UN
REGIME REPRESSIF
AU KURDISTAN TURC
Le peuple de Turquie est habitué
à voir le processus de démocratisation interrompu par un coup d'Etat
militaire au début de chaque décennie, lorsque les dirigeants du pays
ne peuvent plus faire face de façon démocratique aux problèmes
économiques et sociaux du pays. Les années 1960, 1971 et 1980 ont ainsi
marqué, de façon dramatique, des tournants dans l'histoire de la
Turquie.
1990 ne fait pas exception à la
règle… La soi-disant "démocratisation" a été récemment interrompue par
les dirigeants militaro-civils du pays et ce, avec la complicité des
leaders des deux principaux partis de l'opposition.
Le 10 avril 1990, après avoir
rencontré les leaders de l'opposition lors d'une conférence au sommet
et s'être entretenu avec le Conseil National de Sûreté (MGK), composé
de hauts officiers de l'armée et de certains ministres, le gouvernement
a fait entrer en vigueur de nouvelles mesures d'urgence.
Le décret N° 413 dote le
gouverneur régional de pouvoirs extraordinaires afin de mettre fin à la
résistance de plus en plus importante dont les Kurdes font preuve dans
les provinces orientales de la Turquie.
Ces pouvoirs consistent, entre autre, à censurer la
presse et à déplacer des résidents "indésirables" du Sud-Est vers une
autre région du pays. Sa décision ne fait l'objet d'aucun contrôle
judiciaire. Bien que l'autorité illimitée du gouverneur ne vaut que
pour les 11 provinces du Sud-Est, il peut faire fermer des imprimeries
ou interdire de parution des articles jusqu'à Istanbul.
Le même décret alourdit les
peines prévues pour insulte au Président, bien que celai n'ait
absolument rien à voir avec les incidents du Sud-Est.
De plus, les mesures d'urgence
n'ont pas été soumises à l'approbation de l'Assemblée législative, qui
est censée représenter la volonté du peuple.
Le numéro du 11 avril 1990 du
quotidien Hürriyet rapporte que ce nouveau décret s'apparante à l'une
des lois les plus répressives de l'histoire de la République turque:
Takrir-i Sükun, la loi pour l'établissement de l'ordre public, édictée
en 1925 sous prétexte du soulèvement du Sheik Sait dans le Kurdistan
turc.
Le cabinet, lors de sa réunion du
9 avril dernier, présidé par le Président Turgut Özal pour la première
fois depuis la nomination de Yildirim Akbulut au poste de premier
ministre, a adopté le décret N° 413 afin d'édicter les règles suivantes:
- des peines ont été ébauchées,
elles frappent les publications jugées coupables de "présenter de façon
mensongère des incidents ayant eu lieu dans une région dans laquelle
l'état d'urgence a été décrété, de perturber leurs lecteurs au moyen de
récits ou de commentaires déformés, de créer l'anxiété au sein de la
population de la région et de faire obstruction à l'action des forces
de sécurité.
Ce décret étend donc à tout le
pays le pouvoir d'interdire ce genre de publications que le gouverneur
détenait déjà au niveau régional.
Le gouverneur régional est
investi du pouvoir de faire cesser la distribution de ces publications
et de les faire saisir, peu importe l'endroit où elles ont été
imprimées. De plus, il peut prendre la décision de faire fermer les
imprimeries en questions. La suggestion du gouverneur régional doit
être approuvé par le ministre de l'intérieur qui prendra la décision
finale.
- S'il est prouvé qu'une
publication s'est livrée à la calomnie à l'encontre d'un individu alors
que ce dernier était en poste dans une région soumise à l'état
d'urgence, elle sera frappée d'une très lourde amende. Ainsi, s'il
s'agit d'un quotidien, le montant de l'amende atteindra pas moins de
90% du chiffre de vente quotidien du journal.
En plus des amendes déjà prévues
par le Code Pénal turc, le décret prévoit que les publications qui
insultent une personne en publiant des articles mensongers, des
photographies ou des documents seront frappées d'une amende allant de
30 à 100 millions de LT (de 10.000 à 33.000 dollars). Les éditeurs
payeront également une amende supplémentaire calculée sur base de
chiffre de vente moyen de la publication. De plus, les éditeurs
responsables seront forcés de payer la moitié de cette somme. Le Code
pénal prévoit également une peine de trois ans de prison pour ceux qui
ont été reconnus coupables.
- Bien qu'apparemment n'existe
aucun lien entre l'article 158 du Code pénal turc —qui incrimine le
fait d'insulter le Président— et ces mesures, il y a été inclus. Et ce,
alors que, le Code pénal prévoit déjà des peines allant jusqu'à trois
ans de prison pour ceux qui insultent le Président. De plus, les
publications qui insultent le Président devront payer une amende allant
jusqu'à 100 millions de LT (33.000 dollars) et leurs propriétaires
seront obligés de payer des amendes sur base des chiffres de vente dont
50% seront à charge de leurs éditeurs responsables.
- La même peine est prévue en cas
d'insulte au Parlement, au gouvernement, aux ministres ainsi qu'aux
hauts fonctionnaires. En plus de ces nouvelles amendes, l'article 169
du Code pénal turc contient une stipulation prévoyant une peine maximum
de 6 ans de prison pour ceux qui auront été reconnus coupables.
- Des règles identiques seront
appliquées aux cas visés par l'article 268 du Code pénal turc. Cet
article prévoit déjà une peine maximum de trois ans de prison pour
insulte aux officiels et en particulier aux juges.
- Les émissions de la Radio et
Télévision Turque (TRT) où l'état d'urgence a été décrété, seront
soumises au contrôle du ministère de l'Intérieur ainsi que du
Secrétariat Général du Conseil National de Sécurité.
- Les individus connus pour agir
contre l'Etat pourront être déplacés sur décision du gouverneur
régional. Le lieu de déplacement sera déterminé par le ministère de
l'Intérieur et, si nécessaire, les exilés bénéficieront d'une aide
financière d'un fonds étatique.
- Le gouverneur régional est
autorisé à contrôler les activités des syndicats y compris les grèves
et les lock-out qu'il peut interdire s'il le juge nécessaire. Il peut
également prendre des mesures pour éviter les boycottes et même fermer
des lieux de travail. Auparavant, les gouverneurs régionaux étaient
seulement autorisés à retarder d'un mois les grèves et les lock-out.
- Les procureurs civiles des
cours de Sûreté de l'Etat intenteront des poursuites chaque fois que le
gouverneur régional le demandera, à condition que les cas soient du
ressort de la compétence de la Cour.
- Le gouverneur régional est
autorisé à demander que les institutions de l'Etat transfèrent certains
employés à une autre place ou à un autre niveau s'il n'aime pas leur
façon de travailler ou s'il considère qu'ils sont "incompétents".
