ANTI-TERRORISTE"

    La loi "anti-terroriste" n° 3713, dénommée ci-après LAT, a été adoptée le 12 avril 1991 en vue de combattre les organisations qui "entendent changer les attributs de la république tels que les définit la Constitution". C'est en particulier l'article 8 qui a déchaîné la critique internationale et auquel on recourt pour réprimer les manifestations de désaccord politique qui visent l'intégrité de l'État. Si cette disposition a pour raison d'être de fournir des instruments légitimes à l'État turc pour se défendre contre d'éventuelles tentatives terroristes visant à changer le caractère de l'État et à saper son unité, il convient de dire que la formulation de l'article 8 LAT et surtout sa mise en oeuvre ont introduit dans la société turque des pratiques d'intimidation, liberticides et, en substance, anti démocratiques de la part des "State Security Courts".
    Qu'il soit bien clair ici que nul ne désire mettre en cause le droit du gouvernement turc d'oeuvrer par des instruments légaux pour le maintien de l'intégrité territoriale. La lutte contre le séparatisme sert souvent de prétexte pour contrôler toutes les critiques formulées à l'encontre de l'État et de ses méthodes pour résoudre la "question kurde": le reste du travail a été fait par le concept d'"intégrité de l'État" qui, dans l'acception et la jurisprudence appliquées par les "State Security Courts", a jeté en prison des centaines de journalistes, d'intellectuels et d'activistes des droits de l'homme. En effet, l'article 8 sanctionne surtout l'exercice du droit à la liberté d'information et du droit d'expression. L'histoire de l'article 8 LAT est jonchée d'arrestations, d'abus de pouvoir, de censures de la presse, de violations des droits de la défense, de détentions arbitraires. Les principales cibles sont évidemment les journaux qui jugent plus ouvertement que les autres la politique gouvernementale concernant les zones du sud-est du pays.
    Conformément aux demandes du Parlement européen et aux rencontres que votre rapporteur a eues en Turquie et à Bruxelles avec de nombreux opposants politiques turcs, le parlement turc a adopté une réforme de l'article 8 LAT, le 27 octobre dernier, par 189 voix pour, 83 voix contre et 2 abstentions. Les principales nouveautés introduites par la réforme sont les suivantes: a) la peine pour "propagande séparatiste" passe de 2-5 ans à 1-3 ans; b) cette peine peut être commuée en une amende de 100 à 300 millions de livrès turques, selon le pouvoir discrétionnaire du juge; c) introduction du concept d"'intention"; d) dans l"'exposé des motifs", les juges sont tenus de mettre en oeuvre la nouvelle loi conformément à la Convention européenne sur les droits de l'homme; d) tous les procès qui se sont déroulés dans le cadre de l'ex-article 8 devront être révisés, ce qui, souhaitons-le, amènera la libération de nombreux détenus.
    En même temps, toutefois, 1) le délit de "propagande visant à détruire l'intégrité indivisible de l'État" conserve toute son ambiguïté dans la jurisprudence discutable appliquée par les State Security Courts; 2) les propriétaires des journaux qui diffusent la "propagande séparatiste" continuent à être passibles d'une amende et de peines de prison; 3) paradoxalement, la nouvelle loi "modernise" la répression en infligeant des amendes et des peines de prison également aux propriétaires de chaînes de télévision et de radio diffusant de la "propagande".
En somme, malgré la réduction de la peine, le délit d'opinion demeure, alors qu'on s'attendait précisément à ce qu'il soit supprimé. En effet, si les State Security Courts continuent à appliquer tel quel cet article et si le gouvernement ne fournit pas des garanties explicites en ce sens, la réforme proposée risque de ne pas produire les éléments de libéralisme politique et de démocratie réclamés par diverses parties. C'est en ce sens que vont par exemple les déclarations faites par plusieurs opposants d'associations turques et internationales de défense des droits de l'homme, qui ont dénoncé le "changement de façade" de l'article 8 qui ne porte pas atteinte à la nature des délits ni n'élimine l'existence du délit d'opinion politique pour lequel il a été confirmé.
    Votre rapporteur demeure en outre préoccupé par l'existence de nombreuses autres lois au contenu fort semblable à celui de la loi anti-terroriste, et souvent méconnues. Il ne faut pas penser en effet pouvoir obtenir la totale liberté d'expression en Turquie en se contentant simplement de supprimer l 'article 8: c'est une législation tout entière qui s'inspire des mêmes principes qui doit être révisée, et l'existence-même d'une distinction établie entre la "justice civile" gérée par des tribunaux ordinaires - et la "justice militaire" - gérée par les "State Security Courts" - en dit long sur le problème. Votre rapporteur estime que l'ensemble de la législation militaire devrait en principe être aboli ou révisé parce que les abus commis contre les droits civils et politiques des citoyens trouvent, comme on l'a dit précédemment, leur origine dans la Constitution même de 1982.

1.4 LES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE

    La situation des droits de l'homme en Turquie continue à être une source de préoccupations pour la communauté internationale, du fait de l'important contrôle qui est exercé par les principales associations turques et internationales de défense de la dignité humaine. Tous s'accordent à dénoncer pour l'ensemble de l'année 1994 et pour une grande partie de l'année 1995 de nombreux cas de tortures, d'exécutions arbitraires et de morts suspectes au cours de la détention, de disparitions forcées de dissidents, de recours excessif à la force par les forces de sécurité, d'emprisonnements de journalistes, d'intellectuels, de militants des droits de l'homme.
    Par ailleurs, énonce le rapport 1995 du département d'État américain, le gouvernement poursuit très rarement les membres de la police ou des forces de sécurité pour les exécutions arbitraires, les tortures et d'autres violations des droits de l'homme; quand cela se produit, les verdicts sont généralement très cléments. "Le climat d'impunité qui en découle constitue le plus grand obstacle à la diminution des exécutions illégales, des tortures et d'autres violations des droits de l'homme" déclare le rapport. C'est précisément cette impunité qui constitue le principal obstacle à l'amélioration de la situation des droits de l'homme en Turquie.
    En présentant leurs rapports annuels pour 1995, l'Association turque des droits de l'homme et la Fondation turque des droits de l'homme, dont l'union a souvent financé les activités pour les garanties de sérieux qu'offrent ces organismes, ont fait état d'une aggravation de la situation au cours de l'année 1994, ce que confirment les données fournies par Amnesty International.
    L'atmosphère d'impunité dans laquelle les soldats sont autorisés à agir dans le sud-est du pays s'étend désormais à tout le personnel de police et des forces de sécurité du pays" dénonce Amnesty. Et Amnesty poursuit: "En cherchant à masquer l'ampleur des violations des droits de l'homme en Turquie, le gouvernement poursuit les défenseurs turcs des droits de l'homme, ordonne la fermeture des sièges d'associations turques de protection de la dignité humaine, prend des mesures pour limiter la liberté de la presse pour l'opposition." A propos de la torture: "Des rapports continuent à faire état de tortures perpétrées quotidiennement dans de nombreuses parties de la Turquie, mais surtout à Istanbul, Ankara, Izmir, Adana et dans le Sud-Est. La torture est principalement pratiquée dans les postes de police et de gendarmerie (…)".
    Le rapport mondial de 1995 sur l'observation des droits de l'homme constate également que la situation "a continué à se détériorer en 1994, en grande partie à cause de la réponse musclée apportée par le gouvernement à l'escalade du conflit dans le sud-est de la Turquie". Le rapport contient des accusations très sévères et qui n'ont pas reçu de démentis: "Des assassinats semblables à ceux perpétrés par les escadrons de la mort et des disparitions suspectes ont été la règle en Turquie au cours des dernières années, notamment dans le Sud-Est, et ont connu une recrudescence en 1994. La victime était soit tuée par des assaillants non identifiés, d'un coup de feu dans la tête, soit arrêtée par les forces de sécurité qui prétendaient par la suite l'avoir relâchée. Les victimes ont même soupçonné des sympathisants du PKK, des organisateurs de l'HADEP et du DEP, des journalistes de publications pro-kurdes et des militants syndicaux. Parfois, le corps de la victime était découvert des jours plus tard au bord d'une route ou avait purement et simplement disparu. Les assassins étaient soupçonnés d'entretenir dans l'ombre des liens avec les forces de sécurité. Il arrivait souvent que la police ne se livre à aucune enquête sérieuse". L'existence présumée d'"escadrons de la mort" paramilitaires ou para-gouvernementaux ne peut pas ne pas inquiéter tous ceux qui ont pour souci primordial la protection des droits de l'homme.
    C'est avec grande préoccupation que votre rapporteur observe l'inaction fondamentale de la justice turque et des responsables politiques en ce qui concerne les questions relatives aux droits de l'homme, surtout quand il s'agit de cas flagrants, documentés et détaillés de violations de la dignité humaine, qui devraient être combattus de façon exemplaire. Peut-être, ainsi que le soutient également la Commission européenne dans ses documents, est-il vrai qu'il existe en Turquie une prédisposition latente de la société turque à accepter le recours à la force physique pour obtenir des résultats légitimes, mais ces procédés ne sauraient être tolérés par aucun système qui se prétend démocratique et on ne saurait non plus tolérer qu'au nom de l'indépendance, de l'intégrité ou de l'intérêt supérieur de l'État, on laisse agir librement et sans aucun contrôle démocratique substantiel, non officiel, l'armée, les militaires, les agents de la sécurité de l'État, les services secrets.
    Un certain nombre d'importantes conventions internationales déjà ratifiées par Ankara, telles que la "Convention européenne pour la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants" ou la "Convention européenne des droits de l'homme" ne sont malheureusement toujours pas appliquées en Turquie. Des initiatives ont été prises récemment, telles que la réforme du "Criminal Procedure Law", de nouvelles dispositions ont été adoptées concernant le traitement des prisonniers, l'interdiction de recourir, en tout état de cause, à la torture, la commutation de la peine capitale en détention à vie ou la création de certains organes parlementaires ou gouvernementaux de contrôle des droits de l'homme: mais il s'agit de mesures à coup sûr insuffisantes, qui devraient être assorties d'une forte volonté politique de poursuivre les auteurs des crimes contre la dignité humaine qui sont, au contraire, tolérés.

