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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


162

14e année - N°162
Avril  1990
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 

UN REGIME REPRESSIF
AU KURDISTAN TURC


        Le peuple de Turquie est habitué à voir le processus de démocratisation interrompu par un coup d'Etat militaire au début de chaque décennie, lorsque les dirigeants du pays ne peuvent plus faire face de façon démocratique aux problèmes économiques et sociaux du pays. Les années 1960, 1971 et 1980 ont ainsi marqué, de façon dramatique, des tournants dans l'histoire de la Turquie.
        1990 ne fait pas exception à la règle… La soi-disant "démocratisation" a été récemment interrompue par les dirigeants militaro-civils du pays et ce, avec la complicité des leaders des deux principaux partis de l'opposition.
        Le 10 avril 1990, après avoir rencontré les leaders de l'opposition lors d'une conférence au sommet et s'être entretenu avec le Conseil National de Sûreté (MGK), composé de hauts officiers de l'armée et de certains ministres, le gouvernement a fait entrer en vigueur de nouvelles mesures d'urgence.
        Le décret N° 413 dote le gouverneur régional de pouvoirs extraordinaires afin de mettre fin à la résistance de plus en plus importante dont les Kurdes font preuve dans les provinces orientales de la Turquie.
    Ces pouvoirs consistent, entre autre, à censurer la presse et à déplacer des résidents "indésirables" du Sud-Est vers une autre région du pays. Sa décision ne fait l'objet d'aucun contrôle judiciaire. Bien que l'autorité illimitée du gouverneur ne vaut que pour les 11 provinces du Sud-Est, il peut faire fermer des imprimeries ou interdire de parution des articles jusqu'à Istanbul.
        Le même décret alourdit les peines prévues pour insulte au Président, bien que celai n'ait absolument rien à voir avec les incidents du Sud-Est.
        De plus, les mesures d'urgence n'ont pas été soumises à l'approbation de l'Assemblée législative, qui est censée représenter la volonté du peuple.
        Le numéro du 11 avril 1990 du quotidien Hürriyet rapporte que ce nouveau décret s'apparante à l'une des lois les plus répressives de l'histoire de la République turque: Takrir-i Sükun, la loi pour l'établissement de l'ordre public, édictée en 1925 sous prétexte du soulèvement du Sheik Sait dans le Kurdistan turc.
        Le cabinet, lors de sa réunion du 9 avril dernier, présidé par le Président Turgut Özal pour la première fois depuis la nomination de Yildirim Akbulut au poste de premier ministre, a adopté le décret N° 413 afin d'édicter les règles suivantes:
        - des peines ont été ébauchées, elles frappent les publications jugées coupables de "présenter de façon mensongère des incidents ayant eu lieu dans une région dans laquelle l'état d'urgence a été décrété, de perturber leurs lecteurs au moyen de récits ou de commentaires déformés, de créer l'anxiété au sein de la population de la région et de faire obstruction à l'action des forces de sécurité.
        Ce décret étend donc à tout le pays le pouvoir d'interdire ce genre de publications que le gouverneur détenait déjà au niveau régional.
        Le gouverneur régional est investi du pouvoir de faire cesser la distribution de ces publications et de les faire saisir, peu importe l'endroit où elles ont été imprimées. De plus, il peut prendre la décision de faire fermer les imprimeries en questions. La suggestion du gouverneur régional doit être approuvé par le ministre de l'intérieur qui prendra la décision finale.
        - S'il est prouvé qu'une publication s'est livrée à la calomnie à l'encontre d'un individu alors que ce dernier était en poste dans une région soumise à l'état d'urgence, elle sera frappée d'une très lourde amende. Ainsi, s'il s'agit d'un quotidien, le montant de l'amende atteindra pas moins de 90% du chiffre de vente quotidien du journal.
        En plus des amendes déjà prévues par le Code Pénal turc, le décret prévoit que les publications qui insultent une personne en publiant des articles mensongers, des photographies ou des documents seront frappées d'une amende allant de 30 à 100 millions de LT (de 10.000 à 33.000 dollars). Les éditeurs payeront également une amende supplémentaire calculée sur base de chiffre de vente moyen de la publication. De plus, les éditeurs responsables seront forcés de payer la moitié de cette somme. Le Code pénal prévoit également une peine de trois ans de prison pour ceux qui ont été reconnus coupables.
        - Bien qu'apparemment n'existe aucun lien entre l'article 158 du Code pénal turc —qui incrimine le fait d'insulter le Président— et ces mesures, il y a été inclus. Et ce, alors que, le Code pénal prévoit déjà des peines allant jusqu'à trois ans de prison pour ceux qui insultent le Président. De plus, les publications qui insultent le Président devront payer une amende allant jusqu'à 100 millions de LT (33.000 dollars) et leurs propriétaires seront obligés de payer des amendes sur base des chiffres de vente dont 50% seront à charge de leurs éditeurs responsables.
        - La même peine est prévue en cas d'insulte au Parlement, au gouvernement, aux ministres ainsi qu'aux hauts fonctionnaires. En plus de ces nouvelles amendes, l'article 169 du Code pénal turc contient une stipulation prévoyant une peine maximum de 6 ans de prison pour ceux qui auront été reconnus coupables.
        - Des règles identiques seront appliquées aux cas visés par l'article 268 du Code pénal turc. Cet article prévoit déjà une peine maximum de trois ans de prison pour insulte aux officiels et en particulier aux juges.
        - Les émissions de la Radio et Télévision Turque (TRT) où l'état d'urgence a été décrété, seront soumises au contrôle du ministère de l'Intérieur ainsi que du Secrétariat Général du Conseil National de Sécurité.
        - Les individus connus pour agir contre l'Etat pourront être déplacés sur décision du gouverneur régional. Le lieu de déplacement sera déterminé par le ministère de l'Intérieur et, si nécessaire, les exilés bénéficieront d'une aide financière d'un fonds étatique.
        - Le gouverneur régional est autorisé à contrôler les activités des syndicats y compris les grèves et les lock-out qu'il peut interdire s'il le juge nécessaire. Il peut également prendre des mesures pour éviter les boycottes et même fermer des lieux de travail. Auparavant, les gouverneurs régionaux étaient seulement autorisés à retarder d'un mois les grèves et les lock-out.
        - Les procureurs civiles des cours de Sûreté de l'Etat intenteront des poursuites chaque fois que le gouverneur régional le demandera, à condition que les cas soient du ressort de la compétence de la Cour.
        - Le gouverneur régional est autorisé à demander que les institutions de l'Etat transfèrent certains employés à une autre place ou à un autre niveau s'il n'aime pas leur façon de travailler ou s'il considère qu'ils sont "incompétents". L'institution concernée sera priée de considérer ces demandes de façon immédiate. Auparavant, le gouverneur régional était autorisé à requérir des déplacements sauf dans le cas des juges, des procureurs et du personnel militaire.
        - Les personnes qui vivent dans une région où l'état d'urgence a été décrété seront autorisées à déménager s'ils le désirent avec des facilités pour trouver un nouveau travail. Un total de 60.000 postes de fonctionnaires dans des institutions de l'Etat va être créé pour ces gens avec autorisations, pour le gouvernement, d'augmenter ce chiffre de 26% si c'était nécessaire. L'octroi de ces emplois n'a pas encore été annoncé, l'organisation de ce projet a été confié au ministère de l'intérieur.
        - Ces mesures interdisent encore que des poursuites soient entamées devant n'importe quel tribunal quant à la manière dont les autorités du ministère de l'intérieur, le gouverneur régional ou n'importe quel autre officiel travaillant pour lui ont exercé leur autorité.
        - Les peines frappant ceux qui ont été déclarés coupables d'encourager les activités séparatistes ont également été doublées.

