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A non-government information service on Turkey
Un service d'information non-gouvernemental sur la Turquie


185

16e année - N°185
Mars 1992
38 rue des Eburons - 1000 Bruxelles
Tél: (32-2) 215 35 76 - Fax: (32-2) 215 58 60
 Rédacteur en chef: Dogan Özgüden - Editrice responsable: Inci Tugsavul
 

Le syndrome du printemps

    Après que le président Özal ait laissé entendre, le 31 janvier dernier, que des préparatifs militaires étaient en cours en vue d'une importante offensive contre des objectifs nationalistes kurdes dans le Sud-est, la Turquie est en train de vivre ce qu'on pourrait qualifier de Syndrome du Printemps. Comme prélude à cette offensive, des unités de l'Armée Turque ont déjà intensifié leurs raids contre les villages kurdes causant la mort de nombreuses personnes. Pendant ce temps, les assassinats politiques, les tortures et les censures n'ont toujours pas cessé malgré la promesse d'une rapide démocratisation faite par le gouvernement.
    Par ailleurs, le 27 février, le gouvernement a décidé de prolonger de quatre mois l'état d'urgence dans le Sud-est.
    Lorsqu'il était dans l'opposition, le SHP s'était opposé à ce régime d'exception dans le Kurdistan turc, et après les élections législatives, il avait accédé au gouvernement avec la promesse de le supprimer. La position actuelle du SHP sur ce point fondamental a donné lieu à de sévères critiques au sein des cercles défendant les droits de l'homme.
    C'est dans ce climat qu'un groupe de parlementaires d'origine kurde publia en termes très durs un mémorandum exigeant un cessez-le-feu dans la région du sud-est de la Turquie et demandant une amnistie générale ainsi que la suppression des sévères mesures militaires imposées dans les régions agitées.
    La déclaration fut signée par un total de 49 députés provenant du Parti de la Juste Voie (DYP) et du Parti Populiste Social Démocrate (DYP), partis au pouvoir, ainsi que du Parti de la Mère-Patrie (ANAP) et du Parti du Bien-être (RP).
    "Aujourd'hui, en Turquie, tout le monde, et les Kurdes en premier, est en train de vivre le Syndrome du Printemps", affirmait la déclaration dans une allusion voilée à la massive opération que la Turquie compte mener le mois prochain contre des objectifs kurdes.  "Les gens sont terrorisés et on parle d'un anéantissement massif," affirmait la déclaration.
    Elle ajoutait que la faim, la misère et le chômage ont atteint des niveaux record dans la région frappée par les troubles, mais les gens songent davantage à se protéger qu'à se nourrir.
    La déclaration prétendait que le bain de sang dans le sud-est de la Turquie "avait augmenté la tension partout dans le pays" et soulignait que cette situation avait "donné naissance à une hostilité entre les peuples kurde et turc qui serait difficile à surmonter par la suite.  On ne devrait pas laisser s'accentuer cette hostilité.
    "Le problème kurde est actuellement le plus grave problème de la Turquie et il n'est pas possible de le résoudre par  la force et l'oppression.  Cette méthode, qui a été utilisée pendant des années, ne résoudra rien.  Elle n'apportera que davantage de sang et de larmes.  Aujourd'hui, le plus important est de remettre l'épée au fourreau et de cesser le feu."
    La déclaration demande au gouvernement de prendre les mesures suivantes :
    "Annoncer une amnistie générale; lever l'état d'urgence; abolir le système des gardiens de villages; abolir toutes les lois antidémocratiques, et le décret Anti-Terreur en premier; faire cesser l'activité des meurtriers non-identifiés coupables de chasse à l'homme et de torture et arrêter les coupables; concéder le droit d'organisation à toutes les opinions politiques."

le shp critiqué par les députés kurdes

    Le SHP, l'aile de gauche de la coalition gouvernementale, a dû faire face aux dures critiques formulées par les parlementaires d'origine kurde le 25 février dernier à propos de la politique que mène le gouvernement dans le Sud-est.
    Au cours d'un meeting du groupe parlementaire SHP, l'ancien président du Parti Travailliste du Peuple (HEP), Fehmi Isiklar, demanda des mesures plus énergiques dans la lutte pour la démocratie.
    Isiklar, qui déclara que les gens du Sud-est étaient atteints du Syndrome du Printemps, -- craignant une grande guerre entre les troupes turques et les guérillas kurdes pour le mois prochain -- demanda un cessez-le-feu afin d'éviter un autre bain de sang dans la région.
    Isiklar souligna que l'hostilité entre les Kurdes et les Turcs s'intensifiait dans le pays et que les populations locales craignaient un anéantissement massif pour le printemps.
    Le député de Diyarbakir du SHP, Sedat Yurttas, dénonçant les bombardements de la Montagne Cudi, indiqua que malgré les promesses faites par la coalition lors de son arrivée au pouvoir à Ankara, les gens du Sud-est étaient toujours victimes de mauvais traitements.  Lors d'une réunion il attira l'attention des membres sur les six personnes qui furent tuées au village de Yardere, à Mardin.
    Alors qu'il précisait que près de 500 personnes avaient été tuées lors des bombardements turcs, Yurttas demanda, "est-ce que dans le futur ces bombardements auront comme cible les villages et les villes ?  Doivent les gens se préparer à ça ?

dicle et zana démissionnent du shp

    Deux célèbres députés kurdes, Hatip Dicle et Leyla Zana, avaient déjà remis leur démission au SHP le 16 janvier dernier en raison de la réaction provoquée par leur franche attitude devant le problème kurde en Turquie.
    Dans une déclaration écrite ils soulignaient "le peu d'intérêt qu'il y a pour les peuples kurde et turc à masquer la réalité."
    Au cours de la cérémonie où les 450 Membres du Parlement turc ont prêté serment, Dicle fut savoir qu'il lisait le serment "sous la contrainte".  Après avoir prêté serment, Zana avait crié en kurde : "Vive la fraternité entre les peuples kurde et turc".  Sur ce, le président du SHP, Inönü, avait demandé aux deux députés de présenter leur démission.

