630.000
personnes détenues, 76.316 poursuivies, 50.455 condamnées;
des milliers sont encore en procès devant les cours militaires ou de
sûreté de l'état
BILAN HONTEUX DE 10 ANS DE TERRORISME D'ETAT
Une évaluation récente que nous avons faite à
partir de données provenant de diverses institutions officielles et de
journaux, montre que le terrorisme d'état en application depuis la
proclamation de la loi martiale en décembre 1978, jusqu'à la fin de
1987,a atteint des proportions scandaleuses.
Selon le quotidien Cumhuriyet du 9 février 1988, les
forces de sécurité ont incarcéré 630.000 personnes au cours de cette
période de 10 ans. Parmi ces personnes, 200.000 ont été relâchées après
un premier interrogatoire de la police et 105.000 autres après avoir
été transférées dans les bureaux des bureaux des procureurs. Même après
quelques jours de détention, ils avaient été victimes de la cruauté
policière.
Quant à 325.000 autres détenus, ils ont été l'objet
de poursuites légales et gardés dans les établissements de détention
militaire pendant des mois, au cours des enquêtes menées par les
procureurs. En vertu du code de la loi martiale, les procureurs
militaires ont été autorisés à garder toute personne en détention sans
mandat de la cour pour un période allant jusqu'à trois mois.
Pendant cette période, tous les détenus ont été soumis à la torture ou
à des traitements dégradants.
Suite à ces jours pénibles passés pendant l'enquête,
76.316 personnes ont été amenées devant des tribunaux, tandis que
250.000 personnes, reconnues "non coupables" avaient été relâchées par
les procureurs. Sur les personnes inculpées, 61.461 ont été traduits
devant des cours militaires tandis que seulement 14.855 accusés étaient
transférés devant les tribunaux civils.
Jusqu'à maintenant, 50.455 personnes ont été
condamnées, dont 566 à la peine capitale et 49.889 autres à différentes
peines de prison.
Selon un communiqué publié le 18 avril 1986 par les
quartiers généraux de l'état-major, les jugements rendus jusqu'au 29
février 1986 se distribuaient comme suit:
480 peines capitales,
693 emprisonnements à vie,
973 peines de 20 ans de prison,
2.502 peines de prison de 10 à 20 ans,
6.843 peines de prison de 5 à 10 ans,
11.472 peines de prison de 1 à 5 ans,
25.025 peines de prison allant jusqu'à 1 an.
Depuis lors, pendant la période de 2 ans de "régime
civil", 88 personnes ont été condamnées à la peine capitale et 2.381 à
différentes peines d'emprisonnement.
Presque la totalité de ces inculpés, à l'exception
de ceux considérés comme susceptibles d'être condamnés à mort ou à la
prison à vie pour violence politique, ont été condamnés en vertu des
141,142 et 163 du code pénal.
Emprunté au code pénal de Mussolini de 1936 et
rendus plus sévères par la suite, les articles 141 et 142 stipulent
l'emprisonnement jusqu'à 20 ans pour organisation ou propagande
marxiste. L'article 163 ordonne de condamner à une peine de prison tout
qui enfreint le principe de sécularité (séparation des
affaires d'état et de la religion).
Un autre article du code pénal turc, le n° 140,
concerne les opposants au régime à l'étranger. Des milliers de
personnes ont été sommés de retourner en Turquie afin d'être jugés
devant des cours militaires en vertu de l'article 140 qui stipule
des emprisonnement allant jusqu'à 20 ans pour activités contre l'état à
l'étranger. Environ 14.000 personnes à l'étranger ont été privées de la
nationalité turque pour ne pas s'être rendues.
L'un des aspects étonnants des 10 années de
terrorisme d'état est que, selon le n° 1402 du code de la
loi martiale adopté le 19 septembre 1980, les tribunaux de la loi
martiale ont été autorisés à augmenter les peines de prison d'un tiers
ou de la moitié. Cekla signifie qu'un inculpé traduit devant une cour
militaire peut être condamné à une punition plus lourde que celle de
n'importe quel inculpé qui est condamné pour le même acte dans un
tribunal civil. Si cette loi pouvait être annulée, nombre de
prisonniers politiques condamnés par des tribunaux militaires seront
immédiatement relâchées. Mais d'après l'article 15 provisoire de
la constitution, toute loi ou décret adopté par le Conseil de la Sûreté
Nationale (junte militaire) ne peut être annulé même par l'assemblée
nationale.