    1.5. LA "QUESTION KURDE"

    La politique d'assimilation forcée de la population d'origine kurde dans le sud-est du pays par le biais d'une évidente option militaire dé la part du gouvernement turc, la radicalisation du PKK et l'adoption de méthodes terroristes par celui-ci, l'appauvrissement du sud-est du pays avec la marginalisation qui en résulte de sa jeunesse sont essentiellement à l'origine de ce que l'on a appelé la "question kurde" en Turquie. Le Parlement européen estime depuis longtemps que le problème kurde ne peut être résolu militairement car la guerre engendre des violations des droits de l'homme à grande échelle et empêche la création d'un cadre politique et social de coexistence pacifique entre Turcs et Kurdes.
    La guerre a des effets dévastateurs, dans les domaines économique, militaire, social et politique. On estime qu'au moins 300.000 soldats de l'armée turque opèrent dans les provinces du Sud-Est et qu'Ankara dépense plus de 8 milliards de dollars par an en effort de guerre: la dette extérieure, d'au moins 67 milliards de dollars, ne fait qu'augmenter à cause notamment des importantes dépenses militaires. Après dix ans de conflit, des sources militaires turques font état d'au moins 9.982 personnes tuées lors d'activités militaires anti-kurdes, dont 2.197 soldats turcs, 4.757 militants du PKK, 3.028 civils auxquels il faut ajouter 3.188 blessés graves. De source kurde, il est fait état d'au moins 34.000 personnes tuées, dont au minimum 5.000 civils. A ces chiffres, il faut ajouter 1.400 villages bombardés ou incendiés par l'armée et environ 3 millions de personnes déplacées. Des sources indépendantes font état de politiques gouvernementales fondées sur des déportations forcées dans les villages du Sud-Est, de bombardements à large échelle et d'incendies de villages entiers, d'un embargo alimentaire contre plus d'une centaine de villages. Ces mesures ont été souvent dénoncées, y compris par d'éminents parlementaires et des acteurs de premier plan de la vie politique nationale turque.
    Le fait est que dans le sud-est du pays, toutes les parties au conflit sont à l'origine de violations des droits de l'homme et le font au nom d'une cause qui ne pourra jamais trouver de solution par les armes. La question kurde en effet ne peut être niée dans son essence: il existe une conscience et une identité collective des Kurdes. En tant qu'ensemble harmonieux de peuples amis de la Turquie, intéressée à des relations plus étroites avec Ankara, l'Europe et son expérience historique montrent qu'il est possible d'assurer la coexistence pacifique de spécificités diverses, sans porter atteinte à l'intégrité des différents États, quand le dialogue et la négociation s'imposent. Il faut renouer le dialogue et rétablir le respect réciproque, l'un et l'autre devant primer sur les extrémismes respectifs, car il est possible partout dans le monde, y compris en Turquie, de restaurer une communauté tolérante capable de s'exprimer diversement au sein d'un Etat unitaire.
    Il est par conséquent nécessaire de déposer les armes en Turquie et dans le sud-est du pays et de trouver d'autres voies pour fixer des conditions de coexistence démocratique et pacifique. Cette coexistence est une perspective inéluctable pour les Turcs et les Kurdes; la sagesse de la société civile confirme que dans la pratique quotidienne cet objectif peut être atteint, sans difficultés insurmontables. Dans ce cadre, le débat politique qui s'instaure en Turquie sur la "question kurde" et le rôle d'une presse véritablement indépendante, entravés l'un et l'autre par des lois et des pratiques d'intimidation à l'égard de tout ce qui est l'information relative aux Kurdes, acquiert une importance fondamentale. Comme toujours, la lutte pour la propagande produit une autre propagande qui entraîne une schématisation des positions politiques des uns et des autres, amenant "tous les Kurdes" à être des "terroristes du PKK et des séparatistes" même si tel n'est pas le cas (comme le montre un récent sondage de l"'Union des chambres de commerce turques TOBB"), conduisant "tous les Turcs à vouloir l'extermination", même s'ils ne veulent que la fin du terrorisme. Votre rapporteur déplore cette situation et est convaincu en revanche que la fin des hostilités militaires pourrait créer les conditions politiques pour l'instauration d'une coexistence pacifique entre les communautés turques et kurdes de Turquie, dans le cadre du respect de leur intégrité territoriale en tant qu'Etat, ainsi que le souhaite certainement la majorité de la population.

1.6. CHYPRE

    Le 20 juillet 1974, la Turquie intervient militairement à Chypre. En novembre 1983, elle s'autoproclame "République turque de Chypre du Nord", dans un total mépris du droit international et en l'absence de tout fondement constitutionnel. La résolution 541/83 du Conseil de sécurité des Nations unies déclare illégale cette proclamation et invite la communauté internationale à ne pas reconnaître la situation de fait instaurée par les Turcs.
    La Coopération politique européenne a toujours respecté les indications des Nations unies en reconnaissant le gouvernement de la République de Chypre comme l'unique gouvernement habilité à exercer une juridiction sur l'ensemble du territoire de l'île. Entre-temps, elle a toujours soutenu les efforts diplomatiques et politiques en vue de parvenir à une solution du "problème cypriote" qui a jusqu'alors compliqué les relations entre la Turquie et l'Union européenne. Pour une analyse approfondie de la question cypriote et l'évolution récente en la matière, on se référera au rapport Bertens "sur la demande d'adhésion de Chypre à l'Union européenne" (doc. A4-156/95), adopté à Strasbourg en juillet 1995, qui expose de façon très claire la contribution européenne au problème ainsi que l'état des négociations - pratiquement interrompues depuis longtemps - qui se déroulent sous les bons offices du Secrétaire général des Nations unies. À ce titre, il est intéressant de souligner que, dans son rapport du 30 mai 1994, le Secrétaire de l'ONU dénonce la situation d'enlisement total dans laquelle se trouvent les discussions étant donné que "l'absence d'accord est due principalement à l'absence de volonté politique de la partie turco-cypriote". Le 29 juillet 1994, le Conseil de sécurité de l'ONU a par ailleurs adopté la résolution 939/94 dans laquelle le statu quo à Chypre était jugé "inacceptable", et se trouvait aggravé par la décision du parlement illégitime de la partie septentrionale de Chypre d'abandonner l'idée de la fédération comme base d'un règlement de paix, contrairement à toutes les résolutions ad hoc du Conseil de sécurité des Nations unies: décision qui apparaît comme un boycottage délibéré des efforts diplomatiques des Nations unies.
    Conformément aux résolutions ad hoc des Nations unies et du Parlement européen, votre rapporteur estime à l'évidence que la Turquie doit respecter toutes les délibérations internationales et appliquer les résolutions du Conseil de sécurité de façon à mettre fin à l'occupation illégale de Chypre.

2. REMARQUES FINALES.

    Ci-après, quelques brèves considérations générales sur la situation de la Turquie et l'union douanière CE/Turquie:

    2.1. La Turquie connaît actuellement une situation politique extraordinairement complexe, que l'on peut à coup sûr définir de transition. Votre rapporteur estime à ce sujet que les positions adoptées à ce jour par le PE jusqu'à cette date contribuent à concrétiser et à accélérer ce processus de transition et continueront à le faire: il ne croit pas en revanche que les positions du PE soient de nature à encourager les secteurs conservateurs ou les secteurs fondamentalistes qui fondent leur influence sur des phénomènes politiques et socio-économiques présents dans la société turque;

    2.2. Le système politique en vigueur en Turquie est à tous égards une démocratie qui demande à être perfectionnée, dans laquelle on remarque l'absence de mécanismes essentiels pour l'exercice de libertés fondamentales très importantes; la mise en oeuvre de l'union douanière devrait servir, le moment venu, à ce que le processus de transition que connaît la Turquie débouche sur l'établissement d'une démocratie intégrale qui permette d'affronter les principaux problèmes du pays. Le Parlement européen est en mesure d'aider les secteurs les plus dynamiques de la société turque à mener à bien ce processus en offrant toutes les garanties de succès face aux secteurs qui s'y opposent et qui occupent certainement des positions-clé du pouvoir politique et institutionnel;

    2.3. Dans une situation aussi complexe que celle que présente la Turquie, les questions abordées par le PE dans ses résolutions et exposées par votre rapporteur au cours de son récent voyage (d'une part, réformes constitutionnelles, mise en liberté des députés du DEP, abolition ou modification substantielle de l'article 8 de la loi anti-terroriste et de la législation ordinaire concomitante, arrêt des violations des droits de l'homme; et, d'autre part, traitement non militaire de la question kurde et acceptation des résolutions de l'ONU sur Chypre) ont clairement été perçues comme une demande d'approfondissement, d'élargissement, d'amélioration et de normalisation de la démocratie;

    2.4. Votre rapporteur estime enfin que le PE devrait donner son avis conforme à l'Union douanière avec la Turquie uniquement si des progrès substantiels sont constatés à court terme dans les principaux domaines énumérés dans le présent document, en ce qui concerne notamment l'extension et le renforcement de la démocratie ainsi que l'exercice des libertés fondamentales, faute de quoi il se priverait de l'occasion qui lui est donnée de participer au développement de la démocratie dans ce pays, objectif que désire sans doute atteindre la majeure partie des citoyens.

    2.5. Quoi qu'il en soit, des élections politiques anticipées sont prévues à court terme en Turquie. Le Parlement européen souhaite que le nouveau gouvernement et la nouvelle majorité qui sortira des urnes s'engagent à promouvoir d'autres réformes politiques et institutionnelles plus profondes en Turquie afin de répondre à la demande d'accroissement de la démocratie émanant de la société civile. Ces élections constituent et constitueront une nouvelle possibilité pour le Parlement européen de contribuer à l'approfondissement démocratique du système politique turc.