le soutien des eu à la campagne anti-pkk

    Lors de sa première visite aux Etats-Unis, le 11 février, le Premier Ministre Demirel confia au président Bush que la Turquie était déterminée à liquider "l'organisation terroriste" [allusion au PKK].  Dans son discours Bush confirma son soutien à l'intégrité territoriale de la Turquie, surtout contre le terrorisme, mais ne s'étendit pas davantage.  Cependant, un représentant du Département d'Etat déclara : "Nous ne soutenons pas un Etat kurde indépendant, et nous croyons très fort à l'intégrité territoriale de la Turquie.  Le PKK est responsable de ce que nous considérons être des activités terroristes. Nous estimons qu'il s'agit d'une organisation terroriste."

avalanches dans la zone kurde

    En février, une série d'avalanches a coûté la vie à des centaines de personnes dans le Kurdistan Turc.
    Le 2 février, une première vague d'avalanches toucha les villages kurdes de Sirnak, Siirt et Hakkari.  Un total de 140 corps furent arrachés à la neige après le désastre.  La moitié des victimes étaient des gendarmes mobilisés dans la zone pour traquer les guérillas kurdes.
    Une autre vague d'avalanches tua plus de 50 personnes dans la même région.  31 personnes sont mortes lorsque l'avalanche se déclencha près de la ville de Beytusebap, à Sirnak.  Plus de 14 personnes ont également perdu la vie dans cinq villages près des villes de Kozluk et Sason, à Batman.
    Un hiver rude frappait déjà la zone depuis trois mois.  Plus de 2.000 villages étaient déjà isolés.
    Selon le PKK, les avalanches auraient été provoquées par les vols à basse altitude des avions turcs à la recherche des guérillas kurdes qui se cachent dans les montagnes.
    Le 25 février, lors de la réunion du groupe parlementaire du SHP, le député de Diyarbakir, Sedat Yurttas, émit de sévères critiques à l'égard des bombardements des camps du PKK dans la Montagne Cudi, située à la frontière turco-irakienne, argumentant qu'il soupçonnait ces bombardements d'être la cause des récentes avalanches.

la police s'attaque aux journalistes

    Le 7 février à Adana, des policiers se sont attaqués à des journalistes qui assistaient aux funérailles du policier Özer Özkaya, mort lors d'une embuscade en ville.  Après que le chef de la police d'Adana, Mete Altan, ait prononcé un discours de condoléances, les policiers ont agressé les journalistes tandis qu'ils criaient : "Des chiens au service des droits de l'homme." Ils cassèrent les caméras et matraquèrent les journalistes.  Les reporters blessés pendant l'incident furent emmenés vers plusieurs hôpitaux de la ville.  Parmi les journalistes blessés se trouvaient Mehmet Aslan, photographe de l'agence officielle Anadolu et Arap Filiz du quotidien Cumhuriyet.
    Par la suite, les policiers montèrent sur l'autoroute E-5 et se dirigèrent vers la zone où se trouve le bâtiment de l'Association des droits de l'homme. Ils bloquèrent la circulation pendant près d'une heure et scandèrent des slogans exigeant la démission du Premier Ministre.
    Arrivés à l'endroit où se trouve le bureau de la branche provinciale d'Adana du SHP, ils crièrent: "A bas les communistes."