Une autre pratique exceptionnelle a été la
condamnation de nombreux inculpés à de lourdes peines de prison
complémentaires allant jusqu'à 20 ans, seulement pour les mots qu'il
ont prononcé soit pendant l'interrogatoire soit dans le texte de leur
défense. Rien qu'à Istanbul, trois tribunaux militaires ont condamné 87
inculpés à des peines de prison complémentaires de 555 ans, 3
mois et 126 jours au total.
PRATIQUES TERRORISTES DU MOIS PASSE
Cinq ans après le soi-disant "retour à la
démocratie", toutes sortes de pratiques antidémocratiques telles que
l'arrestation de militants politiques, la torture, des procès en masse,
la condamnation à de lourdes peines de prison, la persécution des
intellectuels, l'interdiction et la confiscation de publications, la
privation de la nationalité turque pour les opposants au régime,
continue comme avant en Turquie.
De plus, en dépit de la levée de la loi martiale, de
nombreux procès de masse ouverts pendant la juridiction militaire sont
toujours en cours devant les tribunaux militaires. Principalement, 1909
membres supposés de la Dev-Yol sont jugés devant trois tribunaux
militaires à Ankara, Adana et Erzincan, 1374 membres supposés de la
Dev-Sol, 335 du MLSPB i, 376 du TKP-ML et 197 de l'unité d'action (EP)
devant le tribunal militaire d'Istanbul et des centaines de militants
supposés du parti kurde PKK devant des cours militaires de Diyarbakir,
Adana, Elazig et Malatya.
Quant au procès de la DISK, qui s'est soldé par la
condamnation de 264 leaders syndicaux à des peines d'emprisonnement
allant jusqu'à 10 ans, le dossier n'a pas encore été envoyé devant la
cour militaire de cassation car la cour militaire d'Istanbul a
publié jusqu'à présent 4.000 pages seulement de la décision finale de
10.000 pages.
Pour donner une idée de la poursuite du terrorisme
d'état, nous faisons état ci-dessous seulement des événement du
mois passé.
Persécution des intellectuels
Six ans après que le film de Yilmaz Güney, Yol ,ait
obtenu la palme d'or à Cannes en 1982, le procureur public d'Istanbul a
inculpé le réalisateur Serif Gören et son assistant Muzaffer Hicdurmaz
de propagande séparatiste. Le procureur considère que la présentation
de l'Anatolie du sud-est comme "Kurdistan" dans le film cité enfreint
les articles 140 et 143/3 du code pénal turc. En vertu de ces articles,
deux cinéastes risquent des peines de prison allant jusqu'à 30 ans
chacun. Bien que ce film ait été montré en Turquie par les cinéastes
accusés sur un scénario esquissé par Güney, le montage final du film a
été réalisé à l'étranger par Güney après qu'il se soit échappé de
prison et enfuit de Turquie en 1981. Après son succès à Cannes, Güney
est mort en exil en 1983.
o M. Aziz Nesin, humoriste et président de l' Union
des Ecrivains de Turquie (TYS) et M. Mehmet Ali Aybar, ancien président
de l'ex-Parti Ouvrier de Turquie (TIP) ont été emmenés devant la cour
de sûreté de l'état à Istanbul le 19 janvier 1987 pour leur
déclarations sur la question kurde parues dans l'hebdomadaire 2000'e
Dogru. Tous deux risquent des peines de prison allant jusqu'à 15 ans
pour "tentative d'affablissement et de destruction du sentiment
national au moyen de publications". Dans la même affaire, l'éditeur
responsable de l'hebdomadaire, M. Fatma Yazici, est également en procès
et risque la même peine.
o L'économiste Arslan Baser Kafaoglu, le journaliste
Emin Galip Sandalci, l'éditeur Ragip Zarapilu, Arslan Kahraman et Adnan
Aktas ont été menés devant un cour criminelle à Istanbul le 20 janvier
1988, pour certains articles parus dans le quotidien Demokrat avant le
coup militaire de 1980. Ils sont accusés d'apporter un soutien à un
organisation d'extrême gauche et de faire de la propagande communiste
dans le journal. Demokrat a été supprimé par les militaire il y a huit
ans. Les inculpés risquent des peines de prison allant jusqu'à 10 ans
chacun.
o A Adana, l'éditeur du quotidien Yeni Osmaniye, M.