L'institution concernée sera priée de considérer ces demandes de façon
immédiate. Auparavant, le gouverneur régional était autorisé à requérir
des déplacements sauf dans le cas des juges, des procureurs et du
personnel militaire.
- Les personnes qui vivent dans
une région où l'état d'urgence a été décrété seront autorisées à
déménager s'ils le désirent avec des facilités pour trouver un nouveau
travail. Un total de 60.000 postes de fonctionnaires dans des
institutions de l'Etat va être créé pour ces gens avec autorisations,
pour le gouvernement, d'augmenter ce chiffre de 26% si c'était
nécessaire. L'octroi de ces emplois n'a pas encore été annoncé,
l'organisation de ce projet a été confié au ministère de l'intérieur.
- Ces mesures interdisent encore
que des poursuites soient entamées devant n'importe quel tribunal quant
à la manière dont les autorités du ministère de l'intérieur, le
gouverneur régional ou n'importe quel autre officiel travaillant pour
lui ont exercé leur autorité.
- Les peines frappant ceux qui
ont été déclarés coupables d'encourager les activités séparatistes ont
également été doublées.
L'OPPOSITION PARLEMENTAIRE DUPÉE
Alors que les leaders de
l'opposition parlementaire critiquaient les mesures prises par le
gouvernement, le Président Özal justifiait le nouveau régime de
répression en déclarant que tous les présidents de parti étaient
unanimes quant à la gravité de la situation dans le Sud-Est du
pays.
En fait, les présidents des deux
partis représentés au Parlement, Erdal Inönü (SHP) et Süleyman Demirel
(DYP), ont abandonné leur tactique qui consistait à éviter le Président
et l'ont rencontré le 2 avril dernier pour discuter de la violence dans
le Sud-Est, répondant ainsi à l'invitation du Président Turgut Özal.
Après une rencontre de trois
heures à laquelle assistait également le premier ministre, Özal est
apparu à la télévision afin d'annoncer qu'il était heureux de voir que
tous les présidents de parti soutenaient la prise de telles mesures
afin de sauvegarder l'intégrité de la nation.
Il a poursuivi en ces termes:
"Les mesures qui seront prises à dater d'aujourd'hui leurs ont été
exposées dans leurs grandes lignes. Il régnait également un consensus
général sur ce point. Les présidents de parti ont réaffirmé qu'ils
soutiendront le gouvernement dans ses efforts pour que les mesures
relatives aux événements d'Anatolie orientale soient adoptées."
Le premier ministre a également
déclaré aux journalistes qu'il était satisfait de la rencontre de
Cankaya. Il a estimé que "le résultat le plus concret est le soutien
apporté par tous les partis politiques aux forces de sécurité dans leur
lutte contre le terrorisme. Tous les partis politiques sont tombés
d'accord sur la nécessité de combattre le terrorisme".
Bien que déçus dans leurs
espérances d'obtenir la promesse d'Özal et d'Akbulut d'organiser des
élections anticipées, les deux leaders de l'opposition ont soutenu
l'idée de prendre des mesures extraordinaires dans le Sud-Est. Demirel
a déclaré à son groupe parlementaire: "Il est nécessaire de combattre
le terrorisme armé. La situation est grave. Nous ne pouvons pas ignorer
l'invitation de nous rendre à Cankaya alors que des gens crient 'à bas
la Turquie' dans les rues de Cizre".
RÉACTIONS AUX MESURES
Dès le dévoilement par le
gouvernement des mesures prises par lui, Demirel et Inönü ont compris
qu'ils avaient été dupés par Özal.
Demirel a déclaré: "Lorsque nous
avons dit que nous allions soutenir ces mesures, nous entendions des
mesures en accord avec les droits de l'homme et la loi. Personne ne
croira que nous approuvons ces mesures. Le décret montre clairement que
le régime imposé par le Président Turgut Özal est différent de celui
prévu par la constitution". Il a demandé au gouvernement de les lever
et plus particulièrement celles concernant la censure sur la presse et
l'exil.
Demirel, lors de son allocution
devant ses députés le 17 avril dernier, a déclaré que , en Turquie, le
gouvernement ne s'acquitte pas du travail dont il est responsable.
"Özal s'en charge à la place du gouvernement. Selon la constitution,
dès à présent, un débat est ouvert quant à sa responsabilité politique.
Nous devons trouver un nom à ce régime car ce n'est pas celui prévu par
la constitution de la République turque. Je n'ai même pas connu de
telles mesures en temps de guerre. C'est une aberration".
Le même jour, Inönü a déclaré, en
s'adressant aux députés de son parti, que l'opinion publique a
l'impression que le processus démocratique s'est arrêté en Turquie, il
a remarqué que: "Selon la constitution, le gouvernement aurait dû
soumettre le décret qu'il a adopté au Parlement et ce, dans les 24
heures. Or, une semaine s'est écoulée et le décret n'a toujours pas été
soumis à l'assentiment du Parlement. Or, tout le monde devrait pouvoir
exprimer ce qu'il pense de ce décret. Il ne devrait pas être discuté à
huis clos. Personne ne conteste le fait que le séparatisme soit une
menace pour l'intégrité nationale, mais l'intégrité de la nation
devrait être protégée grâce à des règles démocratiques".
Les députés SHP Hasan Fehmi Günes
et Turhan Beyazit ont annoncé qu'ils allaient avoir recours à la Cour
Constitutionnelle pour qu'elle abroge le décret gouvernemental imposant
les mesures d'urgence. Dix-neuf députés indépendants qui ont quitté le
SHP en 1989 se sont chargés de la garde pour deux jours, les 18 et 19
avril derniers, pour que le gouvernement soumette les mesures d'urgence
à l'Assemblée Nationale.
Fehmi Isiklar, parlant au nom des
députés qui se livraient au sit-in, a déclaré que la crise politique
turque s'aggravant à cause des pratiques du gouvernement, et que "la
démocratie se voit accusée de la montée du terrorisme. Les libertés et
les droits fondamentaux des gens sont aliénés. La liberté de la presse
est muselée et les droits sociaux sont laissés au pouvoir de décision
totalement arbitraire du gouverneur régional".
Turgut Kazan, président de
l'Association du Barreau d'Istanbul, a déclaré que le décret du
gouvernement autorise les officiels gouvernementaux à violer la loi.
Toujours selon Kazan: "Dans un Etat de droit, ce sont les cours et
tribunaux qui règlent les questions judiciaires, or le décret du
gouvernement bloque le fonctionnement de l'appareil judiciaire. Ceci
est contraire à la loi. De plus, sous prétexte de faire cesser le
terrorisme armé, les peines pour insulte au Président et au
gouvernement ont été alourdies. Il ressort de tout cela, que le but
réel de ces mesures est d'interdire toute critique à l'encontre du
gouvernement".
RÉSISTANCE POPULAIRE FACE À LA TERREUR
Avant même que le nouveau décret
ait été publié, les mesures d'urgence ont déjà été appliquées à 11
agglomérations dans les provinces de Mardin et de Siirt, et ce, suite à
la résistance opposée par la population locale aux forces de sécurité
(voir: Info-Türk, mars 1990).