terrorisme d'etat en février

    Le 2.2, à Istanbul, la police arrêtait trois personnes au cours d'une manifestation organisée par un certain nombre d'associations et des syndicats en faveur de l'abolition de la torture et de la peine de mort.
    Le 3.2, un groupe de travailleurs qui se dirigeait vers Ankara  pour protester contre la détérioration des conditions de vie fut arrêté de force par la police à l'entrée de la ville et renvoyé à Izmir.  Pendant l'intervention, de nombreux manifestants fûrent battus et deux d'entre eux furent sérieusement blessés.
    Le 3.2, la Cour de la Sûreté de l'Etat de Malatya arrêtait dix personnes pour avoir aidé des militants du PKK.
    Le 3.2, plus de 20 personnes auraient été arrêtées au cours d'opérations policières menées dans la province d'Urfa à la fin du mois de janvier.
    Le 3.2, quelque 100 travailleurs qui menaient une grève sur le tas depuis 20 jours dans une compagnie de transport d'Istanbul furent dispersés de force par la police.  Plusieurs travailleurs furent battus et dix personnes furent arrêtées
    Le 4.2, s'ouvrait à la CSE d'Istanbul le procès contre Esber Yagmurdereli, Ragip Duran et Attila Aycin pour les discours qu'ils ont prononcés le 8 septembre 1992, au cours d'un meeting organisé à Istanbul par l'Association des Droits de l'Homme. Chacun d'eux risque une peine de prison de cinq ans en vertu de l'Article 8 de la Loi Anti-Terreur.
    Le 5.2, le quotidien Zaman rapportait qu'un sergent de la Base Aérienne Militaire de Kayseri, Mehmet Ucucu, avait été arrêté le 29 janvier pour propagande islamiste au sein de l'armée.
    Le 5.2, dix-huit personnes furent arrêtées à Erzurum pour avoir donné refuge aux militants du PKK.
    Le 6.2, la police arrêta 15 personnes à Bursa pour avoir pris part à des activités pour le compte du Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie (TDKP).  Dix d'entre elles furent ensuite placées en détention par un tribunal.
    Le 7.2, fut clôturé à la CSE d'Ankara le procès de quinze membres supposés de la Gauche Révolutionnaire (Dev-Sol) et neuf défendeurs furent condamnés à des peines de prison allant jusqu'à 36 ans et 6 mois.
    Le 8.2, vingt personnes furent arrêtées au cours d'une série d'opérations policières dans la province de Van.
    Le 8.2, à Gaziantep, la police arrêta 17 personnes pour avoir aidé le PKK, parmi elles se trouvaient deux mineurs : Mehmet Polat de 15 ans et Saadet Duran de 16 ans.
    Le 8.2, à Urfa, la police arrêta le président provincial du HEP, Eyüp Karageci.
    Le 10.2, à Bodrum, cinq travailleurs de la construction furent arrêtés pour avoir aidé le PKK.  Le même jour, à Mardin, 17 personnes furent arrêtées pour la même raison.
    Le 13.2, s'ouvrait à la CSE de Malatya un procès contre neuf personnes pour avoir soutenu les activités du PKK.
    Le 15.2, à Ankara, la police est intervenue dans une manifestation suivie par environ 5.000 fonctionnaires publics qui revendiquaient des droits syndicaux.  Pendant l'escarmouche, la police blessa huit personnes et en arrêta quatre.  Quelques jours plus tard, la CSE d'Ankara introduisit une action en justice contre six membres du comité qui avait organisé la manifestation.
    Le 15.2, on rapportait que le bureau de l'Association de Solidarité envers la Population d'Elazig à Elazig avait été perquisitionné et fermé par la police à deux reprises au cours du dernier mois.
    Le 16.2, les forces de sécurité arrêtèrent 11 personnes à Silvan et quatre à Hasankeyf au cours des opérations anti-PKK.
    Le 16.2, la CSE de Diyarbakir condamna Salih Dönmez à 10 mois de prison pour avoir méprisé le drapeau turc au cours d'une cérémonie de mariage célébrée dans le district de Halfeti.  Deux autres personnes qui avaient pris part à la même cérémonie furent condamnées par le même tribunal à deux ans de prison et à payer une amende de 50 millions de LT pour avoir scandé des "slogans séparatistes".
    Le 16.2, à Istanbul, le bureau  de l'Association pour l'Etude et le Développement de la Culture Populaire fut perquisitionné par la police.  Pendant la perquisition, tous les documents furent confisqués et dix personnes furent arrêtées.
    Le 17.2, à Ankara, dix-huit personnes furent arrêtées au cours d'une série d'opérations policières pour avoir aidé le PKK.
Ils devraient être jugés par la Cour de la Sûreté de l'Etat.
    Le 19.2, à Istanbul, les tentes d'un groupe de travailleurs qui menaient une action contre une compagnie de transport furent détruites par la police.  De nombreux travailleurs furent brutalement battus et arrêtés par la police lorsqu'ils tentèrent de s'opposer à cette opération.  Parmi eux se trouvait le président du Syndicat des Travailleurs du Transport, Sabri Topcu, le Secrétaire Général, Yurdal Senol et trois conseillers juridiques du syndicat.  Le même jour, 30 travailleurs de la même compagnie à Adana furent également arrêtés pour avoir pris part à des actions de protestation.
    Le 20.2, la Cour de la Sûreté de l'Etat ouvrit le procès contre le Président du Parti Socialiste (SP), Dogu Perincek, en raison des discours qu'il prononça avant les élections d'octobre 1991.  Accusé de propagande séparatiste, Perincek risque une peine de prison de cinq ans en vertu de l'Article 8 de la Loi Anti-Terreur.
    Le 20.2, à Izmir, 14 personnes furent arrêtées pour avoir aidé le PKK.
    Le 20.2, le président local du HEP, Davut Yalcin, et douze autres personnes furent arrêtées à Kiziltepe.
    Le 21.2, à Istanbul, 44 personnes islamistes furent mises en accusation pour avoir pris part à une manifestation contre le coup d'Etat militaire en Algérie.  Chacun d'eux risque une peine de prison de trois ans pour rassemblement non autorisé.
    Le 21.2, on rapportait l'arrestation de 48 personnes au cours du dernier mois.  Ces arrestations eurent lieu au cours d'opérations anti-PKK menées dans les provinces de Mardin, Siirt et Tunceli.
    Le 22.2, quatre personnes furent arrêtées à Izmir pour avoir participé aux actes d'une organisation illégale.
    Le 24.2, à Istanbul, quinze travailleurs furent battus et arrêtés par la police au cours d'une manifestation.
    Le 24.2, la police arrêta 11 personnes à Gaziantep et cinq étudiants à Izmir pour avoir soutenu le PKK.
    Le 25.2, à Izmir, la CSE ouvrait un procès contre 25 personnes pour avoir pris part aux actions du PKK.  Un des défendeurs risque la peine capitale et les autres risquent des peines de prison allant jusqu'à quinze ans.
    Le 25.2, à Kayseri, quinze prisonniers politiques se sont évadés de la prison de haute sécurité par un tunnel de 190 mètres de long qu'ils avaient réussi à creuser.  Ils avaient été arrêtés en raison de leur appartenance à l'Armée de Libération des Travailleurs-Paysans de Turquie (TIKKO).
    Le 26.2, à Ankara, l'avocat de la défense de Murat Demir ne fut pas autorisé à s'entretenir avec son client se trouvant dans le prison d'Ankara car il avait été détenu dans la même prison en tant que prisonnier politique.
    Le 27.2, à Istanbul, quatre membres supposés du Parti Communiste Travailliste de Turquie (TKEP) furent arrêtés et renvoyés devant la Cour de la Sûreté de l'Etat.
    Le 27.2, les forces de sécurité arrêtèrent 14 personnes à Urfa et 23 à Mus pour avoir donné refuge à des militants du PKK.
    Le 27.2, à Izmir, les tentes des travailleurs du transport qui participaient à une action de protestation furent détruites par la police.  Comme les travailleurs faisaient face à l'intervention, la police en blessa deux et arrêta six autres.