LA RÉSOLUTION SUR LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME

    Le Parlement européen,
    A. ayant donné, le 13 décembre 1995, son avis conforme sur la position commune de la Communauté au sein du Conseil d'association CE-Turquie relative à la mise en place de la phase définitive de l'union douanière,
    B. considérant que la Turquie devrait respecter les règles des organisations internationales auxquelles elle a adhéré et des accords qu'elle a signés, notamment les règles des Nations unies, du Conseil de l'Europe, de l'OSCE, de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Convention internationale contre la torture,
    C. rappelant que, au moment où ils ont décidé la création de l'Union, les chefs d'État des États membres de l'Union européenne ont confirmé leur engagement à l'égard des principes de liberté, de démocratie et de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'État de droit,
    D. convaincu que la mise en oeuvre de la phase finale de l'union douanière constitue une étape décisive du développement des relations entre la Turquie et l'Europe et que, dès lors, l'Union européenne, ses États membres et la Turquie doivent, dans le cadre du dialogue, veiller à ce que ces valeurs communes soient mises en oeuvre de manière plus efficace encore,
    E. convaincu que ces relations et ce dialogue seront bénéfiques pour les deux parties dans la mesure où elles renforceront la Turquie en tant que démocratie laïque au carrefour de l'Asie centrale et du Moyen-Orient,
    F. considérant cependant que des informations continuent de montrer que des violations des droits de l'homme sont encore commises et que, s'il y a eu certaines améliorations, la situation des droits de l'homme et la démocratie laissent toujours beaucoup à désirer en Turquie,
    G. considérant que le gouvernement turc et la Grande Assemblée nationale ont commencé récemment à apporter des modifications positives à la Constitution et à d'autres dispositions concernant les droits de l'homme et les libertés fondamentales,
    H. constatant que les actes terroristes du PKK se poursuivent, en particulier, mais pas uniquement, dans la région sud-est de la Turquie,
    I. constatant que dans cette même région, le gouvernement turc continue de prendre des mesures militaires à caractère répressif, par exemple l'évacuation de villages kurdes,
    J. constatant que rien de concret n'a été fait pour régler le conflit de Chypre et mettre fin à l'occupation turque d'une partie de ce pays;
    1. invite l'Union européenne, ses États membres et la Turquie à appuyer sans réserve un dialogue large et permanent visant à promouvoir le respect des droits de l'homme et les libertés et demande au gouvernement turc et à la Grande Assemblée nationale de poursuivre l'indispensable processus de réforme de la Constitution et des dispositions pénales pour garantir une amélioration continue de la situation des droits de l'homme et une réforme démocratique en Turquie;
    2. invite l'Union européenne, ses États membres et la Turquie à utiliser tous les moyens disponibles pour traduire ce dialogue dans les faits, notamment à travers le Conseil d'association et la commission parlementaire mixte et le partenariat euroméditerranéen approuvé à la conférence de Barcelone;
    3. lance un appel au gouvernement turc, au PKK et à d'autres organisations kurdes pour qu'ils mettent tout en oeuvre afin d'apporter une solution politique non violente au problème kurde; demande au PKK de renoncer à la violence et au gouvernement turc et à la Grande Assemblée nationale de lever le couvre-feu en vigueur dans la région du sud-est et d'examiner les moyens de permettre aux citoyens d'origine kurde d'exprimer leur identité culturelle, tout en garantissant et en respectant l'unité territoriale de la Turquie;
    4. demande au gouvernement turc et à la Grande Assemblée nationale de réexaminer le cas des quatre membres de la Grande Assemblée nationale et des autres personnes qui sont toujours détenues, en envisageant une nouvelle loi d'amnistie;
    5. demande au Conseil et à la Commission ainsi qu'aux Nations unies et au gouvernement de Chypre de tout mettre en oeuvre pour faire cesser la partition de l'île et demande instamment au gouvernement turc de franchir des étapes concrètes dans cette voie en appliquant la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies relatives à cette question;
    6. invite le Conseil et la Commission à contrôler en permanence les droits de l'homme et l'évolution démocratique en Turquie et demande à la Commission de présenter au moins une fois par an un rapport au Parlement européen sur la situation;
    7. demande au gouvernement turc d'être rigoureux dans l'application de la loi sur la torture et les mauvais traitements infligés aux prisonniers; souligne que la torture est un problème particulièrement grave dans les locaux de la police et demande au gouvernement turc de ne pas se retrancher derrière un quelconque article de la Convention internationale contre la torture lui permettant de refuser la publication de rapports sur la torture en Turquie;
    8. se déclare determiné à suivre attentivement l'évolution en Turquie afin de réagir immédiatement si le gouvernement turc ou la Grande Assemblée nationale revenaient sur leurs efforts visant à renforcer la démocratie et à garantir le respect intégral des droits de l'homme, principes qui caractérisent la démocratie d'Europe occidentale à laquelle la Turquie aspire, et rappelle à ce pays que l'avis conforme qu'il a émis doit être considéré comme un encouragement répondant à l'engagement pris par le gouvernement turc de poursuivre le processus de démocratisation et l'amélioration de la situation des droits de l'homme;
    9. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, aux gouvernements des États membres, au gouvernement de la Turquie et à la Grande assemblée nationale turque, au gouvernement chypriote ainsi qu'au Secrétaire général des Nations unies.

ANKARA IGNORE SON ENGAGEMENT SUR CHYPRE

    Deux semaines seulement après la ratification de l'Union douanière, la Turquie a contrevenu à son engagement concernant le problème de Chypre dans l'accord.
    Ankara a assuré de son soutien continu et ferme, au niveau le plus élevé, la soi-disant République Turque de Chypre du Nord (RTCN)  et a promis aux Chypriotes turcs qu'ils profiteront "de la manière la plus large possible" des avantages qui résulteront de l'accord d'union douanière qu'Ankara a conclu avec l'Union Européenne.
    Une déclaration commune publiée à l'issue d'un sommet à Ankara le 28 décembre entre le Président turc Süleyman Demirel et le Président de la RTCN Rauf Denktas a fait apparaître que la partie turque pourrait consentir à l'adhésion à l'UE d'une Chypre fédérale seulement après que la Turquie soit admise comme membre à part entière de l'Union et pas avant.
    Ankara a aussi promis d'égaliser les efforts d'armement avec ceux de l'alliance grecque et chypriote grecque sur l'île, bien qu'il n'ait pas concrétisé d'"Accord de Coopération en matière de Défense" recherché par la partie chypriote turque pour contrer un accord similaire du côté grec.
    Un Denktas visiblement joyeux a dit aux reporters qui suivaient l'annonce de la Déclaration Commune à une conférence de presse après le sommet Turquie-RTCN que c'était "le plus beau cadeau de Nouvel An qu'il aurait pu recevoir". "Naturellement, il y avait certaines préoccupations à propos de la direction que prennent les choses et ce qui va se passer. Maintenant, notre peuple et le monde entier trouvera les réponses à ces questions dans cette déclaration," a déclaré Denktas.
    Demirel a, pour sa part, dit aux journalistes à la conférence de presse commune avec Denktas qu'il y aurait certaines difficultés auxquelles il faudrait faire face du fait que la Turquie fait désormais partie de l'Union douanière avec l'UE.
    "Comme la Turquie essaye de marcher de front avec l'Europe, la RTCN devra marcher de front avec la Turquie. Il en résultera une RTCN marchant de front avec l'Europe. La Turquie aidera la RTCN à surmonter les difficultés qui verront le jour" a dit Denktas.
    Les analystes diplomatiques turcs à Ankara ont affirmé que cette déclaration "plongerait la partie grecque et ses soutiens en Europe dans une rage folle". Ils ont ajouté que l'action turque apparaît comme une "préemption", étant donné qu'il y a beaucoup de discussions et d'activités à propos de l'éventuelle "adhésion de Chypre à l'UE". "De manière claire, Ankara ne veut pas apparaître inactif à un moment où il y a tellement de spéculations autour de la question chypriot," ont-ils dit.
   
LE PRIX SAKHAROV DE LA LIBERTE POUR LEYLA ZANA
   
    La députée kurde emprisonnée Leyla Zana s'est vue décerner le 9 novembre le prestigieux Prix Sakharov pour la liberté de pensée du Parlement Européen.
    Mme. Zana, 34 ans, qui purge actuellement en Turquie une peine de quinze ans de prison pour avoir défendu les droits de l'homme du peuple kurde, a été désignée pour recevoir le prix par le groupe socialiste du Parlement fort de 217 voix.
    Le chef de file des socialistes du PE, Pauline Green, a dit après la décision : "La récompense attribuée constitue la reconnaissance de la fermeté de Leyla Zana, de son courage et de son leadership face à la répression sans pitié. Leyla Zana inscrit aujourd'hui son nom sur la liste d'honneur des lauréats du Prix Sakharov aux côtés de gens comme Nelson Mandela, Alexander Dubcek, le prix Nobel Aung San Quu Kyi et l'écrivain bannie Teslima Nasreen."
    "Le Parlement Européen a reconnu la justesse de notre combat et a condamné les politiciens qui, pour leurs intérêts personnels et ceux de leurs groupes ou au nom d'un nationalisme fanatique et dépassé, ont mené notre pays au bord de la catastrophe sociale et de la guerre civile," a dit Leyla Zana. Elle a fait ce commentaire, à partir de sa prison d'Ankara, dans un communiqué qui a  été publié par Le Comité International pour les Parlementaires Kurdes Emprisonnés en Turquie  basé à Paris.
    Un responsable du Ministère turc des Affaires étrangères a déclaré à Reuters  : "Cette décision n'apporte aucun crédit au Prix Sakharov. Ce n'est pas un événement heureux du point de vue des droits de l'homme qu'un prix ait été donné à un individu dont les liens avec un groupe terroriste a été prouvé par une décision d'une cour. Nous ne pensons pas que la question mérite plus de commentaire."
   
LA TURQUIE, MEMBRE A PART ENTIERE DE L'UEO?

    L'Assemblée Parlementaire de l'Union d'Europe Occidentale (UEO)  a adopté le 8 décembre un rapport qui propose que le statut de participation de la Turquie dans cette organisation soit élevée de membre associé à membre à part entière. Le rapport demande qu'une invitation soit adressée à la Turquie, de même qu'à la Norvège et à l'Islande, qui actuellement ont aussi le statut de membre associé, pour signer l'article 5 de l'Accord de Bruxelles.
    Comme l'article 5 de l'OTAN, cet article de l'Accord de Bruxelles qui régit l'UEO prévoit aussi une disposition du type "un pour tous et tous pour un", mais est plus obligatoire que son homologue de l'OTAN.
    En attirant l'attention sur l'importance stratégique vitale de la Turquie pour l'Europe, le rapport dit que l'inclusion de la Turquie, ainsi que la Norvège et l'Islande, va également lever certaines confusions actuellement éprouvées au sein de l'organisation. Le rapport soutient aussi que si la Turquie est maintenue hors de l'UEO, cela pourrait forcer Ankara à reconsidérer même sa place au sein de l'OTAN.
   
LA QUERELLE DE L'EAU ENTRE LA TURQUIE ET LE MONDE ARABE S'AGGRAVE

    La finalisation par Ankara d'un accord de crédit pour le barrage de Birecik sur le fleuve Euphrate a formé un nouveau point névralgique entre la Turquie et ses pays voisins arabes. Le barrage de Birecik, qui a une capacité de réservoir de 620 millions de m3, sera capable de produire entre 1,7 et 2,5 milliards kW/an.
     Le barrage de Birecik a pour but de réguler le débit de l'eau en provenance du barrage Atatürk. La Turquie affirme que Birecik va réguler la variation de la quantité d'eau dans le but de fournir un approvisionnement en eau plus régulier aux pays situés en aval.
    La Syrie, gênée par la construction, a fait pression sur de nombreux pays arabes et occidentaux.
    D'abord, la Ligue arabe a fait une déclaration pour pousser la Turquie à réaliser un accord équitable avec la Syrie.
    Le 28 décembre, l'Egypte et six états arabes du Golfe, Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, se sont rangés du côté de la Syrie dans sa bataille pour l'eau avec la Turquie, en pressant Ankara de signer un accord équitable avec Damas pour le partage des eaux de l'Euphrate.
    Les ministres des Affaires étrangères ont critiqué Ankara pour la construction de barrages sur le fleuve sans consulter les autres états qu'il traverse - Syrie et Irak. "Les ministres appellent le gouvernement turc à cesser l'écoulement des eaux sales en direction de la Syrie et de trouver un accord juste et acceptable pour le partage des eaux de l'Euphrate," a ajouté le communiqué.
    Les tensions entre la Turquie et la Syrie sur la question de l'eau ont été reportées à l'année nouvelle lorsque le Ministre turc des Affaires étrangères Deniz Baykal a accusé la Syrie de vouloir laver le sang qu'elle a sur ses mains avec plus d'eau.
    Baykal a ajouté que le PKK était soutenu par la Syrie et son chef, Abdullah Öcalan, a été autorisé à résider dans ce pays. Il a exhorté la Syrie à adopter une nouvelle attitude dans ses relations avec la Turquie.

