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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


158

14e année - N°158
Décembre  1989
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 
Le Régime d'Ankara n'a récolté que ce qu'il méritait

NON A L'ADHESION TURQUE A LA CE

        Le 17 décembre dernier, la Commission européenne a décidé de déconseiller aux gouvernements des pays membres de la communauté européenne d'entamer des négociations au sujet de l'entrée de la Turquie dans la CE et ce jusqu'à l'établissement du marché unique en 1993.
        Selon le Financial Times,  cette recommandation correspond au rejet effectif de la candidature turque.
        Le Guardian  rapporte qu'on a signifié à la Turquie qu'elle ne pouvait pas espérer devenir membre de la Communauté alors que ses progrès vers la démocratie et le respect des droits de l'Homme demeurent tout à fait insuffisants.
        Alors que le Commissaire responsable des relations de la Communauté avec les pays méditerranéens, M. Abdel Matutes, reconnaissait les progrès économique et l'évolution politique de la Turquie durant ces dernières années, il a cependant ajouté qu'une action complémentaire sur le plan de la démocratie et des droits de l'Homme était nécessaire. Il a continué en se référant au conflit qui oppose actuellement la Turquie à sa minorité kurde ainsi qu'à l'interdiction qui frappe toujours certains partis de gauche: "Il doit y avoir une ouverture en direction des minorités et de tous les partis politiques".
        La Commission a également estimé que la relative pauvreté de la Turquie ainsi que son importante population —regroupant à elle seule autant de paysans que les 12 Etats de la Communauté réunis— allaient constituer autant de fardeau pour la Communauté.
       
LA TURQUIE DANS LE CERCLE EUROPEEN LE PLUS ELOIGNE?

        Pour adoucir sa décision, la Commission s'est montrée très prudente sur la question de savoir si la Turquie est un Etat à vocation" européenne" ou "islamique".
        M. Matutes a insisté sur le désir de la Commission d'exploiter à fond les possibilités présentées par le Traité d'Association de la Turquie de 1963.
        La Communauté va vraisemblement proposer un dialogue spécial à la Turquie et ce, en raison de ses préoccupations au sujet de la menace perpétuelle qui pèse sur la stabilité au Moyen-Orient. Il a souligné "le rôle modérateur que joue la Turquie dans cette région" ainsi que le fait qu'elle a des frontières communes avec l'Iran et la Syrie —"les pays avec lesquels la Communauté a eu des difficultés".
        Mais comment peut-on développer un dialogue et une coopération avec un pays qui n'est pas considéré comme apte à faire partie de la Communauté? Selon certaines sources, la Communauté européenne envisage "un projet à cercles multiples": l'Europe serait formée de quatre cercles. Le premier comprendrait les 12 Etats-membres, le second inclurait les six Etats étroitement associés à la Communauté et membres de l'Association Européenne de Libre Echange (AELE): la Suisse, l'Autriche, la Norvège, la Suède, la Finlande et l'Islande. Les Etats de l'Europe de l'Est forment le troisième cercle.
        Les Etats méditerranéens comme la Turquie,  Chypre, Malte et le Maroc sont désignés comme faisant partie du quatrième cercle. Ainsi la Turquie, qui a perdu toute chance de devenir membre à part entière de la Communauté à cause des violations des droits de l'homme de neuf ans  se retrouve dans le cercle le plus éloigné.
        Par la décision de la Commission européenne, le régime d'Ankara n'a eu que ce qu'il méritait.

LE TERRORISME D'ETAT CONTINUE SOUS LA PRESIDENCE D'OZAL

        Bien qu'Özal ait déclaré lors de la passation de pouvoir que les droits de l'homme et les libertés fondamentales allaient désormais être respectés en Turquie, le bilan de son premier mois de présidence est négatif: le terrorisme d'état continue comme avant avec les arrestations, les procès politiques et les proscriptions habituelles.
        Le 12 novembre dernier, onze films, 449 livres et 25 brochures ont été détruits par le feu à Istanbul sur ordre du gouverneur.
        Le quotidien Cumhuriyet a rapporté dans son numéro du 16 novembre que 189 films ont été interdits depuis le coup d'Etat de 1980. Dans le générique de 114 d'entre-eux figurait le nom de Yilmaz Guney aussi bien comme metteur en scène que comme acteur.
        Guney, lauréat du Festival de Cannes 1982 avec son film Yol, a été déchu de sa nationalité turque alors qu'il était en exil. Le régime militaire avait décrété que les œuvres de ceux qui ont été déchus de leur nationalité ne pouvaient pas être rendues publiques en Turquie. Guney est mort à Paris en 1984.
        Les articles 141, 142 et 163 qu'Özal se proposait de suspendre sont toujours en vigueur et de nombreux intellectuels sont encore persécutés conformément à ces dispositions.
        En novembre 1989, sept revues; Emegin Bayragi, Toplumsal Kurtulus, Yeni Cozum, Yeni Demokrasi, 2000e Dogru, Medya Gunesi, Komun  et deux livres, Le cas de la Démocratie et La situation et nos tâches ont été saisis et leurs responsables mis en accusation en vertu de l'article 142 du code pénal turc.
        Selon le quotidien Cumhuriyet du 23 novembre 1989, sur les 230.000 personnes jugées par des tribunaux militaires depuis 1980, 71.000 l'ont été en vertu des articles 141, 142 et 163 du code pénal turc.
        Le ministère de la Justice a rapporté que les cours civiles ont, durant les six dernières années, jugé 14.855 personnes au cours de 9.508 cas et ce, conformément à ces trois articles. Actuellement, 3.000 personnes ont été condamnées ou sont en état d'arrestation en vertu de lesdits articles.
        Parmi ces victimes, on trouve des écrivains socialistes et des journalistes. Au moins 100 numéros de différentes revues socialistes ont été saisies en vertu de l'article 142.
        Un autre rapport publié dans le quotidien Cumhuriyet du 19 novembre 1989 fait état de 3.000 journalistes jugés lors de 2.000 procès entre septembre 1980 et avril 1988. Les tribunaux militaires ou civils ont prononcé un total de 5.000 ans de prison à l'encontre de journalistes.
        Depuis 1983, année de l'arrivée au pouvoir d'Özal, 2.127 journalistes ont été jugés lors de 1.246 procès.
        Fin novembre 1989, 23 journalistes étaient toujours en prison.
        Le nombre de sentences capitales envoyées à l'Assemblée Nationales pour ratification s'élevait à 253 fin novembre 1989. Parmi ces condamnés, on relève 129 personnes appartenant à des organisations de gauche et 27 à des organisations de droite, 93 ont été condamnés pour des crimes de droit commun. On dénombre également quatre militants Palestiniens qui ont été condamnés à mort pour avoir attaqué l'ambassade d'un pays arabe à Ankara.

