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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


147

13e année - N°147
Janvier  1989
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 


Un prisonnier politique de 15 ans,
en Turquie... et en 1989!


        Depuis des années, les Communautés européennes et leurs membres recourent à tous les moyens pour encourager le retour des travailleurs immigrés turcs dans leur pays. Depuis l'arrêt de l'immigration en 1974 jusqu'en 1984, soit une période de 10 ans, 1.199.718 citoyens turcs ont quitté l'Europe pour la Turquie.  512.770 d'entre eux étaient âgés de moins de 18 ans.
        Ces jeunes gens qui pour la plupart sont nés en Europe et y ont étudié, se sont trouvés confrontés à une situation dramatique dans leur pays où ils ont dû faire face à une éducation anti-démocratique, islamiste et chauviniste. Le numéro de novembre 1988 d'Info-Turk s'est attaché à expliquer ce drame.
        Les coupures de presse que nous reproduisons ici sont plus explicites:
        Melih Calaylioglu, âgé de 15 ans, est un de ces enfants d'immigré qui a quitté la RFA pour retourner en Turquie. Comme il en avait l'habitude dans les écoles européennes, il a exprimé  ses idées sur les problèmes sociaux et politiques de la Turquie à l'occasion des cours qu'il suivait au Lycée de Karatas d'Izmir. La direction de l'école l'a dénoncé à la police parce que ses opinions n'étaient pas conformes à ce qui est imposé par le régime.
        Le 4 octobre 1988, il a été arrêté par la police et accusé de propagande communiste au sein de l'école. Il a comparu devant la Cour de Sûreté de l'Etat d'Izmir et le procureur a réclamé contre une peine de prison allant jusqu'à 8 ans.
        Le 29 décembre 1988, la Cour a décidé de le soumettre à l'examen d'un médecin légal qui décidera si oui ou non, il se livrait consciemment à la propagande communiste. Le verdict de la cour sera basé sur le rapport du médecin.
        Tout cela se passe alors que les organes exécutifs et parlementaires des Communautés européennes entament un processus d'accélération de l'établissement des relations avec le régime turc! Le Comité parlementaire mixte turco-européen a déjà tenu sa première session à Strasbourg.
        Peut-être pensent-ils que la Turquie ne mérite qu'une démocratie de second choix et que toutes les pratiques anti-démocratiques du régime turc ne constituent pas un obstacle majeur au développement des relations turco-européennes.
        Mais que penser du drame de Melih, comme de celui des autres qui ont été obligés de quitter les pays européens et ce, en application de leurs politiques de rapatriement?    
    Ne sont-ils pas des enfants de l'Europe plutôt que des enfants de la Turquie?         Les organes européens ne se sentent-ils pas responsables de ce drame et de tant d'autres?

Journalistes toujours en prison

        Selon le numéro du 15 janvier du quotidien Cumhuriyet,  23 journalistes sont actuellement en prisons. Ci-dessous sont énumérés leur nom, le journal pour lequel ils travaillaient et leur peine de prison:
        Veli Yilmaz (Halkin Kurtulusu) 748 ans,
        Kazim Arli (Oncu) 22 ans et 6 mois.
        Abdullah Erdogan (Kitle) 36 ans,
        Irfan Asik (Partizan) 111 ans,
        Feyzullah Ozr (Kitle) 17 ans et 6 mois,
        Huseyin Ulgen (Genc Sosyalist) 12 ans et 3 mois,
        Ali Rabus (Birlik Yolu) 17 ans,
        Erhan Tuskan (Ilerici Yurtsever Gençlik) 123 ans,
        Candemir Ozler (Savas Yolu) 23 ans et 10 mois,
        Mehmet Ozgen (Bagimsiz Turkiye et Devrimci Militan) 41 ans,
        Nevzat Acan (Halkin Kurtulusu Yolunda Gençlik) 21 ans et 7 mois,
        Alaattin Sahin (Halkin Yolu) 130 ans,
        Osman Tas (Halkin Kurtulusu) 661 ans et 2 mois,
        Fikret Ulusoydan (Halkin Sesi) 66 ans,
        Ilker Demir (Kitle) 30 ans,
        Haci Ali Ozler (Emegin Birligi)
        Remzi Kuçukertan (Devrimci Proletarya) 17 ans et 6 mois,
        Kubilay Akpinar (Gunese Cagri) 7 ans et 6 mois,
        Ertugrul Mavioglu (Yeni Cozum) 3 ans,
        Surreya Uri (Durum)
        Mehmet Resat Guvenilir (Emegin Birligi) 29 ans et 9 mois,
        Guzel Aslaner (Halkin Birligi) 146 ans,
        Trois autres journalistes ont été condamnés par défaut à différentes peines de prison, les cours ont délivré des mandats d'arrêt pour qu'ils soient immédiatement arrêtés en cas de capture: il s'agit de Mustafa Tutuncubasi (Halkin Sesi), condamné à 42 ans; Dogan Yurdakul (Aydinlik) à 18 ans et Aydogan Buyukozden (Aydinlik) à 136 ans.
        L'année dernière, cinq journalistes ont été libérés après avoir purgé leur peine: Fuat Akyurek, Mustafa Colak, Galip Demircan, Ersan Sarikaya et Muhittin Goktas.
        Mustafa Yildirimturk, éditeur responsable de Halkin Kurtulusu,  s'est échappé de prison en 1988, alors qu'il purgeait une peine de 155 ans. Il se trouve actuellement en RFA où il jouit du statut de réfugié politique.

Journalistes traduits en justice

        Durant l'année 1988, les procureurs publics ont entamé plus de 500 actions pénales ou civiles contre des journaux quotidiens et autres périodiques.
        303 d'entre elles concernent les quotidiens suivants:
        Tan a subi 71 poursuites judiciaires, Gunaydin 54, Gunes 47, Sabah 40, Hurriyet 36, Milliyet 20, Cumhuriyet 17, Ulus 11, Milli Gazete 6, Turkiye 1.   
        Quant aux périodiques hebdomadaires ou mensuels, ils ont dû faire face à près de 200 actions légales. Ainsi l'hebdomadaire 2000e Dogru  a été impliqué dans 43 actions légales différentes, quant aux revues mensuelles suivantes, elles ont toutes été impliquées dans des actions pénales: Yeni Cozum 8; Emek Dunyasi 4; Gunese Cagri 3; Emegin Bayragi 3; Vardiya 2; Yeni Demokrasi 6; Cagdas Yol 3; Medya Gunesi, Ilk Adim, Bulten, Toplumsal Kurtulus, Yeni Oncu, Gençlik Dunyasi et Demokrat Arkadas 1 chacune.
        Mme Fatma Yazici, éditeur responsable de 2000e Dogru,  a déjà été condamné à 2 ans et 4 mois de prison. M. Perincek, rédacteur en chef du même hebdomadaire, a quant à lui, été condamné à 17 mois et 15 jours de prison.
        En plus des périodiques politiques cités plus haut, des magazines comme Playboy, Playmen, Bravo  et Erkekçe  ont fait l'objet d'actions légales pour avoir publié des articles ou des photos considérés comme "nuisibles aux mineurs d'âge" et ce, en vertu d'une loi qui a été adoptée par la majorité gouvernementale au Parlement.