rétablissement de la citoyenneté turque

    Le 3 février, le Ministère de l'Intérieur annonçait la préparation d'un projet de loi en vue de supprimer l'Article 25/G de la Loi sur la Citoyenneté adopté par la junte militaire en 1981.
    Une fois que la loi prendra effet, 209 personnes privées de la citoyenneté turque pour avoir pris part à des actions prétendument nuisibles pour la sécurité nationale, pourront récupérer leur nationalité.  Ces personnes ne furent pas seulement privés de leur citoyenneté, la Trésorerie confisqua toutes leurs propriétés et leurs avoirs financiers.
    Parmi eux se trouvent deux rédacteurs d'Info-Türk, Dogan Özgüden et Inci Tugsavul, qui ont introduit un appel auprès de la Commission Européenne des Droits de l'Homme pour que soit annulé le décret de la junte militaire.
    Avant que la nouvelle législation ne soit approuvée, certaines personnes qui avaient été privées de leur citoyenneté sont retournées en Turquie en possession d'un passeport délivré par les pays européens qui leur ont concédé la naturalisation. Deux célèbres musiciens, le compositeur Sanar Yurdatapan et la chanteuse Melike Demirag, ont visité leur patrie après dix ans d'exil, non en tant que citoyens turcs mais en tant que citoyens allemands.
    Cependant, ils sont rentrés en Allemagne avec une grande déception.  Avant de quitter la Turquie, Sanar Yurdatapan fit couper ses cheveux le 7 février pour protester contre les violations des droits de l'homme perpétrées dans sa patrie.
    Yurdatapan expliqua son acte de la manière suivante :
    "Comme vous savez très bien, les élections du 20 octobre 1991 on conduit à la formation d'une coalition gouvernementale qui promit de nombreuses réformes visant à assurer la démocratisation et le respect des droits de l'homme.
    "Malheureusement, les récentes évolutions survenues dans notre pays nous ont déçus et n'ont fait qu'accroître notre préoccupation pour les droits de l'homme :
    "1. Selon un rapport de l'Association des Droits de l'Homme (IHD) daté du 7 février 1992, les plaintes de torture dans les postes de police continuent à se produire partout en Turquie. Depuis que le nouveau gouvernement a accédé au pouvoir, 20 cas de torture, 2 décès en détention, 12 décès dans des circonstances suspectes et 3 disparitions ont été rapportés.
    "Le 6 février 1992, à Istanbul, je fus informé d'un nouveau cas de torture : un exilé politique, Haydar Beltan, fut arrêté et torturé à Ankara alors qu'il rentrait d'Allemagne après un long exil.
    "Pour manifester ma réprobation et attirer l'attention sur l'existence de la torture, j'ai fait couper mes cheveux au cours d'une conférence de presse que j'ai tenue à Istanbul.  Ma tête sera rasée jusqu'à ce que les autorités turques prennent des mesures sérieuses pour mettre fin à cette pratique inhumaine.
     "2. Des groupes d'exécution spéciaux, officiellement appelés 'des équipes Anti-Terreur', abattent les suspects au lieu de les appréhender vivants.  Rien qu'en janvier 1992, six personnes furent victimes de cette chasse à l'homme.
    "3. Ces mêmes équipes sèment la terreur dans les régions habitées par les Kurdes.  Les meurtres commis par ces équipes sont délibérément tolérés par l'Etat.
    "4. L'Organisation Contre-Guérilla (Gladio turc), cerveau du terrorisme d'Etat, est toujours opérationnelle dans le pays et les autorités n'ont entrepris aucune mesure concrète pour mettre fin à ces activités subversives.  C'est pour cette raison que de nombreux auteurs de crimes politiques ne peuvent être identifiés.  Le terrorisme d'Etat incite alors au terrorisme individuel.  Et ce qui est plus grave, les chefs de l'Etat et de l'Etat-Major au lieu de s'attaquer aux causes de la violence politique, incitent publiquement à la revanche et poussent les forces de sécurité à commettre d'autres actes de violence.
    "5. Certaines sinistres forces de l'Etat ne tiennent nullement compte de la législation.  Citons l'exemple du procureur de la Cour de la Sûreté de l'Etat  d'Ankara, Nusret Demiral, qui introduisit une action en justice contre 20 députés d'origine kurde pour leurs discours électoraux et inauguraux et demanda pour eux la peine capitale."

le proces du tbkp a strasbourg

    Le 3 février, les leaders du Parti Communiste Uni de Turquie (TBKP) portaient plainte contre une décision du Tribunal Constitutionnel qui interdisait toutes les activités du parti estimant qu'il s'agissait d'une violation des principes démocratiques des accords internationaux.  Après avoir porté l'affaire devant la Commission Européenne des Droits de l'Homme, le président du TBKP, Nihat Sargin et le Secrétaire Général, Nabi Yagci (Haydar Kutlu) affirmèrent que la Turquie devrait faire l'objet d'un procès.
    Le TBKP fut jugé sous prétexte qu'il soutenait la lutte des classes, que son nom contenait le mot "communiste", que ses positions sur la question kurde étaient de nature séparatiste et qu'il représentait une continuation de partis disparus.
    Le Tribunal Constitutionnel rendit son jugement à la fin du mois de janvier et acquitta le parti des accusations de lutte des classes et d'être une continuation de partis disparus mais le condamna à fermer ses portes en raison de l'utilisation du mot "communiste" dans son nom et de son soutien au séparatisme.
    Sargin et Yagci ont également qualifié la décision de la cour, se référant au programme du parti concernant le problème kurde, de violation de la constitution.   
    "A un moment où le tabou kurde fait l'objet d'un débat et le gouvernement lève les interdictions sur la langue kurde, notre parti est fermé en raison de ses positions sur la question kurde. S'il y a encore des interdictions en Turquie, peut-on parler d'une constitution populaire et démocratique ?" demandèrent les leaders du parti.

