INJUSTICE
SCANDALEUSE
Dirigeants d'un parti communiste libérés
par le régime d'Ankara,
mais des intellectuels de gauche, turcs et kurdes,
souffrent toujours dans les prisons sordides
Les longues et chaudes journées d'été... Les côtes
ensoleillées méditerranéennes et égéennes de Turquie, grâce à des
publicités attrayantes, attirent une fois de plus des millions de
touristes aussi bien de l'intérieur du pays que des pays
nord-européens. Ils y sont accueillis dans des hôtels et motels bien
équipés donnant sur la mer d'azur.
Le président Özal, le premier Akbulut, tous les
dirigeants des partis d'opposition représentés dans le Parlement vont
jouir de ce paradis sur terre. Même, les dirigeants d'un parti
communiste qui ont passé des années en prison, se préparent à prendre
leur place parmi ces heureux vacanciers grâce à leur mise en liberté
par Özal. Sans aucun doute, ils le méritent pleinement.
Pourtant, il y a une autre facette à ce paradis. Les
prisons sont toujours pleines d'intellectuels de gauche, turcs et
kurdes. Quant à eux, ils vont passer ces longues et chaudes journées
d'été sous les verrous. Pour la plupart, ce sera le dixième été à
passer dans les sordides prisons turques depuis la proclamation de la
loi martiale en 1979.
Bien que les dirigeants du parti communiste unifié
de Turquie (TBKP), issu de la fusion de deux anciens partis
pro-soviétiques, se préparent, grâce aux efforts des partis frères
européens, à prendre place dans l'éventail politique de la soi-disant
démocratie turque (Voir: "La légalisation d'un parti communiste" dans
les pages suivantes), un grand nombre d'intellectuels souffrent
toujours en prison pour avoir exprimé des opinions marxistes ou pour
avoir défendu les droits et libertés fondamentales de la population
kurde.
C'est pour attirer l'attention publique sur cette
injustice sans précédent que des prisonniers de conscience ont
récemment recouru à diverses actions de protestation à travers le pays.
Tout d'abord, le 16 mai 1990, huit prisonniers
d'opinion dans la prison type E de Canakkale se sont mis en grève de la
faim. Les grévistes, parmi lesquels on compte cinq journalistes, ont
publié une déclaration avant d'entamer leur action, dans laquelle ils
estiment qu'après la libération de Nihat Sargin et Nabi Yagci (Haydar
Kutlu), respectivement le président et le secrétaire général du TBKP,
toutes les poursuites considérant la pensée comme un crime n'ont plus
aucun justification légale. "Les articles 141 et 142 du Code pénal turc
n'ont plus aucune validité politique, sociale et morale. Nous entamons
une grève de la faim en vue de protester contre cette situation et de
faire supprimer ces articles."
Ces cinq journalistes étaient:
Erhan Tuskan, rédacteur en chef de la revue pour la
jeunesse Ilerici Yurtsever Genclik, condamné à 123 ans de prison,
Irfan Asik, rédacteur en chef de la revue politique
Partizan, condamné à 111 ans,
Hasan Fikret Ulusoydan, rédacteur en chef de la
revue politique Halkin Sesi, condamné à 66 ans,
Mehmet Özgen, rédacteur en chef des revues
politiques, Bagimsiz Türkiye et Devrimci Militant, condamné à 43 ans,
Kazim Arli, rédacteur en chef de la revue politique
Öncü, condamné à 23 ans et 6 mois.
Cette première action de protestation a été suivie
plus tard par celles de quatre journalistes dans deux autres
prisons:
Dans la prison de Bartin: Veli Yilmaz et Osman Tas,
deux éditeurs responsables de la revue politique Halkin Kurtulusu,
condamnés respectivement à un emprisonnement de 748 ans et de 661 ans;
Dans la prison de Nazilli: Ilker Demir, éditeur
responsable de la revue politique Kitle, condamné à 36 ans, et Abdullah
Soydan, éditeur responsable de la revue kurde Kawa.
"Ils ont commencé la grève de la faim car ils
n'avaient pas d'autre solution. En effet que pouvaient-ils faire
cloîtrés entre quatre murs sans que personne ne s'occupe d'eux? Jusqu'à
ce qu'ils entament cette grève de la faim, l'épreuve de ces
journalistes n'avait jamais été mentionnée dans la presse.
Malheureusement leur action doit se poursuivre aussi longtemps que
possible pour qu'elle soit effective," a dit Mme Neyyire Özkan,
l'épouse de Veli Yilmaz, dans une interview au quotidien Dateline du 9
juin 1990.
Yilmaz a été condamné à 748 ans pour avoir dirigé la
publication de la revue Halkin Kurtulusu ainsi que pour son
appartenance au parti communiste révolutionnaire de Turquie (TDKP). Un
tribunal de cinq juges a refusé, par une vote de trois contre deux, de
considérer les deux charges dans un seul procès.
"Si le tribunal avait traité les deux inculpations
conjointement, il aurait été condamné à un emprisonnement de 10 ans et
6 mois, qui aurait pu être réduit à quatre ans en vertu de la loi et
ainsi il aurait pu être libéré puisqu'il a déjà passé dix ans en
prison," a déclaré son épouse.
"Le tribunal a décidé de relâcher Nabi Yagci (Haydar
Kutlu) et Nihat Sargin parce que certains changements ont eu lieu à
l'égard du délit d'opinion et qu'une réaction publique s'est manifestée
en faveur de leur cas. La seule différence entre leur cas et celui des
journalistes en prison est que Kutlu et Sargin ont été libérés pendant
que leur procès était en cours, parce qu'à ce moment-là, le
gouvernement avait manifesté son intention de modifier les articles 141
et 142 du Code pénal turc qui punissent des délits politiques. Mais,
après leur mise en liberté, le gouvernement a reporté la délibération
sur la modification de ces articles." a-t-elle ajouté.