Hüseyin Unaldi a été arrêté le 21 janvier 1988, sur l'accusation
d'insulte au procureur public et au gouverneur du district. Le
procureur réclame une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans
pour les journalistes
o L'éditeur de l'hebdomadaire satyrique Limon,
Mehmet Tuncay Akgün, a été condamné à une peine de 3 mois de prison, le
19 janvier 1988, par une cour criminelle d'Istanbul pour avoir insulté
la femme du premier ministre Özal.
Confiscation de publication
o Le 4 janvier 1988, la direction de la sécurité
publique d'Izmir a distribué à toutes les libraires et bibloithèque une
liste nouvelle contenant les titres de 2.028 livres dont la vente est
interdite. Les oeuvres de nombreux auteurs, poètes, leaders politiques,
cartonistes et érudits célèbre turcs et étrangers, tels que la théorie
de la relativité d'Albert Einstein, et même l'annuaire officiel du
téléphone d'Istanbul prennent place dans cette liste. Certains de ces
livres ont fait l'objet de procédures légales et ont obtenu
l'acquittement par la suite sur des décisions de la cour.
o Un nouveau best-seller, De quelle sorte de
démocratie nous avons besoin? écrit par le professeur Server
Tanilli , a été confisqué sur décision de la cour de sûreté de
l'état le 25 janvier 1988. L'auteur est accusé par le procureur de
faire de la propagande pour le séparatisme en soulevant la question des
droits démocratiques du peuple kurde dans le livre. Auteur de nombreux
autre ouvrages sur la question des droits de l'homme, le Prof. Tanilli
avait été blessé par balles et rendu paralysé par les Loups Gris
avant le coup d'état. Depuis celui-ci, il enseigne à l'université de
Strasbourg comme professeur honoraire.
o Selon le quotidien Cumhuriyet du 11 janvier 1988,
depuis le coup miliaire de 1980, le gouvernement turc a interdit
l'introduction en Turquie de 440 différentes publications parues à
l'étranger. 267 publications ont été interdites par le gouvernements
militaire jusqu'en 1983 et 173 autres par le gouvernement dirigé
par Özal depuis lors. La liste noire des publications bannies contient
195 livres, 106 périodiques, 46 pamphlets, 22 journaux, 7 lettres de
nouvelles, 32 communiqués, 2 cartes postales, 1 poster, 5
calendriers, 22 cartes, 6 albums, 1 programme, 8 poèmes, 2
musi-cassettes, 22 guides touristiques, 1 article et 13 différents
types de publications.
o Le 26 janvier, la cour de sûreté de l'état a
également décidé de confisquer les numéros 21 et 23 du mensuel Yeni
Demokrasi, accusés de contenir de la propagande communiste.
Privation de nationalité pour les opposants
Sur la question des émigrés politiques privés de la
citoyenneté turque, le gouvernement turc a une attitude ambiguë.
Alors que certains ministres du gouvernement affirment qu'ils cherchent
une solution pour ce problème, la pratique de privation de nationalité
pour les opposants au régime se poursuit.
Récemment, l'écrivain Temel Demirer, un émigré
politique vivant à Paris, a été victime de cette pratique.
D'un autre côté, le fameux chanteur turc M.
Cem Karaca, en dépit du fait qu'il est retourné d'exil en Turquie sur
la garantie donnée par Özal lui-même, a été inculpé le 13 janvier 1988,
sur l'accusation d'avoir mené des activités nuisibles à l'état turc
depuis l'étranger. Le procureur réclame une peine de prison d'au moins
5 ans en vertu de l'article 140 du code pénal turc.
Procès politiques et arrestations
4.1, le procès de 25 membres supposés du PKK, dont
22 sous arrestation, commence devant la cour de la sûreté de l'état de
Diyarbakir, ils risquent des peines de prison allant jusqu'à 15 ans.
9.1, à Izmir, la police arrête 16 personnes dont
quatre femmes, pour tentative de réorganiser le TDKP.
11.1, six membres supposés du THKP-C sont menés
devant la cour de la sûreté de l'état à Malatya.
12.1, à Siirt, les forces de sécurités arrêtent 18
personnes sur l'accusation de soutien à une organisation hors-la-loi.
15.1, au procès de 813 membres supposés de la
Dev-Yol, entamé en 1983, le procureur militaire réclame la peine de
mort pour 115 inculpés et diverses peines de prison qui vont
jusqu'à 15 ans pour 382 autres. Les inculpés sont accusés d'avoir fondé
une organisation marxiste léniniste dans la ville de Fatsa. L'inculpé
principal du procès, l'ancien maire de Fatsa Fikri Sönmez était décédé
auparavant à cause de mauvais traitements en prison.
