editorslinks

A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


174

15e année - N°174
Avril 1991
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 

UNE AMNISTIE TROMPEUSE

    Le geste du 12 avril ne constitue pas une amnistie mais une mise en liberté surveillée de certains prisonniers
    Des milliers de prisonniers kurde et de gauche sont toujours sous les verrous alors que des tueurs d'extrême droite sont relâchés
    De nombreux articles répressifs du Code pénal, alors que les articles 140, 141, 142 et 163 sont abrogés
    L'adoption de la nouvelle Loi Anti-Terreur a introduit de nouveaux crimes et de nouvelles peines
    La nouvelle loi maintient l'interdiction des organisations, des publications et de l'éducation kurdes
    Les agents du terrorisme d'Etat et les tortionnaires sont mis sous la protection légale du gouvernement
    Les réfugiés politiques sont toujours sous la menace de poursuites en cas de retour au pays
    Le droit à la citoyenneté de plus de 15 mille personnes n'a toujours pas été rétabli


    Le 12 avril 1991, après avoir trahis les Kurdes, le régime d'Ankara annonça, dans une nouvelle manœuvre visant à tromper l'opinion mondiale, la mise en liberté de plus de 40 mille prisonniers et la suppression des Articles 140, 141, 142 and 163 du Code Pénal Turc ainsi que la loi interdisant de s'exprimer en kurde.
    La mise en liberté des personnes qui, depuis le coup d'Etat militaire du 12 septembre 1980, étaient en prison, constitue à n'en pas douter, un heureux événement. Voilà pourquoi la décision du Parlement turc fut accueillie par les média du monde entier comme "un nouveau pas vers la démocratie en Turquie et un geste significatif facilitant l'adhésion de la Turquie aux Communautés européennes."
    Cependant, la mise an liberté des prisonniers et la suppression des articles les plus critiqués du Code Pénal ne sont qu'une partie d'un plan destiné à renforcer le terrorisme d'Etat dans le pays.
    En fait, la suppression de ces articles et le relâchement des prisonniers s'inscrivent dans le cadre des articles provisoires de la Loi de Lutte contre la Terreur, adoptée le 12 avril par le Parlement.
    Les 23 principaux articles de cette nouvelle loi No. 3713 imposent des peines très lourdes pour une série d'actes d'organisation et de propagande et constituent une réelle menace aussi bien pour les organisations kurdes que pour les publications et les activités d'enseignement en langue kurde. En outre, les agents du terrorisme d'Etat et les tortionnaires jouissent de la protection totale de l'Etat.
    C'est pour détourner l'attention du caractère répressif de cette nouvelle loi que des articles provisoires stipulant la suppression de certains articles du Code Pénal et la libération d'une partie de prisonniers furent ajoutés.

LA REALITE DES LIBERATIONS

    En fait, l'adoption de cette loi n'implique pas une réelle liberté pour tous les prisonniers. La nouvelle loi classe les prisonniers en trois catégories:
    1. Ceux qui ont été accusés ou condamnés en vertu des articles 140, 141,142 et 163 du Code pénal pour des faits commis avant le 8 avril 1991. Etant donné que ces articles ont été supprimés, les victimes de ces articles ont été relâchés sans condition, devenant ainsi des "personnes avec un casier judiciaire vierge" s'ils n'ont pas été condamnés également en vertu d'un autre article.
    2. Une réduction de peine de prison et une libération surveillée pour ces prisonniers qui ont été condamnés ou accusés en vertu des articles autres que 140, 141, 142 et 163 du Code Pénal turc pour les actes commis jusqu'au 8 avril 1991. Cette catégorie comprend une partie des prisonniers politiques ainsi que des personnes condamnées pour des crimes ordinaires. Dans ce cas, en vertu de la loi, les peines de mort sont commuées en peines d'emprisonnement de 10 ans; les condamnations à perpétuité sont réduites à 8 ans, et les condamnés ayant purgé un cinquième de leur peine en prison sont libérés.
    3. Dans l'application de la mise en liberté surveillée, le quatrième article provisoire de la nouvelle loi commet une discrimination pour garder derrière les barreaux les quelque 2.500 militants de gauche et kurdes. La réduction des peines (en vertu des Articles 125 et 146 du CPT) pour les crimes contre l'Etat fut plus limitée: les peines de mort furent commuées en 20 ans de prison; les condamnations à perpétuité furent réduites à 15 ans et les autres sentences furent réduites à un tiers de la totalité de la peine.
    Par conséquent, les détenus appartenant au Parti Ouvrier du Kurdistan (PKK) et à un certain nombre d'organisations de gauche comme le Dev-Yol, le Dev-Sol, le TKP/ML, le TDKP, le MLSPB, le SHB, etc. ne peuvent bénéficier d'une mise en liberté immédiate car ils ont été poursuivis en vertu des Articles 125 et 146.
    Alors que de nombreux militants de gauche ou kurdes demeurent en prison, tous les terroristes d'extrême droite, comme Ferhad Tüysüz, coupable du meurtre d'une dizaine de personnes, ont été libérés car ils avaient été condamnés en vertu des articles 313, 314 et 315 du Code Pénal Turc.
    La discrimination qui existe entre les personnes de gauche et de droite dont les peines de mort ont été prononcées par la Cour d'Appel n'est pas négligeable. Parmi les 275 personnes condamnées à mort, 195 appartiennent à des organisations kurdes ou de gauche, 23 de droite, 4 palestiniens et 53 autres furent condamnées pour des crimes ordinaires.     Parmi les 195 militants de gauche condamnés à mort, seulement 8 peuvent bénéficier d'une remise de peine à 10 ans et d'être libérés, tandis que chacun des 23 activistes de droite, les 4 Palestiniens et 48 condamnés apolitiques sont libérés.
    Les peines de mort de 187 militants d'organisations de gauche ou kurdes et celles de cinq condamnés ordinaires furent commuées en 20 ans de prison et ceux-ci devront purger une peine de prison d'au moins 10 ans après l'adoption de la loi.
    Les personnes libérées, elles non plus ne sont pas totalement libres. Elles ne sont pas autorisées à prendre part à la vie politique et ne peuvent occuper des postes publics, car la nouvelle loi ne prévoit pas la suppression des conséquences de leurs condamnations.
    Ceux qui est plus préoccupant, c'est que si, à l'avenir, ils devaient être victimes d'une nouvelle condamnation, ils devraient purger la période réduite, puisqu'ils bénéficiaient d'une mise en liberté surveillée.