TERRORISME D'ETAT EN NOVEMBRE

        Le 4.11, à Mardin, le directeur de l'hôpital d'Etat de Cizre, le docteur Abdullah Bolcali, qui avait été arrêté et torturé pour avoir prodigué des soins à des militants kurdes (voir le n° 156 d'Info-Turk) a à nouveau été la victime de mesures répressives. En effet, après avoir été relâché, il a été démis de ses fonctions et envoyé dans le district de Cekerek à Yozgat.
        Le 6.11, à Bandirma, 369 ouvriers ont été traduits devant une Cour criminelle pour s'être livrés à une manifestation sans autorisation préalable le 23 avril 1989. Tous les prévenus sont membres du Syndicat des ouvriers de l'industrie pétrolière (Petrol-Is) sont passibles d'une peine total de 1.107 ans de prison.
        Le 7.11, la Cour de Sûreté de l'Etat n° 1 d'Istanbul a condamné deux membres présumés du Parti communiste de Turquie (TKP/B) à 8 ans et 4 mois de prison chacun.
        Le 8.11, la police a annoncé l'arrestation de quatre membres présumés de DEV-YOL dans la province de Mugla.
        Le 9.11, la Cour de Sûreté de l'Etat n°1 de Diyarbakir a condamné quatre membres présumés du PKK à des peines de prison de huit ans et quatre mois.
        Le 14.11, la police a annoncé l'arrestation de 28 militants présumés de l'Armée Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie (TIKKO) à Tunceli.
        Le 22.11, à Adana, 16 membres présumés d'une organisation clandestine ont été capturés.
        Le 23.11, la Cour militaire de Cassation a approuvé la condamnation de 10 dirigeants du Parti Ouvrier Socialiste de Turquie (TSIP) à des peines de prison allant de 5 à 10 ans. Ils avaient été condamnés par la Cour Martiale d'Istanbul en 1985.
        Le 24.11, à Istanbul, la police a annoncé l'arrestation de 11 membres présumés de l'Unité de Propagande Armée Marxiste-Léniniste (MLSPB).
        Le 30.11, le procès de 10 membres présumés du TKP/B a commencé à la Cour de Sûreté de l'Etat n° 2 d'Istanbul. Ils risquent des peines de prison allant jusqu'à 15 ans.

PERSECUTIONS RECENTES DES MEDIAS

        Le 21.10, le directeur de la maison d'édition Yurt, Unsal Ozturk a été arrêté par la police dans le cadre du procès du DISK.
        Le 22.10, Erdogan Yasar Kopan et Aslan Sener Yildirim, respectivement rédacteur en chef et journaliste du mensuel Yeni Cozum, ont été condamnés à sept ans et six mois de prison par la Cour de Sûreté de l'Etat n° 2 d'Istanbul. Kopan avait déjà été condamné à 37 ans de prison lors d'autres procès.
        Le 24.10, dans un communiqué conjoint, cinq revues mensuelles ont annoncé qu'Aytac Varol, rédacteur en chef du mensuel Yonelis, est en détention depuis le 21 septembre, date à laquelle il avait été arrêté pour "propagande séparatiste".
        Le 25.10, Mlle Gulten Demir, éditeur et rédacteur en chef du mensuel Devrimci Genclik, a été arrêtée sur ordre de la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul. La police la détient depuis le 17 octobre 1989.
        Le 26.10, le professeur Yalcin Kucuk, rédacteur en chef du mensuel Toplumsal Kurtulus, a été mis à nouveau en accusation par la Cour de Sûreté de l'Etat pour son interview avec le leader du PKK.
        Le 4.11, le quotidien Sabah a été condamné à verser une amende de 20 millions de LT (10.000 dollars) pour avoir publié une série d'articles au sujet de la vie familiale d'Özal, intitulée "Automne dans le Jardin Royal". Le même jour, le quotidien Hurriyet a également été condamné à payer une amende de 7,5 millions de LT (3.750 dollars) pour avoir publié un article sur l'ancien premier ministre Kaya Erdem.
        Le 5.11, à Ankara, les représentations du théâtre Birlik ont été suspendues sur ordre du gouverneur et un acteur, Latif Tiftikci a été arrêté.
        Le même jour, à Istanbul, un débat organisé par l'Association de Solidarité avec les Familles de Prisonniers (TAYAD) sur les "crimes contre l'humanité" a été interdit au dernier moment par le gouverneur. Ce dernier a également interdit l'inauguration du bureau de rédaction du bulletin de la TAYAD. La TAYAD a également annoncé que son secrétaire général, Zeynep Gungormez, a été arrêtée à son retour de Samsun où une antenne de l'association a été mise sur pied.
        Le 6.11, le concert d'Adana du chanteur folklorique Ahmet Kaya a été annulé par les autorités de la police locale à Istanbul.
        Le 9.11, à Istanbul, Tayfun Yukselbas, le nouveau rédacteur en chef de Devrimci Genclik, a été mis en état d'arrestation.
        Le 12.11, le directeur de la maison d'édition Alan, Ragip Zarakolu, a été détenu par la police à Istanbul pour avoir transporté dans sa poche une lettre qui lui avait été adressée par un prisonnier politique.
        Le 17.11, à Konya, l'éditeur du mensuel Sozcu, Salim Kocak, a été condamné à 3 mois et 15 jours de prison ainsi qu'à une amende de 2.2 millions de LT (1.000 dollars) pour un article critiquant Özal.
        Le 20.11, une soirée organisée sous l'égide de la TAYAD et intitulée: "La résistance, c'est une ballade!" a été interdite par le gouverneur. Cinq membres de la TAYAD ont été mis en état d'arrestation.
        Le 23.11, Bülent Solgun, membre de l'Association du Solidarité et de Recherche Sociale et Culturelle des Travailleurs (EMEKAD) a été détenu à Istanbul.
        Le 24.11, le procureur de la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara a entamé une enquête sur un programme de télévision consacré à la liberté d'opinion et de croyance. Il a interrogé M. Ceyhan Baytur, chef du département de l'information de la Télévision turque.
        Le 27.11, Bayram Kaya, représentant du mensuel Yeni Cozum a été arrêté à Bursa.