LE DOSSIER TURC: TORTURE ET IMPUNITÉ

    L'Association pour la Prévention de la Torture (APT) a édité récemment un nouveau document intitulé Dossier Turquie: Torture et Impunité: Quelles Réactions?
    Ce dossier comporte deux parties. La première partie concerne les violations systématiques des droits de l'homme, et en particulier la pratique de la torture, et s'attache à mettre en évidence que face aux persécutions visant en particulier les défenseurs des droits de l'homme, règne une impunité quasi absolue pour les auteurs de ces violations, qui est favorisée par toute une série de mécanismes.
    La deuxième partie de ce dossier porte d'une part sur les réactions officielles turques face aux critiques contre la violence, la torture et l'impunité des tortionnaires, et d'autre part sur les réactions internationales, européennes en particulier. Cette synthèse contribue à dessiner quelles sont les attentes et les attitudes respectives.
    Nous reproduisons l'Introduction de ce dossier:
    "Il faut souligner que face à la torture et aux violations des droits de l'homme, les autorités turques se sont engagées dans une certaine mesure dans la voie de meilleures garanties. Pour ne considérer que quelques exemples, se référer à la circulaire du Premier Ministre de mars 1995, sur un meilleur contrôle des méthodes policières, l'établissement et le rapport du Haut Conseil consultatif sur les droits de l'homme, une série de séminaires sur les droits de l'homme organisés à l'intention de policiers, ou encore l'annonce de l'introduction de l'enseignement des droits de l'homme dans le programme scolaire.
    "Mais le chemin vers l'établissement d'attitudes plus respectueuses des droits de l'homme et de mécanismes préventifs faisant le poids face aux méthodes actuelles, pour ne pas parler de l'éradication-même des maux dénoncés, sera encore long. Il faut donc en appeler à des engagements très fermes dans cette direction. Si l'on y regarde de près, en effet, on s'aperçoit malheureusement que ces mesures n'ont pu à elles seules amener de changement notable.
    "Toutes ces mesures, positives soient-elles, ne suffiront pas en effet à éradiquer la pratique de la torture en Turquie, sans qu'un ensemble de mesures conséquentes soit introduit au niveau constitutionnel, législatif, structurel et procédural, et en particulier en matière de lutte contre l'impunité.
    "La pratique de la torture reste en effet systématique en garde à vue. Elle existe également, mais plus sporadiquement, dans les prisons, où persistent d'autre part une pratique de traitements inhumains et dégradants ainsi que des problèmes médicaux importants. Tant les prisonniers politiques que les prisonniers de droit commun sont victimes de cet état de fait, même si l'on constate cependant une répression plus systématique envers les premiers. Et l'impunité des responsables de ces violations des droits de l'homme est nourrie par un appareil répressif très fort (pouvoirs de l'armée et de la police, forces spéciales, tribunaux de sûreté de l'Etat - DGM, etc.).
    "Il faut y voir de la part du pouvoir actuel, d'une part, un manque de fermeté dans son engagement dans la lutte contre la torture et les violations des droits de l'homme, car certains dirigeants turcs se contentent de quelques changements de surface sans s'attacher à la mise en place d'institutions et de procédures véritablement démocratiques (c.f. par exemple quand ils ne s'élèvent pas contre la condamnation de parlementaires pour avoir usé pacifiquement de la liberté d'expression), estimant que cela doit équivaloir à un engagement suffisant pour une pleine intégration à l'Europe.
    "D'autre part, le pouvoir ne semble pas pleinement maîtrisé par l'équipe dirigeante actuelle, comme par exemple lorsque la Direction générale de sûreté refuse de collaborer avec le Haut Conseil consultatif sur les droits de l'homme, alors que ce dernier exerce un mandat confié directement par le Premier Ministre, ou lorsque le Ministre d'Etat chargé des droits de l'homme est traité de "traître" par le directeur de la sûreté d'lstanbul (et que ce dernier occupe toujours ses fonctions), ou lorsqu'encore un Ministre d'Etat insulte des députés européens.
    "A cela s'ajoute un état d'exception qui perdure depuis 17 ans dans la région du sud-est de la Turquie. Rappelons que l'application de la Convention européenne des droits de l'homme a été suspendue dans cette région, qui connaît en outre un "super gouverneur" doté de pouvoirs extraordinaires qui font coexister dans la pratique un Etat et deux législations, en quelque sorte un "Etat dans l'Etat".
    "Cet état d'exception coïncide également avec une répression qui s'abat sur la population kurde avec une systématique qui ne touche pas les autres minorités présentes en Turquie, moins importantes en nombre (les citoyens turcs d'origine kurde forment un quart de la population selon les chiffres officiels). La 'question kurde' est traitée par les autorités turques par un amalgame entre une minorité qui revendique démocratiquement des droits constitutionnels, et la frange de cette minorité qui a recours à la lutte armée; les autorités se retranchent ainsi derrière cette question pour justifier la répression autant contre cette frange que contre la minorité dans son ensemble et pour ne pas introduire un ensemble de mesures qui seul pourrait permettre d'améliorer le bilan de la pratique des droits de l'homme; ceci a pour conséquence de bloquer le processus de démocratisation.
    "Il faut rappeler les responsabilités des autorités turques face aux engagements internationaux auxquels elle a souscrit, en particulier en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme, de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CEPT) et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Turquie, en tant qu'Etat partie à cette dernière, a notamment l'obligation de '(…) prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires ou autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture ne soient commis dans tout territoire sous sa juridiction. Aucune dérogation ou restriction ne peut être invoquées pour justifier la torture, même en cas de circonstances exceptionnelles telles qu'état ou menace de guerre, instabilité politique intérieure, etc.' (art. 2). Et en ayant souscrit à la CEPT, elle a accepté les visites du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) et s'est engagée à améliorer la situation à la lumière des recommandations du Comité, faisant preuve jusqu'à aujourd'hui d'une coopération insuffisante.
    "Mais il ne faut pas oublier également la responsabilité de la communauté internationale, en particulier de l'Europe, en vertu d'obligations internationales qui exigent non seulement de respecter mais également de faire respecter les valeurs fondamentales universelles. C'est pourquoi l'un des axes principaux retenu pour ce dossier porte sur les réactions internationales face aux graves violations des droits de l'homme en Turquie. Il est vrai que depuis l'incarcération et la condamnation des députés kurdes, membres du DEP, les critiques et les résolutions sont nombreuses. Mais le débat ne saurait se focaliser sur cette seule question, tant les problèmes sont profonds. Bon nombre de rapports européens, d'institutions intergouvernementales ou non gouvernementales, le reconnaissent. Mais l'importance stratégique de la Turquie dans la région apparaît comme un facteur de tiédeur dans les pressions exercées sur ce pays face aux violations des droits de l'homme. Or non seulement l'on est en droit d'attendre de la part des gouvernements européens la même exigence envers la Turquie, que celle qu'elle exerce envers les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, sauf à accepter le principe des 'deux poids deux mesures'. Mais c'est aussi la seule façon de construire une Europe réellement unie et de s'identifier ensemble à des valeurs suprêmes. Car une Turquie démocratique et respectueuse des droits de l'homme ne peut que renforcer une Europe fidèle à ses principes des droits de l'homme.
    "Enfin, il faut saluer les efforts de ceux qui s'engagent en Turquie pour appuyer le processus de démocratisation et promouvoir un meilleur respect des droits de l'homme, des organisations, des avocats, des intellectuels, des journalistes, et leur courage aussi, au vu de la forte répression exercée sur eux. Notre souhait est qu'un dialogue démocratique puisse s'instaurer entre les autorités turques et ces personnes, qui finalement défendent la dignité humaine et la vraie citoyenneté. Leur présence est une chance et un potentiel important pour la démocratisation de la Turquie et une garantie pour la démocratie, non seulement en Turquie mais aussi dans toute l'Europe.
    (Le texte intégral du dossier peut être obtenu auprès de l'APT - C.P. 2267, 1211 Genève 2 - Suisse; Tél. : 41-22-734 20 88, Fax : 41-22-734 56 49)

7 PEINES CAPITALES A L'ISSUE DU PLUS LONG PROCES COLLECTIF

    Le plus long procès collectif que la Turquie ait connu a débouché le 28 décembre sur le prononcé de sept peines capitales. Le procès Dev-Yol (La Voie Révolutionnaire), concernant 723 accusés, débuta le 26 février 1982 devant le Tribunal de loi martiale d'Ankara. Le 19 juillet 1989, le tribunal a condamné sept accusés à la peine capitale, 34 à l'emprisonnement à perpétuité et 346 autres à diverses peines de prison allant jusqu'à 20 ans.
    Bien que tous les condamnés aient été libérés sous condition en 1991, bénéficiant de certains articles provisionnels de la Loi Anti-Terreur, l'examen du verdict s'est poursuivi jusqu'à maintenant par la Cour de Cassation.
    La Cour, dans sa décision, a confirmé sept condamnations à mort et 153 peines de prison. La Cour a également décidé du renvoi de 23 intimés devant une haute cour criminelle en formulant la demande de revoir à la hausse la durée de leur peine.
    Quel que puisse être le nouveau verdict, aucun des intimés ne sera réincarcéré, grâce à l'amnistie conditionnelle de 1991. Cependant, si l'un d'entre eux commet à nouveau un "crime politique", il purgera la peine de prison sursitaire additionnée de la durée de la nouvelle sentence.