Sadiye Özgen, la sœur de Mehmet Özgen, qui a été
condamné, en tant qu'éditeur responsable des revues Bagimsiz Turkiye et
Devrimci Militan, à 43 ans, a dit: "La grève de la faim est un
avertissement destiné au milieu démocratique. Il s'agit du seul moyen
par lequel ils peuvent attirer l'attention sur leur épreuve. Ils
conduisent leur grève de la faim non seulement pour eux-mêmes, mais
également pour tous les détenus politiques dans les prisons; Plus de
200 prisonniers qui ont été condamnés à la peine capitale attendent
toujours le verdict final de l'Assemblée nationale."
Les grèves de la faim ont suscité des protestations
aussi bien dans le pays qu'à l'étranger.
L'Association des journalistes contemporains (CGD) a
immédiatement annoncé qu'elle adoptait les journalistes en grève comme
"membres honoraires".
Un groupe de députés indépendants ont adressé des
lettres au président Turgut Ozal, au premier ministre Akbulut, aux
leaders du parti populiste social-démocrate (SHP) et du parti de la
Juste Voie (DYP), respectivement Erdal Inönü et Süleyman Demirel, pour
qu'ils interviennent afin de sauver la vie des grévistes de la faim.
Plusieurs journalistes, écrivains et artistes
distingués ont, eux aussi, conduit des actions de solidarité avec les
grévistes. A l'étranger, l'Institut international de la Presse (IPI) a
écrit au président Özal pour que les journalistes en grève soient
libérés et que les articles 141 et 142 du CPT soient modifiés. Signée
par le secrétaire général Peter Galliner, la lettre de l'institut dit:
"Nous intervenons énergiquement pour que le gouvernement révise
immédiatement ces deux articles qui restreignent sévèrement la liberté
d'expression en Turquie. Nous croyons que l'emprisonnement de ces cinq
journalistes constitue une violation grossière de leur droits de
l'homme et du droit d'exercer librément leur profession, et nous
insistons pour qu'ils soient mis en liberté sans retard."
Le PEN International, qui compte des "membres
honoraires" parmi les grévistes, Helsinki Watch et Amnesty
International ont, ont eux aussi, appelé le président Özal à relâcher
tous les prisonniers de conscience. Après avoir réussi à attirer
l'attention sur l'injustice dont ils sont victimes, les grévistes de la
faim ont mis fin à leur action le 12 juin. Ainsi, la grève aura duré 24
jours à Canakkale, 20 jours à Bartin et 12 jours à Nazilli.
Pourtant, l'administration de la prison de Bartin ne
tient pas compte des réactions internationales. En effet, la grève de
la faim étant terminée, elle a interdit à deux journalistes, Yilmaz et
Tas, toute visite pour une durée de 20 jours. Le 13 juin, une
délégation commune de l'Association des Droits de l'Homme (IHD),
l'Association des Journalistes contemporaines (CGD) et le Syndicat des
Journalistes de Turquie (TGS), venue pour visiter les deux
journalistes, s'est vue refuser l'accès à la prison.
LISTE NOIRE
PEINE DE 2.703 ANS POUR 34 JOURNALISTES EN PRISON
Le quotidien Cumhuriyet du 4 juin 1990 a signalé que
trente et un journalistes se trouvent à l'heure actuelle dans les
prisons turques, purgeant un total de 2.703 ans selon les chiffres
fournis par les autorités judiciaires:
Journaliste Peine totale
(Reprise du tableau du texte anglais)
RECENTES POURSUITES D'OPINION
22.5, la revue mensuelle Kivilcim a été confisquée
par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Istanbul.
23.5, l'hebdomadaire 2000'e Dogru a été confisqué
par la CSE d'Istanbul pour des articles sur la question kurde.
28.5, le numéro suivant de l'hebdomadaire 2000'e
Dogru a été confisqué par la CSE d'Istanbul pour avoir critiqué la
pression sur le peuple kurde.
29.5, l'hebdomadaire Halk Gercegi a été confisqué
par la CSE d'Istanbul pour avoir rendu public un communiqué des
grévistes de la faim dans la prison de Ceyhan.
2.6, les membres d'un groupe de danses folkloriques
ont été détenus par la police pour avoir porté des mouchoirs aux
couleurs du drapeau du Kurdistan pendant leur représentation dans le
district d'Igdir à Kars.
6.6, l'éditeur responsable de l'hebdomadaire Sokak,
Tugrul Eryilmaz, l'avocat Zeki Okcuoglu et le médecin Tayfun Gonul ont
été traduits devant la CSE d'Istanbul pour une campagne lancée par ce
dernier contre le service militaire obligatoire. Eryilmaz risque une
peine de prison de 30 ans, Okcuoglu 15 ans et Gonul 2 ans.
8.6, la CSE d'Istanbul a inculpé trois journalistes:
Mehmet Sert d'Emek, Mehmet Torus de Hedef et Orhan Dilber d'Isci Sozu.
Chacun risque un emprisonnement de 10 ans pour avoir publié les
compte-rendus d'une série de réunions, tenues par plusieurs
organisations de gauche en vue de créer une union
socialiste.
10.6, la revue humoristique Girgir a été confisquée
par une cour criminelle pour avoir ridiculisé le président Özal et le
premier Akbulut dans un dessin en couverture.
11.6, le concert du group musical Yorum, organisé
par la Commune de Sariyer, a été interdit par le gouverneur d'Istanbul.
On a notifié à la commune que tous les concerts de ce groupe font
l'objet d'interdiction dans la province d'Istanbul.
12.6, le gouverneur d'Istanbul a refusé d'autoriser
un meeting organisé par les éditeurs des 19 revues de gauche en vue de
protester contre l'état d'urgence décrété dans les provinces du
Sud-Est. Une deuxième démarche des éditeurs pour organiser une
conférence de presse au même endroit prévu pour le meeting interdit a
également fait l'objet d'interdiction. De plus, les organisateurs
suivants ont été arrêtés par la police: Tuncer Dilaveroglu et Mehmet
Ali Eser deYeni Demokrasi, Sirri Öztürk de Sorun, Riza Akyüz deYeni
Öncü, Muteber Yildirim de Isciler ve Politika, Fikret Ipek de
Medya Günesi, Kamil Ermis de Deng, Halil Celik de Sosyalizm,
Saban Devres et Gürdal Cinar de Devrimci Mücadele.