LES REFUGIES POLITIQUES ET LES APATRIDES MENACES

    Pour ce qui est des réfugiés politiques, ils sont autorisés à retourner en Turquie. Si le réfugié a été accusé en vertu d'un article autre que le 140, le 141, le 142 ou le 163 du CPT, par exemple, les Articles 125, 146, 158, 159, 312, il ou elle devra se rendre au bureau du Procureur de la République. Il n'est pas exclu que le réfugié soit interrogé par la police, avec le risque d'être torturé. Après l'interrogatoire, il ou elle sera renvoyé devant le tribunal compétent. Là, il ou elle sera acquitté ou condamné. Si le tribunal prononce une condamnation, il ou elle devra purger un cinquième de la peine dans les cas concernant les Articles 158, 159, 312, un tiers dans les cas concernant les Articles 125 et 146.
    Les réfugiés politiques ayant été privés de la nationalité turque sont également autorisés à rentrer en Turquie, mais ils seront également soumis à la procédure expliquée dans le paragraphe précédent. Pour ce qui est du rétablissement de nationalité, rien n'est prévu dans la nouvelle loi. Etant donné que l'anti-démocratique Code de la Citoyenneté n'a pas été modifié, le rétablissement de leur nationalité dépendra de la décision arbitraire du gouvernement. Ils risquent également de ne pas être autorisés à repartir à l'étranger.

LES ARTICLES 140, 141, 142 ET 163

    L'article 23 de la nouvelle loi abroge les Articles 140, 141, 142 et 163 du Code Pénal ainsi que la Loi N° 2932 interdisant l'usage de la langue kurde.
    L'article 140 condamnait toute déclaration faite à l'étranger contre l'Etat turc, les Articles 141 et 142 condamnaient l'organisation et la propagande communiste et séparatiste et l'Article 163 faisait de même avec les activités anti-laïques.
    Donc, de nombreuses condamnations prononcées en vertu de ces articles n'ont plus de fondement légal et les condamnés deviennent alors des personnes avec un casier judiciaire vierge. Parmi eux se trouvent également les leaders et les membres de la Confédération des Syndicats Progressistes de Turquie (DISK), l'Association de Paix de Turquie (TBD), l'Association des Enseignants de Turquie (TÖB-DER) et certaines organisations politiques de gauche ou de droite comme le Parti Ouvrier de Turquie (TIP), le Parti Socialiste Ouvrier de Turquie (TSIP), le Parti Ouvrier et Paysan de Turquie (TIKP), le Parti Communiste de Turquie (TKP) et le Parti du Salut National (MSP).
    Selon le journal Cumhuriyet du 14 avril 1991, au moment de l'adoption de la nouvelle loi, il y avait en prison 1.653 personnes condamnés et 1.664 arrêtées en vertu des articles mentionnées.
    Entre 1982 et 1989, le nombre des personnes jugées en vertu des articles 141 et 142 s'élevait à 6.508. Au cours de la même période, 5.065 personnes étaient jugées en vertu de l'Article 163.
    Avec l'abrogation de ces articles, les organisations susmentionnées ont été également réhabilitées. Mais bon nombre de ces organisations avaient déjà rétablies sous d'autres noms. Le Parti Communiste de Turquie (TKP), après avoir transféré certains dirigeants de l'ancien Parti Ouvrier de Turquie (TIP), était devenu le Parti Communiste Unifié de Turquie (TBKP). Même avant que ne soit supprimé l'Article 141, le TBKP avait été constitué légalement, et ses activités étaient tolérées par le régime car ses leaders avaient renoncé à leur position "radicale" et avaient affirmé publiquement leur volonté de collaborer, même avec les partis de droite et les groupes d'affaires. Pour Özal, le TBKP ne représentait plus aucun danger pour le régime.
    Le point critique de la nouvelle législation pourrait être le rétablissement de la Confédération des Syndicats Progressistes de Turquie (DISK).
    Lorsqu'en 1980, elle fut fermée par le régime militaire, le nombre des membres de la DISK dépassait le demi million. Afin de priver la DISK, et les syndicats qui y sont affiliés, du matériel et des moyens financiers pour reprendre la lutte, le gouvernement a ajouté à la Loi Anti-Terreur, l'article provisoire 9 qui stipule que, tous les avoirs, les propriétés et les biens appartenant à la DISK et à ses syndicats, dont la valeur atteint les 2 trillions de TL (environ 540 millions de dollars US), seront confisqués par l'Etat.

LES ARTICLES REPRESSIFS MAINTENUS

    Bien que les quatre articles soient supprimés, d'autres articles répressifs du Code Pénal Turcs restent en vigueur, ce sont principalement:
    L'Article 125: Quiconque tente de soulever l'entièreté ou une partie du territoire de l'Etat sera condamné à la peine capitale.
    L'Article 146: Quiconque tente, en ayant recours à la force, d'altérer, modifier ou abolir l'entièreté ou une partie de la constitution de la République de Turquie ou de renverser la Grande Assemblée Nationale Turque, formée en accord avec ladite loi, ou d'entraver les fonctions de cette Assemblée sera condamné à la peine capitale. Quiconque se rend responsable, individuellement ou collectivement, d'une conspiration verbale, écrite ou effective, prononce des discours publics, expose des posters ou des publications dans les places publiques, les rues, et les lieux de rencontre, et donc incite les gens à commettre des délits, sera condamné à la peine capitale, même si la conspiration est restée au stade de la planification.
    Article 158: Quiconque commet le délit d'insulter le Président de la République sera emprisonné pour une période de 3 ans. Si ce sont les médias qui le commettent, la peine sera augmentée d'un tiers ou de la moitié.
    Article 159: Quiconque insulte la nation turque, la République, la Grande Assemblée Nationale, la personnalité morale du gouvernement, des ministres, des forces militaires et de sécurité de l'Etat ou de la justice, sera condamné à une peine de prison qui peut atteindre les 6 ans.
    Article 312: Quiconque loue publiquement un acte considéré délit par la loi ou incite les gens à la désobéissance sera condamné à une peine de prison comprise entre six mois et deux ans. Quiconque incite publiquement les gens à la haine et l'hostilité s'appuyant sur les différences de classe, de race, de religion, de secte ou de région sera condamné à une peine de prison comprise entre un an et trois ans. Si ces délits sont commis par les médias, la peine de prison sera doublée.
    Alors que les militants kurdes ou de gauche sont très souvent accusés en vertu des articles 125 et 146, les journalistes, les écrivains ou les artistes sont souvent amenés devant le juge pour avoir enfreint les Articles 158 et 159 lorsqu'ils critiquent le Président de la République, le Premier Ministre, les ministres, les Forces Armées ou de Sécurité ou, pour avoir enfreint l'Article 312 lorsqu'ils dénoncent dans leurs articles les injustices sociales.