DEUX MOIS DE TERRORISME D'ÉTAT

    1.11, les forces de sécurité annoncent l'arrestation de 19 membres présumés du PKK, à Mersin.
    2.11, la CSE d'Istanbul entame le procès d'un membre présumé de l'organisation islamiste IBDC-A, Mehmet Firat, et de sa femme Ipek Zeytin Firat. Le premier risque la peine de mort.
    6.11, à Tunceli, huit étudiants sont mis en état d'arrestation par un tribunal pour avoir participé à une manifestation le 24 octobre.
    6.11, la CSE d'Izmir condamne sept membres du PKK à la peine de mort et six autres accusés à des peines de prison allant jusqu'à douze ans et six mois.
    6.11, trois membres de l'Organisation du Mouvement Islamique (IHÖ) sont condamnés, par la CSE d'Izmir, à la prison à vie et un autre accusé à deux ans et neuf mois d'emprisonnement.
    9.11, la CSE d'Istanbul condamne quatre membres du TDKP à douze ans et six mois, et cinq autres accusés à trois ans et neuf mois de prison.
    9.11, neuf membres du TDKP sont condamnés à des peines de prison qui vont jusqu'à douze ans et six mois par la CSE d'Istanbul.
    9.11, à Diyarbakir, Fehmi Akyürek et Ramazan Ayhan sont trouvés assassinés dans un terrain vague.
    10.11, à Manisa, le bureau du Syndicat Ouvrier de l'Education (Egitim Sen) a été détruit par des assaillants non identifiés, à l'aide d'un cocktail molotof.
    1O.11, les forces de sécurité ont blessé mortellement Erhan Ilhan et Vasfi Ömer au cours d'une rafle dans une maison à Diyarbakir.
    15.11, les forces de sécurité détiennent vingt et un membres présumés de Dev-Sol à Istanbul. Dix des détenus ont moins de dix-sept ans.
    16.11, à Istanbul, une jeune femme qui s'appelle Kelime Tunc affirme avoir été torturée pendant sa détention après une manifestation estudiantine le 8 novembre.
    16.11, en protestation contre les traitements médicaux, cent-huit détenus politiques de la prison d'Erzurum entament une grève de la faim.
    17.11, la CSE d'Istanbul condamne quatre membres de Dev-Sol à l'emprisonnement à perpétuité et quatre autres à des peines de prison qui vont jusqu'à dix-huit ans et six mois.
    18.11, la CSE d'Istanbul débute le procès de six accusés membres du PKK. Le procureur réclame la peine capitale à l'encontre de deux des accusés en vertu de l'article 125 du CPT et jusqu'à sept ans et six mois d'emprisonnement pour les autres accusés, sur base de l'article 169.
    19.11, les forces de sécurité inculpent quinze personnes à Izmir sous le chef de participation aux activités du Parti Communiste marxiste-léniniste (MLKP). A Istanbul, seize personnes sont mises en détention pour appartenance au DHKP-C/Dev-Sol.
    20.11, à Izmir, onze personnes sont mises en état d'arrestation par un tribunal pour avoir organisé une action de protestation contre l'insuffisance des dispositions prises pour prévenir les inondations survenues le 4 novembre.
    21.11, à Van, trois tireurs non identifiés ont atteint mortellement l'enseignant Mehmet Atmaca.
    21.11, un groupe de Loups Gris ont blessé deux étudiants de gauche lors d'une descente  dans une école professionnelle à Darica.
    22.11, un lycéen, Ceyhun Emre Dagdelen, prétend avoir été torturé par la police au cours de sa détention, au début du mois de novembre.
    23.11, le procès de trente-deux personnes accusées d'avoir organisé une manifestation contre les essais nucléaires chinois le 19 août 1995 débute devant une cour pénale d'Istanbul. Le procureur requiert jusqu'à trois ans de prison pour chacun des accusés.
    26.11, à Istanbul, treize personnes sont inculpées sous le chef d'activisme au sein du PKK.
    27.11, à Adana, une femme qui s'appelle Sadiye Alkis affirme avoir été torturée après son inculpation sous le chef d'avoir fourni refuge à son frère, recherché par les forces de sécurité.
    27.11, les forces de sécurité arrêtent quatorze personnes à Istanbul pour activisme au sein du PKK.
    28.11, dans l'arrondissement d'Araban, dans la province de Gaziantep, Mustafa Akbulut est retrouvé tué lors de sa détention.
    28.11, à Bursa, un homme d'affaires juif, Nesim Malki, tombe victime d'une attaque armée. Il a probablement été tué par une organisation islamiste en guise de représailles pour la mort de Fethi Sakaki, le leader de l'organisation islamiste de la Guerre Sainte.
    29.11, à Dargecit, les villages de Zengen, Akcaköy et Kumdere sont évacués par les forces de sécurité parce que les paysans refusent de se joindre aux protecteurs de village. Au cours de l'opération, une maison est détruite par le feu et une vingtaine de paysans sont mis en état d'arrestation.
    29.11, le président de l'Association des Etudiants en Sciences Politiques de l'Université d'Ankara, Nurettin Öztatar, est condamné par la CSE d'Ankara à trois ans et neuf mois d'emprisonnement pour être membre d'une organisation illégale, l'Union des Jeunes Communistes.
    30.11, à Istanbul, un garçon âgé de douze ans, Halil Ibrahim Okkali, affirme avoir été torturé dans un poste de police où il avait été emmené le 27 novembre en tant que suspect dans une affaire de vol.
    30.11, à Ankara, un groupe d'étudiants universitaires qui tenaient un meeting en protestation contre la peine de mort est dispersée manu militari par la gendarmerie. Un étudiant est blessé et environ une quarantaine d'étudiants sont mis en état d'arrestation.
    30.11, à Sivas, la police met en détention huit étudiants universitaires sous l'accusation d'appartenance au Parti Communiste marxiste-léniniste (MLKP).
    1.12, à Istanbul, les forces de sécurité arrêtent douze personnes suspectées d'activités au sein du PKK.
    2.12, LA CSE d'Izmir condamne deux membres présumés du PKK à la prison à vie et neuf autres accusés à diverses peines d'emprisonnement qui vont jusqu'à dix-huit ans et neuf mois.
    4.12, un groupe d'étudiants de droite s'en prennent à un lycée professionnel à Burdur et blessent cinq étudiants de gauche. Le même jour, des étudiants de droite font une descente dans l'Université Karaelmas à Zonguldak.
    4.12, la CSE d'Izmir condamne six accusés membres du PKK à la prison à perpétuité et onze autres accusés à des peines de prison qui vont jusqu'à seize ans et huit mois.
    5.12, à Istanbul, dix-neuf personnes ont été arrêtées par la police, avec comme chef d'inculpation la participation aux activités du DHKP-C/ Dev-Sol.
    8.12, la CSE d'Istanbul juge huit accusés pour avoir pris part à des activités du DHKP-C/ Dev-Sol. Le procureur demande la peine capitale à l'encontre de six des accusés et jusqu'à quinze ans de prison pour les deux autres.
    10.12, à Batman, des tireurs non identifiés tuent l'employé de banque Ekrem Demir et ses deux enfants qui se rendaient en voiture au village de Günesli.
    11.12, un groupe d'étudiants de droite fait une descente dans la Faculté d'Exploitation Minière de l'Université Technique d'Istanbul. La bagarre entre les étudiants de gauche et de droite se solde par une quinzaine d'étudiants blessés.
    11.12, à Midyat, Besir Dolasmaz, kidnappé en novembre par trente protecteurs de village, est retrouvé assassiné sous la torture.
    17.12, la grève de la faim entamée par des prisonniers politiques à la prison d'Elbistan entre dans son trente-cinquième jour.
    18.12, la CSE d'Izmir condamne huit accusés membres du PKK à la prison à vie et vingt-six autres accusés à des peines de prison qui vont jusqu'à dix-huit ans et neuf mois. Le même tribunal condamne également un membre du TDKP à douze ans et six mois de prison.
    18.12, à Adana, les forces de sécurité arrêtent treize personnes pour activisme au sein de TIKKO.
    18.12, les forces de sécurité arrêtent quatre personnes lors d'une rafle dans un café d'Istanbul.
    19.12, la CSE d'Ankara condamne quatre accusés membres du DHKP-C/ Dev-Sol à la peine capitale et quatre autres accusés à différentes peines qui vont jusqu'à quinze ans d'emprisonnement.
    19.12, des étudiants universitaires qui protestent contre les attaques des Loups Gris dans les universités sont dispersés par la police qui fait usage de la violence; un passant est blessé et dix étudiants sont arrêtés.
    19.12, à Batman, Mehmet Ayan est abattu par des tireurs non identifiés.
    20.12, la CSE d'Istanbul entame le procès de quatre membres présumés du Parti de la Révolution de Turquie (TDP). Le procureur requiert la peine de mort pour chacun d'entre eux. Deux accusés, Kamil Yildiz et Gülseren Baran, affirment avoir été torturés sous détention policière. En fait, Baran a été portée jusque dans la salle d'audience, ses deux bras ayant été brisés durant l'interrogatoire.
    21.12, à Adana, treize personnes sont mises en état d'arrestation pour avoir pris part à des activités de TIKKO.
    21.12, à Mersin, Abdülmenaf Zengin, arrêté le 18 décembre, meurt à l'hôpital après avoir été torturé au cours de sa détention policière.
    22.12, à Gökcesu, Nevzat Onur et Gülcin Kenan affirment avoir été torturés après avoir été arrêtés le 18 décembre par des gendarmes.
    23.12, une peine d'emprisonnement de vingt mois à l'encontre du président du DDP (Parti de la Démocratie et de l'Evolution) Ibrahim Aksoy, est ramenée à dix mois par la CSE de Konya. La Cour refuse néanmoins sa libération parce qu'il avait écopé d'une autre peine de quatre ans de prison sur base de l'article 8.
    26.12, le procureur d'Iskenderun engage une procédure légale afin d'obtenir la fermeture de la section d'Iskenderun de l'IHD pour cause d'activités illégales. La même section avait déjà été fermée pendant un mois en 1994 et pendant dix jours en 1995.
    26.12, la section d'Ankara de l'IHD rapporte que le nombre de personnes obligées de servir d'informateurs à la police a augmenté. Une dirigeante de l'IHD, l'avocate Oya Ersoy, dit que plus de quinze jeunes ont affirmé avoir été forcés de servir d'informateurs à la police sous la menace d'être tués.
    26.12, des militants du MHP attaquent le Lycée Abdülkadir Paksoy à Adana et la Faculté d'Enseignement Supérieur à Akcaabat.
    27.12, la CSE d'Istanbul commence le procès de dix personnes pour activités au sein du PKK. Le Procureur de la République plaide la peine de mort à l'encontre de trois accusés et jusqu'à vingt ans d'emprisonnement pour les autres accusés.
    27.12, la CSE de Malatya condamne un membre de Dev-Sol à la prison à vie.
    28.12, le dirigeant du HADEP Seracettin Kirici et l'acteur de théâtre Orhan Aydin sont jugés par la CSE d'Ankara sur base de l'article 8 pour leurs discours à l'occasion de la Journée Mondiale de la Paix.
    28.12, la section d'Izmir d'Egit Der (Association d'Enseignants) est fermée par le gouverneur pour cause de réunions non autorisées.
    28.12, à Istanbul, onze personnes sont arrêtées pour avoir pris part aux activités du Parti Révolutionnaire de la Libération du Peuple (DHKP-C).