13.6, l'éditeur responsable de l'Encyclopédie du
socialisme et des luttes sociales, Ali Erkan Kayali a été traduit
devant la CSE d'Istanbul pour propagande communiste. Il risque une
peine de prison allant jusqu'à 15 ans.
14.6, le procureur d'Ankara a inculpé 21 enseignants
qui ont tenté de constituer un syndicat sous le nom d'Egitim-Is. Quand
le 29 mai, ils introduisirent les statuts du syndicat, le gouverneur
d'Ankara refusa d'enregistrer leur demande. Dans une deuxième démarche,
ils transmirent les statuts par envoi recommandé le 4 juin.
15.6, à Istanbul, la police a arrêté les
représentants de 22 revues de gauche alors qu'ils quittaient Istanbul
pour soumettre au Premier Ministre une pétition contre le décret d'état
d'urgence, signée par plus de 13 mille personnes. Seize autres
personnes qui les accompagnaient ont également été détenues par la
police.
15.6, une manifestation organisée par des poètes et
écrivains en vue de protester contre l'emprisonnement pour expression
d'opinion a été interdite par le gouverneur d'Istanbul.
15.6, la revue kurde Deng a été confisquée par la
CSE d'Istanbul.
MALAISE PERPETUEL DANS LES PRISONS
Alors que la grève de la faim des journalistes se
poursuivait, des milliers de prisonniers politiques dans les autres
prisons de Turquie ont, eux aussi, conduit des actions semblables pour
protester contre l'injustice dont ils sont victimes ainsi que contre
les mauvaises conditions carcérales.
Suite à la parution dans la presse d'une dépêche
selon laquelle la prison d'Eskisehir serait réouverte et plusieurs
prisonniers politiques y seraient transférés, la grève de la faim s'est
étendue à d'autres prisons du pays.
La prison d'Eskisehir a une réputation sinistre en
raison de ses très dures conditions carcérales, qui ont provoqué une
série d'actions de protestation dans les années précédentes. Une grève
de la faim de 35 jours avait abouti l'année dernière à la fermeture de
cette prison. Tous les prisonniers avaient alors été transférés
d'Eskisehir à Aydin. Au cours de ce transfert effectué dans de pénibles
conditions, deux prisonniers avaient trouvé la mort. (Voir: Info-Turk,
Juillet/Août 1989).
Pour protester contre la réouverture de cette
prison, quelque 2.000 détenus politiques dans les prisons de
Diyarbakir, Malatya, Aydin, Nazilli, Ceyhan, Ergani, Buca, Gaziantep,
Bismil, Canakkale, Bursa et Sagmalcilar (Istanbul) ont entamé la grève
de la faim.
Des partis progressistes et des organisations
démocratiques ont donné leur soutien immédiat aux grévistes de la faim
et même certains de leurs membres se sont engagés dans la même action
dans les locaux de ces organisations. La police a riposté à ces actions
de solidarité par la descente dans les locaux et l'arrestation des
grévistes.
L'action la plus spectaculaire a été la grève sur le
tas d'un groupe de femmes, le 2 juin, devant l'office du sous-préfet de
Dargecit dans la province de Mardin . Les commerçants de la ville se
sont joints au mouvement de protestation par la fermeture de leurs
volets. Quand la police a procédé à l'arrestation des femmes, les
habitants de la ville ont organisé une marche de protestation vers
l'office du sous-préfet. En riposte, la police a ouvert le feu sur les
manifestants, un garçon a été blessé par balles et plus de 100
manifestants ont été arrêtés sur place.
D'après le député social démocrate Kamer Genc, tous
les détenus auraient été torturés pendant leur interrogatoire.
Le 4 juin, l'arrestation de onze femmes parmi les
détenus a été confirmée par un tribunal local. Pourtant, cette
arrestation a conduit les commerçants de la ville à une nouvelle action
de protestation sous forme de fermeture des volets.
CINQ EVASIONS DE LA PRISON
Les autorités pénitentiaires d'Istanbul ont constaté
le 28 mai, l'évasion de la prison de Bayrampasa de cinq prisonniers
politiques dont trois sont condamnés à la peine capitale.
La découverte a été faite quand le père de l'un des
évadés est venu à la prison rendre visite à son fils.
Aslan Tayfun Özkok, Aslan Sener Yildirim et Ali
Kirlangic avaient été condamnés à la peine capitale pour avoir abattu
l'ancien premier ministre Nihat Erim, un des principaux responsables de
la terreur d'Etat après le coup d'état de 1971, et le chef de police
Mahmut Diker.
Quatre évadés appartiennent à la Gauche
révolutionnaire (Dev-Sol) et un autre à L'Armée de libération des
Ouvriers et des Paysans de Turquie (TIKKO).
Deux leaders de Dev-Sol, Dursun Karatas et Bedri
Yagan s'étaient évadés de la même prison le 25 octobre 1989. Ceci a été
suivi en janvier de cette année de l'évasion de deux autres dirigeants
de Dev-Sol: Sinan Kukul et Murat Goleli.
3 DIPLOMATES DETENUS DANS LE SUD-EST
Trois diplomates étrangers ont été détenus par la
police dans la ville de Siirt, le 30 mai, pour "avoir conduit une
enquête sans autorisation" dans la région sud-est.
Allan Christersen, sous-secrétaire de l'Ambassade
danoise, Irvin Holyland, sous-secrétaire de l'Ambassade norvégienne et
Pino Valinoro, sous-secrétaire de l'Ambassade finnoise, ont été gardés
au poste de police pendant deux heures et demie. Au cours de
l'interrogatoire, on leur exigeait une autorisation pour s'entretenir
avec Ekrem Bilek, le maire de Siirt, et Zubeyr Aydar, président local
de l'Association des Droits de l'Homme (IHD).
Les trois diplomates ont contesté leur détention et
interrogatoire en rappelant que les diplomates n'ont pas besoin
d'autorisation pour leurs entretiens.
LA FONDATION DE NAZIM HIKMET
Quelque 30 écrivains, journalistes et hommes de
cinéma et de théâtre se sont réunis à Istanbul le 4 juin dans le but de
constituer une fondation au nom du poète Nazim Hikmet.