L'OPPOSITION PARLEMENTAIRE DUPÉE

        Alors que les leaders  de l'opposition parlementaire critiquaient les mesures prises par le gouvernement, le Président Özal justifiait le nouveau régime de répression en déclarant que tous les présidents de parti étaient unanimes quant à la gravité de la situation dans le Sud-Est du pays.           
        En fait, les présidents des deux partis représentés au Parlement, Erdal Inönü (SHP) et Süleyman Demirel (DYP), ont abandonné leur tactique qui consistait à éviter le Président et l'ont rencontré le 2 avril dernier pour discuter de la violence dans le Sud-Est, répondant ainsi à l'invitation du Président Turgut Özal.
        Après une rencontre de trois heures à laquelle assistait également le premier ministre, Özal est apparu à la télévision afin d'annoncer qu'il était heureux de voir que tous les présidents de parti soutenaient la prise de telles mesures afin de sauvegarder l'intégrité de la nation.
        Il a poursuivi en ces termes: "Les mesures qui seront prises à dater d'aujourd'hui leurs ont été exposées dans leurs grandes lignes. Il régnait également un consensus général sur ce point. Les présidents de parti ont réaffirmé qu'ils soutiendront le gouvernement dans ses efforts pour que les mesures relatives aux événements d'Anatolie orientale soient adoptées."
        Le premier ministre a également déclaré aux journalistes qu'il était satisfait de la rencontre de Cankaya. Il a estimé que "le résultat le plus concret est le soutien apporté par tous les partis politiques aux forces de sécurité dans leur lutte contre le terrorisme. Tous les partis politiques sont tombés d'accord sur la nécessité de combattre le terrorisme".
        Bien que déçus dans leurs espérances d'obtenir la promesse d'Özal et d'Akbulut d'organiser des élections anticipées, les deux leaders de l'opposition ont soutenu l'idée de prendre des mesures extraordinaires dans le Sud-Est. Demirel a déclaré à son groupe parlementaire: "Il est nécessaire de combattre le terrorisme armé. La situation est grave. Nous ne pouvons pas ignorer l'invitation de nous rendre à Cankaya alors que des gens crient 'à bas la Turquie' dans les rues de Cizre".

RÉACTIONS AUX MESURES

        Dès le dévoilement par le gouvernement des mesures prises par lui, Demirel et Inönü ont compris qu'ils avaient été dupés par Özal.
        Demirel a déclaré: "Lorsque nous avons dit que nous allions soutenir ces mesures, nous entendions des mesures en accord avec les droits de l'homme et la loi. Personne ne croira que nous approuvons ces mesures. Le décret montre clairement que le régime imposé par le Président Turgut Özal est différent de celui prévu par la constitution". Il a demandé au gouvernement de les lever et plus particulièrement celles concernant la censure sur la presse et l'exil.
        Demirel, lors de son allocution devant ses députés le 17 avril dernier, a déclaré que , en Turquie, le gouvernement ne s'acquitte pas du travail dont il est responsable. "Özal s'en charge à la place du gouvernement. Selon la constitution, dès à présent, un débat est ouvert quant à sa responsabilité politique. Nous devons trouver un nom à ce régime car ce n'est pas celui prévu par la constitution de la République turque. Je n'ai même pas connu de telles mesures en temps de guerre. C'est une aberration".
        Le même jour, Inönü a déclaré, en s'adressant aux députés de son parti, que l'opinion publique a l'impression que le processus démocratique s'est arrêté en Turquie, il a remarqué que: "Selon la constitution, le gouvernement aurait dû soumettre le décret qu'il a adopté au Parlement et ce, dans les 24 heures. Or, une semaine s'est écoulée et le décret n'a toujours pas été soumis à l'assentiment du Parlement. Or, tout le monde devrait pouvoir exprimer ce qu'il pense de ce décret. Il ne devrait pas être discuté à huis clos. Personne ne conteste le fait que le séparatisme soit une menace pour l'intégrité nationale, mais l'intégrité de la nation devrait être protégée grâce à des règles démocratiques".
        Les députés SHP Hasan Fehmi Günes et Turhan Beyazit ont annoncé qu'ils allaient avoir recours à la Cour Constitutionnelle pour qu'elle abroge le décret gouvernemental imposant les mesures d'urgence. Dix-neuf députés indépendants qui ont quitté le SHP en 1989 se sont chargés de la garde pour deux jours, les 18 et 19 avril derniers, pour que le gouvernement soumette les mesures d'urgence à l'Assemblée Nationale.
        Fehmi Isiklar, parlant au nom des députés qui se livraient au sit-in, a déclaré que la crise politique turque s'aggravant à cause des pratiques du gouvernement, et que "la démocratie se voit accusée de la montée du terrorisme. Les libertés et les droits fondamentaux des gens sont aliénés. La liberté de la presse est muselée et les droits sociaux sont laissés au pouvoir de décision totalement arbitraire du gouverneur régional".
        Turgut Kazan, président de l'Association du Barreau d'Istanbul, a déclaré que le décret du gouvernement autorise les officiels gouvernementaux à violer la loi. Toujours selon Kazan: "Dans un Etat de droit, ce sont les cours et tribunaux qui règlent les questions judiciaires, or le décret du gouvernement bloque le fonctionnement de l'appareil judiciaire. Ceci est contraire à la loi. De plus, sous prétexte de faire cesser le terrorisme armé, les peines pour insulte au Président et au gouvernement ont été alourdies. Il ressort de tout cela, que le but réel de ces mesures est d'interdire toute critique à l'encontre du gouvernement".