NOUVEAU MALAISE DANS LES PRISONS

        L'anxiété est montée parmi les parents de prisonniers lorsque des rumeurs ont rapporté que tous les prisonniers politiques de la Prison Spéciale d'Aydin vont être à nouveau transférés dans la prison d'Eskisehir.
        La réputation de cette dernière est très mauvaise en raison des conditions d'incarcération inhumaines et des mauvais traitements qu'y subissent les prisonniers. C'est pour cela que les prisonniers politiques avaient entamé une grève de la faim au mois de juin dernier. En guise de sanction, on les avait transféré à la prison d'Aydin, sous le prétexte de la découverte de deux tunnels à l'intérieur des bâtiments de la prison d'Eskisehir. Ce transfert avait coûté la vie à deux d'entre eux qui après 35 jours de grève, n'étaient pas en état de supporter un voyage de 300 km en voiture.
        La presse turque rapporte que la prison d'Eskisehir a été restaurée et sera à nouveau opérationnelle en 1990.
        D'autre part, les prisonniers politiques de la prison d'Ergani ont commencé une grève de la faim pour protester contre les conditions d'incarcération inhumaines. En guise de réponse, le ministère de la Justice les a tous fait transférer dans une autre prison à Bismil.

PERSECUTIONS D'ENFANTS

        Comme par la passé, les persécutions menées contre les lycéens continuent.
        Le 10 novembre, trois lycéens âgés de 13 ans, O.O - OA - AC,, ont été traduits devant la cour criminelle à Denizli pour avoir peint des noms d'organisations illégales sur les murs. L'hôpital d'Etat, dans lequel ils ont subi un examen, a délivré un certificat selon lequel ils jouissaient de leurs capacités mentales lorsqu'ils ont commis ce "crime". Ils sont donc punissables. A la demande de leurs avocats, la cour a désigné un nouvel expert médical.
        Le 19 novembre, à Istanbul, quatre adolescentes âgées de 16 à 17 ans ont été traduites devant la cour criminelle pour avoir distribué des tracts d'une organisation illégale. Chacune d'elles risque une peine allant jusqu'à 12 ans de prison.
        Le 21 novembre, E.O, un lycéen de 16 ans a été expulsé de l'école Hasanoglan d'Ankara pour avoir lu le livre du professeur Server Tanilli intitulé Quelle genre de démocratie désirons-nous?"  De plus, le procureur de la République l'a mis en accusation et a requis une peine de six mois de prison.
        Le 30 novembre, à Kayseri, un lycéen de 15 ans, Yildirim Ozdemir, a comparu devant la Cour de Sûreté de l'Etat pour propagande communiste. Cette même cour l'avait déjà condamné à 24 mois de prisons dont il était sorti après avoir purgé 3 mois. La première sentence avait été cassée par la Cour de Cassation.
        Durant son nouveau procès, Ozdemir a déclaré aux journalistes que tous ses amis l'évitaient à couse de la pression exercée par la police.

DEBATS SUR LES DROITS DE L'HOMME

        En novembre dernier, à Istanbul, s'est tenu une série de conférences sur la démocratie en Turquie au cours desquelles des orateurs turcs et étrangers ont exprimé leur conviction commune quant aux conditions sine qua non de l'instauration de la démocratie en Turquie. Ils ont tous réclamé la suspension des articles 141, 142 et 163 du Code Pénal Turc ainsi que la mise en liberté des prisonniers politiques.
        L'ancien président du parti de la Juste Voie (DYP), Husamettin Cindoruk, a déclaré: "Le parti communiste qui opère depuis 70 ans dans l'illégalité devrait dès maintenant le faire en pleine lumière."
        Koray Duzgoren, président de l'Association contemporaine des Journalistes (CGD) a déclaré que 650.000 personnes ont été arrêtées depuis le Coup d'Etat de 1980, 210.000 ont été jugées et le corps de 177 de celles qui étaient en détention préventive ont été remis à leur famille."
        Il a ajouté que près de 4,5 millions de personnes ont été fichées par la police.
        L'ancien ministre de l'Education, Necdet Ugur a insisté que la modification des articles du Code Pénal ne suffisait pas pour restaurer la démocratie en Turquie: "Une constitution ne peut être qualifiée de démocratique que si elle est favorable à la nation, si la nation a participé à sa rédaction et si elle stipule que l'Etat est au service de la nation."
        Vladimir Kartashkin, expert en droit soviétique, a dit que l'Union Soviétique devrait prêter une attention particulière à la situation des droits de l'Homme et à la promotion de la Démocratie.
        Un avocat britannique, John Bowdin ainsi qu'un député grec, Stratis Karakas, ont fait des suggestions quant au respect des Droits de l'Homme en Turquie.

LE PRIX DE LA PRESSE A L'IPI

        Le 29 novembre dernier, à Istanbul, l'Association des Journalistes de Turquie a décerné son premier prix de la liberté de la presse à Peter Galliner, directeur de l'Institut International de la Presse (IPI).
        Dans son discours de remerciement, Galliner a déclaré qu'il reste encore beaucoup de progrès à faire dans le domaine des droits de l'homme: "Il me semble indispensable que les derniers obstacles à la liberté de la presse disparaissent. Les lois sur la presse doivent être abolies. C'est impératif, non seulement pour l'image de marque de la Turquie à l'étranger, mais pour l'établissement d'une véritable démocratie où les libertés fondamentales et les droits de l'homme seront universellement respectés".
        Il a continué, en se référant à l'attaque menée contre un journaliste du quotidien Gazete par un chef de clan: "Les journalistes sont encore emprisonnés, condamnés à de lourdes peines de prisons et à des énormes amendes. Les journaux sont encore interdits pour avoir publié des articles qui déplaisent aux autorités et il y a peu de temps des journalistes sont morts dans des attentats perpétrés par la mafia".