Hikmet a quitté la Turquie en 1951 après avoir purgé
13 ans de prison sous l'inculpation d'inciter les Forces armées et
navales à la rébellion. Un décret gouvernemental l'a, un an après,
privé de la nationalité turque. Obligé de passer ses dernières années
en exil, il est mort en 1963 à Moscou.
La Fondation de Nazim Hikmet œuvrera pour la
promotion de la vie culturelle du pays, dit Samiye Yaltirim, sœur du
poète.
UN NOUVEAU PROCES CONTRE EVREN
Un procès en diffamation ouvert par l'écrivain
Baskin Oran à l'encontre du général Kenan Evren a débuté le 6 juin à
Ankara. Oran accuse le général Evren d'avoir insulté, dans un discours
qu'il a prononcé à Manisa en 1984, un groupe d'intellectuels dont il
faisait partie parce qu'il réclamait l'instauration de la démocratie.
Il lui réclame 1 million LT ($500) en compensation.
UNE PEINE RIDICULE POUR TORTURE
Bien que le gouvernement affirme que tous les
tortionnaires seront poursuivis pour leurs actes, la plupart d'eux
continuent à être protégés par le pouvoir politique et par la justice.
Récemment, le 13 juin, le procès du major Cafer
Tayyar Caglayan qui est accusé d'avoir forcé toute la population du
village kurde de Yesilyurt à Mardin à manger des excréments humains en
janvier 1989 (Voir: Info-Türk, février 1989), s'est terminé par une
maigre condamnation à une peine de prison de 2 mois et 15 jours. Qui
plus est, cette peine a été commuée en une amende avec sursis.
Cette condamnation ridicule a suscité des
protestations dans les milieux démocratiques.
Des organisations clandestines ont, quant à elles,
riposté à ce laxisme par des actions de revanche.
Le même jour, un ancien juge militaire, le colonel
en retraite Durmus Aksen, qui avait été au service du commandement de
la loi martiale de 1982 jusqu'en 1986, a été tué par balles à Istanbul
par des militants de la Gauche Révolutionnaire (Dev-Sol).
Le lendemain, un ancien chef de police, le
commissaire Muhsin Bodur a été abattu par des militants de l'Armée
révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie (TIKKO) à
Istanbul.
369 OFFICIERS DESTITUES DE L'ARMEE
Le Ministère de la défense nationale a annoncé le 21
mai que 1.011 officiers ont été destitués des Forces armées au cours
des dix dernières années sous l'accusation de liaisons avec des
organisations politiques subversives ou intégristes. Parmi ces
officiers éloignés de l'Armée ceux qui avaient les plus hauts grades
étaient deux lieutenants-colonels et 26 capitaines.
647 de ces officiers ont été destitués pendant la
période du gouvernement militaire (1980-1983) et 364 autres après
l'arrivée au pouvoir de l'ANAP en 1983.
Le nombre d'officiers destitués pour des activités
intégristes après 1983 s'élève à 114.
LA CAMPAGNE POUR GULAY BECEREN
A la suite de la terreur policière du 1er mai (Voir:
Info-Türk, mai 1990), la Cour de la Sûreté d'Etat d'Istanbul a inculpé
221 personnes dont 76 sous arrestation.
Les inculpés risquent des peines de prison de allant
de 5 à 23 ans pour manifestation sans autorisation, outrage aux forces
de sécurité et appartenance à des organisations clandestines.
Parmi les inculpés qui risquent une peine de prison
de 23 ans se trouvent Mlle Gulay Beceren, une universitaire de 20 ans,
qui a été hospitalisée suite à une blessure par balles au dos et à
l'épaule. Elle risque de rester infirme toute sa vie car une balle a
traversé une vertèbre.
L'Association des Droits de l'Homme de Turquie (IHD)
a lancé un campagne d'aide financière destinée au traitement médical de
Beceren. Ceux qui désirent y participer sont invités àverser leur
contribution au compte bancaire suivant: Turkiye Ziraat Bankasi -
Istanbul Taksim Subesi - Compte No. 30003/203999-3.
AUTRES CAS DE TERREUR D'ETAT
1.5, les dirigeants du Syndicat des employés
municipaux (Belediye-Is) à Istanbul ont été inculpés par la CSE pour
avoir fait imprimer des affiches célébrant le 1 mai. Ils sont accusés
de propagande communiste.
5.5, cinq militants présumés de l'Armée
révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie (TIKKO) ont été
arrêtés à Istanbul.
6.5, à Istanbul, 66 travailleurs ont été traduits
devant la cour criminelle No.4 d'Istanbul pour avoir envoyé au
président Ozal un télégramme protestant contre le laxisme qui fut la
cause du désastre dans les mines de Yeni Celtek. Chacun risque une
peine de prison allant jusqu'à 6 ans pour avoir insulté le président de
la République.
11.5, la CSE de Diyarbakir a délivré un mandat
d'arrêt contre Yalcin Buyukdagli, Secrétaire général du parti
socialiste (SP). Il est accusé de propagande communiste lors d'un
discours prononcé à Van sur les événements au Sud-Est.
12.5, une réunion organisée par l'Association des
Enseignants (Egit-Der) a été interdite par le gouverneur d'Ankara sous
prétexte qu'elle pourrait être nuisible à l'ordre public.
15.5, la CSE a inculpé M. Ferit Ilsever, président
du parti socialiste (SP), pour avoir incité le peuple à la révolte dans
un discours électoral, prononcé à Pazarcik.
16.5, la CSE a délivré un mandat d'arrêt pour sept
membres présumés de l'Union communiste révolutionnaire de Turquie
(TIKB) qui étaient sous détention préventive depuis le 2 mai.
17.5, la police a effectué une descente dans les
locaux du Centre culturel de Sisli à Istanbul pendant laquelle 30
personnes ont été arrêtées et quatre sacs de livres confisqués.
18.5, deux actions de la Commune de Cankaya à Ankara
ont fait l'objet de poursuites administratives et judiciaires. D'abord,
un tournoi d'échecs organisé dans le parc Güven a été interdit par le
gouverneur d'Ankara. Ensuite, le procureur de la CSE d'Ankara a ouvert
une enquête judiciaire à l'encontre de la décision municipale de nommer
un quartier le Quartier du 1er mai.