ARTICLE 8 MODIFIE, MAIS 136 PERSONNES TOUJOURS EN PRISON POUR LEURS OPINIONS

    Alors que les dirigeants turcs et européens se préparaient à célébrer le 1er janvier 1996 l'ouverture d'une nouvelle période d'Union douanière, qui a récemment été ratifié par le Parlement européen, cent trente-six prisonniers d'opinion demeuraient toujours en prison au 31 décembre 1995.
    Bien que quelque soixante-dix intellectuels aient été libérés pour obtenir la ratification de l'accord, certains autres sont encore en prison et beaucoup d'autres sont détenus sur base de différents articles de la législation turque, y compris le célèbre article 8.
    Parmi les prisonniers qui vont passer la Nouvelle Année derrière les barreaux, il y a aussi quatre députés du DEP, Leyla Zana, Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Sadak, le président du DDP Ibrahim Aksoy et le sociologue Ismail Besikci.
    Bien que la coalition DYP-CHP avait promis il y a quatre ans de supprimer tous les articles répressifs dans la législation turque, seul l'article 8 de la Loi Anti-Terreur a subi une modification de façade. Environ huit cents articles répressifs, repris dans cent soixante lois, sont d'application et ont abondamment été utilisés pour poursuivre des gens en justice et les condamner pour leurs opinions.
    Dans sa forme originelle, l'article 8, qui concerne les accusations de "séparatisme", prévoyait des peines de prison de deux à cinq ans et des amendes de 50 millions TL à 100 millions TL. Maintenant il stipule, pour les mêmes crimes, de un à trois ans de prison et des amendes qui vont de 100 millions TL à 300 millions TL.
    Cet article 8 modifié est toujours utilisé pour l'arrestation et la condamnation de beaucoup de journalistes, de politiciens, de représentants de syndicats ouvriers et d'associations pour les droits de l'homme.
    En outre, beaucoup d'autres personnes sont jugées pour leurs opinions par les Cours de Sécurité de l'Etat, les cours pénales et les cours militaires, sans mandat d'arrêt. En cas de condamnation, elles aussi seront emprisonnées.
    Dans d'autres colonnes, on trouve une liste chronologique détaillée des persécutions à l'égard des médias en novembre et décembre 1995.
    Selon un rapport de la section d'Istanbul de l'Association des Droits de l'Homme (IHD), les personnes suivantes sont en prison au 31 décembre 1995, pour leurs opinions :
    1. Ismail Besikci, 2. Numan Bektas, 3. Hamit Baldemir, 4. Erdal Dogan, 5. Melek Tukur, 6. Selma Bükükdag, 7. Neslihan Göktepe, 8. Metin Göktepe, 9. Ali Kemal Yildiz, 10. Hasan Abali, 11. Bülent Öner, 12. Cemal Dag, 13. Fatma Harman, 14. Mesut Bozkurt, 15. Bayram Namaz, 16. Salih Özçelik, 17. Songül Yüksel, 18. Ali Yegin, 19. Gülnur Aslan, 20. Hatip Dicle, 21. Leyla Zana, 22. Orhan Dogan, 23. Selim Sadak, 24. Kemal Okutan, 25. Riza Demirci, 26. Ibrahim Ozen, 27. Kemal Topalak, 28. Bektas Canseven, 29. Fethiye Peksen, 30. Sedat Hayta, 31. Kadir Önder, 32. Yilmaz Eksi, 33. Hava Suiçmez, 34. Naile Tuncer, 35. Yildiz Ozdemir, 36. Kezban Mavi, 37. Hakan Bahçivan, 38. Gulseren Duman, 39. Erdal Sahin, 40. Tuncay Atmaca, 41. Mustafa Cubuk, 42. Ali Avci, 43. Ömer Genç, 44. Sahabettin Yilmaz, 45. Mine Sagniç, 46. Sahabettin Özaslaner, 47. Hikmet Fidan, 48. Ferhan Türk, 49. A. Kadir Cager, 50. Tevfik Kaya, 51. Nevzat Sagniç, 52. Metin Bakici, 53. Ibrahim Polat, 54. Sinan Yavuz, 55. Zülküf Karakoç, 56. Mehmet Akdemir, 57. Kenan Karakas, 58. Yeter Yalçintas, 59. Ahmet Subasi, 60. Kadir Satik, 61. Necla Can, 62. Metin Alkas, 63. Burhan Gardas, 64. A. Muharrem Gündüz, 65. Gülcan Sarioglu, 66. N. Aydan Ceylan, 67. Kamber Inan, 68. Ufuk Dogubay, 69. Mehmet Mamaç, 70. Mehmet Göcekli, 71. Bülent Sönmez, 72. Ferhat Karaduman, 73. A. Kerim Mecefoglu, 74. Salih Dündar, 75. Hamdullah Akyol, 76. Murat Yesilirmak, 77. Vedat Aydin, 78. Salih Bal, 79. Ilyas Burak, 80. Sakine Fidan, 81. Aysel Bölücek, 82. Serdar Gelir, 83. Özgür Gündenoglu, 84. Hanim Harman, 85. Hüseyin Solak, 86. Ali Sinan Caglar, 87. Özlem Türk, 88. Metin Atlas, 89. Teoman Gül, 90. Hasan Gül, 91. Süleyman Yaman, 92. Mustafa Kiliç, 93. Ahmet Önal, 94. Ocak Isik Yurtçu, 95. Murat Saraç, 96. Nafiz Karakas, 97. Mensure Yüksel, 98. Özden Özbey, 99. Yusuf Sit, 100. Mustafa Aladag, 101. Veysi Harman, 102. Ismail Günes, 103. Sabri Bölek, 104. Faruk Deniz, 105. Nevzat Bulut, 106. Halit Yalcin, 107. Sevda Öztekin, 108. Medeni Ayhan, 109. Mustafa Ciftçi, 110. Nebahat Polat, 111. Ilhan Özdemir, 112. Emine Buyrukçu, 113. Vahit Demir, 114. Necmiye Arslanoglu, 115. Hüseyin Akbulut, 116. Hatun Yildirim, 117. Kemal Külahçi, 118. Bülent Abbasoglu, 119. M. Sefe Fersal, 120. Gürcan Yildiz, 121. Ayse Idil, 122. Süleyman Bakirman, 123. Aylin Ürkmez, 124. Recep Üzmez, 125. Fevzi Gerçek, 126. Mustafa Kaplan, 127. Mehmet Gemsiz, 128. Suat Kiliç, 129. Mevlüt Daslik, 130. Emine Arslanoglu, 131. Özgül Tasçi, 132. Özkan Kiliç, 133. Nuray Gezici, 134. Leyla Tastan, 135. Haydar Özdemir, 136. Mirali Demir.

211 ANS DE PRISON POUR BESIKCI
   
    Le sociologue et écrivain turc Ismail Besikci a été condamné à un total de deux cent onze ans d'emprisonnement pour plus de cent accusations de "propagande séparatiste" dirigées à son encontre, principalement sur base de l'article 8.
    Parmi les procès intentés contre lui, relatifs au contenu de ses livres et articles parus dans une multitude de publications, certains se sont soldés par des peines de prison confirmées par la Cour de Cassation pour un total de trente-sept ans et trois mois de même que des amendes qui se montent à 3,2 milliards TL. Pendant ce temps-là, la Cour de Cassation examine les verdicts des cours contre Besikci qui représentent un total de trente ans de prison et une amende qui atteint 3,7 milliards TL.
    Depuis que Besikci a refusé de payer les amendes, dans chaque affaire clôturée, il a reçu une peine de prison supplémentaire de trois ans en tant que conversion de ces amendes. Cela a eu pour résultat de faire monter ses peines d'emprisonnement dès à présent à plus de deux cents ans.
    Ünsal Öztürk, le propriétaire de la maison d'édition Yurt, la société qui a édité les ouvrages de Besikci, a fait l'objet d'accusations similaires dans soixante-deux affaires et a été condamné à un total de cinquante ans de prison. Jusqu'à présent, la Cour de Cassation a confirmé un total de sept ans et demi de prison, de même que des amendes qui se montent à 837,3 millions TL.
    La Cour de Cassation s'occupe actuellement des pourvois qui subsistent contre des décisions impliquant Öztürk. A l'issue des cas tranchés définitivement, Öztürk a obtenu des peines de prison pour un total de sept ans et deux mois de même que des amendes qui s'élèvent à 599,9 millions TL.
    Comme Öztürk a refusé de payer ses amendes, celles-ci ont été converties en des peines de prison qui atteignent cinquante ans.
    Récemment, le 15 novembre, la Cour de Cassation a confirmé dix ans et quatre mois de prison supplémentaires, ainsi qu'une amende de 416 millions 660 mille TL pour quinze livres de Besikci. Son éditeur Ünsal Öztürk aussi a été condamné à deux ans et sept mois de prison et à une amende de 516 millions 660 mille TL.
    Quelques jours plus tard, le 24 novembre, la CSE d'Ankara a réduit la durée d'une précédente peine d'emprisonnement de douze ans à six ans et une amende de 1,5 million TL à 600 millions TL. Ce verdict à été rendu pour quinze autres livres de Besikci. Néanmoins, la cour refusa de le libérer sous prétexte qu'il pourrait récidiver s'il était relâché.
    Le 27 décembre, la CSE d'Ankara a de nouveau condamné Ismail Besikci pour ses quinze autres livres à quatre ans et quatre mois de prison et à une amende de 433 millions TL. Son éditeur Ünsal Öztürk a aussi été condamné à deux ans et deux mois de prison et à une amende de 253 millions TL, dans la même affaire.
    Le même jour, la même cour a condamné Besikci dans une autre affaire à un an de prison et à une amende de 1OO millions TL pour un article qu'il était publié dans le bulletin IHD.
    La cour a refusé de reporter l'exécution de toutes ces sentences.
    Besikci, qui n'est pas kurde, détient le record de la plus longue peine de prison dans le cadre des restrictions de la Turquie sur la liberté d'expression. Le sociologue (56) se trouve incarcéré dans une prison de haute sécurité de la capitale depuis le 13 novembre 1993. Auparavant, il avait déjà été emprisonné pendant dix ans au total, après les coups d'état de 1971 et  1980.

99 INTELLECTUELS EMINENTS TOUJOURS EN PROCES

    Le procès de quatre-vingt-dix-neuf intellectuels qui ont signé une pétition dans laquelle ils assument la responsabilité collective d'un livre confisqué, Liberté de Pensée, a été remis, le 7 décembre 1995, à une date postérieure à l'entrée en application de l'Union douanière.
    On s'attend à ce que la CSE N°4 d'Istanbul poursuive ultérieurement un total de mille quatre-vingt co—signataires pour la même violation.
    Au cours du procès, les avocats de la défense ont dit que toutes les lois sur base desquelles leurs clients étaient accusés étaient anticonstitutionnelles et ont demandé que l'affaire soit portée devant la Cour Constitutionnelle. Toutefois, les juges n'ont pas pris au sérieux cette requête.
    Consécutivement à l'audition, les défendeurs ont dit que les modifications apportées à l'article 8 à cause de l'Union douanière étaient purement de façade, et que seul des gens célèbres tels que l'écrivain Yasar Kemal avaient été acquittés, pendant que les Cours de Sécurité continuent de juger des dizaines de personnes quotidiennement.
   