Actions récentes contre la Presse

        Le 1.12: deux rédacteurs du Hedef Publication House, Nurettin Karakoç et Mehmet Demir, ont été arrêtés.
        Le 5.12: la Cour de Cassation a ratifié la peine de prison de 3 mois et 15 jours prononcée contre Necmettin Kurucu, rédacteur au quotidien Inanis  de Zonguldak.
        Le 6.12: Felemez Ak, éditeur responsable du mensuel Toplumsal Kurtulus,  a été arrêté.
        Le 8.12: le procureur de la République a ouvert une action légale contre le célèbre chanteur folklorique Cem Karaca. Cette action vise sa nouvelle cassette qu'on accuse de porter atteinte aux sentiments religieux.
        Le 9.12: l'éditeur Asuman Ozcan a comparu devant la Cour de Sûreté de l'Etat pour avoir publié l'œuvre de Losovski sur les syndicats. Elle risque un emprisonnement de 7 ans et 6 mois.
        Le 14.12: le dernier numéro du mensuel Yeni Açilim  est confisqué et Selik Calik, son rédacteur en chef, interrogé par le procureur de la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul.
        Le 15.12: le procès de deux éminents intellectuels a commencé à la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara. Il s'agit du juriste Halit Celenk et de l'éditeur Muzaffer Erdost.
        Le 20.12: le rédacteur en chef de 2000e Dogru,  M. Dogu Perincek, a été condamné à 17 mois et 15 jours de prison, par une cour criminelle d'Istanbul pour avoir écrit un article sur les idées d'Ataturk concernant Dieu et l'Islam. L'éditeur responsable Fatma Yazici, a été condamnée à verser une amende de 135.000 LT pour avoir publié cet article. Deux rédacteurs du quotidien Yeni Nesil,  Bunyamin Ates et Sabahattin Aksakal, ont été condamnés à 17 mois de prison chacun, pour l'avoir cité.
        Le 21.12: six journalistes, Nadir Nadi Usta (Yeni Asama), Hatice Onat (Emegin Bayragi), Metin Faruk Tamer (Isçi Dunyasi), Riza Resat Cetinbas et Mehmet Ali Cakiroglu (Yeni Demokrasi) et Can Gulsenoglu (Medya Gunesi) ont été mis en accusation par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara pour avoir publié un communiqué de presse à l'encontre du gouvernement irakien qui utilise des armes chimiques sur des populations kurdes. Ils risquent des peines allant jusqu'à 6 ans de prison.
        Le 22.12: Haydar Kutlu, secrétaire général du Parti communiste unifié de Turquie, a été une fois de plus mis en accusation par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara pour un livre compilant ses articles et ses discours.
        Le 27.12: le numéro de décembre du mensuel Yeni Cozum  a été confisqué et trois membres de sa rédaction, Recep Guler, Ilker Alcan et Meral Coskun ont été mis en garde à vue. La police a également arrêté un groupe de 42 personnes qui ont protesté contre ces arrestations.
        Le 28.12: la police a saisi, sur ordre de la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara, 3.000 copies du livre "Le Journal de la mort sous torture", écrit par poète Nihat Behram. Ce livre dénonce les tortures meurtrières commises par la police. La même cour a ordonné la confiscation de 15.000 copies d'un autre livre du même auteur. Behram est un des intellectuels turcs privés de leur nationalité turque, en raison de leurs opinions. Il vit actuellement en Allemagne fédérale.
        Le 29.12: le docteur Ismail Besikçi, éminent sociologue turc, a été arrêté par la police pour une interview qu'il avait accordée au mensuel Ozgur Gelecek.  Il a passé plus de 10 ans de sa vie en prison pour ses travaux académiques critiquant la politique répressive de l'Etat envers le peuple et la culture kurdes.
        Le 30.12: la police a saisi des milliers de cartes de vœux, illustrées par des dessins de Picasso et des vers de Pablo Neruda et Nazim Hikmet.

Le Général Evren et les Intellectuels

        Le 9 janvier dernier, le général Evren a donné une réception au palais présidentiel dans le but de charmer l'opinion publique et plus particulièrement les intellectuels. Les artistes turcs les plus éminents y étaient conviés, ainsi que des sportifs et des journalistes.
        Bien qu'ils aient été invités à la soirée, un grand nombre d'entre eux, parmi les plus distingués n'y sont pas allés comme l'humoriste septuagénaire Aziz Nesin, le metteur en scène Atif Yilmaz, le musicien Ilhan Irem, l'acteur Genco Erkal, les poètes Melih Cevdet Anday et Cahit Kulebi, les écrivains et romanciers Adalet Agaoglu, Ferit Edgu, Furuzan, Tarik Dursun et Ilhan Berk.
        Nesin, qui est également président de l'Union des Ecrivains Turcs (TYS) a déclaré après avoir reçu son invitation: "Un jour, il m'avait décrit comme un traître, maintenant il essaie d'être sympathique. Je ne joue pas à ce jeu-là".
        Lorsqu'en 1984, 1.380 intellectuels turcs avaient envoyé une pétition à Evren en guise de protestation contre les injustices et les pratiques anti-démocratiques de son régime, il avait déclaré qu'il n'avait pas besoin de ces intellectuels qui, dans le passé, avaient trahi leur patrie. Suite à cela, Aziz Nesin avait poursuivi Evren en justice pour calomnie. Comme les tribunaux turcs ont refusé de prendre sa plainte contre Evren en considération, Nesin a saisi la Commission Européenne des Droits de l'Homme.