Les tensions étaient très fortes
au sein de la population de la région, en partie à cause du Newroz
traditionnel qui marque le nouvel An en Turquie orientale ainsi que
dans d'autres pays du Moyen-Orient et qui est généralement célébré par
les Kurdes entre le 21 et le 28 mars.
Le 21 mars dernier, une étudiante
de l'Université de Diyarbakir, Zekiye Alkan, s'est immolée par le feu
pour protester contre l'oppression dont le peuple kurde est victime.
Les actions de protestation à l'occasion du Newroz se sont rapidement
multipliées dans les villes kurdes. Des milliers d'étudiants d'origine
kurde ont organisé des manifestations à l'occasion du Newroz à
Istanbul, Ankara et dans d'autres grandes villes du pays. A cette
occasion, des centaines de manifestants ont été arrêtés par la police.
Le 26 mars, dans les villes de
Cizre, Silopi et Idil, les magasins et les bureaux sont restés fermés.
La population entendait ainsi protester de manière silencieuse contre
le terrorisme d'Etat.
Le lendemain, lorsqu'un groupe de
lycéens a entamé une marche de protestation à Cizre, les forces de
sécurité équipées de véhicules anti-émeute, d'armes et de canons à eau
leur ont ordonné de se disperser. Les manifestants n'ont pas obéi et
ont mis le feu à des pneus sur la rue tout en jetant des pierres sur
les forces de l'ordre mais lorsque les forces spéciales de police sont
intervenues, l'incident a pris une autre tournure.
Après la première confrontation
qui avait eu lieu le matin entre un groupe de jeunes manifestants et la
police, d'autres manifestations, beaucoup plus importantes, ont
commencé à divers endroits de la ville.
Lorsque les forces de sécurité
ont finalement repris le contrôle de la situation vers 15h30 et ont
imposé un couvre-feu, quatre personnes avaient été tuées et neuf autres
au sérieusement blessées.
Mustafa Büyük, le gouverneur de
Cizre, a déclaré que des inconnus avaient tiré en direction des forces
de l'ordre, qu'un drapeau turc avait été brûlé et qu'une statue de
Kemal Atatürk, le fondateur de la République turque avait été
endommagée. Un bâtiment appartenant au ministère de l'Agriculture a été
brûlé et de nombreuses voitures ont été détruites pendant ces incidents.
Pendant que Cizre était le
théâtre de ces incidents, six camions transportant de l'essence ont été
disposés et incendiés par des militants du PKK sur un parking le long
de la route reliant Cizre à Silopi. Un autre groupe a également
endommagé les bâtiments d'une mine de charbon appartenant au
gouvernement et se situant à l'extérieur de Cizre.
Après ces incidents, 138
personnes ont été détenues par la police à Cizre et 74 d'entre elles
ont été mises en état d'arrestation le 28 mars, par la Cour de Sûreté
de l'Etat de Diyarbakir.
Les jours suivants, les marchands
de Silvan, Diyarbakir, Batman et Tunceli se sont joints à l'action de
protestation en baissant leur volet et en laissant leurs magasins
fermés toute la journée. Pendant ce temps, les forces de sécurité de la
région recevaient des renforts en hommes et en matériel. De plus, les
routes étaient bloquées à l'entrée des villes et seuls les officiels
gouvernementaux passaient les barrages, ainsi que les résidents locaux.
Les mesures d'urgence ont
également été renforcées à Sirnak, Eruh, Kiziltepe, Midyat et Pervari
(provinces de Siirt et de Mardin). Quant aux villes de Uludere,
Beytussebab et Yuksekova (province de Hakkari) qui se trouvent plus à
l'est, elles ont également été mises en état d'urgence.
Le député indépendant de Mardin,
Ahmet Türk, a déclaré que ces incidents étaient, pour la plupart,
provoqués par la police. Le député a demandé le retrait des forces de
police et la levée des mesures d'urgence.
Le 5 avril, les Commissions
Constitutionnel et de la Justice de l'Assemblée nationale ont entamé
une procédure dans le but de lever l'immunité parlementaire de 11
députés connus pour être les défenseurs des droits au peuple kurde.
Le 6 avril, les cercles
gouvernementaux ont annoncé que certaines des 267 peines capitales qui
attendent d'être ratifiées par le Parlement, pourraient l'être très
prochainement. Sachant que 41 de ces peines touchent des militants au
PKK, une telle déclaration semble avoir pour but d'intimider la
résistance kurde.
Le lendemain, les forces de
sécurité ont attaqué des groupes de guérillas kurdes à Hakkari. Après
cette opération qui a duré deux jours et qui a été soutenue par des
factions kurdes pro-gouvernementales, on a dénombré dans les rangs des
militants PKK, 21 morts et 15 prisonniers.
Ainsi, le Conseil national de
Sécurité (MGK) avait suffisamment de prétextes pour annoncer des
mesures extraordinaires de répression. Depuis que les deux leaders des
principaux partis d'opposition ont accordé leur appui au gouvernement,
l'ouverture d'une nouvelle ère de répression, le 10 avril dernier,
consistait en une simple formalité.
CENSURE SUR LA PRESSE
Les nouvelles mesures d'urgence
ont eu un effet immédiat sur la presse turque.
Ainsi, l'imprimerie Hürriyet a
annoncé qu'elle ne serait plus capable bien longtemps d'imprimer
l'hebdomadaire de gauche 2000e Dogru (vers l'an 2000). Ce magazine
publie des informations concernant les événements du Sud-est, ce qui a
pour conséquence d'en faire la publication la plus fréquemment
interdite de Turquie. 2000e Dogru n'a pas été publié pendant deux
semaines, car son éditeur ne trouvait pas d'imprimeur qui voulait
l'imprimer.
Lors d'une interview
téléphonique, Huseyin Karanlik, rédacteur en chef de la revue 2000'e
Dogru, a déclaré: "Après que le décret ait été officiellement publié,
les dirigeants de Hürriyet nous ont demandé un entretien. Nous avons
parlé des risques de voir toute l'imprimerie être fermée. Le 13 avril,
le contrat était annulé. Nous avons contacté de nombreuses imprimeries
dans le but de nous faire imprimer par quelqu'un d'autre. Nafiz Ilicak
a accepté. Mais plus tard, ils nous ont dit avoir été contactés par un
département de la police qui les avait mis en garde et leur avait
conseillé de ne pas signer le contrat".
Le ministre de l'intérieur,
Abdulkadir Aksu, a déclaré aux journalistes lors d'un dîner à Ankara le
17 avril dernier: "Le gouvernement a l'intention de combattre les
publications anti-étatique. Ainsi, voyez le magazine 2000'e Dogru, ne
peut plus être imprimé. Est-ce une mauvaise chose? Il faut savoir que
si Hürriyet avait continué à l'imprimer, le gouvernement aurait fermé
l'imprimerie".