21.5, le président de l'Association pour la Santé
ouvrière (ISD), le Dr. Metin Berol, et trois autres membres du conseil
d'administration ont été détenus par la police. Ils sont accusés
d'appartenir à une organisation clandestine, TKP/Voix Ouvrière. En même
temps, le dentiste Yüksel Karaagac a annoncé qu'il avait été emmené par
la police sans aucun motif et soumis à la torture. L'Union des médecins
et des dentistes à Istanbul a, au cours d'une conférence de presse,
accusé la police d'avoir torturé les médecins pendant leur
interrogatoire.
22.5, le député social démocrate Fuat Atalay a
annoncé qu'un paysan de 36 ans, Besir Algan avait, après son
arrestation, été abattu par des forces de sécurité dans le village de
Budakli dans la province de Mardin.
22.5, le procès de 155 personnes, détenues pendant
les manifestations populaires à Cizre, s'est ouvert à la CSE de
Diyarbakir. Les inculpés, dont 77 sont toujours en état d'arrestation,
sont accusés de destruction de biens publics. Le procès se déroule à
huis clos car un des inculpés est un garçon de 14 ans.
23.5, la presse signale que 14 nouveaux postes de
gendarmerie seraient établis près de la frontière irakienne en vue de
renforcer les mesures de sécurité dans la région.
24.5, huit personnes dont une fille de 14 ans ont
été détenues par la police à Izmir pour avoir distribué des tracts
clandestins.
24.5, un professeur de nationalité USA, Nicholas
Liplek, chargé de cours à l'Université d'Egée, a été arrêté à Izmir
pour avoir insulté le président Özal.
25.5, la police a annoncé que 14
personnes avaient été détenues pour avoir participé aux actions
subversives du TKP/Voix Ouvrière. La CSE a délivré des mandats d'arrêt
à l'encontre de huit des détenus et a relâché les autres.
25.5, trois anciens dirigeants du
parti ouvrier socialiste de Turquie (TSIP), mis hors la loi après le
coup d'état de 1980, Tektas Agaoglu, Hüseyin Hasan Cebi et Ekrem
Cakiroglu et qui avaient été arrêtés après leur retour d'exil, ont été
acquittés par le tribunal. Les autres dirigeants du parti avaient été
gardés en prison au cours de la période de la loi martiale.
29.5, deux membres de
l'Association des droits de l'Homme (IHD), les juristes Hasan Sahin et
Gürbüz Altinli ont été arrêtés par la police.
5.6, 61 étudiants de l'Université
de Dicle à Diyarbakir ont été détenus par la police pour avoir conduit
des manifestations sans autorisation pour défendre leurs droits
estudiantins. 30 des détenus ont plus tard été arrêtés par la CSE de
Diyarbakir.
7.6, la Cour de cassation
militaire a approuvé les peines capitales prononcées contre cinq
membres de l'Unité armée de la propagande marxiste-léniniste de Turquie
(MLSPB). La cour suprême a jugé que 17 autres peines capitales devaient
être révisées par le tribunal militaire.
8.6, le maire de la ville de
Canakkale, Ismail Özay a été inculpé par une cour criminelle pour avoir
insulté le président Özal dans un discours qu'il avait prononcé le 18
mars à l'occasion de l'anniversaire de la victoire militaire de
Dardanelles. Déjà destitué de sa fonction de maire par le gouvernement,
Özay risque, de plus, une peine de prison allant jusqu'à 6 ans.
12.6, un membre de l'Association
des droits de l'Homme (IHD) et quatre autres personnes ont été arrêtés
par la police devant la prison centrale d'Ankara alors qu'ils venaient
de visités certains prisonniers politiques.
12.6, la police a annoncé que 20
membres présumés d'une organisation hors-la-loi ont été arrêtés à
Ankara.
13.6, dix membres du parti
ouvrier de Kurdistan (PKK) ont été condamnés par la CSE d'Izmir à un
total de 130 ans de prison; quinze autres acquittés.
14.6, le procès de l'Association
pour la Solidarité avec les familles des prisonniers (TAYAD) a débuté à
la CSE d'Istanbul. Le procureur a réclamé l'interdiction de
l'association et la condamnation de la présidente Gülten Sen et de six
autres membres du conseil d'administration à des peines de prison
allant jusqu'à 6 ans pour des activités illégales.
LES ELECTIONS LOCALES CONTROVERSEES
Les candidats du parti de la Mère
patrie (ANAP) ont, avec 36,9 % des voix, gagné 29 des 51 municipalités
faisant l'objet d'élections locales du 2 juin 1990; un résultat qui
donne de la vigueur aux discussions relatives à la popularité du parti
gouvernemental.
Quant à deux principaux partis
d'opposition, le parti populiste social démocrate (SHP) a gagné 11
municipalités avec 24% des voix et le parti de la juste voie (DYP) 5
municipalités avec 20,4%.
Les candidats du parti du
Bien-être (RP), islamiste, ont été élus dans quatre municipalités avec
un total de 9,5% et le parti nationaliste du Travail (MCP),
extrême-droite, n'a gagné qu'une municipalité avec 2,3%.
Le petit parti de l'ancien
premier ministre Bülent Ecevit, le parti de la gauche démocratique
(DSP) n'a obtenu aucun siège malgré son score de 6,1%.
Le premier ministre Yildirim
Akbulut a affirmé que les résultats de cette mini-élection démontre une
fois de plus que l'ANAP reste toujours le parti le plus puissant du
pays.
Pourtant, Deniz Baykal,
secrétaire général du SHP a déclaré que les résultats des élections ne
reflètent pas la tendance générale électorale. "Quelque 70,000
électeurs ont participé aux élections. Or, il y a plus de 26 millions
d'électeurs en Turquie," a-t-il dit. Il a également accusé le
gouvernement de faire du chantage aux électeurs en les menaçant de ne
plus leur assurer des services s'ils votaient pour des candidats
d'opposition.