ouverture d'Ankara à l'asie centrale

    La naissance de nouveaux Etats indépendants turco-islamiques à l'Est et de fortes minorités musulmanes dans les Balkans ont augmenté les chances d'Ankara de mener à bien des manoeuvres diplomatiques sur la scène internationale.
    Un rapport de Associated Press daté du 28 février 1992, résumait la nouvelle ouverture turque de la manière suivante :
    "La Turquie a porté sont attention sur six républiques musulmanes avec lesquelles elle possède des liens ethniques, religieux et linguistiques.  Mais elle essaie également de renforcer ses liens avec la Russie, un important partenaire commercial.  Même ses relations avec un de ses ennemis historiques, l'Arménie, s'améliorent rapidement.
    "D'autres puissances dans la région, y compris l'Arabie Saoudite, l'Iran et le Pakistan se bousculent pour accroître leur influence parmi les république musulmanes.
    "La Turquie a plusieurs buts.  Premièrement, ce pays musulman mais officiellement séculaire espère mettre un frein au fondamentalisme islamique et à la campagne iranienne dans les républiques musulmanes.
    "Deuxièmement, la Turquie cherche des partenaires commerciaux.  Elle a l'intention de démontrer à l'Occident qu'elle reste un partenaire de valeur.
    "La Turquie, pilier de la défense de l'OTAN, tint un rôle important pendant la guerre froide, affirmait un ambassadeur européen dans la capitale turque. 'Si la Turquie veut bénéficier du soutien politique et économique de l'Occident, elle devra miser sur cette carte.'
    "La Turquie fut la première à reconnaître l'indépendance des républiques musulmanes et a rapidement exploité diverses voies pour renforcer son influence.
    "- Elle a envoyé des milliers de livres d'alphabétisation afin de les persuader de passer de l'alphabet cyrillique au latin plutôt qu'à l'écriture arabe.
    "- Quelque 1.000 étudiants vont recevoir des bourses pour suivre une formation commerciale dans les universités turques.
    "- La Turquie a récemment annoncé un projet de 10 millions de dollars pour la diffusion de la télévision turque dans les républiques musulmanes où le turc est une langue que de nombreuses personnes comprennent.
    "- La banque turque pour l'exportation-importation concède aux républiques des lignes de crédit représentant des millions de dollars.
    "Un certain succès est déjà visible.
    "L'Azerbaijan s'est engagé à suivre le modèle séculaire turc et à entreprendre une transition d'une économie dirigée par l'Etat vers un marché libre.
    "‘La Turquie et l'Azerbaijan sont comme un arbre avec une seule racine et deux branches’, déclara avec beaucoup d'enthousiasme le ministre des affaires extérieures, Housseinaga Sadykhov, au cours d'une récente interview à Istanbul.
    "Cependant, les Turcs admettent qu'ils ne disposent pas des ressources nécessaires pour redresser seuls les économies des républiques musulmanes.
    "La Turquie espère que son plus proche allié, les Etats-Unis, lui donnera un petit coup de pouce dans cette compétition. En prenant part à des projets conjoints avec la Turquie, les représentants turcs soulignent que Washington soutiendrait un modèle de marché libre et démocratique et mettrait en échec l'influence de l'Iran.
    "‘Nous cherchons évidemment les moyens de coopérer avec la Turquie... de voir ce que nous pouvons faire pour les nouvelles républiques’ affirma un porte-parole de l'ambassade américaine à Ankara.
    "Les Etats-Unis et la Turquie ont déjà coopéré pour venir en aide à l'Union Soviétique.  La Turquie apporte 90 tonnes métriques de denrées alimentaires.
    "Les échanges commerciaux entre la Turquie et l'Union Soviétique n'ont cessé de s'intensifier depuis une décennie.
    "Depuis l'accord de 1984 pour l'importation de gaz naturel soviétique par la Turquie, les échanges commerciaux ont été septuplés et représentent 2 milliards de dollars, disent les représentants.  Cependant, la majeure partie de ces échanges ont lieu avec la Russie et non avec les républiques musulmanes.  Un des aspects fascinants du réchauffement des relations entre la Turquie et les nouvelles républiques est le rapprochement entre des ennemis historiques comme la Turquie et l'Arménie.
    "Il existe un timide plan de construction  d'installations portuaires dans la ville turque de Trabzon, sur la Mer Noire. Ces installations sont destinées à l'usage de l'Arménie qui ne possède pas d'accès à la mer.
    "La Turquie et l'Arménie qui n'ont toujours pas établi de relations diplomatiques mais ont exprimé leur désir d'améliorer leurs relations, ont souffert des allégations selon lesquelles la Turquie aurait commis un génocide contre les Arménies pendant la Première Guerre Mondiale."

l'arménie inquiète par les manoeuvres turques

    En fait, tandis que la AP faisait état d'un rapprochement entre la Turquie et l'Arménie, la presse soviétique rapportait une inquiétude croissante d'Erivan à l'égard de la Turquie.
    Le quotidien Hürriyet rapportait le 25 février que l'Arménie était alarmée par les jeux de guerre prévus par la Turquie le long de la frontière orientale pour les 27 et 28 février.  Les autorités d'Erivan étaient particulièrement inquiètes parce que l'exercice visait à évaluer la capacité des Forces Armées turques à repousser une attaque provenant de l'est (Arménie) et ce sous le regard du Président Özal et du Premier Ministre Demirel.
    Le journal Hürriyet considérait que l'exercice turc coïncidait avec une concentration de troupes arméniennes le long de sa frontière avec l'Azerbaijan.
    Dans leur exercice, les Forces Armées turques utiliseraient des hélicoptères, des avions de combat, des tanks et l'artillerie.
    Le quotidien Zaman précisa que le Président Özal avait affirmé que si un important problème [la guerre] surgissait entre l'Azerbaijan et l'Arménie, la Turquie serait sérieusement affectée.  "Il faut chercher une solution avant que les choses n'échappent à tout contrôle et s' aggravent", affirma Özal.
    Auparavant, un article paru dan le journal russe Izvestia précisait que la Troisième Armée Turque basée à Erzurum, était renforcée par la "plus importante mobilisation" depuis la Deuxième Guerre Mondiale.
    Un autre article paru dans la Nazavisimaya Gazeta indiquait que des "conseillers" du Président Arménien, Leon Ter Petosyan, estimaient que la Turquie essayait "d'intimider" l'Arménie par la mise en alerte des troupes turques et leur déplacement vers leur frontière commune.  "Alors qu'on assiste à une escalade de la crise de Nogorno-Karabakh, ces mouvements ne peuvent avoir d'autre interprétation qu'une exhibition de force pour intimider Erivan," concluait l'article.
    L'article de Izvestia considérait que l'Azerbaijan, qui a déjà conclu des accords de coopération avec la Turquie dans un certain nombre de domaines, demanderait une aide militaire turque.  La Turquie fournirait cette aide à partir de Nakhichevan -- une enclave de l'Azerbaijan en Arménie -- et celle-ci s'unirait finalement à l'Azerbaijan.