Le 18 avril dernier, le Président
Turgut Özal a déclaré, en se référent au refus de Hürriyet de continuer
d'imprimer le magazine 2000e Dogru : "Le décret a déjà atteint son but".
Tufan Turenc, rédacteur en chef
de Hürriyet, a estimé que ce décret était vague et "susceptible d'être
interprété" et qui causait de grosses difficultés à la presse. Il a
également confirmé que le contrat avec le magazine 2000'e Dogru avait
été résilié et à souligné que "bien que la presse n'accepte pas ces
mesures, elle est obligée de les respecter pour l'instant".
Pendant ce temps, la Cour de
Sûreté de l'Etat de Diyarbakir a émis un mandant d'arrêt contre M. Dogu
Perincek, éditeur du magazine.
Déjà, le 15 mars dernier, M.
Tunca Arslan, éditeur responsable du 2000'e Dogru, avait été arrêté par
la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul pour un article traitant de la
question kurde.
Le 2 avril 1990, la même Cour
ordonnait la confiscation de 2000'e Dogru ainsi que d'un autre
magazine, Nokta, pour avoir dévoilé un rapport de l'Etat-major turc sur
la question kurde.
Le 19 avril, de nouvelles
poursuites légales étaient entamées contre M. Perincek, éditeur de
2000'e Dogru, par la Cour de Sûreté de l'Etat de Malatya, pour une
conférence qu'il avait donnée dans cette ville. Il risque à nouveau une
peine de 3 ans de prison.
Depuis l'adoption de ces mesures
extraordinaires, comme par hasard, presque toutes les publications à
tendance gauche risquent de disparaître.
LE TOURMENT PERPÉTUEL DE BESIKCI
L'arrestation du sociologue turc,
le Dr Ismail Besikci, et la confiscation successive de ses livres
traitant de la question kurde ont donné lieu à une vague de
protestation aussi bien en Turquie qu'à l'étranger. Malgré cela, les
procureurs continuent à le persécuter en entamant de nouvelles
poursuites légales contre lui.
En mars dernier, il a été
emprisonné pour son livre intitulé: Kurdistan: une colonie
multinationale (voir Info-Türk, mars 1990). Le 18 avril dernier, un
appel pour sa libération émanant de 60 juristes a été rejeté par la
Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul. De nombreux avocats, journalistes
étrangers et représentants d'Amnesty International ainsi que
l'Association des Droits de l'Homme d'Istanbul ont assisté aux débats à
la Cour en tant qu'observateurs.
Dans sa défense, Besikci a rejeté
les accusations de se livrer à la propagande kurde qui pesent sur lui
et a déclaré que son travail est de nature purement scientifique en ces
termes: "Il est impossible de contrôler les changements sociaux dans un
cadre idéologique rigide."
La Cour a décidé de ne pas le
relâcher et a ajourné son procès au 15 mai.
Alors que son procès se
poursuivait, la Cour a ordonné la saisie d'un deuxième livre d'Ismail
Besikci: "La science-l'idéologie officielle; la démocratie-l'Etat et la
question kurde", qui a été mis en vente le 27 mars dernier. Dans ce
livre, il examine la question kurde sous l'angle de l'idéologie turque
et met en évidence que l'idéologie officielle turque va à l'encontre de
faits scientifiques.
Le troisième livre de Besikci,
"Un intellectuel, une organisation et le problème kurde", a également
été récemment confisqué sur ordre de la Cour de Sûreté de l'Etat. Dans
ce livre, Besikci critique certains intellectuels, comme l'humoriste
Aziz Nesin, pour ne pas avoir défendu les droits du peuple kurde en
Turquie.
Besikci, s'il est déclaré
coupable, risque une peine totale allant jusqu'à 45 ans de prison pour
ses trois livres.
Besikci, qui n'est pas kurde, est
l'un des plus célèbres défenseurs des droits de l'homme en Turquie. Il
a passé 10 ans en prison entre 1971 et 1987 pour ses publications sur
la question kurde. Il avait été libéré récemment en mai 1987.
A Copenhague, le Dr Erik Siesby,
président du Comité danois Helsinki, a déclaré qu'il était affecté par
l'arrestation de Besikci et qu'il avait invité ce dernier à une
conférence qui a eu lieu les 31 mars et 1er avril derniers qui a
examiné le statut des minorités en Turquie, Bulgarie, Roumanie et
Grèce. Besikci lui a envoyé un discours, à lire en son absence,
traitant de la question kurde en Turquie.
Un membre ouest-allemand du
Parlement Européen, Mme Claudia Roth, a rencontré Besikci dans sa
cellule de la prison d'Istanbul et a eu un entretien de 90 minutes avec
lui. Mme Roth, qui était en Turquie pour assister à la réunion de la
Commission mixte de l'Assemblée nationale turque et du Parlement
européen qui s'est tenue dans la ville d'Antalya, a déclaré après leur
entretien que l'incarcération du sociologue était un coup "très grave
et très sérieux" porté au respect des droits de l'homme en Turquie.
AUTRES ACTIONS MENÉES CONTRE LA PRESSE
Le 2/3, le gouvernement d'Ankara
a interdit la représentation d'une pièce intitulée: "Pourquoi avons
nous fait le coup d'Etat?"
Le 3/3, le journaliste Melih
Zeytinoglu, ancien rédacteur à l'édition turque du magazine "Playboy"
est réapparu à Cologne où il a demandé l'asile politique à l'Allemagne
de l'Ouest. Il avait été condamné à une amende totale de 40 millions de
LT (20.000 dollars) pour avoir violé la loi visant l'obscénité. La Cour
avait converti l'amende en une peine de 1.096 ans de prison lorsque son
employeur n'avait pas réussi à payer l'amende avant l'expiration du
délai légal.
Le 8/3, le quotidien Günes a été
confisqué par la Cour de Sûreté de l'Etat pour avoir dévoilée les
minutes des conversations Özal-Bush à Washington. M. Uluc Gurkan,
auteur de l'article incriminé, a été arrêté deux jours après mais a été
relâché après qu'une caution de 5 millions de LT (2.000 dollars) ait
été versée. Gurkan et Alev Er, éditeur responsable du journal, sont
tous les deux passibles d'une peine de prison allant jusqu'à 8 ans.
Le 9/3, à Izmir, la police
a maintenu en garde à vue trois journalistes: Doruk Aydogmus, Nusret
Atasever et Mesut Avci, ainsi que sept lecteurs au bureau du mensuel
Yeni Cözüm.
Le 19/3, Mme Katherina Bjarevail,
correspondante du quotidien suédois Sydvenska Dagbladet a été arrêtée à
Diyarbakir alors qu'elle prenait des photos des manifestations et a été
maintenue en détention provisoire pendant trois heures.