L'ARMEE HOSTILE AU DESARMEMENT

        Alors qu'à travers le monde, le désarmement est à l'ordre du jour, le chef des forces armées turques, le Général Necip Torumtay, est persuadé que le pays ne sera pas apte à bénéficier d'une réduction des dépenses consacrées à l'armement.
        Dans un article publié dans le Newspot  fin novembre 1989, un hebdomadaire gouvernemental en anglais, Torumtay déclare que la position géo-politique de la Turquie ainsi que son matériel militaire dépassé ne lui permettent pas de réduire son budget-défense.
        Il a également déclaré: "La Turquie sera le seul et unique pays réellement affecté par les changements intervenus dans les concepts de défense et ce à cause des ses frontières aérienne, maritime et terrestre communes avec les pays du Pacte de Varsovie dont l'URSS. La Turquie est également le seul allié de l'OTAN qui a des frontières communes avec des pays du Moyen-Orient qui ne participent pas au désarmement. Même si une balance numérique était établie (entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie), la qualité plus que médiocre et le caractère périmé du matériel militaire utilisé par les forces armées turques maintiendrait la Turquie dans une situation d'infériorité. C'est pour cette raison que la Turquie doit maintenir son programme de modernisation militaire établi dans le but d'équilibrer la situation sur le plan qualitatif. Nous croyons que nos amis américains prendront les intérêts de la Turquie en considération au cas où une nouvelle balance serait établie".
        Le numéro du 22 novembre du quotidien Gunes, commentant le position du général Torumtay s'est demandé si "pendant que, comme on l'espère, la détente apporte plus de liberté et de richesse aux peuples à travers le monde, la Turquie devra, quant à elle, se contenter de vivre pauvrement dans des conditions pénibles ainsi que de supporter les vestiges du régime militaire du 12 Septembre?"

NOUVELLE MENACE PAR L'ARMEE

        Suite à une série d'attaques menées par la guérilla kurde dans des villages frontaliers, Turgut Özal a envisagé la possibilité de faire pénétrer l'armée turque sur le territoire irakien et d'ainsi mettre en application le principe de la "hot pursuit".
        A Hakkari, les autorités locales de sécurité ont déclaré que le 24 novembre dernier, 20 personnes dont 12 enfants et 6 femmes, ont été abattues lors d'une attaque surprise menée par un groupe de militants du PKK et dirigée contre le village de Ikiyaka qui est situé près de la frontière irakienne.
        Le ministre de l'Intérieur a également déclaré que "des groupes terroristes arméniens étaient également impliqués dans l'attaque".
        Les groupes kurdes basés en Europe ont démenti cette accusation et ont déclaré que cette attaque pourrait être une opération menée par des agents de l'Etat turc et ce dans le but de discréditer la résistance kurde et de fournir un prétexte à l'Armée Turque pour franchir la frontière.
        Le 28 novembre, le président Özal déclarait aux journalistes: "Si cela devait devenir nécessaire, l'emprise de la Turquie pourrait s'étendre au-delà de la frontière. Nous sommes en contact avec l'Irak. Les séparatistes déplorent e lourdes pertes suite aux opérations de sécurité dans la zone frontalière durant ces quatre ou cinq derniers mois, certains se sont même rendus aux forces de sécurité. Au printemps, nous lancerons une nouvelle opération de nettoyage contre les terroristes dans les grottes qu'ils utilisent comme planques".
        Cependant, Tariq Abdeljabbar Jawad, l'ambassadeur irakien à Ankara, désapprouve Özal et l'exprime en ces termes: "Nous sommes prêts à collaborer avec la Turquie. Mais à l'heure actuelle, nous ne voyons pas l'utilité d'une opération menée par la Turquie sur le sol irakien. Notre gouvernement a basé des troupes dans la partie septentrionale du pays après le dernier massacre. Quant aux opérations militaires turques en territoire irakien de 1986 et 1987, elles ont eu lieu dans des circonstances particulières qui ne sont plus réunies actuellement".
        De plus, la presse turque rapporte que le protocole sur la sécurité dans la zone frontalière qui permettait à l'armée turque de franchir la frontière est venu à expiration en 1988.
        Selon le numéro du 29 novembre 1989 du quotidien Cumhuriyet, depuis le 15 août 1984, au moins 1.402 personnes ont été abattues dans le cadre du conflit qui oppose les forces armées turques à la guérilla kurde. Parmi elles, on dénombre: 22 officiers, 22 sous-officiers, 228 soldats, 23 policiers, 53 gardiens de village, 10 chefs de village (muhtar) et 15 instituteurs.

USA CRITIQUE LA TORTURE EN TURQUIE

        La délégation américaine qui a participé à la Conférence sur la Sécurité et la coopération en Europe (CSCE) qui a eu lieu à Sofia a annoncé que les allégations de torture en Turquie pose de sérieux problèmes et embarrassent Washington.
        M. Joshua Gilder, sous-secrétaire au département d'Etat américain, a déclaré aux journalistes turcs que les conditions de détention en Turquie ne correspondent pas aux standards internationaux: "Beaucoup d'efforts seront nécessaires pour améliorer les conditions de détention en Turquie. La question la plus importante est d'autoriser les détenus à consulter leurs avocats".
        Gilder a dit que l'administration Bush considère le Parti ouvrier du Kurdistan (PKK) comme une organisation terroriste. Gilder a demandé au gouvernement turc de faire preuve de clémence à l'égard des Kurdes: "Il est évident qu'ils parlent une autre langue. Ils devraient être autorisés à utiliser leur langue".

LES TRAVAILLEURS FRAPPES PAR LES TAXES

        Selon un rapport basé sur les statistiques de l'OCDE, au niveau européen, les travailleurs turcs sont les plus taxés à la source. L'Etat turc prélève environ 35,9% du brut pour les primes de sécurité sociale et les taxes sur le revenu. Les prélèvements montent jusqu'à 45% dans le cas de plus gros salaires.
        Aucun autre pays de la Communauté européenne n'atteint un niveau de prélèvement aussi élevé. En Grèce, il n'existe pas de retenue car les salaires sont augmentés de primes de l'assistance sociale. Au Luxembourg, le taux de prélèvement n'est que de 2,8%. Dans les quatre pays suivants, la retenue sur le salaire brut n'atteint pas 20%: 17,9% pour la Belgique; 13,3% pour l'Espagne; 9,8% pour le Portugal et 9,3% pour la France. Le taux de prélèvement se monte au Danemark: 32,2%; aux Pays Bas: 27,2%; en Irlande 22%; en Italie: 21,5%; en RFA: 21,1%.
        Les travailleurs turcs qui touchent le minimum légal doivent travailler 92 jours par an pour payer des primes de sécurité sociale, les taxes sur le revenu et autres prélèvements effectués sur leur salaire. Quant aux travailleurs dont le salaire est plus important, ce chiffre se monte à 105 jours.