violations des droits de l'homme en 100 jours

    Dans un rapport publié à l'occasion du 100e jour de pouvoir de la coalition DYP-SHP, l'Association des Droits de l'Homme de Turquie (IHD) déclare que depuis que la coalition gouvernementale a reçu le vote de confiance, le 29 novembre 1991, l'Etat turc n'a toujours pas cessé de violer les droits fondamentaux de l'homme.
    Le rapport montre qu'au cours des 100 premiers jours de coalition Demirel-Inönü, qui accéda au pouvoir en faisant la promesse de restaurer toutes les libertés et les droits fondamentaux dans le pays, quatre personnes sont mortes suite aux tortures policières, trois sont toujours portées disparues et 28 autres sont mortes dans "des conditions mystérieuses", euphémisme employé pour indiquer d'éventuelles implications policières.  Le nombre de 28 ne serait en réalité que le tiers du chiffre réel en raison du retard dans l'enregistrement des nouvelles plaintes et des nouveaux cas.
    Une analyse des 28 "décès mystérieux" enregistrés montre une intensification de la campagne secrète destinée à éliminer des civils pro-kurdes et de gauche.
    Dans le Sud-est, où le Parti Ouvrier du Kurdistan (PKK) mène une guerre de guérilla clandestine depuis huit ans, ont remarqué une soudaine augmentation des civils et hommes politiques pro-kurdes tués.
    En décembre, cinq personnes ont été tuées dans des circonstances controversées ce qui nous fait penser que les meurtriers pourraient ne pas appartenir à une organisation "terroriste".
    Le nombre des "meurtres mystérieux" s'élevait à 9 en janvier, tandis qu'en février le nombre passait à 15.
    Aucun des coupables n'a été arrêté et les activistes des droits de l'homme prétendent que la plupart des assassinats sont l'œuvre de l'organisation radicale islamiste Hezbollah Kurde qui serait protégée par l'Organisation Contre-Guérrilla [Gladio Turc] et les forces de sécurité.
    Du 29 novembre 1991 au 20 février 1992, 169 personnes ont perdu la vie suite à des actes de violence à travers tout le pays.  Parmi elles, 161 personnes le furent dans le Sud-est. Parmi les décédés se trouvent 31 soldats, 10 gardiens de village, 46 militants du PKK et 72 civils.
    En attendant, six personnes furent tuées en janvier dans ce que les activistes des droits de l'homme qualifient "d'exécutions sans verdict", faisant surtout allusion aux opérations policières destinées à supprimer les suspects quel que soit leur niveau d'implication dans la résistance.
    Au moins 1.600 "suspects" ont été arrêtés au cours des 100 premiers jours de la coalition.

une chasse à l'homme incessante

    Au cours des sept derniers mois, 45 meurtres inexpliqués se sont produits dans la région du Sud-est.  La plupart des victimes provenaient de la population kurde. La plupart de ces meurtres auraient été commis par des membres de l'organisation islamique Hezbollah Kurde entraînée par l'Organisation Contre-Guérilla et la police.
    Le 3 février, l'hebdomadaire Yeni Ülke rapportait que trois personnes avaient été tuées par les militants Hezbollah au cours des dix derniers jours.  Ces trois personnes sont : Nizamettin Kisin, tué le 23 janvier à Mazidag (Mardin), Seyfettin Aktan, tué le 25 janvier à Nusaybin et Hüseyin Pamukcu, président du village de Fakiri et tué le 26 janvier à Besiri (Batman).
    Non seulement les assassinats politiques n'ont pas cessé mais ils ont augmenté au cours du mois de février 1992, troisième mois du gouvernement DYP-CHP.
    Voici les assassinats politiques enregistrés en février
1992 :
    Le 1.2, le secrétaire local du SHP à Nusaybin, Oktay Türemen, fut abattu par trois inconnus.
    Le 11.2, à Batman, le commerçant Metin Elikci fut battu et ensuite assassiné à coups de poignard par trois personnes inconnues.  Pendant ce temps, dans un autre quartier de la ville, la voiture d'Ekrem Aslan fut incendiée.
    Le 14.2, au cours d'une opération dans le village de Yaraköyü, province de Mardin, des paysans kurdes se sont opposés aux forces de sécurité.  Ces dernières firent feu en leur direction, tuèrent six personnes et en blessèrent 12 autres.  Le lendemain, pour protester contre ce massacre, les paysans interrompirent le trafic sur l'autoroute E-24 pendant quatre heures.  Des manifestations furent également suivies à Nusaybin.
    Le 15.2, à Diyarbakir, l'instituteur d'école primaire, Ahmet Bayhan fut abattu par des inconnus.  Un garçon de huit ans qui se tenait près de lui fut également blessé pendant l'incident. L'instituteur avait préalablement fait l'objet de trois arrestations pour avoir aidé le PKK.  Ses obsèques furent suivis par  plus de 5.000 personnes.
    Le 16.2, dans le village de Payamli, province de Siirt, les forces de sécurité ouvrirent le feu sur des personnes honorant la mémoire d'un militant du PKK mort, tuant deux personnes et blessant quatre autres.
    Le 17.2, des manifestations furent organisées  et les commerces restèrent fermés dans les districts de Nusaybin, Idil, Silvan, Kulp et Pervari, pour protester contre le massacre de Mardin.
    Le 21.2, à Midyat, la police fit feu en direction des 2.000 personnes qui protestaient contre la terreur d'Etat dans la région.  Un jeune homme fut abattu, cinq personnes furent blessées et de nombreux manifestants furent arrêtés.
    Le 23.2, dans le village d'Altinoluk, province d'Elazig, six personnes, dont une femme, furent tuées au cours de la descente que les forces de sécurité firent dans leur maison.
    Le 27.2, dans le district de Silvan, province de Diyarbakir, un fonctionnaire public, Seyhmuz Akinci, fut abattu par des inconnus.  Deux heures plus tard, à Nusaybin, le membre du HEP, Emin Narin fut trouvé  assassiné.  Narin avait été arrêté pour avoir aidé le PKK, mais avait été remis en liberté quelques jours après.