Le 31/3, les dirigeants de 40
imprimeries d'Izmir ont été mis en accusation par le procureur pour ne
pas avoir envoyé les publications qu'ils impriment au Bureau de
protection des mineurs contre les publications nuisibles.
Le 1/4, un nouveau scandale a
éclaté au Festival International du Film d'Istanbul quand la projection
du film intitulé "Les nuits du blackout" a été interdite par le Bureau
de censure. Le film a été réalisé par Yusuf Kurcenli et traite des
tortures qui ont eu lieu en Turquie pendant la deuxième guerre mondiale.
Le 4/4, la Cour de Sûreté de
l'Etat d'Ankara a censuré le quotidien Sabah pour éviter la publication
d'un article qui aurait, prétend-elle, fait la lumière sur la tentative
d'assassinat dont Turgut Özal a été la victime, il y a deux ans. Le
journal a déclaré qu'il avait trouvé un nouveau témoin dont les
déclarations impliquaient le procureur de la Prison de Dalaman dans le
complot contre la vie d'Özal. Deux autres quotidiens, Günes et Günaydin
ont également été censurés par les procureurs de la même Cour pour
éviter la publication d'articles traitant du même sujet.
Le 7/4, Mme Nazli Ilicak a été
condamnée à une amende totale de 306 millions de LT (100.000 dollars)
pour avoir insulté 102 députés ANAP dans un article qu'elle a écrit
dans le quotidien Tercüman. Mme Ilicak a également été jugée pour avoir
insulté le président Özal.
Le 11/4, le Dr Tayfun Gönül qui
avait lancé une campagne contre le service militaire obligatoire ainsi
que trois journalistes, Alev Er et Kutlu Ozmakinaci du quotidien Günes
et Tugrul Eryilmaz de l'hebdomadaire Sokak, ont été mis en accusation
par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul. Chacun d'eux est passible
d'une peine allant jusqu'à deux ans de prison pour propagande
anti-militariste.
Le 15/4, le bimensuel Isciler ve
Politika a été confisqué sur ordre de la CSE d'Istanbul.
Le 16/4, trois revues mensuelles:
Toplumsal Kurtulus, Emegin Bayragi et Iscinin Gazetesi ainsi que le
livre du journaliste Gunay Aslan intitulé "Bouchers en uniforme" ont
été saisis sur ordre de la CSE d'Istanbul.
Le 17/4, le Conseil des ministres
a annoncé que 17 personnes vivant à l'étranger ont été déchues de leur
nationalité turque. Parmi elle, on retrouve un ancien dirigeant du
parti ouvrier de Turquie (TIP): Zeki Kilic, le journaliste Sabri Bal et
le juriste Yucel Yesilgoz.
Le 18/4, le fascicule n° 70 de
l'Encyclopédie du Socialisme et des luttes sociales a été confisqué par
la CSE d'Istanbul.
Le 21/4, la CSE d'Istanbul a
ordonné la confiscation des publications suivantes: les revues
mensuelles Devrimci Genclik, Yeni Demokrasi, Özgürlük Dünyasi,
Kivilcim, Genc Sosyalistler, Yeni Cözüm ainsi qu'un livre traitant des
incidents du 1er Mai 1989 et intitulé "Ce n'étaient pas des pierres
mais nos cœurs que nous brandissions".
Le 22/4, un magazine de droite
Akdogus, a été confisqué pour avoir insulté Atatürk dans un de ses
articles.
Le 24/4, deux journalistes de la
revue mensuelle Hedef: Ali Aslan et Mehmet Torus ont été mis en
détention préventive à Istanbul pour "publication séparatiste."
Le 25/4, l'hebdomadaire Sokak a
annoncé qu'il doit cesser sa parution en raison des pressions
croissantes exercées sur lui. De plus, la CSE d'Istanbul a ordonné la
confiscation du bimensuel Iscilerin Sesi et d'un livre de Cemsit Atil
intitulée "Le soulèvement kurde de 1925".
UN MESSAGE DE PROTESTATION DE L'IPI
Le 21 mars dernier, l'Institut
International de la Presse (IPI) a envoyé un message au Président
Turgut Özal dans lequel il proteste énergiquement contre les mesures de
répression dont la presse est victime en Turquie.
Le message note qu'en deux
semaines les restrictions et les peines frappant la presse turque ont
atteint un niveau record. Le message, signé par le Directeur de l'IPI,
Peter Galliner, invoque la cessation de parution de l'hebdomadaire de
gauche 2000'e Dogru et l'arrestation de son éditeur, Tunca Aslan en
raison de son article sur les Kurdes; l'action en justice intentée
contre un journaliste du Tercüman, Nazli Ilicak pour avoir insulté le
1er ministre; l'arrestation et le relâchement après versement d'une
caution de l'éditeur de Günes, Uluc Gurkan, pour avoir publié les
minutes des conversations de Bush-Özal en janvier dernier à Washington
D.C.
Galliner a écrit au président
turc que "ses actes violent l'article 19 de la Déclaration des Droits
de l'Homme qui stipule le droit de réunion et de propagation des
informations.
APO MET LE GOUVERNEMENT TURC EN GARDE
Le 1er avril dernier, le
quotidien Hürriyet a commencé à publier une série d'interviews
accordées par le dirigeant kurde le plus recherché du pays: Abdullah
Öcalan, leader du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et ce,
alors que des mesures de plus en plus répressives frappent les Kurdes
de Turquie.
Öcalan qui est bien connu sous
son pseudonyme du PKK, Apo, vit dans un camp appelé Académie Mahsum
Korkmaz d'après le nom d'un leader de la guérilla du PKK tué dans la
vallée de la Bekaa au Liban. Le camp est un centre d'entraînement pour
les unités armées du PKK, on y trouve des hommes et des femmes. Öcalan
a transporté son quartier général au Liban avec l'appui de l'OLP.
Öcalan a parlé de l'avenir du PKK
et de ses relations difficiles avec le gouvernement turc.
Malgré le fait que la lutte armée
entre les forces de sécurité turques et les membres du PKK continue,
Öcalan a fait une déclaration très surprenante:
"Décrétons le cessez-le-feu et
asseyons nous autours de la table de négociations. La méthode que nous
avons utilisée jusqu'à présent n'et pas terrorisme. Le vrai terrorisme
va commencer maintenant. Les années '90 vont connaître des changements
et beaucoup de sang va être versé. Il ne peux pas changer l'ordre des
choses, mais, si la Turquie changeait sa politique de violence dans le
Sud-est, nous pourrions également en finir avec la violence. C'est la
seule manière de faire cesser les effusions de sang. De toute façon,
nous ne pouvons pas faire sécession pour le moment. Nous avons besoin
de la Turquie et nous ne serons pas capables de nous en séparer avant
au moins 40 ans. Après cela, nous pourrons organiser un référendum et
décider du futur. Mais c'est une autre question.