Le procès politiques de la fin 1988

        Le 4.12: à Istanbul, un assistant et 12 étudiants universitaires ont été arrêtés pour avoir distribué des tracts de l'organisation illégale de gauche: Dev-Yol, ainsi que pour avoir organisé des manifestations non autorisés.
        Le 5.12: trois professeurs et 12 autres personnes sont détenus à Ankara.
        Le 7.12: arrestation à Ankara de 14 membres présumés du Parti communiste de Turquie/Union (TKP/B)
        Le 14-12: la police d'Istanbul a arrêté 12 personnes soupçonnées d'appartenir au TKP/B.
        Le 16.12: le tribunal de la loi martiale N°2 d'Istanbul a condamné 4 membres de l'Armée de Libération du Kurdistan du Nord (TKKKO) à la prison à vie, un autre à 16 ans et trois autres à 11 ans chacun.
        Le 19.12: à Mardin, 5 membres d'une organisation illégale ainsi que 24 de ses sympathisants sont arrêtés.
        Le 20.12: la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara a condamné 7 membres d'Acilciler (Groupe d'Urgence) à des peines de prison allant jusqu'à 16 ans et 8 mois. L'un des condamné, Hilal Aydin, purgera 2 ans et 1 mois de sa peine dans l'isolement le plus total.
        Le 21.12: l'ancien maire de Diyarbakir, Mehdi Zana, a été traduit devant le Tribunal de la Loi Martiale de Diyarbakir pour une déclaration en faveur du Parti des ouvriers du Kurdistan (PKK).
        Le 22.12: la Cour de la Loi Martiale de Diyarbakir a condamné 4 membres présumés du Mouvement de libération nationale du Kurdistan (KUK) à des peines de prison allant jusqu'à 2O ans. Le même jour une procédure a été ouverte contre 3 membres présumés du PKK.
        Le 23.12: la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara a mis en accusation 20 personnes, sympathisants et parents de prisonniers politiques, pour avoir organisé une occupation non autorisée des locaux de l'Assemblée Nationale. Tous risquent des peines de prison allant jusqu'à 3 ans.
        Le 27.12: à Ankara, 12 personnes sont arrêtées pour avoir distribué des tracts et avoir accroché des pancartes sur les murs.
        Le 28.12: le procès de 9 membres présumés du PKK a commencé à la Cour de Sûreté de l'Etat d'Izmir. Le procureur public a demandé la peine capitale pour 5 d'entre eux.
        Le 31.12: les forces de Sûreté annoncent l'arrestation de 11 membres présumés du PKK dans le district de Suruc dans la province de Sanliurfa.

Des chefs de la pègre libérés

        Alors que des milliers de prisonniers politiques sont maintenus en captivité, on assiste à la libération, un par un, des figures de proue de la pègre turque. Le nombre de ceux qui ont été libérés, ces derniers 12 mois s'élève à 68.
        Le 3 janvier dernier, la Cour militaire de Diyarbakir a acquitté un membre bien connu du "milieu", Dundar Kiliç, ainsi que ses 18 amis. Ainsi, le grand nettoyage déclenché par le régime militaire début des années '80 arrive à sa fin.
        Kiliç, âgé de 52 ans, risquait la peine de mort pour contrebande de stupéfiants. En effet, de 1979 à 1983, il a fait sortir du pays 74 kg d'héroïne et 317 kg de haschich. Il était également accusé d'avoir violé la loi martiale et d'avoir fait disparaître un certain nombre de ses ennemis. La Cour a jugé qu'il n'existait pas de preuves suffisantes prouvant la validité des charges pesant sur les inculpés.
        Après sa libération, Kiliç a fait la déclaration suivante: "On m'a privé de ma liberté pendant 5 ans grâce à un complot ourdi contre moi par Attila Aytek (ancien directeur du département contrebande de la police) et par Mehmet Eymur (ancien chef de la section contrebande des services secrets turcs)". Kiliç rejette également la responsabilité de son arrestation sur des hommes d'affaires et des hommes de presse. Il a ajouté: "Chacun d'entre eux va payer pour cela. Je dispose d'informations qui vont secouer tout le pays".

Trouble dans les prisons turques

        Un malaise subsiste dans les prisons turques, et ce malgré le fait que les détenus aient arrêté leurs grèves de la faim sur la promesse d'une prochaine amélioration des conditions carcérales.
        Mais, dès le début du mois de janvier, suite à la découverte d'un tunnel de 18 mètres de long creusé par les détenus, l'administration de la prison de Sagmalcilar, à Istanbul, a renforcé la sécurité en ajoutant de nouvelles restrictions à celles déjà existantes. Cela a provoqué des protestations de la part des prisonniers, de leurs familles et amis.
        Les détenus ont rapporté qu'ils étaient battus par les gardes et les soldats qui ont utilisé du gaz lacrymogène lors des fouilles dans les salles de la prison. La plupart des prisonniers politiques ont été isolés, ils n'étaient pas autorisés à voir leurs parents en raison de la décision de l'administration pénitentiaire de suspendre leur droit de visite.
        Un détenu libéré récemment a raconté que les prisonniers faisaient des barricades dans les couloirs pour empêcher les officiers de la sécurité de poursuivre leurs actions punitives.
        Le 11 janvier dernier un groupe de personnes s'est réuni devant la prison pour protester contre les conditions de vie des prisonniers. Les forces de sécurité les ont attaqué et ont arrêté deux hommes et une femme.

Un juge critique la constitution de 1982

        Le président de la Cour Suprême Administrative, Orhan Tuzemen, a émis des critiques, le 12 décembre dernier, au sujet du système constitutionnel introduit par les militaires. C'est le deuxième juge de haut-niveau qui s'élève contre la constitution au cours de ces derniers mois.
        Tuzemen a déclaré à la presse, quelques jours avant de se retirer que la constitution de 1982 est intolérable du fait qu'elle est le produit du coup d'Etat militaire de 1980 et que ce système constitutionnel reflète la logique qui est à la base de la prise de pouvoir par les militaires. Il a également rappelé que ceux qui sont parvenus au pouvoir de cette façon, considèrent leurs paroles comme supérieure à la Constitution et qu'ils gouvernent de façon telle que tout ce qu'ils décident devrait être considéré comme un amendement constitutionnel.
        Tuzemen a déclaré qu'il était contre les crimes de conscience et qu'il était partisan de la liberté d'expression de toutes les idées dans la société turque. Il a également dit que le général Evren n'a pas réellement tout essayé pour mettre fin aux troubles qui ont entraîné le coup d'Etat militaire, et ce malgré la loi martiale qui avait été décrétée. Tuzemen a continué en évoquant les concessions faites aux réactionnaires avec l'introduction de cours de religion obligatoires dans les écoles.
        En septembre dernier, le président de la Cour de Cassation, Ahmet Cosar, avait déjà critiqué le système légal turc lors de la session d'ouverture de l'année judiciaire.