NOUVELLES CONDAMNATIONS A L'ENCONTRE DE L'EDITRICE ZARAKOLU
   
    La directrice de la maison d'édition Belge, Mme Ayse Zarakolu, a de nouveau été condamnée dans certains de ses procès relatifs à l'article 8 de la LAT.
    Le 22 décembre, Zarakolu a été condamnée par la CSE N°4 d'Istanbul à six mois de prison pour le livre de l'ex-président du DEP Yasar Kaya intitulé Les Ecrits Gündem. La peine d'emprisonnement a ensuite été commuée en une amende de 1,9 million LT.
    Dans un autre procès, la même cour a condamné Zarakolu à six mois de prison et à une amende de 82 million LT pour le livre de Sadrettin Aydinlik, intitulé l'Aurore de l'Hiver. La peine d'emprisonnement a ensuite été commuée en une amende de 1 million LT.
    La cour a refusé de suspendre l'exécution de la sentence en arguant que l'accusée pourrait continuer à commettre les mêmes crimes.
    Le 29 décembre, la CSE N°5 d'Istanbul a condamné Zarakolu à six mois de prison pour avoir publié le travail du journaliste Abdülkadir Konuk portant sur le journaliste assassiné Ferhat Tepe.
    Le même jour, un autre procès de Zarakolu concernant l'œuvre du Prof. Vahakn Dadrian, Génocide, s'est terminé par un acquittement.
    Mme Zarakolu a déjà purgé cinq mois de prison pour le livre d'Ismail Besikci, Le Programme du CHP et la Question Kurde.
    A côté de cela, une condamnation de Zarakolu sur base de l'article 8 a été confirmée par la Cour de Cassation. Quatre autres décisions sont actuellement examinées par la même haute cour.
    De plus, Zarakolu est actuellement jugée par la CSE d'Istanbul dans trois autres affaires.
    D'autre part, les premières publications saisies après la modification de l'article 8 sont deux livres publiées par Zarakolu : La Liberté Née dans les Montagnes, par le journaliste Abdülkadir Konuk, et Chère Leyla/C'était un long exil cette nuit, par l'ancien maire de Diyarbakir Mehdi Zana.
   
LES DEFENSEURS DES DROITS DE L'HOMME POURSUIVIS

    Le Procureur d'Ankara a ouvert le 10 décembre 1995 un procès contre dix défenseurs des droits de l'homme sur base de l'article 159/3 du Code pénal turc pour un article publié en juin dans un livre de la Fondation des Droits de l'Homme de Turquie (TIHV).
    L'article écrit par l'avocat Turgut Inal, ancien  bâtonnier du Barreau de Balikesir, et intitulé "Nous défendons les droits de l'Homme malgré une constitution et des lois imparfaites" est considérée comme une insulte aux lois de la République Turque et aux décisions de l'Assemblée Nationale.
    Le procès de Turgut Inal, de même que ceux du président de la TIHV, Yavuz Önen, du secrétaire général de la TIVH, Okan Akhan, et les autres administrateurs de la TIVH, Murat Yetkin, Mahmut Tali Öngören, Fevzi Argun, Mehmet Vural, Haldun Özel, Veli Lök et Sükran Akin, débutera devant une cour pénale d'Ankara le 18 janvier 1996. Chacun d'entre eux risque jusqu'à six mois de prison.
    D'autre part, le 23 décembre, le président de l'IHD, Akin Birdal, a été condamné par une cour pénale d'Ankara à trois mois d'emprisonnement pour certaines affiches de l'IHD en vertu de la Loi sur les Associations. La peine de prison a ensuite été commuée en une amende de 450 mille LT.
    Le 28 décembre, la CSE d'Istanbul a commencé à juger Birdal pour son discours prononcé à l'occasion de la Journée Mondiale de la Paix, le 5 septembre. Le procureur a requis jusqu'à trois ans d'emprisonnement sur base de l'article 312 du CPT.

1443 PUBLICATIONS SAISIES EN UN AN

    D'après le quotidien Siyah Beyaz  du 8 novembre 1995, mille quatre cent quarante-trois publications différentes ont été saisies par des décisions des cours au cours de l'année écoulée. Parmi ces publications, on compte cinquante-six livres, sept cent quatre-vingt-quatre périodiques, 602 journaux et un bulletin.
    A côté de cela, dans la région où l'état d'urgence a été décrété, soixante-treize cassettes de musique ont été interdites.
    A cause des pressions, rapporte le journal, treize imprimeries ont cessé leur activité.

DEUX MOIS DE PERSECUTION DES MEDIAS

    1.11, les locaux d'Adana du périodique Kizil Bayrak font l'objet d'une descente de police. L'employé Mahir Kayir est arrêté et de nombreux documents sont saisis.
    2.11, la CSE d'Istanbul saisit les numéros 12 et 13 du périodique Sterka Rizgari en vertu de l'article 312 du CPT.
    4.11, le roman de Kaan Aslanoglu Les Personnalités est saisi par une cour pénale, sur base d'une loi spéciale qui punit les écrits contre Atatürk.
    6.11, l'éditeur responsable du périodique Devrimci Emek, Sedat Hayta, affirme avoir été torturé pendant sa détention suite à une manifestation le 24 octobre.
    7.11, la CSE d'Istanbul et une cour pénale d'Istanbul ordonnent séparément la saisie des derniers numéros des périodiques Partizanin Sesi et Partizan Genclik, le premier sur base de l'article 6 de la LAT et le second sur base de l'article 312 du CPT.
    8.11, l'avocat Esber Yagmurdereli est mis en prison pour y purger sa peine de vingt mois pour un discours qu'il a prononcé en décembre 1992.
    8.11, le quotidien Evrensel est saisi par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste sur base de l'article 8.
    12.11, un correspondant du quotidien Önder, Bünyamin Düz est battu par la police et ses jambes brisées alors qu'il couvrait une rencontre de football à Karadeniz Ereglisi.
    13.11, un avocat des députés du DEP, Yusuf Alatas, est poursuivi par une cour pénale d'Ankara pour avoir critiqué l'attitude partiale de la CSE d'Ankara lors du procès du DEP. Il risque jusqu'à six mois de prison sur base de l'article 30/2 de la Loi sur la Presse;
    14.11, à Istanbul, sept membres des groupes de musique Munzur, Kutup Yildizi et Genc Ekin, Murat Tokdemir, Bülent Simsek, Havva Neslihan Tokur, Ibrahim Yildiz, Berrin Tekdemir, Ipek Rencper et Sinel Deniz Karakaya, sont placés en état d'arrestation par la CSE d'Istanbul pour avoir participé à une grève de la faim dans les locaux d'Istanbul du CHP. Ils affirment avoir été torturés durant leur garde à vue.
    14.11, le livre La Liberté Née dans les Montagnes du journaliste Abdülkadir Konuk est saisi par la CSE d'Istanbul sur base de l'article 8 de la LAT, pour propagande séparatiste. La cour a également saisi le numéro 26 du périodique Ronahi pour le même motif.
    17.11, la CSE d'Ankara ramène une peine d'emprisonnement de deux ans dans le chef du journaliste Yalcin Kücük à un an et une amende de 250 millions TL à 100 millions TL, mais rejette la suspension de l'exécution. La cour délivre aussi un mandat d'arrêt contre Kücük qui est actuellement en France. Kücük a été condamné pour son livre intitulé Dialogue dans le Jardin Kurde.
    18.11, à Konya, la librairie Ilkezgi est incendiée par des assaillants non identifiés. Le propriétaire de la librairie a déjà été menacé pour avoir vendu des livres d'Aziz Nesin et détruit le 2 avril 1995.
    19.11, le Conseil Supérieur de la Radio-Télévision (RTÜK)  décide de suspendre les programmes de la chaîne de télévision Kanal D pour un jour le 30 novembre pour avoir diffusé une émission sur les membres homosexuels du Parlement.
    19.11, l'hebdomadaire Roj  doit suspendre ses publications à cause de difficultés matérielles résultant de la saisie de l'ensemble de ses vingt-trois numéros parus jusqu'à lors.
    20.11, le Procureur de la République initie une nouvelle action légale à l'encontre de l'ancien député emprisonné du DEP, Hatip Dicle, pour la parution, le 9 août 1995, de son article dans le quotidien Yeni Politika.. Sous l'accusation d'outrages aux cours, Dicle risque jusqu'à six années d'emprisonnement supplémentaires sur base de l'article 169 du CPT.
    20.11, l'éditeur responsable du quotidien Yeni Yüzyil, Ismet Berkan, et le chroniqueur Ali Bayramoglu sont jugés par la CSE d'Istanbul sur base de l'article 312 du CPT. Chacun encourt jusqu'à six ans de prison pour incitation à la haine raciale et à l'hostilité ethnique.
    20.11, une peine de prison de deux ans à l'encontre de l'écrivain Mehmet Bayrak est ramenée à un an mais la cour refuse de surseoir à l'application. Bayrak avait été condamné pour son livre intitulé Chansons Populaires Kurdes.
    21.11, la Cour de Cassation confirme la peine de l'actrice de théâtre Bilgesu Erenus. Elle avait été condamnée par la Cour Militaire de l'Etat-major à deux mois de prison et à une amende de 100 mille TL pour avoir
appelé les mères à ne pas envoyer leurs enfants au service militaire.
    24.11, deux journalistes du quotidien Milliyet, Melih Asik et Eren Güvener sont condamnés chacun à un mois de prison et à une amende de 161 mille TL pour avoir divulgué certains documents judiciaires.
    24.11, la CSE de Diyarbakir place en état d'arrestation sept personnes appréhendées le 10 novembre lors d'une rafle policière dans le Centre Culturel Mésopotamien  à Diyarbakir.
    25.11, trois collaborateurs de la revue Kizil Bayrak, Safter Korkmaz, Suzan Geridönmez et Gülcan Öztürk sont arrêtées par la police alors qu'elles couvrent une action ouvrière à Istanbul.
    26.11, les émissions de la chaîne privée de télévision Interstar sont suspendues pendant trois jours parle Conseil Supérieur de la Radio-Télévision (RTÜK) en relation avec ses programmes accusant le Premier Ministre Ciller de transactions illégales.
    28.11, l'écrivain kurde Recep Marasli est condamné à un an et quatre mois de prison par la CSE d'Istanbul sur base de l'article 8 pour l'un de ses articles parus dans le journal Jiyana Nû. Bien que la cour ait aussi décidé de le relâcher en vertu de la modification apportée à l'article 8, il n'a pas été libéré à cause d'autres mandats d'arrêt qui pèsent sur lui.
    30.11, le Centre Culturel Yenigün  à Istanbul est fermé sous l'ordre du Gouverneur d'Istanbul pour activités incompatibles avec ses objectifs.
    1.12, à Istanbul, un correspondant du quotidien Evrensel, Hasim Demir, est attaqué par des agresseurs non identifiés qui tentent de l'enlever.
    1.12, un ancien éditeur du défunt quotidien Özgür Gündem, Besim Döner, est condamné par le Tribunal Militaire de l'Etat-major à deux mois de prison et 160 mille TL d'amende sur base de l'article 155 du Code pénal pour publication contre le service militaire.
    2.12, le dernier numéro du quotidien Evrensel est saisi par la CSE d'Istanbul sur base de l'article 6 de la LAT pour avoir dénoncé les noms du personnel responsable des mauvais traitements dans les prisons.
    3.12, le correspondant d'Izmir du périodique Atilim, Hayrettin Özkurt, affirme avoir été torturé pendant sa garde à vue entre le 16 et le 27 décembre 1995. Il rapporte aussi qu'un autre journaliste de Atilim, Mithat Yildiz, est toujours détenu et qu'il est sujet à la torture.
    4.12, le rédacteur en chef du périodique Özgür Bilim, Medeni Ayhan, est condamné par la CSE d'Ankara à deux ans de prison et à une amende de 550 millions TL sur base de l'article 8. L'éditeur responsable de la revue, Sait Cakar, aussi, est condamné à six mois d'emprisonnement et à une amende de 50 millions TL.
    5.12, la CSE d'Ankara condamne quatre personnes à diverses peines sur base de l'article 8. Ibrahim Halit Elci et Kemal Altintas sont condamnés à un an de prison et à une amende de 100 millions TL pour leurs articles publiés en août 1993 dans le périodique Pir Sultan Abdal.  L'éditeur responsable de la revue, Metin Kuzugüdenlioglu, est condamné à six mois d'emprisonnement et à une amende de 50 millions TL, et l'éditeur Murtaza Demir à une amende de 100 millions TL. Conséquemment à la récente modification de l'article 8, les peines de prison sont commuées en amendes.
    5.12, un correspondant du quotidien Evrensel, Nebahat Alkan, est arrêtée après avoir interviewé les travailleurs en grève à Tuzla.
    6.12, le périodique Proleter Halkin Birligi N°2 est saisi par la CSE d'Istanbul en vertu des articles 6 et 8 de la LAT.
    7.12, l'ancien député du DEP Hatip Dicle, toujours en prison avec trois autres députés du DEP, est condamné par la CSE d'Ankara à un an de prison et à une amende de 100 millions TL sur base de l'article 8 pour une lettre qu'il a écrite à un autre prisonnier politique. A cause de la modification de cet article, sa peine de prison est réduite à huit mois et son amende 660 mille TL.
    13.12, le Conseil Supérieur de la Radio-Télévision (RTÜK)  décide de suspendre les programmes de la chaîne de télévision Kanal D pendant un jour le 3 janvier pour motifs d'émissions contraires à l'ordre public et à la conception turque de la famille.
    15.12, un emprisonnement de vingt mois à l'égard de l'avocat Esber Yagmurdereli, qui est aveugle et en prison depuis le 8 novembre, est ramené à dix mois. Bien qu'il soit relâché, la cour refuse de surseoir à l'application de la peine sous prétexte qu'il pourrait à nouveau contrevenir à la loi. Ainsi, Yagmurdereli sera à nouveau emprisonné si la Cour de Cassation confirme le verdict.
    17.12, les périodiques Özgür Yasam, n°11, Atilim, n°61, Odak, n°49, Kaldirac, n°14, et Alinteri, n°63, et l'édition de décembre de Hedef et de Direnis sont saisis par la CSE d'Istanbul en vertu de la LAT.
    18.12, un livre intitulé Les Jours Barricade, publié par la maison d'édition Varyos, est saisi par la CSE d'Istanbul sur base de l'article 7 de la LAT et de l'article 312 du CPT.
    19.12, le journaliste Ragip Duran est condamné par la CSE d'Istanbul à dix ans de prison et à 333 mille TL d'amende sur base de l'article 7 de la LAT pour l'un de ses articles publiés dans le quotidien Özgür Gündem.
    19.12, l'édition de décembre du magazine Savasa Karsi Baris  est saisie par la CSE d'Istanbul. Le magazine contenait une réimpression d'extraits du dossier The Human Rights Watch Arms Report. concernant les violations du Droit de la Guerre en Turquie.
    20.12, le dernier numéro du périodique Sosyalist Iktidar est saisi par la CSE d'Istanbul sur base de l'article 8.
    21.12, les journaux Milliyet, Fanatik, Evrensel  et Posta  sont saisis par une cour pénale pour avoir publié des sondages d'opinions sur les élections du 24 décembre. Les éditeurs responsables de ces publications risquent chacun jusqu'à un an de prison.
    21.12, le dernier numéro du périodique Ates hirsizi  est saisi par une cour pénale pour avoir insulté l'Assemblée Nationale. La CSE d'Istanbul saisit le numéro 65 du périodique Özgür Gelecek  pour propagande d'organisations déclarées hors-la-loi.
    21.12, le RTÜK décide de suspendre pour un jour les programmes des chaînes de télévision Flash TV  et HBB.
    22.12, à Elazig, le correspondant d'Evrensel  Ersel Dag et son ami, Vahit Tekin, sont sujets à la torture après leur arrestation par la police.
    22.12, trois journalistes du périodique Atilim, Eylem Semint, Yusuf Güzel et Zahide Honca sont torturés après leur arrestation au cours d'une visite à un détenu politique à la prison de Bayrampasa.
    23.12, les journaux Hürriyet  et Posta  sont saisis par une cour pénale pour avoir publié des sondages d'opinions sur les élections du 24 décembre. Les éditeurs responsables de ces publications encourent chacun jusqu'à un an de prison.
    23.12, les émissions de la station de radio locale Harran FM  sont suspendues pendant un jour par le RTÜK pour cause d'insultes à l'égard des dirigeants de l'Université de Harran.
    26.12, le numéro 64 du périodique Alinteri  est saisi par la CSE d'Istanbul pour propagande de certaines organisations interdites.
    26.12, l'écrivain Inönü Alpat et l'éditeur Mustafa Tüm sont poursuivis par le procureur de la CSE d'Ankara sur base de l'article 7 de la LAT pour le livre du premier Nous avons donné rendez-vous aux Montagnes. Alpat encourt jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et Tüm deux ans.
    26.12, un groupe de Loups Gris  font une descente dans les locaux du périodique Umut. La police arrête certains employés de la revue.
    28.12, le professeur d'université Ilhan Arsel et l'éditeur Nazar Fikri sont jugés par une cour pénale d'Istanbul pour le livre du premier Nous, Les Professeurs.  Le procureur requiert deux ans à l'encontre de Arsel ainsi qu'une amende de 3 millions TL à Fikri sur base de l'article 175 du CPT, pour motifs d'insulte à l'Islam.
   