"Notre problème est la Turquie et
nous sommes capables de le régler. Pour l'instant, la question la plus
importante pour la Turquie, c'est nous. Des événements tragiques se
préparent. Trop de sang est versé. Les gens innocents et ce, des deux
côtés, meurent. C'est une guerre particulière et notre point de vue est
le suivant: 'Si vous ne tuez pas, nous ne tuerons pas'. La véritable
raison de la formidable inflation que connait la Turquie actuellement
sont les énormes dépenses faites dans le domaine des forces spéciales
et de sécurité."
Öcalan a déclaré que son
organisation ne bénéficie d'aucune assistance matérielle venant de
l'extérieur. Il a encore dit: "La Turquie, estimant que d'autres pays
soutiennent notre cause, essaye de mettre fin à ce soutien imaginaire
en vendant tout aux étrangers. Par exemple, croyant que la France nous
aide, le gouvernement lui a vendu ses cimenteries.".
Öcalan a nié l'implication du PKK
dans le meurtre du journaliste du quotidien Hürriyet, Cetin Emec en ces
termes: "Si nous l'avions abattu, nous l'aurions immédiatement
revendiqué".
Il a cependant admis la
responsabilité du PKK dans l'enlèvement et le meurtre de neuf employés
d'une usine d'Etat à Elazig et ce en déclarant: "La Turquie se livre à
une véritable guerre dans le Sud-est, le gouvernement y a tout consacré
et partant de là, quiconque travaille pour l'Etat est une victime
potentille".
Ocalan a rejeté le fait que des
hommes du PKK se sont infiltrés en Turquie en franchissant la frontière
syrienne. Il a dit qu'ils sont entrés en Turquie en utilisant des
passeports turcs officiels. Il a continué en disant qu'il est
impossible pour des membres du PKK de franchir illégalement la
frontière car la zone frontalière est minée et entourée de fil barbelé.
"Alors qu'on abattait le mur de Berlin, la Turquie quant à elle,
construisait une frontière infranchissable".
Öcalan a dit que son organisation
n'entretien pas de relations suivies avec la Syrie et que Damas n'était
pas au courant de l'installation d'un camp du PKK dans la vallée de la
Bekaa —qui se trouve à trois heures de route de Beyrouth—. Il a insisté
sur le fait que le PKK ne reçoit ni aide financière ni armes de la
Syrie.
Ocalan a accusé la Turquie
d'utiliser la religion pour soumettre les habitants du Sud-est et a dit
qu'"elle utilise des préceptes du Coran pour répandre l'idée que se
dresser contre le gouvernement est un pêché". Le leader du PKK a
également dit que son organisation va également utiliser le sentiment
religieux et s'est exprimé en ces termes: "Nous aussi, nous trouverons
les versets adéquats pour encourager les gens à relever la tête. Nous
pouvons battre l'Iran sur le plan de l'utilisation des sentiments
religieux".
AMNESTY INTERNATIONAL: DES MEURTRES EXTRA-LEGAUX EN TURQUIE
Dans son dernier rapport, sorti
en mars 1990, Amnesty International a demandé au gouvernement turc
d'entamer des investigations impartiales et indépendantes au sujet
exécutions extra-légales présumées.
Ce rapport, intitulé "La Turquie:
meurtre extra-légaux", décrit 50 cas de meurtre ou de disparition
intervenus depuis 1981. Le groupe de défense des droits de l'homme
rapporte des témoignages de personnes qui déclarent que ces exécutions
clandestines ont pu être perpétrées par les forces de sécurités de
l'Etat.
A.I. a demandé au gouvernement
turc de fournir des informations quant aux méthodes utilisées et aux
découvertes faites lors des anciennes enquêtes, ainsi que des
actuelles, et demande que les résultats en soient rendus publics.
Le rapport traite de la violence
politique consécutive au coup d'Etat du 12 septembre 1980 ainsi que des
combats qui ont lieu dans le Sud-est de la Turquie où le PKK affronte
les forces de sécurité depuis 1984.
AI estime que "Dans les huit
années qui ont suivi le coup d'Etat près d'un quart de million de
personnes a été arrêté pour des motifs politiques et presque toutes ont
été torturées. Les rapports politiques entre le 12 septembre 1980 et le
16 février 1982. Un rapport émis par le quartier général et concernant
la même période y ajoute le meurtre de 202 "terroristes" abattus lors
d'affrontements avec les forces de sécurité. Il apparaît qu'au moins un
certain nombre de ces morts étaient intentionnelles et étaient
intervenues alors qu'ils étaient en détention ou dans des situations
dans lesquelles ils auraient pu être détenus et traduits en justices."
Le rapport d'AI publie les
chiffres officiels pour le Sud-est de la Turquie et indique que durant
les 9,5 premiers mois de 1989, 108 "terroristes", 112 civiles et 88
membres des forces de sécurité y ont été tués.
AI critique les méthodes
d'investigation utilisées par le gouvernement dans ses enquêtes sur la
mort des membres des forces de sécurité. Le rapport explique que "Sous
la juridiction du gouverneur régional, tout dommage subi par une
personne au service de l'Etat, y compris les membres des forces de
sécurité, doit faire l'objet d'une enquête menée par des conseils
administratifs locaux. Les membres de ces conseils sont chois parmi les
employés municipaux. Les juristes (turcs) ont insisté sur le fait que
ces gens n'ont aucune connaissance légale et qu'ils sont facilement
influençables par les chefs locaux des forces de sécurité".
Le rapport critique également le
système de protecteurs de village par lequel le gouvernement a armé
20.000 Kurdes dans le but de protéger les villages et de combattre la
guérilla.
AI rapporte que: "Il y a eu de
fréquentes allégations de mauvais emploi de leur pouvoir par les
protecteurs de village qui s'en servent à des fins privées comme
l'enlèvement de femmes ou le meurtre de membres de tribus rivales".
Le rapport présente les cas de
trois meurtres et de trois disparitions perpétrés, selon des témoins,
par des protecteurs de village.
Le groupe de défense des droits
de l'homme estime que "la distribution d'armes par les autorités divise
la population, qui selon ses sympathies, s'en sert pour soutenir l'Etat
turc ou la guérilla kurde. De plus, ceux qui soutiennent l'Etat,
deviennent des cibles pour la guérilla kurde et ceux qui soutiennent la
guérilla deviennent celles des forces de sécurité.
Le rapport continue en ces
termes: "La guérilla aurait attaqué la population civile et aurait fait
des prisonniers —en particulier des protecteurs de village soupçonnés
d'être des informateurs de la police— qu'elle aurait torturés et, dans
certains cas tués. AI condamne, par principe, l'assassinat de
prisonniers, aussi bien par des entités gouvernementales que
non-gouvernementales.
Malgré les demandes des parents
des victimes pour que les autorités enquêtent sur les meurtres commis
par les forces de sécurité ou par les protecteurs de village, le
gouvernement enquête très rarement. AI prétend aussi que, parfois, le
gouvernement intimide ou torture les témoins afin d'éviter que ces
derniers n'accusent les forces de sécurité.