Le parti socialiste légitimé

        Le 6 décembre 1988, la Cour constitutionnelle a rejeté la demande du Procureur de la République de dissoudre le Parti socialiste (SP) sur base d'une violation, par ce parti, des règles constitutionnelles. Le Procureur avait déclaré que le programme et les statuts du SP "avaient pour but d'établir la dictature d'une classe sociale sur la société turque."
        Le SP est le premier parti politique fondé par des personnes d'obédience marxiste.
        9 des 11 juges de la Cour constitutionnelle se sont prononcés contre les arguments du Procureur.
        Le président du SP, Ferit Ilsever, a déclaré que cette décision contribue à l'établissement de la démocratie en Turquie, et ce malgré les efforts de certains cercles pour bannir un parti socialiste de la scène politique.

L'IHD acquitté par la justice

        Le 13 décembre dernier, le président de l'Association des droits de l'Homme de Turquie (IHD), Nevzat Helvaci, ainsi que 10 de ses membres exécutifs ont été lavés de toute accusation d'impliquer l'association dans des activités politiques. Une cour criminelle d'Ankara a également rejeté la demande de dissolution de l'organisation faite par le Procureur.
        Lors des débats, le juge a déclaré que le fait de mener une campagne pour la suppression de la peine de mort et pour l'amnistie générale, ne constitue pas une activité contraire aux objectifs de l'IHD.
        Cependant, le 6 décembre dernier, lors d'une autre action administrative dans la province d'Izmit, le gouverneur a interdit à la branche locale de l'IHD de poursuivre ses activités sur base du fait que les grèves de la faim organisées en guise de protestation contre les conditions de vie des prisonniers ont eu lieu dans les locaux de l'association. Le procureur a annoncé que des poursuites légales allaient être entamées contre les dirigeants locaux de l'IHD.

Une année difficile pour l'économie turque

        Selon le quotidien Dateline  du 7 janvier, 1989 sera une "dure année" pour l'économie turque. L'inflation constitue le problème le plus important de la Turquie, dernièrement elle a connu une hausse de 90%, causant des troubles dans l'économie, altérant la distribution des revenus et obligeant l'Etat à emprunter.
        Un vaste programme de restriction qui a été approuvé par le Fonds monétaire international et par la Banque Mondiale est en cours d'application. Ainsi, le 1er janvier, des nouvelles taxes ont été instaurées. A cause de ce programme, la stagnation qui est apparue au milieu de l'année 1988, va affecter tous les secteurs.
        Le nouveau programme pour 1989  ne prévoit aucun nouvel investissement. Cette année, les fonds seront uniquement réservés aux investissements en cours, forçant ainsi l'Etat, qui est le plus gros demandeur sur le marché, à restreindre sa demande. Une chute d'activités dans les secteurs industriel et de la construction pourrait mener à une stagnation plus importante.
        L'Etat supporte un lourd fardeau de dettes intérieures et extérieurs. A la fin de l'année 1988, ces dernières se montaient respectivement  10 milliards de dollars et à 36 milliards de dollars. Craignant de ne pas pouvoir faire face au service de la dette, le gouvernement turc a adopté un budget qui lui est consacré. Près de la moitié du budget soient 19 milliards de dollars, sera consacré au remboursement des dettes intérieures et extérieures. Cela implique que la Turquie doit produire plus et doit éviter de consommer toute sa production.
        Le prix des produits des entreprises d'Etat vont être augmentés, mais cette hausse va se répercuter sur le secteur privé qui dépend d'eux. Cela va donc provoquer une augmentation des biens produits par le secteur privé.
        Les banques vont regretter 1988, qui est considérée comme une bonne année. Elles auront les pires difficultés à placer des fonds collectés à un taux d'intérêt de 85%. Elles vont également subir l'impact de la crise que traverse actuellement les industriels, les commerçants et les marchands.
        Ce sont les travailleurs et les fonctionnaires qui souffrent le plus de la hausse de l'inflation et de la baisse des salaires. En 8 ans, leur pouvoir d'achat a diminué de 50%.
        Depuis des années, la distributions des revenus est injuste. Mais depuis 1984, la disparité ne cesse d'augmenter. Les plus touchés par ces injustices sont les ouvriers, les fonctionnaires et les agriculteurs. Leurs revenus diminuent, alors que le revenu national de la Turquie augmente.
        La part du revenu national des ouvriers et des fonctionnaires est passée de 21,4% en 1984 à 16,1% en 1988. Quant à la part des agriculteurs, sur la  même période, elle est tombée de 20,1% à 16,5%. La plus grosse part du revenu national revient à une minorité. Ainsi, les revenus provenant de loyers et de transactions financières est passé de 38,5% en 1984 à 67,4% en 1988.
        En 1989, les fonctionnaires n'obtiendront que 40% d'augmentation. Il semble que cette année va connaître des dialogues difficiles entre ouvriers et employeurs. Comme ces derniers s'attendent à une stagnation, ils vont se montrer prudents lors des négociations collectives.
        Quant aux fermiers, qui se serrent la ceinture depuis 1980, leur situation ne va pas s'améliorer puisque l'accord passé avec le FMI ne prévoit qu'une augmentation de 40% des produits agricoles.

Croissance du militantisme ouvrier

        Pour l'année 1989, les dirigeants syndicaux prévoient une croissance du militantisme parmi les ouvriers, ces derniers exercent une forte pression sur les syndicats dans le but d'obtenir des gains concrets grâce aux négociations collectives.
        L'année passé 2,8 millions de jour de travail ont été perdus quand 30.548 ouvriers ont poursuivi des actions de grèves dans 503 lieux de travail.
        L'année 1989 s'ouvre, dans les entreprises d'Etat, sur des négociations collectives pour près de 650.000 ouvriers. Pour 14.000 ouvriers, l'année nouvelle a commencé par un mouvement de grève. Les syndicats ont déjà annoncé le prochain mouvement qui impliquera 3.000 travailleurs. Depuis que les négociations collectives ont échoué pour 52.000 ouvriers on s'attend à ce qu'ils débutent une action de grève dans les mois à venir.
        La constitution de 1982, édictée par les militaires, limite les droits des syndicats à la grève, à la participation aux négociations collectives et à la représentation des travailleurs. Près de 500.000 travailleurs du secteur public n'ont pas le droit de s'organiser ni de faire la grève. Cette interdiction est basée sur le fait qu'ils produisent des services essentiels. Les autres travailleurs du secteur public qui sont syndiqués risquent toujours de voir leurs revendications comparaître devant le Conseil Suprême d'arbitrage qui n'est autre qu'un organe contrôlé par le gouvernement.
        De plus, la Confédération des syndicats progressistes (DISK) est toujours interdite et ne peut donc pas prendre part aux relations du monde du travail.
        Malgré la promesse faite par le gouvernement turc à l'Organisation Internationale du Travail (OIT) d'améliorer la législation sociale, aucune amélioration n'est intervenue en 1988.