RÉSISTANCE POPULAIRE FACE À LA TERREUR

        Avant même que le nouveau décret ait été publié, les mesures d'urgence ont déjà été appliquées à 11 agglomérations dans les provinces de Mardin et de Siirt, et ce, suite à la résistance opposée par la population locale aux forces de sécurité (voir: Info-Türk, mars 1990).
        Les tensions étaient très fortes au sein de la population de la région, en partie à cause du Newroz traditionnel qui marque le nouvel An en Turquie orientale ainsi que dans d'autres pays du Moyen-Orient et qui est généralement célébré par les Kurdes entre le 21 et le 28 mars.
        Le 21 mars dernier, une étudiante de l'Université de Diyarbakir, Zekiye Alkan, s'est immolée par le feu pour protester contre l'oppression dont le peuple kurde est victime. Les actions de protestation à l'occasion du Newroz se sont rapidement multipliées dans les villes kurdes. Des milliers d'étudiants d'origine kurde ont organisé des manifestations à l'occasion du Newroz à Istanbul, Ankara et dans d'autres grandes villes du pays. A cette occasion, des centaines de manifestants ont été arrêtés par la police.
        Le 26 mars, dans les villes de Cizre, Silopi et Idil, les magasins et les bureaux sont restés fermés. La population entendait ainsi protester de manière silencieuse contre le terrorisme d'Etat.
        Le lendemain, lorsqu'un groupe de lycéens a entamé une marche de protestation à Cizre, les forces de sécurité équipées de véhicules anti-émeute, d'armes et de canons à eau leur ont ordonné de se disperser. Les manifestants n'ont pas obéi et ont mis le feu à des pneus sur la rue tout en jetant des pierres sur les forces de l'ordre mais lorsque les forces spéciales de police sont intervenues, l'incident a pris une autre tournure.
        Après la première confrontation qui avait eu lieu le matin entre un groupe de jeunes manifestants et la police, d'autres manifestations, beaucoup plus importantes, ont commencé à divers endroits de la ville.
        Lorsque les forces de sécurité ont finalement repris le contrôle de la situation vers 15h30 et ont imposé un couvre-feu, quatre personnes avaient été tuées et neuf autres au sérieusement blessées.
        Mustafa Büyük, le gouverneur de Cizre, a déclaré que des inconnus avaient tiré en direction des forces de l'ordre, qu'un drapeau turc avait été brûlé et qu'une statue de Kemal Atatürk, le fondateur de la République turque avait été endommagée. Un bâtiment appartenant au ministère de l'Agriculture a été brûlé et de nombreuses voitures ont été détruites pendant ces incidents.
        Pendant que Cizre était le théâtre de ces incidents, six camions transportant de l'essence ont été disposés et incendiés par des militants du PKK sur un parking le long de la route reliant Cizre à Silopi. Un autre groupe a également endommagé les bâtiments d'une mine de charbon appartenant au gouvernement et se situant à l'extérieur de Cizre.
        Après ces incidents, 138 personnes ont été détenues par la police à Cizre et 74 d'entre elles ont été mises en état d'arrestation le 28 mars, par la Cour de Sûreté de l'Etat de Diyarbakir.
        Les jours suivants, les marchands de Silvan, Diyarbakir, Batman et Tunceli se sont joints à l'action de protestation en baissant leur volet et en laissant leurs magasins fermés toute la journée. Pendant ce temps, les forces de sécurité de la région recevaient des renforts en hommes et en matériel. De plus, les routes étaient bloquées à l'entrée des villes et seuls les officiels gouvernementaux passaient les barrages, ainsi que les résidents locaux.
        Les mesures d'urgence ont également été renforcées à Sirnak, Eruh, Kiziltepe, Midyat et Pervari (provinces de Siirt et de Mardin). Quant aux villes de Uludere, Beytussebab et Yuksekova (province de Hakkari) qui se trouvent plus à l'est, elles ont également été mises en état d'urgence.
        Le député indépendant de Mardin, Ahmet Türk, a déclaré que ces incidents étaient, pour la plupart, provoqués par la police. Le député a demandé le retrait des forces de police et la levée des mesures d'urgence.
        Le 5 avril, les Commissions Constitutionnel et de la Justice de l'Assemblée nationale ont entamé une procédure dans le but de lever l'immunité parlementaire de 11 députés connus pour être les défenseurs des droits au peuple kurde.
        Le 6 avril, les cercles gouvernementaux ont annoncé que certaines des 267 peines capitales qui attendent d'être ratifiées par le Parlement, pourraient l'être très prochainement. Sachant que 41 de ces peines touchent des militants au PKK, une telle déclaration semble avoir pour but d'intimider la résistance kurde.
        Le lendemain, les forces de sécurité ont attaqué des groupes de guérillas kurdes à Hakkari. Après cette opération qui a duré deux jours et qui a été soutenue par des factions kurdes pro-gouvernementales, on a dénombré dans les rangs des militants PKK, 21 morts et 15 prisonniers.
        Ainsi, le Conseil national de Sécurité (MGK) avait suffisamment de prétextes pour annoncer des mesures extraordinaires de répression. Depuis que les deux leaders des principaux partis d'opposition ont accordé leur appui au gouvernement, l'ouverture d'une nouvelle ère de répression, le 10 avril dernier, consistait en une simple formalité.