UNE NOUVELLE LOI REPRESSIVE

    Outre ces articles répressifs qui sont maintenus, la Loi de Lutte contre la Terreur prévoit de nouveaux délits et des peines de prison ainsi que des amendes plus lourdes que celles qui étaient prévues dans les articles abrogés.
    La loi définit le terrorisme comme un recours à la violence, la force et la contrainte dans des actions contre l'Etat. Même les actions considérées comme préjudiciables pour l'ordre public ou la santé générale sont définies comme des "actes de terrorisme". La nouvelle loi définit également "l'organisation" comme une société formée par deux ou plusieurs individus unis dans un but bien précis. Et dans le cas d'actes terroristes perpétrés par une organisation, tous ses membres, même s'ils ne sont pas impliqués dans le délit imputé à l'organisation, et que celui-ci ait été commis collectivement ou à titre individuel, seront considérés comme des terroristes criminels.
    Les personnes déclarées coupables de concerter et d'agencer les activités d'une organisation terroriste seront condamnées à 5-10 ans de prison et à payer une amende variant entre 200 millions de LT (54.000$) et 500 millions de LT (135.000$).
    La loi stipule également que les délits prévus par les articles 125, 131, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 153, 154, 155, 156, 157, 168, 169, 171, 172 et 499 du Code Pénal ainsi que les délits prévus par la Loi sur les Cours de la Sûreté de l'Etat seront considérés comme des crimes terroristes, et seront sanctionnés par des peines qui ont été majorées d'un quart de la peine initiale.
    Bien que beaucoup d'articles cités puissent être appliqués aux militants kurdes, l'Article 8 de la nouvelle loi prévoit une nouvelle sentence pour les organisations et les publications kurdes:
    Article 8: Aucune propagande écrite ou verbale, ou manifestation visant à amoindrir, par quelque méthode, ou pour quelque but ou motif que ce soit, l'intégrité territoriale ou nationale de l'Etat de la République de Turquie ne sera tolérée. Les auteurs de ces actes seront condamnés à des peines de prison de deux à cinq ans et à payer des amendes de 50 millions de LT (13.500$) à 100 millions de LT (27.000$).
    Par l'adoption de cet article, le Parlement a rendu inutile l'abrogation de la Loi interdisant de parler en kurde. En réalité, la langue kurde était déjà parlée dans les régions kurdes, car la population rurale ne savait pas parler le turc. Cette loi avait surtout été appliquée pour supprimer la langue kurde dans les publications et les déclarations publiques. Maintenant, l'Article 8 de la nouvelle loi reprend le rôle répressif de la loi N° 2932 qui a été abrogée.
    Dans le cas des actes cités par la loi, un maximum de trois avocats seront autorisés à défendre les personnes accusées de terrorisme au cours de leur procès. Lors des entretiens avec leurs clients, les avocats seront soumis au contrôle des officiers de prison.
    Les condamnés seront placés dans des prisons construites selon le système des cellules et ils n'auront pas le droit d'avoir un "contact direct" avec leur famille et leurs parents.
    Les sentences prononcées pour des activités armées seront durcies, et les peines ne seront ni remises ni commuées en amendes.

NOUVELLES MENACES POUR LA PRESSE

    De nouvelles interdictions et sanctions ont été imposées à la presse.
    Selon l'article 6, les personnes qui publient les déclarations des organisations menant une lutte armée, qui défendent des actes violents ou qui dévoilent le nom des informateurs et des agents de sécurité seront sanctionnés d'une amende dont le montant peut atteindre les 10 millions de LT (2.700$). Si cette publications est faite par un quotidien ou un autre périodique, l'amende dépassera les 50 millions de LT (13.500$).
    Si un quotidien ou un magazine périodique reproduisent de la propagande visant à ébranler l'intégrité territoriale ou nationale de l'Etat de la République Turque, ils seront condamnés à payer une amende d'au moins 100 millions de LT (27.000$) et leur directeur sera condamné à une peine de prison de 2 ans.

DES TORTIONNAIRES PROTEGES PAR L'ETAT

    Des peines similaires sont prévues pour les organes de presse qui expliciteraient les noms des membres de la sécurité prenant part aux opérations menées contre ces organisations. Cette procédure tente également de limiter les possibilités de révéler l'identité des tortionnaires.
    En raison d'une série de nouvelles limitations, il est plus difficile d'encourager les actions en justice contre les tortionnaires. Sauf dans les cas où il y a décès, il est impossible d'intenter une action en justice contre un tortionnaire si le Ministre de l'Intérieur ne l'a pas ratifiée. Les personnes jugées pour torture ne seront pas arrêtées avant que ne soit prononcée la sentence. Et leur défense sera assurée par des avocats payés par l'Etat.
    L'identité des personnes qui informent les autorités des actions terroristes et qui dénoncent les membres des organisations terroristes sera maintenue secrète. Les citoyens qui aideront l'Etat à appréhender les terroristes seront récompensés financièrement et seront protégés par celui-ci.