EUROPALIA : LE FESTIVAL DE LA HONTE SE TIENDRA EN 1997
   
    Consécutivement à la ratification de l'Union douanière par le Parlement Européen, le gouvernement belge n'a pas tardé à récompenser le régime turc en levant la suspension du Festival Europalia Turquie.  Pour des raisons pratiques, la date de ce festival est reportée à 1997, au lieu de 1996.
    Le gouvernement belge a annoncé le 22 décembre que plus aucun obstacle ne subsistait sur la voie d'Europalia Turquie.
    La décision de consacrer Europalia 96  à la Turquie où les droits de l'homme sont systématiquement violés avait soulevé une série de protestations de la part d'organisations démocratiques de Turquie et de Belgique (Info-Türk, jan./fév. 95).
    Face à ces réactions, ce festival avait été suspendu par la Fondation Belge pour l'Europalia lorsque le Ministre des Affaires Etrangères de l'époque, M. Frank Vandenbroucke, avait considéré le festival comme "ignorant les autres cultures - kurde, arménienne, assyrienne, etc. - de l'Anatolie" et les gouvernements fédéral et flamand avaient suspendu leur contribution financière à l'organisation (Info-Türk, mar./avr. 95).
    Le dernier communiqué officiel belge affirme que le dossier turc aurait connu d'importantes améliorations au cours des dernières semaines et que le programme turc pour le festival serait équilibré et vaste - il s'agit ici d'une référence à l'ancienne critique de Bruxelles selon laquelle le programme ne reflétait pas la diversité ethnique et culturelle de la Turquie.
    Le festival est financé conjointement par des sponsors publics et privés turcs et belges. Initialement, la Turquie devait contribuer pour 460 millions FB, le reste devant être apporté par la partie belge.
    Pour le régime turc, ceci est un investissement très rentable pour sa propagande dans la capitale de l'Europe où les violations des droits de l'homme en Turquie ont toujours constitué un sujet permanent de critiques dans les enceintes des institutions européennes.
    En fait, avant le changement de la position belge, le commissaire turc pour Europalia Turquie, Bülent Eczacibasi, a déclaré au Turkish Daily News, le 1er décembre, "Nous avons exercé un lobbying intense en Belgique pour la levée de la décision de suspension".
    Puisque la violation des droits de l'homme, l'arrestation d'intellectuels et d'artistes se poursuit toujours et que les Kurdes et les autres minorités d'Anatolie continuent de faire l'objet d'un terrorisme d'état, la nouvelle décision du gouvernement belge constitue une nouvelle soumission au chantage d'Ankara.
    Si la situation des droits de l'homme et des minorités demeure inchangée jusqu'en 1997, le Festival Europalia Turquie  entrera dans l'histoire culturelle européenne comme le Festival de la Honte.

LA TURQUIE CANDIDATE AU CONSEIL DE SECURITE DE L'ONU

    Encouragée par l'attitude compréhensive des USA et des gouvernements européens sur la question de l'Union douanière, la Turquie s'est présentée comme candidate au Conseil de Sécurité de l'ONU.
    La Turquie a déclaré aux 185 pays membres des Nations Unies qu'elle se porterait candidate au Conseil de Sécurité lors des élections prévues en l'an 2OOO, a annoncé le 7 décembre le représentant de la Turquie auprès de l'ONU, Hüseyin Celem.
    Le Conseil de Sécurité est constitué de quinze membres, parmi lesquels cinq ont des sièges permanents. Les dix membres restant sont élus pour une période de deux ans par l'Assemblée Générale et ne disposent pas de droit de veto. Les membres du Conseil de Sécurité ne sont pas éligibles deux fois d'affilée. La dernière fois que la Turquie a été membre du Conseil de Sécurité remonte à 1951.
    La Turquie, qui est membre de l'Alliance de l'Europe Occidentale aux Nations Unies, ne dispose que d'une mince chance d'être élue au Conseil. La Grèce aussi va probablement se porter candidate au Conseil et cela va limiter les chances de la Turquie, disent les observateurs diplomatiques.

UNE NOUVELLE OCCASION DE PROPAGANDE POUR LE REGIME D'ANKARA : HABITAT
   
    La signature d'un accord régissant la Conférence Habitat II, accueillie par la Turquie, du 3 au 14 juin à Istanbul, était attendue à la fin du mois de décembre malgré les réserves anti-démocratiques du gouvernement turc.
    Cette dernière conférence majeure du siècle organisée par l'ONU sur les installations humaines est présentée comme un effort global pour échanger des idées entre les gouvernements, les maires, les urbanistes et les scientifiques.
    Le Ministre turc des Affaires Etrangères avait rejeté le "Projet d'Accord de Pays Hôte" pour la conférence, en ce qu'il ne veut pas d'une immunité qui empêcherait la poursuite de ses propres citoyens participant à la conférence en tant que représentants de gouvernements locaux ou de groupes privés. Le gouvernement turc redoute que la conférence ne soit utilisée pour la diffusion de la propagande pro-kurde.