CENSURE SUR LA PRESSE

        Les nouvelles mesures d'urgence ont eu un effet immédiat sur la presse turque.
        Ainsi, l'imprimerie Hürriyet a annoncé qu'elle ne serait plus capable bien longtemps d'imprimer l'hebdomadaire de gauche 2000e Dogru (vers l'an 2000). Ce magazine publie des informations concernant les événements du Sud-est, ce qui a pour conséquence d'en faire la publication la plus fréquemment interdite de Turquie. 2000e Dogru n'a pas été publié pendant deux semaines, car son éditeur ne trouvait pas d'imprimeur qui voulait l'imprimer.
        Lors d'une interview téléphonique, Huseyin Karanlik, rédacteur en chef de la revue 2000'e Dogru, a déclaré: "Après que le décret ait été officiellement publié, les dirigeants de Hürriyet nous ont demandé un entretien. Nous avons parlé des risques de voir toute l'imprimerie être fermée. Le 13 avril, le contrat était annulé. Nous avons contacté de nombreuses imprimeries dans le but de nous faire imprimer par quelqu'un d'autre. Nafiz Ilicak a accepté. Mais plus tard, ils nous ont dit avoir été contactés par un département de la police qui les avait mis en garde et leur avait conseillé de ne pas signer le contrat".
        Le ministre de l'intérieur, Abdulkadir Aksu, a déclaré aux journalistes lors d'un dîner à Ankara le 17 avril dernier: "Le gouvernement a l'intention de combattre les publications anti-étatique. Ainsi, voyez le magazine 2000'e Dogru, ne peut plus être imprimé. Est-ce une mauvaise chose? Il faut savoir que si Hürriyet avait continué à l'imprimer, le gouvernement aurait fermé l'imprimerie".
        Le 18 avril dernier, le Président Turgut Özal a déclaré, en se référent au refus de Hürriyet de continuer d'imprimer le magazine 2000e Dogru : "Le décret a déjà atteint son but".
        Tufan Turenc, rédacteur en chef de Hürriyet, a estimé que ce décret était vague et "susceptible d'être interprété" et qui causait de grosses difficultés à la presse. Il a également confirmé que le contrat avec le magazine 2000'e Dogru avait été résilié et à souligné que "bien que la presse n'accepte pas ces mesures, elle est obligée de les respecter pour l'instant".
        Pendant ce temps, la Cour de Sûreté de l'Etat de Diyarbakir a émis un mandant d'arrêt contre M. Dogu Perincek, éditeur du magazine.
        Déjà, le 15 mars dernier, M. Tunca Arslan, éditeur responsable du 2000'e Dogru, avait été arrêté par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul pour un article traitant de la question kurde.
        Le 2 avril 1990, la même Cour ordonnait la confiscation de 2000'e Dogru ainsi que d'un autre magazine, Nokta, pour avoir dévoilé un rapport de l'Etat-major turc sur la question kurde.
        Le 19 avril, de nouvelles poursuites légales étaient entamées contre M. Perincek, éditeur de 2000'e Dogru, par la Cour de Sûreté de l'Etat de Malatya, pour une conférence qu'il avait donnée dans cette ville. Il risque à nouveau une peine de 3 ans de prison.
        Depuis l'adoption de ces mesures extraordinaires, comme par hasard, presque toutes les publications à tendance gauche risquent de disparaître.

LE TOURMENT PERPÉTUEL DE BESIKCI

        L'arrestation du sociologue turc, le Dr Ismail Besikci, et la confiscation successive de ses livres traitant de la question kurde ont donné lieu à une vague de protestation aussi bien en Turquie qu'à l'étranger. Malgré cela, les procureurs continuent à le persécuter en entamant de nouvelles poursuites légales contre lui.
        En mars dernier, il a été emprisonné pour son livre intitulé: Kurdistan: une colonie multinationale (voir Info-Türk, mars 1990). Le 18 avril dernier, un appel pour sa libération émanant de 60 juristes a été rejeté par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul. De nombreux avocats, journalistes étrangers et représentants d'Amnesty International ainsi que l'Association des Droits de l'Homme d'Istanbul ont assisté aux débats à la Cour en tant qu'observateurs.
        Dans sa défense, Besikci a rejeté les accusations de se livrer à la propagande kurde qui pesent sur lui et a déclaré que son travail est de nature purement scientifique en ces termes: "Il est impossible de contrôler les changements sociaux dans un cadre idéologique rigide."
        La Cour a décidé de ne pas le relâcher et a ajourné son procès au 15 mai.
        Alors que son procès se poursuivait, la Cour a ordonné la saisie d'un deuxième livre d'Ismail Besikci: "La science-l'idéologie officielle; la démocratie-l'Etat et la question kurde", qui a été mis en vente le 27 mars dernier. Dans ce livre, il examine la question kurde sous l'angle de l'idéologie turque et met en évidence que l'idéologie officielle turque va à l'encontre de faits scientifiques.
        Le troisième livre de Besikci, "Un intellectuel, une organisation et le problème kurde", a également été récemment confisqué sur ordre de la Cour de Sûreté de l'Etat. Dans ce livre, Besikci critique certains intellectuels, comme l'humoriste Aziz Nesin, pour ne pas avoir défendu les droits du peuple kurde en Turquie.
        Besikci, s'il est déclaré coupable, risque une peine totale allant jusqu'à 45 ans de prison pour ses trois livres.
        Besikci, qui n'est pas kurde, est l'un des plus célèbres défenseurs des droits de l'homme en Turquie. Il a passé 10 ans en prison entre 1971 et 1987 pour ses publications sur la question kurde. Il avait été libéré récemment en mai 1987.
        A Copenhague, le Dr Erik Siesby, président du Comité danois Helsinki, a déclaré qu'il était affecté par l'arrestation de Besikci et qu'il avait invité ce dernier à une conférence qui a eu lieu les 31 mars et 1er avril derniers qui a examiné le statut des minorités en Turquie, Bulgarie, Roumanie et Grèce. Besikci lui a envoyé un discours, à lire en son absence, traitant de la question kurde en Turquie.
        Un membre ouest-allemand du Parlement Européen, Mme Claudia Roth, a rencontré Besikci dans sa cellule de la prison d'Istanbul et a eu un entretien de 90 minutes avec lui. Mme Roth, qui était en Turquie pour assister à la réunion de la Commission mixte de l'Assemblée nationale turque et du Parlement européen qui s'est tenue dans la ville d'Antalya, a déclaré après leur entretien que l'incarcération du sociologue était un coup "très grave et très sérieux" porté au respect des droits de l'homme en Turquie.