DERNIERS PERSECUTIONS SOUS LE COUVERT DES ARTICLES 142 ET 163

    Les jours précédent l'adoption de la nouvelle Loi Anti-Terreur furent marqués par d'innombrables persécutions contre les journalistes, les écrivains et les artistes.
    Il ne fait aucun doute que la plus spectaculaire fut l'arrestation le 20 mars, ordonnée par le CSE d'Ankara, du célèbre sociologue Dr Ismail Besikci pour avoir envoyé un message à l'occasion d'une soirée culturelle kurde organisée dans la ville allemande de Stuttgart. En vertu de l'Article 142 du CPT, il fut inculpé pour séparatisme.
    Auparavant, le 8 mars, le nouveau livre du Dr Ismail Besikci L'Affaire du Général Muglali - 33 Balles était confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Au cours de l'année dernière, cinq livres du Dr Besikci furent confisqués pour la même raison. L'auteur risquait un total de 100 ans de prison pour ces livres.
    Théoriquement, toutes ces accusations auraient dû être abandonnées après l'abrogation de l'Article 142. Cependant, Besikci et d'autres intellectuels défendant les droits nationaux et démocratiques du peuple kurde tomberont sous la menace de la nouvelle Loi Anti-Terreur qui sanctionne tout discours ou écrit dans lequel les autorités décèleraient du "séparatisme".
    Voici d'autres exemples de la pression exercée sur la vie intellectuelle avant que ne soit adoptée la nouvelle législation:
    Le 1.3, le Gouverneur d'Ankara interdit un concert du groupe Yorum.
    Le 2.3, l'auteur de théâtre, Erol Toy, et 22 acteurs du théâtre Birlik furent arrêtés à Ankara et traduits devant la Cour de Sûreté de l'Etat pour avoir organisé une marche de protestation entre Kizilcahamam et la capitale pour protester contre l'interdiction de la pièce Pir Sultan Abdal.
    Le 3.3, les éditions de mars de trois revues, Özgürlük Dünyasi, Demokrat et Teori furent confisquées par la CSE d'Istanbul pour propagande communiste et séparatiste.
    Le 4.3, fut ouvert à la CSE d'Istanbul, le procès contre le Professeur Yalçin Küçük pour son livre intitulé Thèse sur les Kurdes. Accusé de séparatisme, il risque une peine de prison de 7 ans et 6 mois.
    Le 4.3, la dernière édition de l'hebdomadaire Yeni Ülke fut confisquée par la CSE d'Istanbul pour séparatisme.
    Le 7.3, le rédacteur en chef du mensuel Yeryüzü, Burhan Kavuncu, fut arrêté à Konya.
    Le 9.3, à Denizli, Refik Yilmaz, Mustafa Eris et Ahmet Fuat Özkan furent condamnés par une cour criminelle à 3 mois de prison chacun pour avoir vendu des cartes postales dédiées au poète Nazim Hikmet et au cinéaste Yilmaz Güney, tous deux privés de la nationalité turque et morts en exil.
    Le 10.3, à Istanbul, la représentation de la pièce L'histoire du Feu fut interdite par le Gouverneur.
    Le 10.3, la police fit une descente dans le bureau d'Ankara du bimensuel Mücadele et arrêta trois personnes.
    Le 11.3, l'écrivain Musa Anter fut traduit devant la CSE d'Ankara pour son livre intitulé Mes Réminiscences pour propagande séparatiste.
    Le 11.3, l'édition de mars du mensuel Deng fut confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 13.3, le numéro 22 de l'hebdomadaire Yeni Ülke fut confisqué pour propagande séparatiste. Les dix éditions précédentes de la revue avaient fait l'objet de la même mesure.
    Le 13.3, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire Yeni Mücadele, Erdogan Yasar Kopan fut condamné à 7 ans et 6 mois de prison par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste. Par après, la peine fut commuée en une amende de 13 millions de LT.
    Le 14.3, Nurettin Sirin, journaliste de la revue Tevhid, fut condamné à 4 ans et 2 mois de prison par la CSE d'Izmir pour propagande anti-laïque.
    Le 14.3, l'éditeur du quotidien Yeni Asya, Mehmet Kutlular et neuf journalistes du même journal, Osman Ergili, Hilmi Dogan, Sabahattin Aksakal, Ali Vapur, Mustafa Keloglu, Ahmet Akdag, Bekir Gönüllü, Mehmet Cevher Ilhan, Imam Cemal et Mehmet Gündogdu furent mis en accusation par la CSE d'Ankara pour propagande anti-séculaire.
    Le 15.3, le journaliste Hasan Uysal fut mis en accusation à Akhisar pour avoir insulté le Président de la République au cours d'un meeting organisé dans cette même ville. Il risque une peine de prison de trois ans.
    Le 18.3, les acteurs du Théâtre Birlik, Gül Göker, Zeki Göker, Ali Ihsan Özkök, Tuncer Tut, Birol Yilmaz, Necmi Aykar, Nursel Celebi et Metin Yildirim furent arrêtés à Mugla après la représentation de la pièce Pir Sultan Abdal. Güney Göker, le fils de quatre ans de Gül Göker fut arrêté en même temps que les acteurs.
    Le 19.3, les derniers numéros de quatre revues, Özgür Halk, Yeni Ülke, Devrimci Emek et Mücadele, furent confisqués par la CSE d'Istanbul.
    Le 19.3, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire Yüzyil, Adnan Akfirat, fut traduit devant une cour criminelle d'Istanbul pour avoir insulté le Président de la République.
    Le 24.3, l'édition de mars du mensuel Toplumsal Kurtulus fut confisquée par la CSE d'Istanbul pour propagande communiste.
    Le 26.3, les derniers numéros des hebdomadaires Yüzyil et Yeni Ülke ainsi que du mensuel Özgür Halk, furent confisqués par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 31.3, un livre intitulé Hemana Rezimane Kurdi (Les Lignes Directrices de la Langue Kurde), écrit par Feqi Hüseyin Sagnic et édité par la Maison d'Edition Melsa, fut confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 1.4, les derniers numéros des hebdomadaires Yüzyil et Yeni Ülke, du bimensuel Mücadele et du mensuel Demokrat furent confisqués par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 5.4, l'édition d'avril du mensuel Özgürlük Dünyasi fut confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 5.4, la représentation de la pièce Pir Sultan Abdal fut interdite à Kayseri. A cette date, les gouverneurs de dix provinces ont déjà interdit la représentation de cette pièce par le Théâtre Birlik.
    Le 7,4, la représentation de Pir Sultan Abdal fut interdite à Nigde.
    Le 8.4, le dernier numéro de Yeni Ülke fut confisqué par la CSE d'Istanbul pour propagande séparatiste.
    Le 8.4, le rédacteur en chef du journal Zaman, Servet Engin, et le correspondant, Elvan Dündar, furent condamnés à trois mois et quinze jours de prison chacun pour avoir insulté un sous-préfet à Amasya.
    Le 9.4, deux journalistes du mensuel Yeni Demokrasi, le rédacteur en chef, Mehmet Ali Eser et le directeur, Tuncer Dilaveroglu, furent arrêtés à Istanbul.
    Le 10.4, un livre intitulé Les Réminiscences du Président Nain, publié par la Maison d'Edition Habora, fut confisqué par une cour criminelle d'Istanbul pour avoir insulté le Président de la République.
    Le 10.4, l'hebdomadaire 2000e Dogru fut condamné à payer une amende de 15 millions de LT (4.050$) pour avoir insulté le Président de la République et son épouse.