LES ACTIONS DE DEFENSE DES FEMMES

        Les groupes féministes turcs ont lancé une campagne dans le but de lutter contre la harcèlement auquel les femmes doivent faire face dans les rues. Début novembre on a distribué aux habitants d'Istanbul sur les ferry et à la foire du Livre de longues épingles surmontées de perles rouges.
        Handan Koc, une des dirigeantes de la campagne a expliqué que "l'association a choisi l'épingle comme symbole. Lorsque nos grandes mères étaient jeunes, les villageois avaient des épingles sur leur robe qu'elles utilisaient aussi bien pour coudre que pour se défendre en cas d'agression. Le but de la campagne est de crier 'NON' au harcèlement sexuel partout et n'importe où : dans les bus, les cinémas, les trains et dans les rues."
        Elle a ajouté qu'"en comparaison avec les pays européens et les USA, le taux d'agression en Turquie n'est pas élevé, par contre, les Turcs préfèrent se livrer au harcèlement avec leurs mains, leur regard et en prononçant des insanités". Elle a estimé qu'il est temps que des femmes se protègent contre un tel harcèlement: " Traditionnellement, les femmes turques considèrent leur corps comme un fardeau. Nous ne voulons plus supporter cette honte. Les femmes turques devraient clamer que des vrais coupables, en cas de harcèlement, ce sont les hommes et pas les femmes. Nous pensons que les hommes harcèlent les femmes non pas par ignorance mais parce que qu'ils considèrent avoir des droits sur leurs corps. Nous devons lutter contre leur autorité absolue à travers le monde."
        D'autre part, le 24 novembre I989, un groupe de 30 femmes appartenant à diverses associations féministes a visité des endroits où les hommes se réunissent pour boire, pour manger, souvent appelés des meyhane.  "Pendant des années, les meyhane  ont été dans des lieux exclusivement fréquentés par les hommes. Mais n'avons vu aucune femme dans ceux que nous avons visité. Au prime abord, ils ont cru que notre visite faisait partie du tournage d'un films (...) mais quand nous nous sommes assises et que nous avons commandé des repas et des boissons, ils ont réalisé que nous étions là pour manger et pour boire… ils ont été choqués".
        Aucun incident n'est intervenu durant les actions menées par ces femmes.

MAUVAISE NOTE POUR L'ECONOMIE TURQUE

        Selon les listes I989 de compétitivité et de fiabilité annuelles émises par le Forum économique mondial l'industrie turque n'est pas très 1989. La Turquie apparaît dans le peloton de queue des 22 pays jouissant de l'utilisation de leurs ressources naturelles: en fait, la Turquie est le pays le moins développé. De même, la Turquie a perdu son dynamisme économique des années précédentes et figure en fin de cette liste.
        La Turquie occupe la 18ème place en ce qui concerne la fiabilité des ses entreprises, devant l'Espagne, l'Italie, le Portugal et la Grèce.
        Les experts qui ont rédigé cette année le rapport pour le Forum Economique mondial, estiment que la Turquie est un pays instable pour les raisons suivantes:
        - échec dans la lutte contre l'inflation
        - stagnation doublée d'inflation
        - instabilité politique d'Özal
        - annonce tardive de sa candidature à la présidence
        - l'atmosphère électorale qui règne continuellement dans le pays
        - baisse de la production domestique
        - ralentissement de l'industrialisation
        - changement continuel de sa politique économique

INVESTISSEMENTS ETRANGERS EN TURQUIE

        Prisunic, la chaîne française de supermarchés et de magasins bien connue pour sa politique de rabais sur les prix, va ouvrir son premier "hypermarché" turc à Istanbul. Ce magasin va couvrir une surface de plus de 3.000 m2 et va proposer des produits à des prix de 10 à 20% moins cher que ceux pratiqués dans les bakkal  (magasins d'alimentation).
        Prisunic a fondé une société en collaboration avec la municipalité d'Istanbul (BELPRI). Les intérêts turcs seront majoritaires dans l'entreprise mais c'est Prisunic qui assumera son administration et sa gestion. La part de la firme française dans le capital sera de 30% soient près de 4 millions de FF.
        La neuvième société pharmaceutique mondiale, Rhone Poulenc France, a annoncé son intention d'étendre sa sphère d'activités à la Turquie. Depuis 10 ans, Rhone Poulenc est présent sur le marché turc de la pharmacie, vaccination, produits chimiques et pesticides et ce, en collaboration avec la plus grosse entreprise pharmaceutique turque: Eczacibasi. Dès maintenant, Rhone Poulenc va intensifier ses investissements dans le secteur de la pharmacie et des pesticides.
        D'autre part, Krupp Markmaan et Mol Bohretcnik (KMMB) Co., filiale de la Krupp Co. ouest-allemande, projettent de fonder une usine de montage et d'en établir des parties en Turquie en coopération avec la Erke Foreign Trade Co. de Turquie. En août 1989, la KMMB et la Erke avaient déjà créé une entreprise mixte en signant un pré-accord.
        Une compagnie bancaire et d'assurance ouest-allemande, le Groupe Goather, a également annoncé son intention de créer une nouvelle compagnie d'assurance en Turquie. Elle a déjà investi 5 milliards de LT dans cette société et espère réaliser un bénéfice de 5 à 8 milliards de LT dès sa première année d'activité.

LA CHARTE SOCIALE RATIFIEE, MAIS...

        Le 29 novembre 1989, le gouvernement turc a ratifié la charte sociale européenne qui pose un certain nombre de principes régissant les relations sociales. Cependant Ankara a déclaré qu'elle ne se considérait pas comme liée par deux articles de la charte.
        Le Ministère turc des Affaires étrangères a précisé qu'il émettait ces deux réserves car ses lois sociales n'autorisent pas les fonctionnaires à former des syndicats et à faire la grève.