AUTRES ACTIONS MENÉES CONTRE LA PRESSE

        Le 2/3, le gouvernement d'Ankara a interdit la représentation d'une pièce intitulée: "Pourquoi avons nous fait le coup d'Etat?"
        Le 3/3, le journaliste Melih Zeytinoglu, ancien rédacteur à l'édition turque du magazine "Playboy" est réapparu à Cologne où il a demandé l'asile politique à l'Allemagne de l'Ouest. Il avait été condamné à une amende totale de 40 millions de LT (20.000 dollars) pour avoir violé la loi visant l'obscénité. La Cour avait converti l'amende en une peine de 1.096 ans de prison lorsque son employeur n'avait pas réussi à payer l'amende avant l'expiration du délai légal.
        Le 8/3, le quotidien Günes a été confisqué par la Cour de Sûreté de l'Etat pour avoir dévoilée les minutes des conversations Özal-Bush à Washington. M. Uluc Gurkan, auteur de l'article incriminé, a été arrêté deux jours après mais a été relâché après qu'une caution de 5 millions de LT (2.000 dollars) ait été versée. Gurkan et Alev Er, éditeur responsable du journal, sont tous les deux passibles d'une peine de prison allant jusqu'à 8 ans.
        Le 9/3,  à Izmir, la police a maintenu en garde à vue trois journalistes: Doruk Aydogmus, Nusret Atasever et Mesut Avci, ainsi que sept lecteurs au bureau du mensuel Yeni Cözüm.
        Le 19/3, Mme Katherina Bjarevail, correspondante du quotidien suédois Sydvenska Dagbladet a été arrêtée à Diyarbakir alors qu'elle prenait des photos des manifestations et a été maintenue en détention provisoire pendant trois heures.
        Le 31/3, les dirigeants de 40 imprimeries d'Izmir ont été mis en accusation par le procureur pour ne pas avoir envoyé les publications qu'ils impriment au Bureau de protection des mineurs contre les publications nuisibles.
        Le 1/4, un nouveau scandale a éclaté au Festival International du Film d'Istanbul quand la projection du film intitulé "Les nuits du blackout" a été interdite par le Bureau de censure. Le film a été réalisé par Yusuf Kurcenli et traite des tortures qui ont eu lieu en Turquie pendant la deuxième guerre mondiale.
        Le 4/4, la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara a censuré le quotidien Sabah pour éviter la publication d'un article qui aurait, prétend-elle, fait la lumière sur la tentative d'assassinat dont Turgut Özal a été la victime, il y a deux ans. Le journal a déclaré qu'il avait trouvé un nouveau témoin dont les déclarations impliquaient le procureur de la Prison de Dalaman dans le complot contre la vie d'Özal. Deux autres quotidiens, Günes et Günaydin ont également été censurés par les procureurs de la même Cour pour éviter la publication d'articles traitant du même sujet.
        Le 7/4, Mme Nazli Ilicak a été condamnée à une amende totale de 306 millions de LT (100.000 dollars) pour avoir insulté 102 députés ANAP dans un article qu'elle a écrit dans le quotidien Tercüman. Mme Ilicak a également été jugée pour avoir insulté le président Özal.
        Le 11/4, le Dr Tayfun Gönül qui avait lancé une campagne contre le service militaire obligatoire ainsi que trois journalistes, Alev Er et Kutlu Ozmakinaci du quotidien Günes et Tugrul Eryilmaz de l'hebdomadaire Sokak, ont été mis en accusation par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul. Chacun d'eux est passible d'une peine allant jusqu'à deux ans de prison pour propagande anti-militariste.
        Le 15/4, le bimensuel Isciler ve Politika a été confisqué sur ordre de la CSE d'Istanbul.
        Le 16/4, trois revues mensuelles: Toplumsal Kurtulus, Emegin Bayragi et Iscinin Gazetesi ainsi que le livre du journaliste Gunay Aslan intitulé "Bouchers en uniforme" ont été saisis sur ordre de la CSE d'Istanbul.
        Le 17/4, le Conseil des ministres a annoncé que 17 personnes vivant à l'étranger ont été déchues de leur nationalité turque. Parmi elle, on retrouve un ancien dirigeant du parti ouvrier de Turquie (TIP): Zeki Kilic, le journaliste Sabri Bal et le juriste Yucel Yesilgoz.
        Le 18/4, le fascicule n° 70 de l'Encyclopédie du Socialisme et des luttes sociales a été confisqué par la CSE d'Istanbul.
        Le 21/4, la CSE d'Istanbul a ordonné la confiscation des publications suivantes: les revues mensuelles Devrimci Genclik, Yeni Demokrasi, Özgürlük Dünyasi, Kivilcim, Genc Sosyalistler, Yeni Cözüm ainsi qu'un livre traitant des incidents du 1er Mai 1989 et intitulé "Ce n'étaient pas des pierres mais nos cœurs que nous brandissions".
        Le 22/4, un magazine de droite Akdogus, a été confisqué pour avoir insulté Atatürk dans un de ses articles.
        Le 24/4, deux journalistes de la revue mensuelle Hedef: Ali Aslan et Mehmet Torus ont été mis en détention préventive à Istanbul pour "publication séparatiste."
        Le 25/4, l'hebdomadaire Sokak a annoncé qu'il doit cesser sa parution en raison des pressions croissantes exercées sur lui. De plus, la CSE d'Istanbul a ordonné la confiscation du bimensuel Iscilerin Sesi et d'un livre de Cemsit Atil intitulée "Le soulèvement kurde de 1925".

UN MESSAGE DE PROTESTATION DE L'IPI

        Le 21 mars dernier, l'Institut International de la Presse (IPI) a envoyé un message au Président Turgut Özal dans lequel il proteste énergiquement contre les mesures de répression dont la presse est victime en Turquie.
        Le message note qu'en deux semaines les restrictions et les peines frappant la presse turque ont atteint un niveau record. Le message, signé par le Directeur de l'IPI, Peter Galliner, invoque la cessation de parution de l'hebdomadaire de gauche 2000'e Dogru et l'arrestation de son éditeur, Tunca Aslan en raison de son article sur les Kurdes; l'action en justice intentée contre un journaliste du Tercüman, Nazli Ilicak pour avoir insulté le 1er ministre; l'arrestation et le relâchement après versement d'une caution de l'éditeur de Günes, Uluc Gurkan, pour avoir publié les minutes des conversations de Bush-Özal en janvier dernier à Washington D.C.
        Galliner a écrit au président turc que "ses actes violent l'article 19 de la Déclaration des Droits de l'Homme qui stipule le droit de réunion et de propagation des informations.