LES KURDES

    Les revendications de la Conférence de Stockholm et la Résolution du Parlement européen

    La nouvelle loi anti-terreur maintient l'interdiction des organisations, des publications et de l'éducation kurdes bien qu'elle reconnaisse l'existence de la langue kurde. De plus, elle discrimine les dirigeants et militants kurdes dans l'application de la mise en liberté surveillée des prisonniers.
    L'état dramatique des Kurdes, aussi bien en Irak qu'en Turquie suscite des réactions de la part des organisations démocratiques internationales.
    Tout récemment, le 18 avril 1991, le Parlement européen a adopté une résolution sur la situation des Kurdes dans laquelle les parlementaires européens demandent à l'unanimité que dans le cadre  d'une conférence de la paix au Moyen-Orient, le problème kurde soit abordé avec la participation de tous les Etats concernés et des représentants kurdes, afin de reconnaître le droit à l'existence et à l'autonomie des Kurdes dans tous les Etats où ils se trouvent.
    D'autre part, la Conférence Internationale "Reconnaissance des Droits Kurdes", tenue du 15 au 17 mars 1991 à Stockholm, a adopté une déclaration qui regroupe les revendications communes des Kurdes de la Turquie, de l'Irak, de l'Iran, de la Syrie et de l'Union soviétique.

LA RESOLUTION DU PARLEMENT EUROPEEN

Le Parlement européen,
    - vu les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU,
    - vu ses précédentes résolutions sur la situation des Kurdes,
    - vu les résultats du Conseil européen qui s'est tenu à Luxembourg le 8 avril 1991,
    A. considérant que les forces sous le commandement de Saddam Hussein tentent de commettre un génocide contre les Kurdes,
    B. considérant les actes de tyrannie, en général, et le recours fréquent à la torture dont Saddam Hussein et ses forces armées se sont rendus coupables à l'égard de la population irakienne et notamment, contre les enfants de ce pays,
    C. considérant que des milliers de personnes meurent sous les bombardements et que le pilonnage des régions kurdes n'a toujours pas cessé,
    D profondément touché par les souffrances terribles subies par des milliers de réfugiés kurdes s'échappant à travers les zones montagneuses, se retrouvant sans abri et dans des conditions de dénuement absolu et alarmé par les informations dramatiques qui parviennent des organisations humanitaires, sur place, selon lesquelles des milliers de réfugiés, principalement des enfants, sont morts sur les routes, de faim, de froid, de maladies et des suites de leurs blessures, et que selon les médecins, des centaines d'autres meurent encore chaque jour,
    E. soulignant que l'armée irakienne se livre à des exécutions contre la population chiite du sud du pays,
    F considérant que les membres de la coalition ont incité l'opposition irakienne à penser que des manoeuvres d'éviction de Saddam Hussein seraient favorablement accueillies et susciteraient l'adhésion,
    G. conscient du fait que tant que le problème kurde n'est pas résolu politiquement en tant que tel, il constitue une menace pour la paix et la sécurité dans la région,

    1. condamne fermement la tentative de génocide contre le peuple kurde par le régime de Saddam Hussein et la répression de l'ensemble de la population irakienne;
    2. exige l'arrêt immédiat des attaques contre la population et réaffirme la nécessité du maintien total de l'embargo décrété par les Nations Unies, tant que se poursuit la répression contre le peuple kurde et l'ensemble de la population irakienne;
    3. appuie la proposition présentée au Conseil européen visant la création d'une zone protégée temporaire pour assurer la sécurité des Kurdes et des autres personnes déplacées en Irak, mais s'inquiète des conséquences de la pérennisation d'une telle situation; appuie la décision déjà prise de efficace; se félicite par conséquent de la décision des gouvernements américain, britannique et français d'envoyer des troupes en Irak pour préserver la sécurité de ces zones;
    4. demande aux gouvernements de l'Iran et de la Turquie de faciliter l'oeuvre de secours aux populations kurdes et d'ouvrir les frontières nationales aux réfugiés et aux organisations humanitaires internationales non-gouvernementales; invite la communauté internationale, agissant sous les auspices des Nations Unies, à soutenir les efforts qui vont dans cette direction;
    5. souligne le devoir moral qui incombe aux Nations Unies, lesquelles devraient au besoin amender leur Charte pour y parvenir, d'aller au-delà du simple respect des frontières nationales pour concevoir des moyens visant à empêcher les régimes totalitaires de commettre des génocides;
    6. constate que le sort réservé au peuple kurde constitue un crime de génocide au sens de la Convention de 1948, comme l'ont noté les ministres des Affaires étrangères agissant dans le cadre de la coopération politique; demande aux gouvernements des Etats membres de saisir la Cour internationale de justice pour faire reconnaître et condamner ce génocide en application de ladite Convention;
    7. souhaite que dans le cadre d'une conférence de la paix au Moyen-Orient, le problème kurde soit abordé avec la participation de tous les états concernés et des représentants kurdes, afin de reconnaître le droit à l'existence et à l'autonomie des Kurdes dans tous les Etats où ils se trouvent;
    8. accueille favorablement la résolution 688 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la situation des Kurdes en Irak et espère que le Conseil de sécurité va prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir la sécurité de la population kurde et de permettre aux réfugiés kurdes de retourner dans leurs foyers, avec la garantie qu'aucune persécution ne sera menée à leur égard;
    9. insiste pour qu'aucun réfugié fuyant le régime irakien ne soit contraint de réintégrer l'Irak contre sa volonté et demande aux états membres de la Communauté de faciliter l'accueil des demandeurs d'asile kurdes;
    10. estime que la mise en oeuvre de la résolution 688 exigera la présence d'une force adéquate des Nations Unies, chargée du maintien de la paix;
    11. invite le bureau élargi à examiner l'opportunité de l'envoie d'une délégation parlementaire représentative dans la région;
    12. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, aux Nations Unies ainsi qu'aux gouvernements de Turquie, d'Iran, de Syrie et d'Irak.

