Le
syndrome du printemps
Après que le président Özal ait laissé entendre, le
31 janvier dernier, que des préparatifs militaires étaient en cours en
vue d'une importante offensive contre des objectifs nationalistes
kurdes dans le Sud-est, la Turquie est en train de vivre ce qu'on
pourrait qualifier de Syndrome du Printemps. Comme prélude à cette
offensive, des unités de l'Armée Turque ont déjà intensifié leurs raids
contre les villages kurdes causant la mort de nombreuses personnes.
Pendant ce temps, les assassinats politiques, les tortures et les
censures n'ont toujours pas cessé malgré la promesse d'une rapide
démocratisation faite par le gouvernement.
Par ailleurs, le 27 février, le gouvernement a
décidé de prolonger de quatre mois l'état d'urgence dans le Sud-est.
Lorsqu'il était dans l'opposition, le SHP s'était
opposé à ce régime d'exception dans le Kurdistan turc, et après les
élections législatives, il avait accédé au gouvernement avec la
promesse de le supprimer. La position actuelle du SHP sur ce point
fondamental a donné lieu à de sévères critiques au sein des cercles
défendant les droits de l'homme.
C'est dans ce climat qu'un groupe de parlementaires
d'origine kurde publia en termes très durs un mémorandum exigeant un
cessez-le-feu dans la région du sud-est de la Turquie et demandant une
amnistie générale ainsi que la suppression des sévères mesures
militaires imposées dans les régions agitées.
La déclaration fut signée par un total de 49 députés
provenant du Parti de la Juste Voie (DYP) et du Parti Populiste Social
Démocrate (DYP), partis au pouvoir, ainsi que du Parti de la
Mère-Patrie (ANAP) et du Parti du Bien-être (RP).
"Aujourd'hui, en Turquie, tout le monde, et les
Kurdes en premier, est en train de vivre le Syndrome du Printemps",
affirmait la déclaration dans une allusion voilée à la massive
opération que la Turquie compte mener le mois prochain contre des
objectifs kurdes. "Les gens sont terrorisés et on parle d'un
anéantissement massif," affirmait la déclaration.
Elle ajoutait que la faim, la misère et le chômage
ont atteint des niveaux record dans la région frappée par les troubles,
mais les gens songent davantage à se protéger qu'à se nourrir.
La déclaration prétendait que le bain de sang dans
le sud-est de la Turquie "avait augmenté la tension partout dans le
pays" et soulignait que cette situation avait "donné naissance à une
hostilité entre les peuples kurde et turc qui serait difficile à
surmonter par la suite. On ne devrait pas laisser s'accentuer
cette hostilité.
"Le problème kurde est actuellement le plus grave
problème de la Turquie et il n'est pas possible de le résoudre
par la force et l'oppression. Cette méthode, qui a été
utilisée pendant des années, ne résoudra rien. Elle n'apportera
que davantage de sang et de larmes. Aujourd'hui, le plus
important est de remettre l'épée au fourreau et de cesser le feu."
La déclaration demande au gouvernement de prendre
les mesures suivantes :
"Annoncer une amnistie générale; lever l'état
d'urgence; abolir le système des gardiens de villages; abolir toutes
les lois antidémocratiques, et le décret Anti-Terreur en premier; faire
cesser l'activité des meurtriers non-identifiés coupables de chasse à
l'homme et de torture et arrêter les coupables; concéder le droit
d'organisation à toutes les opinions politiques."
le shp critiqué par les députés kurdes
Le SHP, l'aile de gauche de la coalition
gouvernementale, a dû faire face aux dures critiques formulées par les
parlementaires d'origine kurde le 25 février dernier à propos de la
politique que mène le gouvernement dans le Sud-est.
Au cours d'un meeting du groupe parlementaire SHP,
l'ancien président du Parti Travailliste du Peuple (HEP), Fehmi
Isiklar, demanda des mesures plus énergiques dans la lutte pour la
démocratie.
Isiklar, qui déclara que les gens du Sud-est étaient
atteints du Syndrome du Printemps, -- craignant une grande guerre entre
les troupes turques et les guérillas kurdes pour le mois prochain --
demanda un cessez-le-feu afin d'éviter un autre bain de sang dans la
région.
Isiklar souligna que l'hostilité entre les Kurdes et
les Turcs s'intensifiait dans le pays et que les populations locales
craignaient un anéantissement massif pour le printemps.
Le député de Diyarbakir du SHP, Sedat Yurttas,
dénonçant les bombardements de la Montagne Cudi, indiqua que malgré les
promesses faites par la coalition lors de son arrivée au pouvoir à
Ankara, les gens du Sud-est étaient toujours victimes de mauvais
traitements. Lors d'une réunion il attira l'attention des membres
sur les six personnes qui furent tuées au village de Yardere, à Mardin.
Alors qu'il précisait que près de 500 personnes
avaient été tuées lors des bombardements turcs, Yurttas demanda,
"est-ce que dans le futur ces bombardements auront comme cible les
villages et les villes ? Doivent les gens se préparer à ça ?
dicle et zana démissionnent du shp
Deux célèbres députés kurdes, Hatip Dicle et Leyla
Zana, avaient déjà remis leur démission au SHP le 16 janvier dernier en
raison de la réaction provoquée par leur franche attitude devant le
problème kurde en Turquie.
Dans une déclaration écrite ils soulignaient "le peu
d'intérêt qu'il y a pour les peuples kurde et turc à masquer la
réalité."