APO MET LE GOUVERNEMENT TURC EN GARDE
        Le 1er avril dernier, le quotidien Hürriyet a commencé à publier une série d'interviews accordées par le dirigeant kurde le plus recherché du pays: Abdullah Öcalan, leader du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et ce, alors que des mesures de plus en plus répressives frappent les Kurdes de Turquie.
        Öcalan qui est bien connu sous son pseudonyme du PKK, Apo, vit dans un camp appelé Académie Mahsum Korkmaz d'après le nom d'un leader de la guérilla du PKK tué dans la vallée de la Bekaa au Liban. Le camp est un centre d'entraînement pour les unités armées du PKK, on y trouve des hommes et des femmes. Öcalan a transporté son quartier général au Liban avec l'appui de l'OLP.
        Öcalan a parlé de l'avenir du PKK et de ses relations difficiles avec le gouvernement turc.
        Malgré le fait que la lutte armée entre les forces de sécurité turques et les membres du PKK continue, Öcalan a fait une déclaration très surprenante:
        "Décrétons le cessez-le-feu et asseyons nous autours de la table de négociations. La méthode que nous avons utilisée jusqu'à présent n'et pas terrorisme. Le vrai terrorisme va commencer maintenant. Les années '90 vont connaître des changements et beaucoup de sang va être versé. Il ne peux pas changer l'ordre des choses, mais, si la Turquie changeait sa politique de violence dans le Sud-est, nous pourrions également en finir avec la violence. C'est la seule manière de faire cesser les effusions de sang. De toute façon, nous ne pouvons pas faire sécession pour le moment. Nous avons besoin de la Turquie et nous ne serons pas capables de nous en séparer avant au moins 40 ans. Après cela, nous pourrons organiser un référendum et décider du futur. Mais c'est une autre question.
        "Notre problème est la Turquie et nous sommes capables de le régler. Pour l'instant, la question la plus importante pour la Turquie, c'est nous. Des événements tragiques se préparent. Trop de sang est versé. Les gens innocents et ce, des deux côtés, meurent. C'est une guerre particulière et notre point de vue est le suivant: 'Si vous ne tuez pas, nous ne tuerons pas'. La véritable raison de la formidable inflation que connait la Turquie actuellement sont les énormes dépenses faites dans le domaine des forces spéciales et de sécurité."
        Öcalan a déclaré que son organisation ne bénéficie d'aucune assistance matérielle venant de l'extérieur. Il a encore dit: "La Turquie, estimant que d'autres pays soutiennent notre cause, essaye de mettre fin à ce soutien imaginaire en vendant tout aux étrangers. Par exemple, croyant que la France nous aide, le gouvernement lui a vendu ses cimenteries.".
        Öcalan a nié l'implication du PKK dans le meurtre du journaliste du quotidien Hürriyet, Cetin Emec en ces termes: "Si nous l'avions abattu, nous l'aurions immédiatement revendiqué".
        Il a cependant admis la responsabilité du PKK dans l'enlèvement et le meurtre de neuf employés d'une usine d'Etat à Elazig et ce en déclarant: "La Turquie se livre à une véritable guerre dans le Sud-est, le gouvernement y a tout consacré et partant de là, quiconque travaille pour  l'Etat est une victime potentille".
        Ocalan a rejeté le fait que des hommes du PKK se sont infiltrés en Turquie en franchissant la frontière syrienne. Il a dit qu'ils sont entrés en Turquie en utilisant des passeports turcs officiels. Il a continué en disant qu'il est impossible pour des membres du PKK de franchir illégalement la frontière car la zone frontalière est minée et entourée de fil barbelé. "Alors qu'on abattait le mur de Berlin, la Turquie quant à elle, construisait une frontière infranchissable".
        Öcalan a dit que son organisation n'entretien pas de relations suivies avec la Syrie et que Damas n'était pas au courant de l'installation d'un camp du PKK dans la vallée de la Bekaa —qui se trouve à trois heures de route de Beyrouth—. Il a insisté sur le fait que le PKK ne reçoit ni aide financière ni armes de la Syrie.
        Ocalan a accusé la Turquie d'utiliser la religion pour soumettre les habitants du Sud-est et a dit qu'"elle utilise des préceptes du Coran pour répandre l'idée que se dresser contre le gouvernement est un pêché". Le leader du PKK a également dit que son organisation va également utiliser le sentiment religieux et s'est exprimé en ces termes: "Nous aussi, nous trouverons les versets adéquats pour encourager les gens à relever la tête. Nous pouvons battre l'Iran sur le plan de l'utilisation des sentiments religieux".

AMNESTY INTERNATIONAL: DES MEURTRES EXTRA-LEGAUX EN TURQUIE

        Dans son dernier rapport, sorti en mars 1990, Amnesty International a demandé au gouvernement turc d'entamer des investigations impartiales et indépendantes au sujet exécutions extra-légales présumées.
        Ce rapport, intitulé "La Turquie: meurtre extra-légaux", décrit 50 cas de meurtre ou de disparition intervenus depuis 1981. Le groupe de défense des droits de l'homme rapporte des témoignages de personnes qui déclarent que ces exécutions clandestines ont pu être perpétrées par les forces de sécurités de l'Etat.
        A.I. a demandé au gouvernement turc de fournir des informations quant aux méthodes utilisées et aux découvertes faites lors des anciennes enquêtes, ainsi que des actuelles, et demande que les résultats en soient rendus publics.
        Le rapport traite de la violence politique consécutive au coup d'Etat du 12 septembre 1980 ainsi que des combats qui ont lieu dans le Sud-est de la Turquie où le PKK affronte les forces de sécurité depuis 1984.
        AI estime que "Dans les huit années qui ont suivi le coup d'Etat près d'un quart de million de personnes a été arrêté pour des motifs politiques et presque toutes ont été torturées. Les rapports politiques entre le 12 septembre 1980 et le 16 février 1982. Un rapport émis par le quartier général et concernant la même période y ajoute le meurtre de 202 "terroristes" abattus lors d'affrontements avec les forces de sécurité. Il apparaît qu'au moins un certain nombre de ces morts étaient intentionnelles et étaient intervenues alors qu'ils étaient en détention ou dans des situations dans lesquelles ils auraient pu être détenus et traduits en justices."
        Le rapport d'AI publie les chiffres officiels pour le Sud-est de la Turquie et indique que durant les 9,5 premiers mois de 1989, 108 "terroristes", 112 civiles et 88 membres des forces de sécurité y ont été tués.
        AI critique les méthodes d'investigation utilisées par le gouvernement dans ses enquêtes sur la mort des membres des forces de sécurité. Le rapport explique que "Sous la juridiction du gouverneur régional, tout dommage subi par une personne au service de l'Etat, y compris les membres des forces de sécurité, doit faire l'objet d'une enquête menée par des conseils administratifs locaux. Les membres de ces conseils sont chois parmi les employés municipaux. Les juristes (turcs) ont insisté sur le fait que ces gens n'ont aucune connaissance légale et qu'ils sont facilement influençables par les chefs locaux des forces de sécurité".
        Le rapport critique également le système de protecteurs de village par lequel le gouvernement a armé 20.000 Kurdes dans le but de protéger les villages et de combattre la guérilla.
        AI rapporte que: "Il y a eu de fréquentes allégations de mauvais emploi de leur pouvoir par les protecteurs de village qui s'en servent à des fins privées comme l'enlèvement de femmes ou le meurtre de membres de tribus rivales".
        Le rapport présente les cas de trois meurtres et de trois disparitions perpétrés, selon des témoins, par des protecteurs de village.
        Le groupe de défense des droits de l'homme estime que "la distribution d'armes par les autorités divise la population, qui selon ses sympathies, s'en sert pour soutenir l'Etat turc ou la guérilla kurde. De plus, ceux qui soutiennent l'Etat, deviennent des cibles pour la guérilla kurde et ceux qui soutiennent la guérilla deviennent celles des forces de sécurité.
        Le rapport continue en ces termes: "La guérilla aurait attaqué la population civile et aurait fait des prisonniers —en particulier des protecteurs de village soupçonnés d'être des informateurs de la police— qu'elle aurait torturés et, dans certains cas tués. AI condamne, par principe, l'assassinat de prisonniers, aussi bien par des entités gouvernementales que non-gouvernementales.
        Malgré les demandes des parents des victimes pour que les autorités enquêtent sur les meurtres commis par les forces de sécurité ou par les protecteurs de village, le gouvernement enquête très rarement. AI prétend aussi que, parfois, le gouvernement intimide ou torture les témoins afin d'éviter que ces derniers n'accusent les forces de sécurité.
        Un des cas examinés dans ce rapport a fait l'objet d'une enquête de la part d'un conseil administratif local, ainsi que du ministère de l'intérieur avant d'avoir été transmis à la cour administrative suprême (Danistay).
        Le rapport estime que le 17 septembre 1989, les forces de sécurité ont abattu neuf personnes dans la province de Mardin lors d'un affrontement avec des militants du PKK. AI maintient que des témoins ont immédiatement déclaré que six des neuf personnes tuées étaient des villageois, recrutés par les soldats pour les guider jusqu'à l'endroit où l'affrontement a eu lieu.
        Aucune décision n'a été prise en ce qui concerne ce cas.