LA DECLARATION DE STOCKHOLM SUR LES KURDES

    La Conférence internationale "Reconnaissance des Droits Kurdes" s'est déroulée du 15 u 17 mars 1991 à Stockholm.
    Parmi les 240 participants provenant de 20 pays figuraient les représentants des partis politiques kurdes et des institutions culturelles, ainsi que des personnalités kurdes en exil. Des comité de solidarité de plusieurs pays participèrent également à la conférence. Etaient également présents des représentants, des parlementaires et autres de divers partis politiques européens. Participaient aussi, des officiels des organisations politiques et humanitaires internationales, certains d'entre eux, à titre d'observateurs. Les médias, quant à elles, étaient invitées.
    La conférence reçut et analysa des rapports concernant la situation des droits de l'homme dans les régions kurdes de l'Iran, de l'Irak, de la Syrie, de la Turquie et de l'Union Soviétique. Elle débattit des remèdes à adopter face à l'actuelle situation dans le Moyen-Orient. Elle adopta la Déclaration de Stockholm sur les Droits de l'Homme du Peuple Kurde que nous reproduisons ci-après:
    "La communauté mondiale ne devrait tolérer plus longtemps l'oppression dont sont victimes plus de 20 millions de Kurdes. Elle constitue une menace pour la paix et la stabilité du Moyen-Orient et une violation des droits de l'homme internationalement reconnus.
    "Dans le Kurdistan, les droits de l'homme sont violés depuis bon nombre d'années et continuent de l'être systématiquement et à grande échelle: arrestations arbitraires, tortures, dures peines infligées après des parodies de procès ou même sans procès, 'disparitions', exécutions extra-judiciaires, guerre chimique, déportations et destruction de l'habitat, du bétail et des moyens de subsistance, privation du droit à la langue, à la littérature, à la musique et à l'enseignement de leur propre histoire, conditions cruelles et inhumaines dans les camps de réfugiés.
    "Le peuple kurde n'a jamais joui de la démocratie, et encore moins du moindre droit à l'autodétermination. L'Irak —un des pays à lui garantir une certaine autonomie théorique— transgressa son propre accord en les opprimant et en leur imposant des pantins en guise d'administrateurs.
    "L'Iran, l'Irak, la Syrie, la Turquie et l'URSS ont tous, à divers moments, délibérément tenté de dissoudre l'identité nationale kurde en essayant de modifier l'équilibre démographique des régions kurdes.
    "Aussi longtemps que persisteront ces injustices, il n'y aura pas de véritable paix au Moyen-Orient.
    "La Conférence:
    "demande que les gouvernements de l'Iran, de l'Irak, de la Syrie, de la Turquie et de l'Union Soviétique respectent la déclaration Universelle et les traités sur les Droits de l'Homme et les appliquent dans leur totalité, aussi bien dans le Kurdistan que dans d'autres régions à population kurde;
    "demande, en particulier, que ces cinq gouvernements:
    "- cessent immédiatement toute déportation des Kurdes et mettent fin à la destruction de leur habitat, de leur bétail et de leurs moyens de subsistance;
    "- relâchent tout de suite tous les prisonniers de conscience kurdes et mettent fin aux tortures et aux exécutions;
    "- permettent le retour des réfugiés politiques en exil et leur reconnaissent tous leurs droits légitimes en tant que citoyens;
    "- démantèlent les structures qui, au sein de la police, les forces de sécurité et militaires, furent utilisés pour maltraiter le peuple kurde;
    "- réforment leurs systèmes législatifs et judiciaires pour les conformer aux normes internationales des droits de l'homme;
    "- dédommagent les victimes des violations des droits de l'homme perpétrées dans le passé;
    "- respectent les droits de la langue et la culture kurde, y compris le droit de publier et émettre en kurde et le droit pour les enfants et les jeunes kurdes de recevoir une éducation dans leur propre langue;
    "- donnent un traitement humain aux réfugiés, en accord avec la loi internationale sur les droits de l'homme et des réfugiés;
    "- cessent d'empêcher —et commencent à faciliter— les contacts entre Kurdes à travers les frontières internationales;
    "- demande que ces mêmes gouvernements reconnaissent t le droit à l'autodétermination du peuple kurde et encouragent des discussions dans ce sens, de manière à établir des relations pacifiques et mutuellement bénéfiques entre les Kurdes et les communautés avoisinantes;
    "- appelle à tous les gouvernements pour qu'ils, au sein de la Commission des Nations-Unies pour les Droits de l'Homme, relèvent les graves violations dont ont souffert, et souffrent encore, les Kurdes dans tous les pays où ils résident;
    "- appelle à tous les gouvernements pour qu'ils travaillent sans relâche pour appliquer les normes internationales qui interdisent l'usage d'armes chimiques;
    "- appelle à tous les gouvernement pour qu'ils soulèvent le problème kurde et revendiquent le droit des personnes kurdes ainsi que le droit à l'auto-détermination du peuple kurde et ce dans le cadre des initiatives de paix destinées à pallier les retombées de la Guerre du Golfe dans le Moyen-Orient;
    "- demande au Secrétaire Général des Nations-Unies qu'il inclue la question kurde s'il organise une conférence internationale pour la paix au Moyen-Orient;
    "- demande au Secrétaire Général qu'il examine et recommande un moyen de représenter les Kurdes et d'autres communautés sans état au sein des Nations-Unies;
    "- demande à tous les gouvernements de donner un traitement humain aux réfugiés kurdes et de leur accorder les mêmes droits d'asile qu'aux autres groupes de réfugiés —prenant ainsi en compte la gravité des persécutions dont sont victimes les Kurdes dans leurs pays d'origine;
    "- demande au Haut Commissaire des Nations-Unies pour les Réfugiés qu'il donne toute priorité à la protection et à l'aide des réfugiés kurdes dans le Moyen-Orient, particulièrement en Turquie, en Irak et en Iran, et demande à tous les gouvernements qu'à cet égard, ils soutiennent le HCNUR.

    Actions concrètes

    "Au cours de la conférence, il fut débattu du moyen de soutenir la lutte des Kurdes pour les droits de leur peuple, y compris le droit à l'autodétermination.
    "La déclaration suivante était adressée à tous les amis et adeptes des Kurdes dans leur lutte. La communauté mondiale a, pendant trop longtemps, ignoré le problème kurde et l'oppression dont ce peuple était victime. A présent, cette négligence devrait être réparée.

    Principes

    "1. Les gens du monde entier doivent être informés du problème kurde, de son contexte et de sa situation actuelle ainsi que des questions qu'il soulève sur le respect des droits de l'homme.
    "2. Il faut présenter un plaidoyer énergique et en pleine connaissance de cause pour les droits des Kurdes, aussi bien au niveau national qu'international. En retour, ceci exige un récollection systématique d'informations dignes de foi sur la situation des droits de l'homme dans les régions kurdes.
    "3. Les populations kurdes, dans leur situation actuelle, ont besoin d'une assistance et d'un soutien financier concrets.
    "4. Toutes les actions de solidarité envers les Kurdes devraient être coordonnées avec les organisations kurdes. Il faudrait essayer d'aider les Kurdes à établir et a affirmer leurs propres droits.
    "5. Pour une meilleure efficacité, le soutien devrait, dans la mesure du possible, s'inscrire dans le cadre des normes des droits de l'homme internationelement reconnues.
    "6. Les normes internationales sur les droits économiques, sociaux et culturels, sans oublier les droits des enfants et des femmes, sont également primordiales.
    "7. En raison des procédures établies dans plusieurs organes internationaux, il pourrait s'avérer impossible de relever les violations contre les Kurdes dans tout le Kurdistan au même moment; une approche sur base du pays sera donc parfois nécessaire. Cependant, même avec cet handicap, il est urgent de profiter de la moindre possibilité pour relever et condamner les violations.
    "8. Les gouvernement du monde entier constituent un élément important dans la lutte pour les droits de l'homme des Kurdes. Ils peuvent influencer les organes intergouvernementaux. Parmi les autres groupes fondamentaux de cette lutte, figurent les parlementaires, les structures parlementaires, ainsi que les organisations non-gouvernementales et les médias.