EXPULSION SCANDALEUSE DE DEPUTES KURDES

        Le Procureur de la La Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara a entamé des poursuites légales contre huit députés kurdes de gauche. Sept d'entre eux, Mehmet Ali Eren, Kenan Sönmez, Ismail Hakki Onal, Ahmet Turk, Adnan Ekmen, Salih Sumer et Mahmut Alniak, avaient participé à la Conférence de Paris sur la question kurde et  ont, pour cette raison, été expulsés du Parti populiste social-démocrate (SHP).  Le huitième, Ibrahim Aksoy, avait déjà été exclu du SHP pour ses déclarations devant le comité parlementaire mixte turco-européen à Strasbourg.
        Le Procureur a demandé au ministère de la Justice d'entamer une procédure en vue de lever l'immunité parlementaire des huit députés kurdes afin de pouvoir les juger pour séparatisme.
        L'expulsion de sept députés a provoqué une controverse au sein du SHP. En guise de protestation contre ces exclusions, neuf députés et plusieurs dirigeants du parti dans les provinces orientales habitées par des Kurdes ont quitté le SHP.
        Dans une lettre commune de démission, les députés SHP ont déclaré que le Parti a perdu sa vocation d'aider et de soutenir les gens ainsi que de porter les forces politiques progressistes au pouvoir. Ils poursuivent en disant que: "Le SHP a quitté le chemin qui mène à la vraie démocratie en Turquie".
        Les députés ont désigné le Secrétaire général du SHP, Deniz Baykal, comme le principal responsable de cet échec. Selon eux, Baykal s'est consacré à la lutte contre ses opposants au sein même du parti ainsi qu'à l'instauration de la suprématie de sa faction, négligeant ainsi les objectifs politiques du parti.
        Le 26 novembre dernier, lors d'un meeting à Istanbul, de nombreux membres du SHP ont manifesté bruyamment et ont demandé la démission du leader du parti, Erdal Inönü. Le même jour, des membres du SHP déchiraient des portraits d'Inönü à Diyarbakir.
        Inönü a cependant refusé de tenir compte des protestations et a justifié la décision du comité disciplinaire du parti d'exclure sept députés.
        Il a déclaré: "Bien sûr, il y a des gens qui parlent kurde en Turquie et qui se considèrent comme étant Kurdes. Mais nous essayons de faire cohabiter tous les Turcs et non pas d'accentuer les différences culturelles qui les séparent. Personne ne profiterait d'une telle discrimination".

LES DEPUTES TURCS CACHENT LES PERSECUTIONS AU PARLEMENT EUROPEEN

        La commission parlementaire mixte turco-européen s'est réuni à Bruxelles les 27, 28 et 29 novembre derniers et s'est livré à une évaluation des relations turco-européennes ainsi que de l'impact des récents événements de l'Est sur ces relations. La vice premier ministre turc Ali Bozer, y assistait.
        En vue de la réunion de Bruxelles, le gouvernement turc avait demandé à la délégation turque de baser tous ses arguments touchant la situation des droits de l'homme en Turquie sur un rapport émis par le ministère des Affaires Etrangères.
        Durant la réunion, un député communiste italien, M. Vecchi, a présenté un rapport détaillé sur la situation des droits de l'homme en Turquie et a critiqué à plusieurs reprises les pratiques anti-démocratiques auxquelles on s'y livre.
        Au grand étonnement des journalistes, les députés de l'opposition turque qui faisaient partie de la délégation dont le secrétaire général du SHP, M. Deniz Baykal, se sont faits les porte-paroles du régime d'Ankara.
        A la fin de la réunion, les parlementaires turcs et européens ont adopté une résolution recommandant au Conseil d'association turco-européen de se réunir le plus vite possible afin de développer les relations turco-européennes.
        Les deux délégations ont exprimé leur préoccupation à propos des massacres qui auraient été commis à la frontière turco-iraqienne par la guérilla kurde.
        Pendant la réunion, le co-président de la Commission mixte, le député turc Bülent Akarcali, lors d'une interview qu'il a accordée à la presse turque, a fait des remarques désobligeantes contre les opposants au régime qui informent l'opinion européenne des violations des droits de l'homme auxquelles on se livre en Turquie.
        Le 30 novembre 1989, lors d'une conférence de presse, le rédacteur en chef d'Info-Türk a critiqué l'attitude du chef de la délégation turque qu'il considère incompatible avec l'affirmation de démocratisation en Turquie.
        Il a également demandé à deux parties de la commission parlementaire mixte pourquoi n'ont-elles pas réagi contre les persécutions dont huit députés kurdes sont les victimes. Parmi eux, on compte un député qui faisait partie de cette même commission mixte il y a à peine quelques mois.
        Les membres de la commission ont répondu qu'ils n'avaient pas été mis au courant de ces persécutions. Cependant, M. Vecchi a déclaré qu'ils allaient étudier ce cas.
        La prochaine réunion de la commission se tiendra les 22 et 23 mars 1990.

UNE FEMME CONDAMNEE POUR AVOIR PARLE KURDE

        Le 21 novembre 1989, à Diyarbakir, une femme âgée de 61 ans a été condamnée à un an de prison pour avoir parlé kurde lors d'une réunion électorale en mars dernier. Ce cas a provoqué l'indignation des cercles humanitaires de Turquie.
        Saliha Sener a été reconnue coupable d'avoir violé les règlements électoraux ainsi que la loi interdisant l'usage du kurde comme langue officielle. La peine de prison a été commuée en une amende de 2,6 millions de LT (1.150 dollars), mais la Cour a estimé que Mme Sener donnait l'impression qu'elle n'allait plus violer la loi et a déféré le paiement de l'amende. Cependant, si elle commet à nouveau la même infraction à la loi, elle serait alors passible d'une peine d'un an de prison ainsi que du payement de l'amende.
        Dans sa déposition qu'elle a faite en kurde avec l'aide d'un traducteur, elle a déclaré: "Je ne parle pas turc, c'est la raison pour laquelle je m'exprime en kurde. J'ai dit aux  gens de voter SHP. Je leur ai dit de voter SHP pour que l'inflation cesse enfin."
        Après le procès, elle a déclaré aux journalistes: "Je n'ai pas reçu d'instruction et ma famille m'a mariée à 15 ans. Je suis une villageoise. Je parle kurde car je ne connais pas le turc. Je n'accepte pas le verdict. Même s'ils me pendaient, je parlerais kurde parce que je suis Kurde."