Un nouveau scandale financier

        Un nouveau scandale financier a entraîné la démission de Kaya Erdem, vice-premier ministre, et du banquier Bulent Semiler, l'un des jeunes bureaucrates le plus prometteur de l'entourage de Ozal.
        Au centre de ce scandale, on retrouve l'homme d'affaires Kemal Horzum, qui est actuellement jugé à Ankara pour avoir détourné des fonds estimés à 80 millions de dollars de la banque Emlak,  propriété gouvernementale.
        Dans son numéro du 12 décembre 1988, le quotidien Hurriyet  soutient que Horzum entretenait des relations avec un "membre influent du cabinet". Horzum aurait ouvert des comptes en Suisse au nom du frère de ce ministre et ce, dans le but de les utiliser comme exportations fictives.
        Bien que le journal n'ait pas nommé ce ministre, il a reproduit une silhouette qui laisse peu de doute sur son identité: il s'agit, en effet, de Kaya Erdem, vice-premier ministre.
        Ayant été prévenu que le rapport se basait sur les indications de Bulent Semiler, alors directeur général de la Banque Emlak,  Erdem a demandé à Ozal s'il devait se débarrasser de Semiler ou continuer à gouverner sans la collaboration de son vice-premier ministre. Là-dessus, Semiler, suivant la suggestion d'Ozal, a démissionné de son poste directeur de la Banque Emlak , mais le premier ministre l'a immédiatement nommé son principal conseiller pour les affaires bancaires.
        Entre-temps, le quotidien Hurriyet  a publié des extraits de conversations téléphoniques de Horzum qui ont été enregistrées par le service d'écoute des services secrets nationaux (MIT). Ces derniers révélaient que l'homme d'affaires avait raconté à un de ses amis, le 14 février 1988, qu'il avait obtenu un rendez-vous d'Erdem.
        Sur ce, Erdem a démissionné de son poste et dit dans sa lettre de démission: "Les événements ont révélé de sérieuses divergences d'opinion entre le premier ministre et moi-même. Elles portent sur nos conceptions respectives de la vie politique et du gouvernement".
        Erdem était le collaborateur le plus proche d'Ozal depuis le coup d'Etat de 1980. Lorsqu'Ozal a été nommé vice premier ministre dans le premier gouvernement militaire, Erdem était nommé en même temps ministre des Finances.
        En juin 1982, alors que la Turquie traversait un crash boursier, Ozal et Erdem avaient dû démissionner de leurs postes gouvernementaux.
        Un an après, les deux hommes ont décidé de créer le Parti de la Mère Patrie (ANAP) et de tenter leur chance en politique.
        Les conséquences de ce nouveau scandale risquent de porter préjudice à la carrière politique d'Ozal.
        Le fait que des conversations téléphoniques de Horzum aient été enregistrées a à nouveau attiré l'attention sur les pratiques illégales des services secrets. Le SHP, principal parti de l'opposition turque, a soumis au Président de la Chambre une série de questions écrites demandant si les forces de sécurité sont autorisées à enregistrer les conversations téléphoniques des particuliers et si le premier ministre est mis au courant de ces écoutes.

Des troupes turques en Europe centrale

        Le premier ministre turc a déclaré en décembre dernier lors d'un déjeuner au Club national de la Presse de Washington que la jeunesse turque pourrait jouer un rôle primordiale dans la défense ouest-européenne dans le siècle à venir. Il a continué en disant que la population turque se monte actuellement 55 millions. Au début du 21ème siècle, elle atteindra 70 millions. Il a estimé qu'il devait souligner le fait que cette population sera extrêmement jeune et que déjà, actuellement 42% de celle-ci est âgé de moins de 14 ans. Il a comparé la population turque à celle de la RFA qui comptera plus de personnes âgées que d'enfants à la même période.
        Entre-temps, un rapport publié conjointement par des experts de l'OTAN et par des membres du Congrès américain pose que les troupes turques pourraient être déployées en Europe centrale dans le but d'y contrer la suprématie des troupes du Pactes de Varsovie. Ce rapport, intitulé " OTAN-Pacte de Varsovie, équilibre des forces conventionnelles" précise que l'autorité militaire de l'OTAN ne peut pas utiliser les forces militaires turques de manière effective et propose le déploiement de certaines unités turques en RFA et ce, en vertu d'un accord bilatéral qui interviendront entre ces deux alliés de l'OTAN.
        La déclaration d'Ozal ainsi que ce rapport ont causé un débat au sein de l'opinion publique turque. L'ancien premier ministre turc Suleyman Demirel, actuellement leader du parti d'opposition de la Juste Voie (DYP) a réagi à la déclaration d'Ozal en déclarant qu'il ne voulait pas que des jeunes turcs servent de légionnaires étrangers en Europe.
        D'autre part, la presse turque a fait déjà plusieurs fois état de l'intention des autorités ouest-allemandes d'engager de jeunes immigrants turcs dans le but de remédier au manque d'effectif des forces armées allemandes.

Le Fondamentalisme gagne du terrain

        Après la prise d'influence sur la direction du parti au pouvoir (ANAP) par l'Alliance Sacrée (coalition des Pan-Turquistes et des fondamentalistes islamiques), c'est au tour du 2ème parti de droite représenté au Parlement, le Parti de la Juste Voie (DYP) de Suleyman Demirel, ancien premier ministre, de glisser vers le fondamentalisme.
        Le député DYP Ertekin Duruturk, très proche de Demirel, a, en effet, déposé un projet de loi à l'Assemblée nationale turque, demandant que le musée Ayasofya (Sainte-Sophie) soit reconvertie en mosquée et que le Coran soit lu dans la section des reliques sacrées du Palais de Topkapi.
        L'église Sainte-Sophie avait été construite en 537 par l'Empereur Byzantin Justinien. Elle est passée d'Eglise à mosquée en 1453 après la prise d'Istanbul par Mehmet le Conquérant. En 1934, un décret d'Ataturk l'avait convertie en musée.
        Dans son projet de loi, approuvé par le groupe parlementaire DYP, Duruturk dit: "Ceux qui ont fait taire en 1934, les appels à la prière lancés depuis les minarets d'Ayasofya ont également détruit une tradition vieille de 417 années qui voulait que le Coran soit lu dans la chambre des reliques sacrées du Palais de Topkapi. Cette décision constitue un remords de conscience pour la nation turque".
        La même demande avait été faite lors de la convention de l'ANAP de juin 1988 (Voir Info-Turk de décembre 1988).