nouvelles confirmations de tortures

    Malgré les promesses du gouvernement de faire cesser la torture, des nouveaux cas ont été rapportés à la presse :
    Le Rapport sur les 100 jours de l'IHD affirme que les personnes suivantes sont mortes au cours de leur interrogatoire:
    - Murat Özsat (arrêté le 23 nov. 1991 - décédé le 8 déc.),
    - Agit Akip (arrêté le 10 déc. - mort un jour après),
    - Ibrahim Demir (arrêté le 10 déc. - mort un jour après),
    - Refik Akin, emmené par la police le 29 janv., sa mort fut rapportée le 1e fev.
    Par ailleurs, le député de Mus, Muzaffer Demir, révéla qu'Akan avait été battu à mort par des policiers après avoir été obligé de se coucher nu sur la neige.
    Voici les autres cas récents de torture :
    le 10.2, à Istanbul, le concessionnaire automobile Mustafa Sürer affirma avoir été torturé au poste de police de Tozkoparan où il avait été conduit en raison d'une dispute familiale.
    Le 16.2, cinq personnes furent brutalement battues au cours d'une descente de police dans une maison de Diyarbakir.  Parmi elles se trouvait une femme de 80 ans, Halime Savas, et une femme enceinte, Hanim Savas.
    Le 20.2, à Izmir, trois personnes qui avaient été conduites au poste de police dans le cadre d'une enquête, affirmèrent avoir été torturés entre le 26 janvier et le 7 février 1992.  L'une d'entre elles, Kemal Gök, déclara avoir été obligée d'avaler des clous et des morceaux de fil de fer.

rapport américain sur la torture en turquie

    Un rapport sur les droits de l'homme du Département d'Etat Américain déclare que l'année dernière, la torture était très répandue dans les postes de police en Turquie. Il affirme également que les coupables sont rarement poursuivis et l'indifférence est générale.  Selon le rapport, l'année dernière 18 personnes sont mortes sous détention policière.
    Le rapport fait état de l'utilisation de manches d'eau froide à haute pression, de chocs électriques, de coups dans les parties génitales et de pendaisons par les bras dans les postes de police turcs.
    Il ajoute que dans certain cas la police évite d'utiliser ces méthodes car elles laissent des traces.  Celles-ci seraient remplacées par des abus psychologiques comme les intimidations et les menaces verbales.
    Le 2 février, le Ministère des Affaires Extérieures turc faisait savoir que le rapport était en train d'être étudié.

assassinat de journalistes kurdes

    Un reporter qui travaillait pour l'hebdomadaire 2000e Dogru fut assassiné le 19 février à Diyarbakir, deux jours après la publication à la une d'un article prétendant que des membres de l'organisation islamique Hezbollah étaient entraînés par l'Organisation Contre-Guérilla et la police dans la ville.
    Halit Güngen, de 22 ans, reçut une balle dans la tête et mourut sur le chemin de l'hôpital.
    Immédiatement après l'assassinat, un autre reporter du magazine, Ahmet Sümbül, fut arrêté par la police.
    Les  deux reporters étaient auteurs des articles concernant l'Hezbollah . Selon eux, les activités des Hezbollah dans le Sud-est et principalement dans la province de Batman, ont commencé après l'entrée en fonction du gouvernement de coalition.  Au moins cinq personnes furent tuées et plusieurs commerces appartenant à des civils pro-kurdes furent victimes d'attentats à la bombe.  Aucun coupable ne fut arrêté.
    L'année dernière, le bureau de 2000e Dogru à Diyarbakir, ainsi que d'autres magazines de l'opposition, fut victime d'un attentat à la bombe.
    Des personnes non identifiées avaient affiché juste en face du bureau du magazine, des posters menaçant les occupants de l'immeuble et les incitant à "expulser les traîtres".
    Les funérailles de Güngen se transformèrent en une manifestation de protestation suivie par plus de 15.000 personnes.
    Quelques jours plus tard, le 24 février, le journaliste Cengiz Altun, correspondant à Batman de l'hebdomadaire Yeni Ülke, fut abattu dans son bureau par des inconnus.  Des témoins oculaires déclarent avoir vu les assassins prendre la fuite dans un moto après avoir commis leur crime.
    Quelques jours auparavant, Altun avait été emmené au poste de gendarmerie de Gercüs et avait fait l'objet de menaces en raison de sa position sur la question kurde.
    A ses obsèques assistèrent plus de 20.000 personnes qui scandaient des slogans : "Le Kurdistan sera la tombe du
fascisme !", "A bas la Contre-Guérilla !"  Le même jour, tous les commerces fermèrent leurs portes et les étudiants boycottèrent l'école.
    Le rédacteur en chef de Yeni Ülke, Hüseyin Akyol, ainsi que d'autres rédacteurs furent attaqués et harcelés par des soldats et des membres d'une équipe spéciale alors qu'ils revenaient des funérailles.
    Le 27 février, la voiture du journaliste Aykut Tuzcu, éditeur du quotidien Sabah à Gaziantep, fut dynamitée par des inconnus.