LES INEGALITES DU SYSTEME PENITENTIAIRE

        En Turquie, des centaines de prisonniers passent en prison plus de temps qu'ils ne le devraient. Si on ne remédie pas aux contradictions figurant dans la nouvelle législation, et en particulier dans la loi 3257 sur l'exécution des sentences publiée le 19 mars 1986 au Journal Officiel, beaucoup d'autres seront également victimes de la même injustice.
        Le 4 juin I989, des organisations humanitaires ont reçu une lettre qui leur avait été adressée par Mahmut Cigdemal, détenu à la prison de type E de Malatya. Elle dénonçait l'injustice régnant depuis la promulgation de la loi 3257 : ainsi, incarcéré en I974, il aurait déjà dû être relâché, or en vertu de cette loi, il doit encore purger 19 mois et 15 jours de prison. L'article 13 du code pénal turc stipule que la prison à vie équivaut à un emprisonnement de 36 ans, ce qui constitue la peine la plus lourde prévue par la loi turque. Une décision du 13 mars 1979 de la Cour Suprême (cour constitutionnelle) devait le confirmer. La loi 2148 sur l'exécution des sentences, édictée en 1978, prévoyant une réduction d'un tiers ainsi que la réduction d'un cinquième des deux tiers restants. En d'autres termes : le prisonnier doit purger 16 jours par mois soit 19 ans 2 mois et douze jours sur une peine de 36 ans.
        La loi 3257 sur l'Exécution des sentences qui remplace certaines dispositions de la loi 2148 et qui a été publiée le 19 mars 1986 au journal officiel prévoit la réduction de moitié plus un cinquième de la moitié restante de la sentence, en d'autres termes : le prisonnier doit purger 12 jours par mois (généralement on prend 40% de la sentence) ainsi un détenu condamné à 36 ans de prison doit purger 14 ans quatre mois et 24 jours de prison.
        Là où intervient la différence : c'est qu'en vertu de l'article 19/I de la loi sur l'exécution des sentences telle que amendée le 19 mars 1986, l'emprisonnement à vue correspond à 20 ans de prison et doit encore être réduite d'un cinquième donc il équivaut à 16 ans. Donc les personnes condamnées à la prison à vie vont purger un an sept mois et six jours de prison de plus que celles qui ont été condamnées à une peine de 36 ans.
        Ci-dessous figurent les noms des prisonniers se trouvant dans la même situation :

Nom    Prison
Imam Aygun    Malatya Prison type E
Hasan Kirteke    Gaziantep Prison type L
Mehmet Sahin    Gaziantep Prison type L
Lutfi Baysal    Gaziantep Prison type L
Hasim Kutlu    Gaziantep Prison type L
Sevinc Aktas    Gaziantep Prison type L
Munir Ekmekci    Gaziantep Prison type L
Erok Citak    Gaziantep Prison type L
Farit Barut    Gaziantep Prison type L
Cahit Atan Turan    Canakkale Prison type E
Veli Ozer    Adiyaman Prison semi-ouverte
Huseyin Erdogan    Foca Prison semi-ouverte

ACTIONS ISLAMISTES POUR LES TURBANS EN TURQUIE

        La question du port de vêtements religieux dans les écoles et les universités a provoqué des débats passionnés lorsque des centaines d'étudiantes portant le turban se sont vues interdire l'entrée dans les universités.
        Après un longue controverse, début 1989, le port du turban à titre religieux avait été interdit en Turquie; cependant ils sont encore acceptés dans la majeure partie des universités sauf à Ankara et à Izmir où les écoles sont beaucoup plus stricts et interdisent à toute femme portant le turban de franchir leur seuil.
        A Ankara, le 8 novembre dernier, 400 personnes ont organisé une marche de protestation contre l'interdiction du port du turban. Lorsque le groupe, composé en majorité d'étudiantes et de mères de famille, s'est approché des bâtiments de la radio-télévision turques (TRT), de nombreux hommes ont essayé de s'y joindre mais en ont été empêchés par la police. Sept manifestants, trois femmes portant le turban et quatre hommes, ont été mis en état d'arrestation.
        A l'Université technique d'Istanbul, une trentaine d'hommes ont jailli dans un auditoire et ont harcelé le professeur Ilhami Cetin et plusieurs étudiantes avant de peindre sur les murs et sur le tableau l'inscription suivante: "Les turbans vont mener le système dans la tombe".
        Le Conseil de l'Education Supérieure (YOK) qui régit les universités turques a communiqué des instructions à tous les campus selon lesquelles en aucun cas, il ne faut autoriser les étudiants portant le foulard à pénétrer dans les auditoires.
        Le 10 novembre dernier, après les prières du vendredi, un groupe de 15 à 20 hommes barbus a attaqué le hall d'exposition au musée de la Presse où étaient exposés des toiles et des photographies représentant les différentes coiffures portées par les femmes turques à différentes périodes de l'histoire. Ils ont déchiré certaines photos, ont retourné les stands. Au total, 150 photographies ont été détruites.
        Le 24 novembre, à Istanbul, après les prières du vendredi, un groupe de 2.000 personnes dont des femmes portant le tchador ont entamé une manifestation non-autorisée à Sultanahmet, le centre touristique de la ville. Ils brandissaient des slogans en anglais et en turc protestant contre l'interdiction du port du foulard sur les campus universitaires. Les fondamentalistes ont ignoré les ordres de dispersement de la police en criant des slogans tels que: "Bas les pattes des foulards", "Notre foulard, notre honneur", "Nous détruirons la main qui se portera sur nos foulards" devant les touristes ébahis qui visitaient la Mosquée Bleue, le Musée Sainte Sophie et le Palais de Topkapi.
        La police a arrêté cinq hommes. L'arrestation de quatre d'entre eux a été confirmée par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul.
        Ceux qui défendent le port du turban maintiennent qu'il ne s'agit pas d'un symbole politique mais un symbole moral et religieux qui ne devrait pas être interdit dans un pays démocratique.
        Quant aux détracteurs du turban, ils estiment qu'il constitue une menace pour la laïcité et qu'il représente l'idéologie politique du Sharia, base de l'Etat islamique.
        Mme Nermin Abadan Unat, un sociologue distingué, a estimé qu'"il pourrait être correct de soutenir, comme le font de nombreux intellectuels et écrivains, que dans une société qui accepte les valeurs et les libertés démocratiques, chacun est libre de s'habiller comme il ou elle l'entend. Mais lorsque des vêtements supportent habituellement une idéologie politique, ils deviennent eux-mêmes un symbole politique."
        Sureyya Agaoglu, la première femme avocat de Turquie, soutient l'opinion des femmes turques qui se battent pour l'égalité qui estime que le port du turban va détruire tous les progrès effectués vers la libération de la femme turque. Elle est persuadée du fait que les fondamentalistes traditionalistes sont un danger pour les droits accordés aux femmes par la République.
        Mme Nilufer Gole, sociologue à l'Université du Bosphore, représente une autre tendance: elle estime qu'on ne peut pas associer le mouvement islamique radical au traditionalisme. Selon elle: "Les nouveaux fondamentalistes radicaux s'estiment être des intellectuels qui ont acquis une très bonne connaissance de l'Islam et veulent étudier le passé afin d'en tirer des enseignements pour aujourd'hui. Pour cette raison, ils ont choisi d'utiliser le turban à la place d'un simple foulard afin de démarquer de la masse des croyants". Le quotidien islamique Zaman, dans un article de Fehmi Koru que le turban "est devenu une question politique" dès que l'interdiction de le porter dans les universités a été formulée par la Cour constitutionnelle au printemps dernier: "Même en France, où la laïcité est synonyme du rejet de la religion, le ministère de la Justice a décidé de ne pas expulser des classes les musulmanes portant le foulard," dit Koru. "Personne n'ignore le fait qu'Özal est opposé à l'interdiction du port du foulard. Alors qu'il était encore premier ministre, il avait déclaré lors d'une conférence de presse qu'il était contre. Depuis qu'il a accédé à la présidence de la République, tout le monde attend de lui qu'il trouve rapidement une solution au problème".
        Mme Bahriye Ucok, ancien professeur à l'Ecole de Théologie d'Ankara, a fermement établi que le fait de se couvrir la tête n'est pas une loi coranique et que le Coran a souvent fait l'objet de mauvaises interprétations dûes aux difficultés d'interpréter correctement la langue et l'écriture arabe. Elle maintient que durant les premières heures de l'Islam, les femmes honnêtes étaient priées de couvrir totalement leur corps afin de montrer qu'elles n'étaient ni des prostituées ni des esclaves.