Süleyman Demirel, leader du DYP,
s'est livré à une autocritique après avoir reçu les résultats. Il a
admis qu'il avait commis une erreur en participant à cette élection,
car il était déjà évident que le gouvernement aurait employé tous les
moyens pour arriver en tête. Demirel a ajouté qu'il allait conseiller
de boycotter les élections locales prévues pour le 19 août 1990 dans 13
petites villes.
Le résultat des élections a
également semé une discorde entre les deux principaux partis
d'opposition. Demirel, s'adressant aux députés de son parti, a critiqué
le SHP - sans avoir cité son nom- de ne pas réagir de manière active
contre le gouvernement. "S'opposer à des illégalités, ce n'est pas
seulement notre affaire. Nous attendons que les autres, eux aussi,
haussent la voix," a-t-il ajouté.
Le leader du SHP Erdal Inönü a,
en réponse à Demirel, déclaré que les partis d'opposition peuvent
toujours boycotter les élections, mais il ne favorise pas cette ligne
d'action. "Nous devons, tout d'abord, nous attaquer aux problèmes du
pays. Je ne pense pas que nous puissions réussir quelque chose par
boycottage. S'il veut nous faire une proposition, il doit le faire
directement. Ainsi, nous pouvons décider que faire.," a-t-il ajouté.
Le leader du SHP, Erdal Inönü a
également déclaré qu'il n'y avait aucune raison que le Gouvernement se
réjouisse de ces résultats. "Au contraire, il a des raisons d'avoir
honte. Ce qu'il a fait démontre qu'il n'a aucun respect à l'égard du
peuple et qu'il mine la démocratie," a-t-il dit.
LA LEGALISATION D'UN PARTI COMMUNISTE
A la suite de la mise en liberté
de tous ses dirigeants par la Cour de Sûreté de l'Etat grâce au feu
vert du président Özal, le parti communiste unifié de Turquie (TBKP) a
pris, le 4 juin, une nouvelle initiative pour devenir un parti légal.
Le président du TBKP Nihat Sargin
et le secrétaire général Nabi Yagci (Haydar Kutlu) avaient été relâchés
en mai après avoir purgé deux ans et demi sous les verrous. Eux et cinq
autres fondateurs ont introduit au Ministère de l'Intérieur cinq
dossiers qui contiennent des renseignements concernant 36 membres
fondateurs, les statuts et le programme du parti ainsi que l'adresse du
siège à Ankara.
Mustafa Cetin, secrétaire général
du Ministère de l'Intérieur, a reçu les documents, en disant qu'il
allait les transmettre aux autorités compétentes.
Pourtant, le 14 juin, le procurer
de la République a ouvert un procès devant la Cour Constitutionnelle
avec la demande d'interdire le TBKP, parce que l'article 96 du Code des
partis politique proscrit les partis politiques ayant dans leur
dénomination le mot "communiste".
En vertu de la Constitution de
1982, un parti politique n'a pas besoin d'une autorisation pour se
constituer. Dès que les documents de fondation sont introduits au
Ministère de l'Intérieur, le parti est considéré légal. Toutefois, le
procureur de la République a toujours le pouvoir de traduire ce parti
devant la Cour Constitutionnelle si ses statuts et son programme
contreviennent à la législation.
Malgré tous ces obstacles légaux,
les leaders du TBKP continuent leurs tentatives en vue de légitimer
leur parti avec le soutien d'autres partis politiques, y compris les
partis de droite.
Le jour suivant l'introduction de
la demande de légalisation, afin de prouver qu'ils ne sont pas hostiles
au Kémalisme, Sargin et Yagci ont visité le mausolée d'Atatürk et
déposé une couronne sur la tombe du fondateur de la République turque.
Plus tard, ils ont effectué des
visites aux sièges des principaux partis d'opposition, le SHP et le
DYP, et se sont entretenus avec Erdal Inönü et Süleyman Demirel.
Demirel , après avoir rappelé
qu'il est anti-communiste, leur a dit: "Mais cela ne signifie pas que
je sois contre l'existence d'opinions politiques différentes." Yagci
lui a répondu en rappelant que des changement profonds se produisent
dans le monde entier et a ajouté: "Il y a des partis communistes dans
toutes les démocraties occidentales. Nous voulons prouver au peuple que
les communistes, eux aussi, sont des êtres-humains ordinaires."
Demirel lui a répondu: "Je n'ai
aucune objection à la lutte politique pourvu qu'elle se fasse de façon
légitime. Personne ne doit agir de manière illégale ni clandestine."
Le leader du SHP Inönü, quant à
lui, leur a dit qu'il a bien accueilli la légalisation du TBKP, et que
son parti est contre toute persécution de personnes en raison de leurs
opinions. "C'est cela qui ternit l'image de la Turquie," a-t-il ajouté.
Yagci et Sargin ont, après ces
visites, exprimé leur satisfaction et annoncé leur souhait de visiter
également le président Özal, le premier Akbulut et les autres leaders
politiques.
AUTRES INITIATIVES DE GAUCHE
Le TBKP est issu de la fusion de
deux anciens partis pro-soviétiques: le parti communiste de Turquie
(TKP), fondé en 1921 et mis hors la loi depuis 1925, et , le parti
ouvrier de Turquie (TIP), hors la loi depuis 1980. Pourtant, il n'est
pas le seul parti marxiste du pays.
En effet, le parti pro-chinois
défunt, le parti ouvrier et paysan de Turquie (TIKP), a été transformé
en parti socialiste (SP) en 1988 et ce nouveau parti a été légalisé par
la Cour Constitutionelle à la fin de la même année.
Récemment, le 6 juin 1990, dix
membres du Parlement qui ont été exclus ou qui ont démissionné du parti
populiste social démocrate (SHP), ont constitué un nouveau parti de
gauche: Le Parti travailliste du Peuple (HEP) qui est déclaré ouvert à
tous les marxistes. Le président de la Confédération des syndicats
progressistes (DISK), Abdullah Bastürk ainsi que d'autres syndicalistes
et personnalités kurdes figurent parmi les fondateurs. Le secrétaire
général de la DISK, Fehmi Isiklar a été désigné comme président du
nouveau parti.