Un des cas examinés dans ce
rapport a fait l'objet d'une enquête de la part d'un conseil
administratif local, ainsi que du ministère de l'intérieur avant
d'avoir été transmis à la cour administrative suprême (Danistay).
Le rapport estime que le 17
septembre 1989, les forces de sécurité ont abattu neuf personnes dans
la province de Mardin lors d'un affrontement avec des militants du PKK.
AI maintient que des témoins ont immédiatement déclaré que six des neuf
personnes tuées étaient des villageois, recrutés par les soldats pour
les guider jusqu'à l'endroit où l'affrontement a eu lieu.
Aucune décision n'a été prise en
ce qui concerne ce cas.
UN MAIRE SUSPENDU DE SES FONCTIONS
Le maire de Canakkale, Ismail
Özay, a été suspendu par décision gouvernementale le 18 mars dernier et
ce, quelques temps après qu'il ait infligé une rebuffade au Président
Turgut Özal lors d'une cérémonie commémorant le 75ème anniversaire de
la Bataille des Dardanelles. Cet incident a provoqué une nouvelle
confrontation entre les partis de l'opposition et l'ANAP. Pendant la
cérémonie qui a eu lieu le dimanche 18 mars à Canakkale, le maire SHP
de la ville ne s'est pas levé pour saluer le Président. Plus tard, le
discours qu'il a prononcé aurait également offensé le président Özal.
Özay était absent lorsque le
Président est arrivé à Canakkale, accompagné du premier ministre,
Yildirim Akbulut et de toute une flopée de ministres. Le maire a
déclaré plus tard, qu'il était à Izmir pour affaires.
Lors de son discours, Özay n'a
pas mentionné le Président Özal et s'est uniquement adressé au premier
ministre, aux autres invités et à la population de Canakkale. Il a
déclaré que "ceux qui décident de l'avenir de la nation au nom de la
nation et ce, sans consulter sont responsables de leurs décisions et
sont appelés à disparaître dans les tréfonds de l'histoire."
Lorsque Özay a terminé son
discours, aucun des officiels n'a applaudi alors que les gens
l'acclamaient.
Lorsque le président Özal a pris
la parole, il a commencé par réciter un poème à la mémoire des victimes
de la bataille, puis, en réponse au maire, il a déclaré que le
Marxisme-Léninisme se sont écroulés dans le monde entier, "mais, dans
certains, dont la Turquie, il subsiste des gens qui ne savent pas
abandonner ces idées. Même s'il y a une ou deux personnes d'origine
douteuse en Turquie, le peuple ne sympathisera jamais avec elles".
Après la cérémonie, le maire a
convoqué la presse et a déclaré que le discours qu'il avait
prononcé lors de la cérémonie était basé sur un texte qu'il avait écrit
11 ans auparavant pour une cérémonie similaire. La réponse empreinte de
colère du président Özal, l'accusant d'avoir des idées marxistes était
liée au fait qu'il avait fait des références à l'impérialisme dans sa
propre intervention.
Malgré que cela se passait un
dimanche et le ministre de l'intérieur était absent d'Ankara, le
ministre d'Etat Hüsnü Dogan a pris les mesures nécessaires afin de
donner ses instructions au gouverneur de Canakkale pour suspendre le
maire. Sa suspension dès minuit a été notifié à Özay le dimanche
même.
Cette décision du gouvernement de
suspendre le maire a provoqué un élan de solidarité entre les deux
partis de l'opposition bénéficiant d'une représentation au Parlement.
Le leader du DYP, Süleyman Demirel, a accusé le gouvernement de
tentative d'intimidation.
Le leader du SHP, Erdal Inönü a
déclaré: "Nous voudrions tous témoigner du respect à la présidence.
Mais la personne qui occupe la fonction présidentielle devrait
respecter cette position. S'il commence à utiliser son autorité de
façon non prévue par la constitution, il met la nation devant un
dilemme".
Demirel et Inönü ont dit que la
suspension du maire était illégale car aucun disposition légale ne la
justifie.
GRÈVE DE LA FAIM DES DIRIGEANTS DU TBKP
Le président et le secrétaire
général du Parti Communiste Unifié de Turquie (TBKP), le Dr Nihat
Sargin et Nabi Yagci (Haydar Kutlu) ont mené une grève de la faim
longue de 20 jours afin d'obtenir la levée des articles 141 et 142 du
Code Pénal turc ainsi que leur libération de prison. Ils ont cessé leur
action le 25 avril dernier.
Sargin et Yagci étaient retournés
volontairement en Turquie en novembre 1987, mettant fin ainsi à leur
exil volontaire en Europe. Ils avaient l'intention de travailler
ouvertement à la légalisation de leur parti. Mais, dès leur arrivée,
ils avaient été arrêtés et jugés par la Cour de Sûreté de l'Etat
d'Istanbul.
Dans un communiqué officiel,
Sargin et Yagci estiment que "L'annulation des articles 141,142 et 163
est le premier pas vers la démocratisation du régime (en Turquie). La
disparition de ce premier tabou entraînera celle d'autres tabous. Parce
qu'il existe un large soutien populaire (pour la levée de ces
articles), ils pourraient être facilement annulés. Le fait que
seulement deux d'entre les hauts dirigeants du TBKP soient en prison
pendant le procès montre que ce sont des motifs politiques et non des
nécessités légales qui décident de notre incarcération prolongée".
Pendant ce temps, le Comité
central du TBKP a annoncé que, la première semaine de mai, une demande
serait faite au ministère de l'intérieur afin d'obtenir la légalisation
formelle du parti.
Le cas de Sargin et Yagci a été
discuté au Parlement. Kemal Anadol, député indépendant qui avait quitté
le SHP (parti populiste social-démocrate) l'année dernière, a demandé
l'abrogation des articles 141, 142 et 163. Anadol a déclaré que les
membres du TBKP qui se sont déclarés communistes l'année dernière, ont
rencontré les politiciens turcs les plus en vue y compris le leader du
SHP Erdal Inönü et le DYP Süleyman Demirel, et qu'ils ont ouvertement
parlé au nom du TBKP.
Le ministre de la Justice, Altan
Sungurlu, a répondu à Anadol que le gouvernement se devait d'obtenir un
consensus entre les partis politiques avant de lever les articles en
question, il a poursuivi en ces termes: "Nous n'avons pas réussi à
atteindre un tel consensus. Nous devons aussi tenir compte des
sentiments de l'opinion publique sur la question. Il est inutile de
mettre à l'ordre du jour, une question qui ne pourra pas être résolue."
Il a ajouté: "Je dois dire que
nous serions tout à fait désolés s'il arrivait quelque chose à Sargin
et Yagci. Mais je dois également souligner qu'il n'ont pas le droit
d'obliger la Turquie à faire quelque chose au moyen de pressions venant
de l'extérieur".