mort suspecte d'un coordinateur de télévision

    Le coordinateur général de la chaîne privée Star-1, Yekta Okur, est mort à Istanbul le 18 février dernier suite à un "accident" de la circulation.  Sa voiture heurta le rail gauche puis le droit de l'autoroute E-5.
    Dans un premier temps, la police conclut que la vitesse de la voiture et une route glissante étaient les causes de l'accident.
    Cependant, une femme qui entra en contact avec Star-1 affirma qu'elle conduisait en compagnie de son mari lorsque, à deux heures du matin, elle vit comment un camion heurtait l'arrière de la voiture d'Okur.
    Star-1 laissa entendre que la mort était "suspecte" si l'on considérait qu'Okur venait d'introduire une pétition auprès du Procureur Public où il disait que sa vie était menacée.  Un appel anonyme aurait annoncé à Okur qu'il serait bientôt assassiné.
    Dans sa pétition, Okur disait que les auteurs des menaces étaient Ahmet Özal, fils du Président Turgut Özal, et son partenaire Turgay Aksoylu.
    Ahmet Özal est un des fondateurs de Star-1 mais on rapporte qu'il aurait des différends avec le président du Conseil d'Administration, Cem Uzan, et Yekta Okur.
    Star-1 souligna qu'Okur conduisait une Nissan, voiture qui se verrouille immédiatement en cas d'accident.  Malgré cela, Okur fut trouvé sur le trottoir et les portes de la voiture étaient ouvertes.
    "Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un accident", déclara Nezih Demirkent, président de l'Association des Journalistes, "Je ne comprends pas pourquoi son garde du corps et son chauffeur ne l'accompagnaient pas comme ils le font toujours."

poursuites contre les médias en février

    Au cours des 100 premiers jours, 11 magazines furent saisis, 16 journalistes furent arrêtés et cinq rassemblements, y compris un concert et deux "meetings de solidarité" furent interdits.  Quatre bureaux des branches provinciales des syndicats furent également momentanément fermées par ordre des gouverneurs locaux.
    Au cours de la même période, le gouvernement, qui se prétend contraire à toute forme  de censure, interdit 12 livres -- sept s'entre eux écrits par l'éminent savant Dr Ismail Besikci.
    Les autres livres interdits dans la même période sont :
    Abidin Kizilyaprak : Comment nous avons combattu le peuple kurde - Mémoires d'un soldat.
    Hüseyin Karatas : Chanson d'une Rébellion - Dersim.
    Metin Ciyani : Contes de Fées d'un Pays de l'Eternel.
    Edip Polat : L'Aurore du Newroz.
    Un livre intitulé Graffiti de Substance Sexuelle fut également interdit au cours de cette période.

    Le 1.2, le dernier livre du Dr Ismail Besikci, Observations sur le PKK - Le Prix de la Liberté, fut confisqué par décision de la CSE d'Istanbul en vertu des Articles 6 et 8 de la Loi Anti-Terreur.
    Le 1.2, l'Anthologie des poèmes de prison 1980-1990, publication conjointe des maisons d'édition Melza et Sorun, fut confisquée par la CSE d'Istanbul.
    Le 2.2, le numéro 18 de la publication politique Özgür Halk, fut confisqué par la CSE d'Istanbul en vertu de l'Article 9 de la Loi Anti-Terreur, pour avoir publié la traduction d'une entrevue du leader du PKK, Öcalan.
    Le 4.2, un ancien dirigeant du Parti Communiste de Turquie (TKP) de 91 ans, Mehmet Bozisik, ne fut pas autorisé à se rendre à l'étranger pour y recevoir un traitement médical. Il souffre d'un cancer de la peau.
    Le 6.2, le bureau d'Istanbul du bimensuel Emegin Bayragi fut perquisitionné  par la police et le rédacteur en chef, Mukaddes Celik, l'éditeur responsable, Nazim Taban et cinq autres collaborateurs furent arrêtés.
    Le 7.2, la CSE d'Ankara décida de confisquer trois livres du Dr Ismail Besikci en vertu de l'Article 8 de la Loi Anti-Terreur : La Méthode de la Science, Une lettre à l'UNESCO et Quelques Observations sur les Intellectuels Kurdes.  Le premier de ces trois livres, La Méthode de la Science, avait été publié en 1976 et n'avait jamais fait l'objet d'une action en justice.
    Le 11.2, le procureur public intenta un nouveau procès contre le Professeur Yalcin Küçük pour son article "Öcalan, Mon Frère", publié dans l'hebdomadaire Yeni Ülke.  Accusé de séparatisme, il sera jugé par la CSE d'Istanbul et risque une peine de prison de 5 ans en vertu de la LAT.
    Le 12.2, au cours de la nuit, le Dr Besikci était arrêté à Istanbul et envoyé à la CSE d'Ankara pour y être interrogé. Cependant, la CSE décida de traiter l'affaire sans le placer en détention.
    Le 17.2, le nouveau livre du Dr Besikci, Les préalables de l'Insurrection, fut confisqué par décision de la CSE d'Ankara pour propagande séparatiste (Art 8 de la LAT).
    Le 18.2, le numéro 18 de l'hebdomadaire Yeni Ülke fut confisqué par la CSE d'Istanbul pour un article demandant qu'on reconnaisse au PKK le statut de "parti belligérant".
    Le 19.2, le numéro 38 du bimensuel Mücadele fut confisqué par la CSE d'Istanbul pour avoir publié une notice nécrologique.
    Le 28.2, la CSE d'Ankara décida de confisquer trois livres du Dr Ismail Besikci : "Science, Idéologie Officielle, Etat, Démocratie et la Question Kurde", "Les Statuts du Parti du Peuple Républicain" et "Destruction des Murailles de notre Esprit".  Les deux premiers livres avaient déjà été confisqués il y a deux ans en vertu de l'Article 142 du Code Pénal Turc.  Après la suppression de cet article, l'année dernière, deux livres ont été réimprimés, mais le procureur les considère préjudiciables en vertu de l'Article 8 de la LAT qui remplace l'Article 142.