UN MAIRE SUSPENDU DE SES FONCTIONS

        Le maire de Canakkale, Ismail Özay, a été suspendu par décision gouvernementale le 18 mars dernier et ce, quelques temps après qu'il ait infligé une rebuffade au Président Turgut Özal lors d'une cérémonie commémorant le 75ème anniversaire de la Bataille des Dardanelles. Cet incident a provoqué une nouvelle confrontation entre les partis de l'opposition et l'ANAP. Pendant la cérémonie qui a eu lieu le dimanche 18 mars à Canakkale, le maire SHP de la ville ne s'est pas levé pour saluer le Président. Plus tard, le discours qu'il a prononcé aurait également offensé le président Özal.
        Özay était absent lorsque le Président est arrivé à Canakkale, accompagné du premier ministre, Yildirim Akbulut et de toute une flopée de ministres. Le maire a déclaré plus tard, qu'il était à Izmir pour affaires.
        Lors de son discours, Özay n'a pas mentionné le Président Özal et s'est uniquement adressé au premier ministre, aux autres invités et à la population de Canakkale. Il a déclaré que "ceux qui décident de l'avenir de la nation au nom de la nation et ce, sans consulter sont responsables de leurs décisions et sont appelés à disparaître dans les tréfonds de l'histoire."
        Lorsque Özay a terminé son discours, aucun des officiels n'a applaudi alors que les gens l'acclamaient.
        Lorsque le président Özal a pris la parole, il a commencé par réciter un poème à la mémoire des victimes de la bataille, puis, en réponse au maire, il a déclaré que le Marxisme-Léninisme se sont écroulés dans le monde entier, "mais, dans certains, dont la Turquie, il subsiste des gens qui ne savent pas abandonner ces idées. Même s'il y a une ou deux personnes d'origine douteuse en Turquie, le peuple ne sympathisera jamais avec elles".
        Après la cérémonie, le maire a convoqué la presse et a déclaré  que le discours qu'il avait prononcé lors de la cérémonie était basé sur un texte qu'il avait écrit 11 ans auparavant pour une cérémonie similaire. La réponse empreinte de colère du président Özal, l'accusant d'avoir des idées marxistes était liée au fait qu'il avait fait des références à l'impérialisme dans sa propre intervention.
        Malgré que cela se passait un dimanche et le ministre de l'intérieur était absent d'Ankara, le ministre d'Etat Hüsnü Dogan a pris les mesures nécessaires afin de donner ses instructions au gouverneur de Canakkale pour suspendre le maire. Sa suspension  dès minuit a été notifié à Özay le dimanche même.
        Cette décision du gouvernement de suspendre le maire a provoqué un élan de solidarité entre les deux partis de l'opposition bénéficiant d'une représentation au Parlement. Le leader du DYP, Süleyman Demirel, a accusé le gouvernement de tentative d'intimidation.
        Le leader du SHP, Erdal Inönü a déclaré: "Nous voudrions tous témoigner du respect à la présidence. Mais la personne qui occupe la fonction présidentielle devrait respecter cette position. S'il commence à utiliser son autorité de façon non prévue par la constitution, il met la nation devant un dilemme".
        Demirel et Inönü ont dit que la suspension du maire était illégale car aucun disposition légale ne la justifie.

GRÈVE DE LA FAIM DES DIRIGEANTS DU TBKP
        Le président et le secrétaire général du Parti Communiste Unifié de Turquie (TBKP), le Dr Nihat Sargin et Nabi Yagci (Haydar Kutlu) ont mené une grève de la faim longue de 20 jours afin d'obtenir la levée des articles 141 et 142 du Code Pénal turc ainsi que leur libération de prison. Ils ont cessé leur action le 25 avril dernier.
        Sargin et Yagci étaient retournés volontairement en Turquie en novembre 1987, mettant fin ainsi à leur exil volontaire en Europe. Ils avaient l'intention de travailler ouvertement à la légalisation de leur parti. Mais, dès leur arrivée, ils avaient été arrêtés et jugés par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul.
        Dans un communiqué officiel, Sargin et Yagci estiment que "L'annulation des articles 141,142 et 163 est le premier pas vers la démocratisation du régime (en Turquie). La disparition de ce premier tabou entraînera celle d'autres tabous. Parce qu'il existe un large soutien populaire (pour la levée de ces articles), ils pourraient être facilement annulés. Le fait que seulement deux d'entre les hauts dirigeants du TBKP soient en prison pendant le procès montre que ce sont des motifs politiques et non des nécessités légales qui décident de notre incarcération prolongée".
        Pendant ce temps, le Comité central du TBKP a annoncé que, la première semaine de mai, une demande serait faite au ministère de l'intérieur afin d'obtenir la légalisation formelle du parti.
        Le cas de Sargin et Yagci a été discuté au Parlement. Kemal Anadol, député indépendant qui avait quitté le SHP (parti populiste social-démocrate) l'année dernière, a demandé l'abrogation des articles 141, 142 et 163. Anadol a déclaré que les membres du TBKP qui se sont déclarés communistes l'année dernière, ont rencontré les politiciens turcs les plus en vue y compris le leader du SHP Erdal Inönü et le DYP Süleyman Demirel, et qu'ils ont ouvertement parlé au nom du TBKP.
        Le ministre de la Justice, Altan Sungurlu, a répondu à Anadol que le gouvernement se devait d'obtenir un consensus entre les partis politiques avant de lever les articles en question, il a poursuivi en ces termes: "Nous n'avons pas réussi à atteindre un tel consensus. Nous devons aussi tenir compte des sentiments de l'opinion publique sur la question. Il est inutile de mettre à l'ordre du jour, une question qui ne pourra pas être résolue."
        Il a ajouté: "Je dois dire que nous serions tout à fait désolés s'il arrivait quelque chose à Sargin et Yagci. Mais je dois également souligner qu'il n'ont pas le droit d'obliger la Turquie à faire quelque chose au moyen de pressions venant de l'extérieur".
        Un groupe de quatre médecins appartenant à la Commission européenne des droits de l'homme a examiné Sargin et Yagci dans leur prison le 17 avril dernier.
        Pendant ce temps, des sympathisants de Sargin et Yagci ont monté une campagne afin de rendre publique leur situation. Ils ont affiché des posters sur les murs, se sont mis en rang devant le bâtiment central de la poste à Istanbul et ont envoyé des télégrammes en Afrique du Sud pour demander l'asile politique à Prétoria car, selon eux, les droits de l'homme sont plus respectés en Afrique du Sud qu'en Turquie puisque Nelson Mandela a été libéré.
        Malgré que les deux dirigeants communistes avaient déclaré qu'ils continueraient leur action jusqu'à ce que les articles soient abrogés, après 20 jours, le 25 avril, ils l'ont cessée et ont déclaré qu'ils mettaient fin à leur grève de la faim car ils avaient obtenu une promesse du président Özal, de réviser des articles au début du moi de mai.