LES IMMIGRES TURCS DANS LA COMMUNAUTE EUROPEENNE

        Le Turkish Dateline  du 11 novembre 1989 du a publié un article sur les         immigrés turcs en Europe. Nous reproduisons ci-dessous cet article écrit par         le Dr Faruk Sen, directeur de l'Institut des Etudes Turques à Bonn (RFA):

        Selon les chiffres de 1989, il y a 15.300.000 personnes qui vivent dans les 12 pays de la Communauté sans pour autant habiter dans le pays dont elles sont natives. Sur ces 15 millions, on en dénombre 5.600.000 qui ne viennent pas des Etats de la Communauté, parmi lesquels la catégorie la plus importante sont les Turcs avec 2.200.000 individus.
        L'immigration turque a derrière elle 29 ans d'histoire sur les 31 ans d'existence de la Communauté. Dès 1961, l'immigration turque a été encouragée. Alors que l'entrée de la Turquie dans la Communauté européenne fait encore l'objet de discussions, les Turcs ont attendu longtemps avant de devenir la 13ème nation de la Communauté.
        Les Turcs européens vivent depuis tellement longtemps dans les pays de la Communauté qu'ils se sentent européens à part entière et dans la plupart des cas, il ne souhaitent pas retourner dans leur pays d'origine.
        Sur les deux millions de Turcs européens, on dénombre seulement 715.000 travailleurs, ce qui implique que la majorité restante est composée de membres de leurs familles.
        L'analyse de cette société turque de l'étranger et en particulier celle de RFA se révèle intéressante du fait qu'il s'agit d'une communauté très jeune. En RFA, 500.000 des 1.512.000 Turcs qui y vivent sont âgés de moins de 16 ans; 75% d'entre eux sont nés en Allemagne.
        Après la RFA, la seconde communauté turque de l'étranger se situe aux Pays Bas où vivent 173.000 Turcs.
        Trois points sont à noter en ce qui concerne le développement de la Communauté turque en Europe.
        En premier lieu, depuis le début des années 80 on note une nette diminution du nombre de retours des Turcs en Turquie surtout en provenance de RFA. La tendance à rester en Europe est donc croissante.
        En 1980, les sondages rapportaient que 40% de la Communauté turque de RFA voulaient rester dans ce pays; en 1985, ce chiffre se montait à 56%. Plus tard, un rapport émis par le Centre de Recherche Turque estimait qu'en 1986, ce chiffre se montait à 60,4%.
        Les derniers chiffres datent de 1988, année durant laquelle le centre s'est livré à une enquête dans la région du nord de la Westphalie (RFA): ils démontrent que seulement 13% des Turcs qui habitent cette région ont l'intention de retourner en Turquie.
        On a observé la même tendance aux Pays Bas. En 1987, une étude générale démontrait que seulement 24% des Turcs voulaient quitter le pays.
        En second lieu, les jeunes Turcs vivant en Europe s'identifient totalement aux Européens. Ce phénomène est notable surtout en RFA, où les jeunes appartenant à la communauté turque s'intéressent aux écoles professionnelles et veulent devenir des ouvriers qualifiés.
        Le nombre de jeunes turcs qui s'inscrivent dans des écoles professionnelles va en s'accroissant ainsi que celui de ceux qui étudient la langue du pays dans lequel ils vivent. Donc la première génération d'immigrants turcs soient des ouvriers non qualifiés qui sont arrivés dans les années 60-70 va être remplacée par une génération d'ouvriers qualifiés qui a été formée dans des écoles techniques.
        En troisième lieu: on note le fait que de plus en plus de Turcs créent leur propre entreprises en Europe. Ils sont du nombre de 40.500 en RFA, en GB, en France et au Bénélux (Belgique, Pays Bas, Luxembourg).
        Les trois quarts de ces derniers vivent en RFA, c'est-à-dire 30.000 Turcs ayant leur propre affaire et représentant un investissement total de 5,1 milliards de DM ainsi que des chiffres d'affaires annuels se montant à 23,5 milliards de DM.
        Rien qu'en RFA, les Turcs emploient 105.000 personnes et leur succès ne peut décemment plus être ignoré.
        Ainsi, si nous considérons globalement la situation nous pouvons voir que les Turcs se sont identifiés aux pays dans lesquels ils résident où ils investissent et fondent des foyers.