16.1, à Izmir, la police politique emmène en
détention 106 personnes au cours d'une rafle opérée contre des
organisation de gauche. Parmi les détenus on trouve des
représentants des revues de gauche Yeni Cözün, Yeni Asama, et
Yarin.
Torture et mauvais traitements
L'association pour la solidarité avec les familles
des prisonniers (TAYAD), a adressé, le 27 janvier 1988, une pétition
commune au porte-parole de l'assemblée nationale, signée par 25.000
personnes et demandant de mettre fin à la torture et aux mauvais
traitements en prison.
Avant de quitter Istanbul, la délégation du TAYAD a
tenu une conférence de presse à Istanbul, aux côtés des tombes de deux
victimes de la répression, Haydar Basbag et Fatih Ökütülmüs, qui sont
mort au cours d'une grève de la faim en 1984.
Le porte-parole du groupe a dit qu'en dépit des
promesses d'amélioration des conditions d'emprisonnement, de nombreuses
familles n'ont pas été autorisées à rendre visite à leurs parents
emprisonnés, fils ou filles, même à la veille du Nouvel-An. Certains de
ceux qui furent autorisés à effectuer des visites ont été
emprisonnés par la suite sous quelque prétexte.
Dans la prison de Sinop, les prisonniers qui
refusent de porter l'uniforme de la prison ne sont pas autorisés
à aller aux douches pendant plusieurs mois.
Quant à l'association elle-même, ses principaux
membres dirigeants ont été soumis à des poursuites légales et menés
devant les tribunaux. Sept des 16 cartes postales publiées par le TAYAD
ont été confisquée sous le prétexte qu'elles contenaient de la
propagande séparatiste.
D'autre part, les dirigeants de l'Association des
Droits de l'Homme d'Istanbul (IHD) ont été jugés devant une cour
criminelle le 28 janvier, pour leur manifestation organisée en décembre
contre la torture et les peines de mort.
Le 8 janvier, les dirigeants locaux du SHP à
Siirt ont annoncé que 57 personnes avaient été détenues et
torturées pendant 16 jours par les forces de sécurité. Parmi les
détenus on trouvait huit membres du SHP. Deux jours plus tard, le 10
janvier, Le député Fuat Atalay, accompagné par un groupe de
personne torturées, a tenu une conférence de presse à Diyarbakir et a
dit:"Les appareils de torture utilisés au centre de police de
Diyarbakir n'existaient même pas dans l'Allemagne d'Hitler. Les gens
subissent souvent une pression sans précédent comme si leur région
était sur l'occupation d'un état hostile. Atalay a également déclaré
que le président local du SHP à Kiziltepe, M. Selanik Oner, avait été
torturé pendant 298 jours.
L'assemblée plénière de la cour de cassation a jugé
le 17 janvier 1988 que si un détenu est battu au cours de son
interrogatoire de façon à être incapable de travailler pendant moins
d'une semaine, cet acte ne pouvait être considéré comme de la torture.
Cette haute cour, déclarant qu'un tel acte ne peut être considéré comme
non-respect de la dignité humaine, a ratifié une peine de 10 mois de
prison pour un commissaire de police qui avait battu une femme au
cours d'un interrogatoire. Si l'acte était considéré comme torture, le
commissaire aurait été condamné à une peine de 5 ans de prison.
Le 19 janvier, lors d'un débat sur la torture
organisée par le TAYAD à Istanbul, le président du centre de
réhabilitation pour les personnes torturées (RCT), le Dr. Ingle Lunde
et le psychiatre Rorgen Ortian, ont dit qu'au moins 34 victimes de la
torture venant de Turquie avaient été traitées dans leur centre au
Danemark et ils ont établis qu'au moins 34 types de méthodes de torture
étaient imposées aux victimes par la police turque. Les représentants
de la RCT ont ajouté que leur centre a traité environ 200 personnes de
différents pays du monde et qu'il ouvrirait une section du centre
à Istanbul.
Après ce débat, le 21 janvier 1988, un groupe
d'intellectuels distingués de Turquie a lancé une nouvelle campagne de
signatures pour l'annulation des articles répressifs 140,141,142 et 163
du code pénal turc et pour mettre fin aux pratiques de torture. Parmi
les premiers signataires se trouvent le président Aziz Nesin et
d'autres membres de l'Union des Ecrivains de Turquie (TYS).