    Coordination

    "1. Les comités et les groupes de divers pays qui travaillent pour la défense des droits de l'homme du peuple kurde, devraient s'efforcer d'échanger leurs informations et de coordonner leurs actions. Les conférences devaient être planifiées dans la continuité des conférences précédentes. L'assistance humanitaire devrait également être coordonnée.
    "2. Pour ce faire, un réseau de groupes de soutien devrait être mis en place. Ce réseau devrait, bien sûr, coordonner le travail accompli avec les principales organisations et institutions kurdes.
    "3. Le réseau devrait s'employer à appliquer la Déclaration de Stockholm. Il devrait tenir ses membres informés des initiatives de portée internationale. ses membres devraient diffuser des informations sur la situation des droits de l'homme dans le Kurdistan et encourager des recherches approfondies dans divers aspects de la société kurde."
   


LES CHRETIENS

Le colloque de Bruxelles attire l'attention sur la situation alarmante des minorités chrétiennes du Sud-Est de la Turquie

    Quel que soit le progrès sur le plan politique en Turquie, la situation des minorité chrétiennes du Sud-Est de ce pays reste toujours très alarmante.
    Les 16 et 17 mars 1991, un colloque international sur la situation de ces minorités s'est tenu à Bruxelles. Au cours de cette réunion, les représentants de différentes composantes de cette minorité ont préparé un rapport destiné aux instances européennes concernées.
    Nous reproduisons le texte intégral du communiqué final de ce colloque:
                    ***
    Parmi tous les peuples sans terre qui ont dû faire de la diaspora leur séjour mouvant, l'histoire risque d'oublier ces chrétiens du Sud-Est de la Turquie qui se disputent les appellations, toutes aussi vénérables, d'Araméens, de Chaldéens, d'Assyriens, de Syriaques.
    Ils appartiennent à diverses églises chrétiennes de langue araméenne ou syriaque, à de riches traditions séculaires, mais depuis l'occupation de leurs terres par d'autres peuples, ne sont plus reconnus dans les lieux natifs de leur foi et de leurs appartenances culturelles. C'est là leur drame et la raison profonde de leur exode.
    Les nations occidentales, soucieuses de démanteler l'empire ottoman, ont concouru à l'extermination de ces peuples en traçant des frontières arbitraires au travers des régions où ils vivaient depuis des milliers d'années. C'est ainsi que le Bohtan, le Hakkari et le Tur Abdin se virent enclavés dans la Turquie dite laïque de Mustapha Kemal Atatürk. Cela devait donner à l'histoire récente des "minorités chrétiennes du Sud-Est de la Turquie" une colorations particulière. C'est elle qui a fait l'objet du colloque qui s'est déroulé à Bruxelles ces 16 et 17 mars dans les locaux du Comité des Eglises pour les Migrants en Europe. Les travaux ont rassemblé pendant deux jours plus d'une vingtaine d'experts venus d'Allemagne, de Belgique, de France, des Pays-Bas et de Suède.
    Jusqu'au 19ème siècle, la conscience ethnique de ces minorités a été plus ou moins voilée bien que l'identité ethnique et territoriale se soit maintenue à travers l'histoire, malgré les divisions confessionnelles. Au cours du 19ème siècle, leur vie a repris le rythme, déjà connu, des massacres et génocides. Ceux-ci ont culminé dans le génocide de 1915 qui, proportionnellement, a frappé ces minorités aussi fortement que les Arméniens. Ils se sont poursuivis jusqu'en 1923, relayés jusqu'à nos jours par des multiples exactions. La responsabilité de ces forfaits incombe, suivant le cas, soit directement, soit indirectement, aux autorités ottomanes et turques, avec la complicités active de certains éléments kurdes.
    En ce qui concerne la protection juridique par les autorités nationales et internationales, la protection des minorités non musulmanes a été prévue par les articles 37 à 44 du Traité de paix avec la Turquie signé à Lausanne le 24 juillet 1923.
    Il a été démontré que la Turquie n'a pas respecté les dispositions du Traité et que ni les puissances signataires (notamment la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni) ni d'autres Etats membres de la Société des Nations n'ont pris de mesures efficaces pour faire respecter ces dispositions.
    La Turquie a ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 mais sa non application par la Turquie est régulièrement dénoncé"e par des institutions officielles (Conseil de l'Europe, Parlement Européen, Chambre des Représentants du Parlement belge) et des associations de défenses des droits de l'homme (notamment Amnistie International).
    Bien que la Turquie ait accepté le droit de recours individuel auprès de la Commission européenne des droits de l'homme, à Strasbourg, les conditions d'oppressions sociale, politique et militaire dans lesquelles vivent les minorités en Turquie ne permettent pas à ces populations d'user de ce droit en fait.
    La Turquie a signé la Charte de Paris pour une nouvelle Europe du 21 novembre 1990 et les déclarations précédentes de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) mais il est difficile d'escompter un effet pratique de déclarations sans caractère obligatoire alors que la Turquie ne respecte pas de véritable obligations conventionnelles.
    En dépit du bilan négatif de la République turque en matière d'obligations internationales, le Colloque souhaite que les travaux du Conseil de l'Europe devant mener à une Convention de protection des droits des minorités aboutissent dans les meilleurs délais.
    A l'extérieur de la Turquie, les réfugiés chrétiens de Turquie sont protégés depuis quelque 70 ans par les traités conclus dans le cadre de la Société des Nations et notamment par les Arrangements des 31 mai 1924 et 30 juin 1928 et, plus récemment, dans le cadre des Nations Unies, par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
    De façon générale, les Etats reconnaissent formellement la qualité de réfugié des chrétiens de Turquie. Toutefois, il faut déplorer que dans certains pays, le manque d'information des fonctionnaires chargés de reconnaître la qualité de réfugié aboutisse parfois à de regrettables erreurs, voire au déni de justice.
    Il convient aussi de déplorer que dans certains pays, notamment en Belgique, l'administration refuse de reconnaître sur les documents d'identité qu'elle délivre, l'origine ethnique de ces réfugiés en leur reconnaissant uniquement la nationalité juridique attribuée par l'Etat occupant, alors que sous la Société des Nations l'origine ethnique assyro-chaldéenne figurait sur leur carte de réfugié.
    Pendant ce temps l'histoire poursuit son cours impitoyable. Au cours de l'année 1990, dix personnes ont été assassinées dans le Sud-Est, dans les villages de Aksu, Yemisli, Bülbül et à Midyat et plusieurs autres blessées ou victimes de diverses exactions. Parallèlement, l'accueil en Europe se fait de plus en plus précaire. Les différents Etats adoptent des politiques chaque fois plus restrictives, refusant l'octroi de visas et jetant les candidats à l'exil en pâture aux passeurs clandestins. Dans le même temps, ceux qui ont trouvé une terre d'accueil en Europe depuis cinq, dix ou vingt ans, se sont fixés définitivement, sans espoir de retour. Ils s'organisent pour assurer la survie de leur langue, de leur patrimoine religieux et culturel en Europe. Ils ne trouvent pas dans tous les Etats l'appui dont ils auraient besoin. Qu'en sera-t-il demain de ce patrimoine multiséculaire de l'humanité?
    L'Europe sera-t-elle à la hauteur de ses responsabilités face à l'Histoire, tant dans sa politique intérieure qu'extérieure? Des communautés profondément blessées pourront-elles, sur leurs terres, renouer avec la richesse de leur tradition de dialogue avec les autres composantes de la populations, par le refus de la méfiance systématique et des anathèmes réciproques? Les communautés de la diaspora pourront-elles relever les défis qui se présentes à elles?
    A l'Europe qui se construit toujours et qui se voit aujourd'hui saisie de la demande d'admission d'un nouveau partenaire, nous n'"avons pas voulu faire une leçon d'histoire. Il nous importe bien davantage de dégager les valeurs morales, sociales et culturelles de ces peuples et de ces églises qui peuvent apporter un "plus" aux différents pays de la Communauté où ils ont "planté leur tente". Nous avons voulu interpeller les responsables européens sur la présence spécifique de ces réfugiés chrétiens orientaux qui ont opté pour la vie en diaspora au sien des nations européennes et qui nous rappellent la voix de ceux qui sont restés sur les terres ancestrales. Il importe que non seulement les dirigeants, mais aussi les populations des pays d'accueil sachent reconnaître dans la masse anonyme des réfugiés et migrants de toute origine. Il faudrait que, les ayant reconnus, ces pays accueillent le patrimoine intellectuel et spirituel, ainsi que la merveilleuse vitalité de ces familles que nous avons tant d'intérêt à intégrer dans nos devenirs nationaux et dans l'édification d'une Europe multiculturelle.