TENTATIVE POUR CRÉER UN NOUVEAU PARTI MARXISTE

        Alors que le TBKP annonçait qu'il allait demander au ministère de l'intérieur la légalisation du parti, un groupe composé des représentants de différents mouvements de gauche et quelques membres du parlement se sont rencontrés le 15 avril dernier à Istanbul afin de discuter de la création d'un nouveau parti politique qui réunirait la plupart des marxistes turcs.
        La réunion a, mené à l'élection d'un comité de 25 membres qui est chargé de préparer les structures de base du nouveau parti. Sa première convention est prévue pour le mois de juin prochain.
        Haluk Gerger, un ancien professeur d'université, a annoncé au début de la réunion que les marxistes turcs sont déterminés à ériger un nouveau parti et procurer ainsi, une nouvelle alternative à la population.
        Gerger a estimé que "à une époque où notre peuple est forcé de croire que les problèmes politiques du pays sont insolubles et que le futur est sans espoir, nous, marxistes, avons décidé d'entamer le processus d'établissement d'un parti socialiste qui présentera des solutions réalistes aux problèmes. Donc (le nouveau parti) offrira une alternative viable aux forces gouvernant le pays".
        Kemal Anadol, ancien SHP, a déclaré qu'il s'était entretenu avec d'autres députés indépendants qui ont quitté le SHP ou qui en ont été expulsés. Ces derniers ont tenu une série de meetings au début de l'année dans le but de former un parti mais ils avaient échoué lorsque Aydin Guven, ancien président du SHP, avait refusé d'être le leader du groupe.
        Ekin Dikmen, député SHP, qui était présent au meeting a déclaré qu'il allait quitter son parti pour prendre part à la création du parti marxiste.
        Des représentants du TBKP étaient aussi présent à cette réunion. Zulfu Dicleli a dit que le parti communiste unifié de Turquie allait continué sa lutte pour obtenir sa légalisation. Dès qu'il l'aura été, il se dissoudra et ses membres rejoindront le nouveau parti marxiste.

RÉUNION DU COMITÉ MIXTE TURCO- EUROPÉEN

        La Commission mixte de l'Assemblée nationale de Turquie et du Parlement européen s'est réunie les 23 et 24 mars en Turquie.
        Pendant cette réunion, Abel Matutes, commissaire européen pour la Méditerranée, a expliqué en détail pourquoi la Communauté considère la Turquie comme non acceptable, pour l'instant, au sein de la Communauté.
        Dans le but de diminuer le volume de surplus agricoles au sein de la CE, Matutes a déclaré que le secteur allait être réduit or l'entrée de la Turquie créerait un problème, le secteur agricole turc étant en plein expansion comme le projet pour l'Anatolie du Sud-est le démontre.
        De même, les Etat membres ont également limité leur production d'acier en faisant bénéficier les travailleurs de cette industrie de subsides afin de les encourager à se transférer vers d'autres secteurs économiques.
        Lors d'une conférence de presse, Matutes a également abordé un obstacle politique à l'entrée de la Turquie dans la CE en se référent aux troubles dont le Sud-est de ce pays est le théâtre, il a déclaré: "Nous soutenons la lutte du gouvernement turc contre le terrorisme. De tels incident arrivent aussi dans les pays de la communauté. Basant notre opinion sur notre expérience en la question, nous estimons que les droits de l'homme doivent être respectés dans le cadre de cette lutte contre le terrorisme".
        Bien que la Communauté ne peux pas que le gouvernement turc néglige les droits de l'homme, Matutes a dit que la Communauté voudrait que la Turquie respecte les droits des minorités. Il a continué en disant que Chypre représente une pierre d'achoppement majeure dans le processus d'admission de la Turquie. Il a rappelé que les nouveaux membres doivent être admis à l'unanimité et il a dit qu'il ne pensait pas que la Turquie réunirait les 12 voix nécessaires.
        M. George Quinn, président du conseil des ministres de la Communauté, a déclaré durant la réunion que bien que la Turquie ait déjà parcouru un long chemin dans le respect des droits de l'homme, il restait encore beaucoup de changements à effectuer. Le ministre d'Etat irlandais a souligné les progrès accomplis par la Turquie, tels que la signature de 1988 d'une série d'accords condamnant la torture.
        Le ministre turc des Affaires étrangères, Ali Bozer, a exprimé la déception de la Turquie et a déclaré qu'elle avait espéré au moins "l'expression d'une acceptation politique". Il a poursuivi en ces termes: "Il n'y a eu aucun signe garantissant que l'admission de la Turquie sera effectivement discutée après 1993". Bozer a réfuté les explications fournies par la CE telles que les questions de Chypre et des minorités comme n'ayant rien à voir avec la candidature turque."

DES AGENTS TURCS EN RFA

        Il a été annoncé le 4 avril dernier que la RFA a demandé à la Turquie de rappeler 15 diplomates turcs travaillant dans diverses missions à travers le pays.
        Les noms des 15 diplomates turcs ont été divulgués une première fois pendant une émission télévisée intitulée: "Panorama". Les diplomates sont accusés de travailler pour les services secrets turcs (MIT) et de fournir des informations au sujet des travailleurs turcs actifs au sein des syndicats ouest-allemands.
        En fait, depuis le coup d'Etat, de nombreux diplomates turcs se sont livrés à cette sinistre besogne dans des missions à travers l'Europe, causant par leurs rapports, la déchéance de leur nationalité de centaines d'opposants turcs.
        Le ministère turc des Affaires étrangères a annoncé qu'il allait rappelé les 15 diplomates en poste dans les missions en RFA. En revanche, le gouvernement turc demande que huit membres du personnel diplomatique ouest-allemand de la mission d'Ankara soient rappelés en RFA