Le show anti-occidental de l'Alliance Sacrée

        La dernière pomme de discorde en date entre les deux factions rivales de l'ANAP, porte sur la question de savoir si le gouvernement doit assurer les frais d'hébergement des danseurs des troupes étrangères se produisant en Turquie, ou, au contraire, utiliser ces fonds pour la promotion des Turcs qui ont fait l'histoire.
        La controverse a éclaté le 21 décembre dernier, lors d'un débat parlementaire sur le budget du ministère de la Culture et du Tourisme. Un député de l'ANAP, Talat Zengin, a déposé un projet de loi demandant que le gouvernement utilise les 500 millions de LT (280.000 dollars) initialement prévus pour les dépenses des danseurs des troupes étrangères en Turquie, pour financer la promotion des personnalités historiques turques. Les membres dirigeants de l'Alliance Sacrée, pacte qui unit les Pan-Turquistes aux fondamentalistes islamiques au sein de l'ANAP (voir Info-Turk de décembre 1988) ont appelé ouvertement les députés à soutenir le projet de loi de Zengin.
        Comme le projet de loi a été rejeté par la majorité parlementaire, l'ANAP a essayé d'apaiser la colère des conservateurs en consacrant 500 millions de LT supplémentaire à la promotion des personnalités turques ainsi que de la musique turque dans le budget du ministre de la Culture et du Tourisme.

Dispute au sujet des couvre-chefs islamiques

        Doit-on permettre aux étudiantes universitaires de porter des turbans ou non? Cette question, débattue depuis cinq ans, reste une des plus controversées de la vie politique turque. Elle est apparue suite à un conflit existant entre les principes laïcs d'Ataturk et les diktats du Coran.
        Jusque dans les années '70, même dans les écoles religieuses Imam Hatip où l'on forme les membres du clergé, les filles étaient tête nue. En 1968 lors de la résurgence du mouvement religieux, une fille s'est pour la première fois couvert la tête à la faculté de Théologie de l'Université d'Ankara. D'autres ont suivi. Elles protestaient de cette façon contre la formation donnée dans les universités laïques.
        En 1983, le Conseil Suprême de l'Education (YOK) a prohibé de porter le turban pour les étudiantes et la barbe pour les étudiants.
        En novembre 1988, la majorité gouvernementale a adopté une nouvelle loi autorisant les étudiants universitaires à assister aux cours en tenue islamique.
        Evren a opposé son veto à cette loi le 1er décembre, mais la majorité ANAP aidée par les éléments conservateurs du DYP ont fait passer pour une deuxième fois la même législation au Parlement. La loi a été publiée au journal officiel le 27 décembre 1988.

Réfugiés kurdes meurent de froid

        A la fin de l'année 1988, l'hiver particulièrement rude qui sévit dans la région orientale de la Turquie a provoqué la coupure des routes, isolant ainsi 1.000 villages, et a causé le décès de trois réfugiés kurdes vivant dans des camps de toile à Hakkari.             Dans les provinces d'Erzurum, de Kars, d'Agri, de Mus, de Bingol, de Tunceli, de Van et d'Hakkari, la température est tombée en dessous de -10°C et dans certaines régions, surtout les montagneuses, la couche de neige a atteint trois mètres.
        A l'heure actuelle, plus de 40.000 réfugiés kurdes irakiens vivent dans des camps de tentes en Turquie orientale. Depuis le mois d'août, plusieurs milliers de réfugiés kurdes ont préféré aller en Iran et plusieurs centaines d'autres sont retournés en Irak, profitant d'une promesse d'amnistie faite par le régime de Bagdad.
        Les discussions entre la Croix Rouge turque et le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations-Unies concernant l'aide à accorder aux réfugiés, ont tourné court lorsque la Turquie a demandé une aide d'un montant de 20 millions de dollars. Le commissariat à déclaré qu'il ne pouvait pas attribuer plus de 5 millions de dollars. L'accord impliquait que la Turquie accorde aux Nations-Unies un droit de regard sur la distribution de cette aide. Le porte-parole du Ministère turc des affaires étrangères a déclaré qu'ils ne voyaient pas l'utilité d'accorder un tel droit au Haut Commissariat pour une aide aussi minime.

Archives sur la question arménienne

        Le 2 janvier, le Ministre des affaires étrangères a annoncé que dans les 4 ou 5 mois à venir, les chercheurs turcs et étrangers auront accès aux archives ottomanes relatives au massacre et à la déportation des Arméniens qui ont eu lieu au début du siècle.
        Le 4 janvier, lors d'une conférence de presse, le premier ministre Ozal a répondu à une question demandant si l'étude de ces archives avait révélé un quelconque document allant à l'encontre de la position de la Turquie: "Cela n'a pas d'importance si on découvre une preuve quelconque contre la Turquie, nous l'accepterons comme un fait historique. Nous n'avons pas ouvert les archives ottomanes aux chercheurs parce que nous étions sûrs qu'elles ne contenait rien contre nous. En d'autres termes, ces archives peuvent révéler des faits favorables ou défavorables aux Ottomans".
        Le pouvoir ottoman a fait l'objet de l'accusation qu'il a massacré ou déporté plus d'un million et demi d'Arméniens lors des deux premiers décades du 20ème siècles.
        La classification des documents datant de 1691, date où pour la première fois les archives ottomanes font allusion aux Arméniens, à 1895, est déjà faite. Les experts se consacrent actuellement aux archives de la période 1895 à 1923, date à laquelle la Turquie est devenue une République.
        400 experts, désignés par le gouvernement turc, sont en train de dépouiller plus de 100 millions de papiers et 240.000 carnets de notes. Durant ces derniers mois, seulement 5% des papiers et 40% des carnets de notes ont été classés.
        Le Dr. Mete Tuncay, bien connu pour ses analyses critiques des positions officielles de la Turquie, a déclaré que les experts qui fouillent ces archives depuis les quatre dernières années, ont fait disparaître les documents qui ne vont pas dans le sens de l'idéologie de l'Etat. Le Dr. Tuncay a poursuivi en disant que le gouvernement n'ouvrira ces archives qu'aux scientifiques dont il est sûr qu'ils supporteront la version officielle comme Stanfort Show.
        De plus, il estime qu'en ce qui concerne les archives ottomanes, la Turquie n'est qu'une héritière parmi au moins 24 autres nations qui formaient l'Empire Ottoman. Il estime donc que de telles archives doivent être soumises à un contrôle multi-national.