Précisions sur l'oppression

    - Peuple oublié de l'histoire, disséminé dans de nombreux pays du Moyen-Orient, les Assyro-chaldéo-syriaques n'ont jamais été à l'abri des persécutions et des atteintes à leurs droits fondamentaux depuis la chute de Ninive, de Babylone et des Royaume Araméens de Mésopotamie;
    - Victimes d'un génocide et d'un ethnocide en 1915-1918 sous l'Empire Ottoman où la moitié de la population périt, les Assyro-chaldéo-syriaques de Turquie voient aujourd'hui leur existence-même en péril;
    - A présent comme jadis, la pression assimilatrice pèse sur les Assyro-chaldéo-syriaques, sur l'ensemble des minorités et se fait sans cesse plus forte;
    - La politique de turquisation touche tous les aspects de la vie, de l'identité ethnique aux noms patronymiques;
    - Sur le plan religieux, les libertés sont sans cesse comprimées et l'instruction religieuse musulmane —en dépit de la laïcité e l'Etat— est obligatoire pour les chrétiens. Dans les monastères, les activités sont réduites et soumises au contrôle préalable des autorités. De fait, on n'a pas le droit de construire de nouvelles églises;
    - Au niveau linguistique, la situation est encore plus mauvaise. A cet égard, les autorités font preuve d'une négation totale de toute langue, à l'exclusion, bien entendu, du turc;
    - Sur le plan scolaire, les Assyro-chaldéo-syriaques se trouvent totalement démunis: pas d'écoles, même pas élémentaires, ni d'institutions sociales. Il leur est interdit d'ouvrir des établissements scolaires;
    - On assiste à une politique de turquisation des noms patronymiques et toponymiques. Tous les lieux d'habitat Assyro-chaldéo-syriaques sont touchés par cette politique ethnocidaire et écocidaire. Des œuvres culturelles et architecturales, il ne subsiste que ruines, dévastations, lieux de cultes abandonnés et dépeuplés et monuments en péril. L'aliénation qui conduit à la dépossession de soi touche les prénoms et les noms des personnes;
    - Depuis 1975, l'émigration des Assyro-chaldéo-syriaques s'est considérablement développée en direction de l'Europe occidentale. Plus de 100.000 personnes sont venues trouver refuge en France, en Belgique, en Allemagne, en Hollande, en Suède, en Suisse, en Autriche et dans les pays scandinaves;
    - Aujourd'hui estimés à 30.000 en Turquie contre un demi-million au début du siècle, leur nombre ne cesse de décroître au fil des années.

Revendications en application des conventions

    - La reconnaissance de l'Ethnie Assyro-chaldéo-syriaques selon l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui reconnaît l'existence des minorités nationales;
    - La restauration des monuments architecturaux et des lieux de culte des différentes confessions religieuses de la communauté Assyro-chaldéo-syriaques, ainsi que l'autorisation de construire des églises;
    - La reconnaissance de la langue araméenne (ou syriaque), conformément aux instruments diplomatiques internationaux signés et ratifiés par la Turquie;
    - Le droit de création d'établissements scolaires à tous les niveaux de l'enseignement;
    - Le droit d'ouvrir des institutions sociales (centres sociaux, dispensaires, etc) et des associations socio-culturelles;
    - La cessations de la politique de turquisation des noms des lieux et des noms des personnes Assyro-chaldéo-syriaques;
    - L'arrêt de la politique d'exactions de toutes sortes, dont sont victimes les Assyro-chaldéo-syriaques, qui les conduit à s'exiler.