D'autre part, les représentants
des autres partis de gauche hors-la-loi et plusieurs intellectuels
marxistes ont, depuis plus d'un an, développé des travaux en vue de
créer un parti marxiste légal. Les représentants du TBKP ont également
pris part à ces travaux. Ils vont débattre des possibilités de création
d'un tel parti au cours d'une conférence élargie à Istanbul, prévue
pour le 23 juin 1990.
Le président du TBKP Sargin a,
après avoir introduit la légalisation de son parti au Ministère de
l'Intérieur, déclare que la mission du TBKP serait achevée quand tous
les marxistes turcs seront réunis au sein d'un seul parti.
Pourtant, plusieurs organisations
radicales de la gauche turque et particulièrement des organisations
kurdes gardent leurs distances vis-à-vis d'une quelconque initiative
pour constituer un parti légal dans laquelle se trouvent également les
anciens leaders des partis pro-soviétqiues. Elles accusent le TBKP et
les autres groupes collaborant avec celui-là d'avoir fait des
concessions au régime actuel d'Ankara, et défendent l'avis qu'un parti
marxiste légal ne sera pas à l'ordre du jour tant que les articles 141
et 142 du Code pénal turc restent en vigueur, que les libertés du
peuple kurde soient niées et qu'un détenu politique reste en prison.
NOUVEL APPEL D'ÖZAL AUX EUROPEENS
Dans une nouvelle démarche en vue
de séduire l'opinion européenne, le président Özal a envoyé une lettre
ouverte à l'hebdomadaire français L'Express, dans laquelle il affirme
que la Communauté européenne a beaucoup à gagner en cas d'adhésion de
la Turquie.
La lettre déclare que la position
géographique de la Turquie comme une passerelle entre les Balkans et le
Moyen Orient offre à l'Europe la possibilité d'élargir son commerce
extérieur avec ces régions. D'après Özal, le main-d'œuvre bon marché de
la Turquie pourrait attirer les investisseurs européens.
D'ailleurs, Özal affirme que la
Turquie partage avec l'Europe les valeurs communes telles la liberté,
la démocratie, le respect des droits de l'homme et la libre entreprise.
Dans son commentaire paru dans le
quotidien Günes du 4 juin 1990, le journaliste Uluc Gürkan rappelle que
dans tous ces domaines la Turquie a des lacunes sérieuses: "Qui peut
dire si l'Europe créditera ces arguments et ainsi nous acceptera dans
la Communauté européenne? La Turquie doit réagir rapidement si elle
veut rattraper le train européen. Les changements en Europe orientale
accroissent le nombre de concurrents dans cette course. Même l'Union
soviétique est un rival pour l'adhésion à la CE. La Turquie doit être
plus démocratique et améliorer sa performance sur le plan des droits de
l'homme."
LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPEENNE SUR LA COOPERATION AVEC LA
TURQUIE
Lors de la présentation de l'Avis
de la Commission à la demande d'adhésion de la Turquie à la Communauté,
le 18 décembre dernier, la Commission avait signalé plusieurs domaines
où il était souhaitable de renforcer la coopération entre ce pays et la
Communauté.
Le Conseil, le 5 février dernier,
avait fait siennes les conclusions de l'Avis de la Commission et avait
demandé de lui présenter des propositions concrètes dans les domaines
où la coopération devait être renforcée. La Commission a annonce le 6
juin 1990 ses propositions concrètes dans les termes suivants:
celles-ci font l'objet de la communication de la Commission du 6
juin 1990.
1. La réalisation de
l'Union douanière d'ici fin 1995.
Elle est inscrite dans l'Accord
d'Association entre la Communauté et la Turquie de 1963. Pour atteindre
cet objectif, la Turquie devra fournir des efforts dans 16 domaines
tarifaires et, en outre, elle devra tenir compte des préférences
accordées par la Communauté aux pays tiers. De même, elle devra
respecter les politiques communautaires en matière d'anti-dumping, des
droits tarifaires, etc.
Le fait de revenir à l'Accord
d'Association impliquera une plus grande libéralisation des échanges
agricoles et en matière textile. Ceci, bien entendu, devra être
effectué dans les deux sens.
2. La promotion de la coopération
Industrielle et technologique dans des domaines liés directement ou
indirectement à l'Union douanière.
Elle aura pour but principal de
réduire l'écart de développement entre la Turquie et la Communauté
ainsi que de mieux intégrer ce pays dans le tissu économique et social
de l'Europe. La coopération dans ce domaine s'étendra à toute une série
de secteurs, parmi lesquels on peut citer: les services, les
transports, les télécommunications, l'énergie, l'environnement, les
sciences, la technologie, le tourisme, la formation, la culture et
l'audiovisuel.
3. La reprise de la coopération
financière.
La Commission propose la reprise
de cette coopération qui avait été suspendue depuis 1981. A cet égard,
la Commission propose de soumettre à la signature du Conseil le projet
du IVe Protocole financier qui comporte :
- 225 Mecus de la BEI sur ses
ressources propres;
- 325 Mecus sous forme de prêts à
des conditions spéciales
- 50 Mecus sous forme d'aides non
remboursables.
Dans ce contexte, le commissaire
européen M. Matutes attire l'attention sur le fait que, faute de
ressources budgétaires, la Turquie est le seul pays méditerranéen et
européen avec lequel on ne peut engager aucune action de coopération,
faute de moyens.
4. L'intensification du dialogue
politique.
Finalement, la Turquie est un
pays lié à la Communauté par un accord d'association. Ce lien
privilégié doit se refléter également dans le domaine politique par une
intensification du dialogue politique avec ce pays .
LA TURQUIE CRITIQUÉE À COPENHAGUE
La Turquie a, au cours des
travaux du 2ème Forum sur les Droits de l'Homme, tenu à Copenhague,
dans le cadre de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en
Europe (CSCE), fait l'objet de critiques en raison de ses pratiques sur
le plan des droits de l'homme et des minorités.
Avant l'ouverture de ce forum
auquel assistaient 35 ministres des affaires étrangères provenant de
l'Ouest et de l'Est, un groupe de 150 Kurdes ont conduit une
manifestation devant la salle de conférence. Les manifestants ont
scandé des slogans en protestation contre les violations des droits des
Kurdes en Turquie. En même temps, plusieurs organisations
internationales des droits de l'Homme comme Amnesty International, le
Helsinki Watch et le Comité Sakharov ont distribué aux délégations des
rapports détaillés sur la violation des droits de l'Homme et des
minorités dans ce pays.