Un groupe de quatre médecins
appartenant à la Commission européenne des droits de l'homme a examiné
Sargin et Yagci dans leur prison le 17 avril dernier.
Pendant ce temps, des
sympathisants de Sargin et Yagci ont monté une campagne afin de rendre
publique leur situation. Ils ont affiché des posters sur les murs, se
sont mis en rang devant le bâtiment central de la poste à Istanbul et
ont envoyé des télégrammes en Afrique du Sud pour demander l'asile
politique à Prétoria car, selon eux, les droits de l'homme sont plus
respectés en Afrique du Sud qu'en Turquie puisque Nelson Mandela a été
libéré.
Malgré que les deux dirigeants
communistes avaient déclaré qu'ils continueraient leur action jusqu'à
ce que les articles soient abrogés, après 20 jours, le 25 avril, ils
l'ont cessée et ont déclaré qu'ils mettaient fin à leur grève de la
faim car ils avaient obtenu une promesse du président Özal, de réviser
des articles au début du moi de mai.
TENTATIVE POUR CRÉER UN NOUVEAU PARTI MARXISTE
Alors que le TBKP annonçait qu'il
allait demander au ministère de l'intérieur la légalisation du parti,
un groupe composé des représentants de différents mouvements de gauche
et quelques membres du parlement se sont rencontrés le 15 avril dernier
à Istanbul afin de discuter de la création d'un nouveau parti politique
qui réunirait la plupart des marxistes turcs.
La réunion a, mené à l'élection
d'un comité de 25 membres qui est chargé de préparer les structures de
base du nouveau parti. Sa première convention est prévue pour le mois
de juin prochain.
Haluk Gerger, un ancien
professeur d'université, a annoncé au début de la réunion que les
marxistes turcs sont déterminés à ériger un nouveau parti et procurer
ainsi, une nouvelle alternative à la population.
Gerger a estimé que "à une époque
où notre peuple est forcé de croire que les problèmes politiques du
pays sont insolubles et que le futur est sans espoir, nous, marxistes,
avons décidé d'entamer le processus d'établissement d'un parti
socialiste qui présentera des solutions réalistes aux problèmes. Donc
(le nouveau parti) offrira une alternative viable aux forces gouvernant
le pays".
Kemal Anadol, ancien SHP, a
déclaré qu'il s'était entretenu avec d'autres députés indépendants qui
ont quitté le SHP ou qui en ont été expulsés. Ces derniers ont tenu une
série de meetings au début de l'année dans le but de former un parti
mais ils avaient échoué lorsque Aydin Guven, ancien président du SHP,
avait refusé d'être le leader du groupe.
Ekin Dikmen, député SHP, qui
était présent au meeting a déclaré qu'il allait quitter son parti pour
prendre part à la création du parti marxiste.
Des représentants du TBKP étaient
aussi présent à cette réunion. Zulfu Dicleli a dit que le parti
communiste unifié de Turquie allait continué sa lutte pour obtenir sa
légalisation. Dès qu'il l'aura été, il se dissoudra et ses membres
rejoindront le nouveau parti marxiste.
RÉUNION DU COMITÉ MIXTE TURCO- EUROPÉEN
La Commission mixte de
l'Assemblée nationale de Turquie et du Parlement européen s'est réunie
les 23 et 24 mars en Turquie.
Pendant cette réunion, Abel
Matutes, commissaire européen pour la Méditerranée, a expliqué en
détail pourquoi la Communauté considère la Turquie comme non
acceptable, pour l'instant, au sein de la Communauté.
Dans le but de diminuer le volume
de surplus agricoles au sein de la CE, Matutes a déclaré que le secteur
allait être réduit or l'entrée de la Turquie créerait un problème, le
secteur agricole turc étant en plein expansion comme le projet pour
l'Anatolie du Sud-est le démontre.
De même, les Etat membres ont
également limité leur production d'acier en faisant bénéficier les
travailleurs de cette industrie de subsides afin de les encourager à se
transférer vers d'autres secteurs économiques.
Lors d'une conférence de presse,
Matutes a également abordé un obstacle politique à l'entrée de la
Turquie dans la CE en se référent aux troubles dont le Sud-est de ce
pays est le théâtre, il a déclaré: "Nous soutenons la lutte du
gouvernement turc contre le terrorisme. De tels incident arrivent aussi
dans les pays de la communauté. Basant notre opinion sur notre
expérience en la question, nous estimons que les droits de l'homme
doivent être respectés dans le cadre de cette lutte contre le
terrorisme".
Bien que la Communauté ne peux
pas que le gouvernement turc néglige les droits de l'homme, Matutes a
dit que la Communauté voudrait que la Turquie respecte les droits des
minorités. Il a continué en disant que Chypre représente une pierre
d'achoppement majeure dans le processus d'admission de la Turquie. Il a
rappelé que les nouveaux membres doivent être admis à l'unanimité et il
a dit qu'il ne pensait pas que la Turquie réunirait les 12 voix
nécessaires.
M. George Quinn, président du
conseil des ministres de la Communauté, a déclaré durant la réunion que
bien que la Turquie ait déjà parcouru un long chemin dans le respect
des droits de l'homme, il restait encore beaucoup de changements à
effectuer. Le ministre d'Etat irlandais a souligné les progrès
accomplis par la Turquie, tels que la signature de 1988 d'une série
d'accords condamnant la torture.
Le ministre turc des Affaires
étrangères, Ali Bozer, a exprimé la déception de la Turquie et a
déclaré qu'elle avait espéré au moins "l'expression d'une acceptation
politique". Il a poursuivi en ces termes: "Il n'y a eu aucun signe
garantissant que l'admission de la Turquie sera effectivement discutée
après 1993". Bozer a réfuté les explications fournies par la CE telles
que les questions de Chypre et des minorités comme n'ayant rien à voir
avec la candidature turque."
DES AGENTS TURCS EN RFA
Il a été annoncé le 4 avril
dernier que la RFA a demandé à la Turquie de rappeler 15 diplomates
turcs travaillant dans diverses missions à travers le pays.
Les noms des 15 diplomates turcs
ont été divulgués une première fois pendant une émission télévisée
intitulée: "Panorama". Les diplomates sont accusés de travailler pour
les services secrets turcs (MIT) et de fournir des informations au
sujet des travailleurs turcs actifs au sein des syndicats
ouest-allemands.
En fait, depuis le coup d'Etat,
de nombreux diplomates turcs se sont livrés à cette sinistre besogne
dans des missions à travers l'Europe, causant par leurs rapports, la
déchéance de leur nationalité de centaines d'opposants turcs.
Le ministère turc des Affaires
étrangères a annoncé qu'il allait rappelé les 15 diplomates en poste
dans les missions en RFA. En revanche, le gouvernement turc demande que
huit membres du personnel diplomatique ouest-allemand de la mission
d'Ankara soient rappelés en RFA