Extradition illégale de cinq exilés

        Les autorités turques ont encore fait la preuve de leur attitude hypocrite lorsqu'elles ont extradé cinq des 8 exilés volontaires de gauche et arrêté les trois autres. Ces derniers étaient revenus chez eux le 10 décembre dernier, à l'occasion du 40ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
        Lorsque ces 8 personnes sont arrivées de Londres, Copenhague et Francfort, elles ont été accompagnées par la police dans des pièces isolées de l'aéroport d'Istanbul.
Cinq d'entre-elles ont été immédiatement renvoyées par le premier vol; il s'agit des syndicalistes Nafiz Bostanci, Murat Tokmak, Ekrem Aydin et Turan Ata ainsi que de Madame Beria Onger, avocat et présidente de l'Association des Femmes Progressistes (IKD). La police a justifiée cette extradition en prétextant qu'ils ne sont plus des citoyens turcs. Les parlementaires et les journalistes  européens qui accompagnaient les exilées sont repartis avec eux.
        Des policiers appartenant à la brigade anti-émeute interdisaient l'accès à l'aéroport et ont ainsi maintenu les parents et les supporters des exilés à l'écart.
        Les trois autres exilés ont été détenus car ils sont toujours de nationalité turque alors que les cinq autres l'avaient perdue en vertu des décrets pris par le gouvernement après le coup d'Etat de 1980. Il s'agit de Nurettin Yalçin (ingénieur), de Yuksel Selek (dirigeante de l'IKD) et de Haluk Tan Ipekçi (dirigeant de l'Association de la Jeunesse progressiste).
        Kemal Anadol, député social-démocrate a rappelé des autres cas de retour comme celui de Yahya Demirel, neveu de l'ancien premier ministre Demirel, contre lequel un mandat avait été lancé pour fraude, et celui de Cem Karaca, chanteur folklorique. Tous deux avaient été acceptés dès leur retour.
        Dans une déclaration antérieure, le premier ministre Turgut Ozal avait dit que tous ceux qui étaient en exil ou qui avaient été privés de leur nationalité turque, pouvaient revenir sans crainte en Turquie, et s'il existait une poursuite légale contre, qu'ils pouvaient compter sur la justice turque.
        Ces derniers événements prouvent qu'Ozal ne tient pas parole, sans parler de la violation flagrante des normes de droit international.

Amnesty International accuse le gouvernement turc

        Dans son dernier rapport, paru le 4 janvier dernier, Amnesty International met en cause le gouvernement turc. Selon elle, il a déployé d'énormes efforts sur le plan diplomatique pour améliorer son image de marque à l'étranger, mais il n'a pris aucune mesure concrète pour améliorer le respect des droits de l'homme sur son territoire.
        Ce rapport est paru, quatre jours après qu'Ozal ait déclaré, dans son discours de nouvel An, que les critères occidentaux de respect des droits de l'homme ont été adoptés en Turquie. Il rapporte que Amnesty International a reçu quotidiennement ces deux derniers mois, des preuves que l'on pratique toujours la torture en Turquie. Ce rapport constate que ces abus sont les derniers en date dans le catalogue des violations des droits de l'homme ouvert en Turquie en 1980. Ils découlent de milliers de cas de torture et de  plus de 2O0 décès intervenus alors que la victime se trouvait en état d'arrestation.
        Le premier ministre turc a exclu l'existence de toute pratique systématique de la torture en Turquie, dès son arrivée au pouvoir en 1983.
        Cependant, Nevzat Helvaci, président de l'Association  des droits de l'homme de Turquie (IHD) a confirmé le rapport d'Amnesty. Il a déclaré qu'il reçoit quotidiennement des plaintes similaires concernant la violation des droits de l'homme. Il confirme que les morts suspectes de prisonniers n'ont pas cessé.
        Quant au bâtonnier de l'Association des Barreaux turcs, Teoman Evren, il a estimé dans une déclaration récente que le système judiciaire turc favorise des inégalités qui entraînent la pratique de la torture, les arrestations arbitraires et l'emprisonnement d'innocents. Sa déclaration révèle que selon le système légal turc, une personne peut être détenue pendant 15 jours avant d'être autorisée à voir son avocat. Il continue en affirmant que parfois les détenus mentent sous la torture, contrairement  à ce qui se passe dans les pays où la torture n'existe pas. Il pense que si on autorisait les avocats à voir leurs clients immédiatement après leur arrestation, cela réduirait le nombre de cas de torture puisque les policiers auraient peur d'être découverts.
        Il y a approximativement 5.000 prisonniers politiques en Turquie. Depuis le coup d'Etat du 12 septembre 1980, 70.000 personnes ont été jugées pour avoir violé les articles 141 et 142 du code pénal turc. De ces 70.000 personnes, 50.000 ont été condamnées et 5.000 sont encore emprisonnées.
        Toujours selon M. Evren, il existe de nombreux cas de détenus qui sont en prison depuis 8 ans sans avoir été condamnés. Il accuse les juges d'ordonner des arrestations arbitraires et de tolérer que la police outre-passe son autorité. Ainsi, récemment, Mehmet Dogan, âgé de 29 ans, a été remis en liberté après 7 ans de captivité au terme d'un procès au cours duquel le procureur avait requis la peine capitale pour meurtre. Après sa libération, ses premières paroles ont été: "J'ai perdu 7 ans de ma vie. Qui va payer pour elles?"

Un tribunal international condamne le régime turc

        Le tribunal international condamne le régime du 12 septembre en Turquie, après avoir entendu de nombreux témoins turcs à Cologne les 10-11 décembre 1988, est arrivé à la conclusion que le régime mis en place par les militaires est coupable de violation des droits de l'homme.
        Le tribunal était composé des personnalités suivantes:
        L'écrivain Ingrid Segerstedt-Viber, l'historien Hjordis Levin, le membre de VPK Tommy Franzen (de Suède); le juge Martin Hirsch, les écrivains Helmut Frenz et Max von der Grun, le professeur Norman Paech, le membre du Parlement Ellen Olms, les activistes des droits de l'homme Tilman Zulch et Susanne Rieger, le membre de Medico International Hans Brandscheidt, la féministe Anitta Kalpakka (de RFA); le Ministre de la Culture Ernesto Kardenal (de Nicaragua); le député et écrivain Jean Zigler, les juristes Mautinot Laurent et Christian Ferrazino (de Suisse); le membre du Parlement européen Jef Ulburghs (de Belgique); l'écrivain Karam Khella (d'Egypte); l'écrivain Bahmand Nirmuand (d'Iran); le syndicaliste Auke Idzenga (de Philippines); Philipe Mogkadi (de Pan African Congress).
        Lors de sa session, le tribunal a écouté les témoignages du journaliste Dogan Ozguden, de l'écrivain Omer Polat, du poète Nihat Behram, du représentant du DISK Yucel Top, du président de l'Association des enseignants Gultekin Gazioglu, du juriste Seraffetin Kaya et de nombreuses victimes de la répression et des tortures.
        Dans son verdict, le Tribunal a déclaré:
        - toutes les pratiques politiques, administratives et légales du régime doivent être annulées;
        - une amnistie générale doit être adoptée pour tous les prisonniers politiques, la peine de mort doit être abolie. Les tortures et traitements inhumains dans les prisons doivent être arrêtés.
        - le droit à l'auto-détermination doit être reconnu à tous les peuples vivant en Turquie. Les exilés politiques doivent être autorisées à retourner dans leur pays;
        - tous les responsables de la répression doivent être jugés et punis;
        - le droit d'organisation doit être reconnu à tous les syndicats et partis politiques;
        - les pays européens ne doivent pas inviter les membres de la junte militaire qui sont coupables de violations des droits de l'homme. La Turquie doit respecter les conventions internationales qu'elle a signées;
        - l'adhésion de la Turquie aux Communautés européens doit dépendre de son engagement à respecter les droits de l'homme;
        - toute aide au régime actuel en Turquie doit être arrêtée.