En plus, la situation des droits
de l'Homme en Turquie a été exposée au cours d'une série d'Activités
Parallèles, organisées par diverses organisations danoises.
Le 6 juin, l'Autriche, la
Tchécoslovaquie, l'Italie, l'Hongrie et la Yougoslavie ont introduit un
projet de résolution commun relatif aux droits des minorités en Europe.
La résolution exige la législation en vue d'assurer la représentation
politique et l'organisation des minorités nationales. Elle réclame
également que des minorités aient la liberté de communication avec les
peuples de même origine ethnique vivant dans d'autres pays.
Etant donné que cette résolution
concerne directement les minorités en Turquie, le ministre turc des
affaires étrangères, Ali Bozer, a consacré une grande partie de son
discours à la question des minorités.
"Les seules minorités en Turquie
sont celles qui avaient été désignées par les traités internationaux ou
par les accords bilatéraux," a-t-il dit, en se référant au Traité de
Lausanne de 1922 qui, selon lui, ne reconnaît que les droits de
minorités chrétiennes.
Bozer a ajouté que si on
reconnaissait aux Kurdes le statut de minorité nationale, ils ne
pourraient plus bénéficier des droits qu'ils ont actuellement. Il a
affirmé que "le terrorisme par les séparatistes kurdes reçoit l'aide de
certains milieux," mais il n'a pas cité de noms. "Personne ne peut
justifier le soutien au terrorisme. C'est la raison pour laquelle nous
tenons à distinguer la protection des droits de l'Homme et le
terrorisme. Donc on ne peut pas permettre à certains individus
d'utiliser leur liberté pour détruire la démocratie, l'intégrité
nationale et les droits et libertés élémentaires d'autrui. Il y a, dans
les constitutions de plusieurs pays européens et dans la Convention
européenne des droits de l'Homme, des articles à cet égard," a ajouté
Bozer.
Il s'est opposé également à une
proposition introduite par le Danemark et soutenue par l'Union
soviétique en vue de constituer un comité des droits de l'Homme.
"Alors que des comités similaires existent dans d'autres plate-formes
internationales comme le Conseil de l'Europe, la création d'un comité
des droits de l'Homme au sein de la CSCE peut conduire à une
confusion," a-t-il dit.
Pendant la conférence, Bozer
s'est entretenu séparément avec le ministre ouest-allemand des affaires
étrangères Genscher et lui a demandé que Bonn soutienne la demande
d'adhésion à la CE de la Turquie.
Après le départ de Bozer de
Copenhague, l'ancien ministre des affaires étrangères Ilter Türkmen l'a
remplacé.à la tête de la délégation turque. Türkmen a déclaré que la
Turquie n'a rien à se reprocher dans le domaine des droits de l'Homme,
et a ajouté: "La Turquie ne sera jamais le bouc émissaire de certains
dans le domaine des droits de l'Homme."
NOUVEAU RAPPORT D'HELSINKI WATCH
Helsinki Watch a rendu public en
juin 1990 un nouveau rapport sur la Turquie. Dans ce document intitulé
La Turquie du Sud-Est: Nouveau décret dur; La Minorité kurde; La
violation du droit international; Les journalistes en grève de la faim,
l'organisation qui siége à Washington analyse le nouveau décret No.413
adopté par le Conseil des ministres en avril 1990.
Ce décret pourvoit le gouverneur
régional de pouvoirs exceptionnels comme de censurer la presse, de
déporter des "suspects", de destituer des juges et procureurs et de
suspendre les droits syndicaux (Voir: Info-Türk, avril 1990).
Après avoir résumé la récente
information sur les actions armées du PKK et des forces
gouvernementales, le rapport fait état des pratiques des
protecteurs de village, de tortures et de meurtres, d'abus sur la
population civile et sur les étrangers, des procès, de refus de
l'identité ethnique et des conditions de vie dans les camps de réfugiés
kurdes.
Helsinki Watch appelle le
gouvernement turc à:
o abroger le décret 413 et
restaurer les droits suspendus par ce décret;
o abolir le système de
protecteurs de village;
o protéger la population civile
dans les zones où sévit la guerre de guérilla et respecter le droit
international relatif à des conflits armés intérieurs;
o arrêter le déplacement des
civils de la région troublée sans que leur vie soit menacée, et
respecter le protocole 11 de la Convention de Genève de 1949 si l'on
doit les déplacer;
o éviter d'utiliser des mines, à
l'exception des cas prévus par le droit international;
o reconnaître l'existence de la
minorité kurde et lui accorder tous les droits politiques et civils
dont jouissent les Turcs;
o permettre à des avocats d'avoir
un contact immédiat avec les détenus et prisonniers, y compris pendant
l'interrogatoire préliminaire; de parler en kurde avec les prisonniers;
de s'entretenir avec les prisonniers en privé; d'avoir du temps
nécessaire pour se préparer au procès; et d'avoir accès à tous les
documents utiles à la défense du prisonnier;
o arrêter les restrictions qui
privent les Kurdes de leur identité ethnique; permettre officiellement
la pratique de leur langue, de leur musique et leurs danses
folkloriques, la célébration des fêtes nationales et
l'utilisation de noms kurdes;
o permettre la fondation
d'associations kurdes et la publication de livres et périodiques en
langue kurde;
o punir à juste titre l'abus et
l'humiliation des civils par les forces de sécurité;
o reconnaître le fait que la
torture se pratique dans les centres de détention préventive; prendre
des mesures afin de l'arrêter, et augmenter les peines pour le
tortionnaires;
o interdire l'utilisation par les
tribunaux des aveux obtenus sous torture;
o modifier le Code pénal de sorte
que les articles 141, 142 et 163 et les autres articles utilisés pour
priver les Turcs de leurs droits de l'Homme soient éliminés;
o arrêter toutes les actions
légales à l'encontre de la presse, des écrivains et des éditeurs pour
leurs écrits, et mettre en liberté tous ceux qui sont emprisonnés pour
l'expression d'opinions politiques non-violentes.