IPI critique le régime de la presse en Turquie

        Dans son rapport 1988 sur la liberté de la presse, l'Institution internationale de la Presse (IPI), dont le siège se trouve à Londres, a qualifié les relations existant entre la presse et le gouvernement en Turquie "d'extrêmement tendues".
        L'IPI souligne également les lourdes peines de prison infligées aux journalistes et aux éditeurs de publications de gauche. Le rapport estime que les peines de prison requises pour les journalistes s'élève au total à 5 mille ans.
        L'IPI  critique également le Parti de la Mère Patrie (ANAP) qui exerce des pressions économiques sur les journaux en augmentant le coût de l'impression.


L'Association des Droits de l'Homme de Turquie candidate au prix européen pour 1989

        L'Association des droits de l'Homme de Turquie (IHD) a été proposée pour le Prix Européen des Droits de l'homme 1989 décerné par le Conseil de l'Europe.
        Dans sa lettre adressée au Secrétaire général du Conseil de l'Europe, datée du 30 décembre 1988, la Concertation Paix et Développement, concertation des mouvements de la paix et d'aide au développement de la Communauté Française de Belgique, pose:
        "Les campagnes de sensibilisation de l'opinion publique turque et internationale aux problèmes des Droits de l'Homme en Turquie ont été menées ces trois dernières années par l'Association des Droits de l'Homme de Turquie. Les thèmes principaux ont été:
        "1. une campagne contre la torture des prisonniers politiques en 1987
        "2. une campagne sur les conditions de détention en Turquie en 1988
        "3. une campagne pour l'abolition de la peine capitale en 1988.            "L'existence et la représentativité de cette Association des Droits de l'Homme nous a été révélée par une émission de la télévision belge à l'occasion du 40ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
        "C'est pourquoi les organisations membres de la Concertation Paix et Développement représentatives de toute tendance philosophique et politique, estiment que le choix de cette Association des droits de l'Homme en Turquie pour le Prix Européen des Droits de l'Homme pourrait être un encouragement décisif pour l'approfondissement du processus de démocratisation de la vie publique en Turquie, Etat membre du Conseil de l'Europe."

Première session de la Commission parlementaire mixte CEE-Turquie en 8 ans

        La Commission parlementaire mixte CEE-Turquie qui avait été suspendu après le coup d'Etat militaire de 1980, a repris ses travaux à Strasbourg les 17, 18, 19 janvier derniers. Sa présidence était assurée par un libéral belge, M.  Luc Beyer et par un député turc, M. Bulent Akarcali. Dès sa première séance, la commission s'est engagée dans un long débat sur la question des droits de l'homme en Turquie.
        Le dialogue se poursuivra à Ankara du 24 au 26 avril prochains. Lors d'une conférence de presse, M. Fellermaier (FRA), vice-président de la délégation du Parlement européen, a déclaré que le Parlement espérait à cette occasion, soulever un certain nombre de questions sur le respect des droits de l'homme en Turquie. Il a précisé, qu'un questionnaire sera soumis aux ministres turcs de la Justice et de l'intérieur.
        Quant à M. Beyer, il a déclaré que le débat sur la démocratie et le respect des droit de l'homme en Turquie qu'il avait présidé à Strasbourg s'était caractérisé par "une ouverture, une sincérité et un pluralisme" réels au sein des deux délégations.
        Il a poursuivi en saluant le fait que la Turquie a ratifié la convention sur la répression de la torture, mais a souligné qu'on ne sera satisfait "que dans la mesure où les torturés et les prisonniers politiques cesseront de l'être."
        Il a ajouté que les délégations turque et européenne ont également évoqué lors de leur session de Strasbourg les problèmes du Code pénal turc, des procès de masse, du retour des hommes politiques exilés ainsi que celui des Kurdes, "en appelant un chat un chat". A ce propos, il a noté les divergences de point de vue existant entre les membres de la délégation parlementaire turque.
        L'attitude des représentants du principal parti de l'opposition turque, le SHP, était la plus étonnante. N'ont-ils pas réagi négativement aux critiques de leurs collègues européens? Leur secrétaire général, M. Deniz Baykal a déclaré qu'ils n'avaient pas besoin de leçon de la part des députés européens à ce propos, mais il a cependant reconnu que les droits de l'homme ne sont pas toujours respectés par le gouvernement turc.
        En ce qui concerne l'application de l'Accord d'Association, la délégation parlementaire européenne a soulevé le problème de l'accès au marché turc. A ce sujet, M. Fellermaier a évoqué l'imposition des taxes et autres restrictions par les autorités turques qui, de cette façon, reprennent d'une main ce qu'elles avaient donné de l'autre. M. Akarcali a, pour sa part, déclaré qu'en ce qui concerne le textile, la Turquie pourrait très rapidement réduire au minimum ses importations en provenance de la Communauté si celle-ci abandonnait ses quotas. Il a ajouté: "Nous sommes capables de relever des défis".
        La Commission parlementaire mixte a également pris la décision de demander au Conseil d'Association CEE-Turquie de préparer un rapport sur les relations gréco-turques comme elles sont prévues par l'Accord d'Ankara de 1963. Il n'a pas seulement évoqué la candidature de la Turquie aux Communautés européennes mais également l'application de l'Accord d'Ankara et plus particulièrement le différend commercial entre la Turquie et les CE.
        Il est notoire qu'une des figures de proue de la délégation parlementaire turque n'est autre que M. Mehmet Keçeciler, chef de l'aile fondamentaliste du Parti de la Mère patrie (ANAP), opposant farouche à l'adhésion turque aux CE et partisan tout aussi farouche de l'adhésion de la Turquie à la Communauté Islamique (voir "Dangereuse Escalade de l'extrême-droite en Turquie", Info-Turk, décembre 1988).