Au cours de la cérémonie où les 450 Membres du
Parlement turc ont prêté serment, Dicle fut savoir qu'il lisait le
serment "sous la contrainte". Après avoir prêté serment, Zana
avait crié en kurde : "Vive la fraternité entre les peuples kurde et
turc". Sur ce, le président du SHP, Inönü, avait demandé aux deux
députés de présenter leur démission.
le soutien des eu à la campagne anti-pkk
Lors de sa première visite aux Etats-Unis, le 11
février, le Premier Ministre Demirel confia au président Bush que la
Turquie était déterminée à liquider "l'organisation terroriste"
[allusion au PKK]. Dans son discours Bush confirma son soutien à
l'intégrité territoriale de la Turquie, surtout contre le terrorisme,
mais ne s'étendit pas davantage. Cependant, un représentant du
Département d'Etat déclara : "Nous ne soutenons pas un Etat kurde
indépendant, et nous croyons très fort à l'intégrité territoriale de la
Turquie. Le PKK est responsable de ce que nous considérons être
des activités terroristes. Nous estimons qu'il s'agit d'une
organisation terroriste."
avalanches dans la zone kurde
En février, une série d'avalanches a coûté la vie à
des centaines de personnes dans le Kurdistan Turc.
Le 2 février, une première vague d'avalanches toucha
les villages kurdes de Sirnak, Siirt et Hakkari. Un total de 140
corps furent arrachés à la neige après le désastre. La moitié des
victimes étaient des gendarmes mobilisés dans la zone pour traquer les
guérillas kurdes.
Une autre vague d'avalanches tua plus de 50
personnes dans la même région. 31 personnes sont mortes lorsque
l'avalanche se déclencha près de la ville de Beytusebap, à
Sirnak. Plus de 14 personnes ont également perdu la vie dans cinq
villages près des villes de Kozluk et Sason, à Batman.
Un hiver rude frappait déjà la zone depuis trois
mois. Plus de 2.000 villages étaient déjà isolés.
Selon le PKK, les avalanches auraient été provoquées
par les vols à basse altitude des avions turcs à la recherche des
guérillas kurdes qui se cachent dans les montagnes.
Le 25 février, lors de la réunion du groupe
parlementaire du SHP, le député de Diyarbakir, Sedat Yurttas, émit de
sévères critiques à l'égard des bombardements des camps du PKK dans la
Montagne Cudi, située à la frontière turco-irakienne, argumentant qu'il
soupçonnait ces bombardements d'être la cause des récentes avalanches.
la police s'attaque aux journalistes
Le 7 février à Adana, des policiers se sont attaqués
à des journalistes qui assistaient aux funérailles du policier Özer
Özkaya, mort lors d'une embuscade en ville. Après que le chef de
la police d'Adana, Mete Altan, ait prononcé un discours de
condoléances, les policiers ont agressé les journalistes tandis qu'ils
criaient : "Des chiens au service des droits de l'homme." Ils cassèrent
les caméras et matraquèrent les journalistes. Les reporters
blessés pendant l'incident furent emmenés vers plusieurs hôpitaux de la
ville. Parmi les journalistes blessés se trouvaient Mehmet Aslan,
photographe de l'agence officielle Anadolu et Arap Filiz du quotidien
Cumhuriyet.
Par la suite, les policiers montèrent sur
l'autoroute E-5 et se dirigèrent vers la zone où se trouve le bâtiment
de l'Association des droits de l'homme. Ils bloquèrent la circulation
pendant près d'une heure et scandèrent des slogans exigeant la
démission du Premier Ministre.
Arrivés à l'endroit où se trouve le bureau de la
branche provinciale d'Adana du SHP, ils crièrent: "A bas les
communistes."
terrorisme d'etat en février
Le 2.2, à Istanbul, la police arrêtait trois
personnes au cours d'une manifestation organisée par un certain nombre
d'associations et des syndicats en faveur de l'abolition de la torture
et de la peine de mort.
Le 3.2, un groupe de travailleurs qui se dirigeait
vers Ankara pour protester contre la détérioration des conditions
de vie fut arrêté de force par la police à l'entrée de la ville et
renvoyé à Izmir. Pendant l'intervention, de nombreux manifestants
fûrent battus et deux d'entre eux furent sérieusement blessés.
Le 3.2, la Cour de la Sûreté de l'Etat de Malatya
arrêtait dix personnes pour avoir aidé des militants du PKK.
Le 3.2, plus de 20 personnes auraient été arrêtées
au cours d'opérations policières menées dans la province d'Urfa à la
fin du mois de janvier.
Le 3.2, quelque 100 travailleurs qui menaient une
grève sur le tas depuis 20 jours dans une compagnie de transport
d'Istanbul furent dispersés de force par la police. Plusieurs
travailleurs furent battus et dix personnes furent arrêtées
Le 4.2, s'ouvrait à la CSE d'Istanbul le procès
contre Esber Yagmurdereli, Ragip Duran et Attila Aycin pour les
discours qu'ils ont prononcés le 8 septembre 1992, au cours d'un
meeting organisé à Istanbul par l'Association des Droits de l'Homme.
Chacun d'eux risque une peine de prison de cinq ans en vertu de
l'Article 8 de la Loi Anti-Terreur.
Le 5.2, le quotidien Zaman rapportait qu'un sergent
de la Base Aérienne Militaire de Kayseri, Mehmet Ucucu, avait été
arrêté le 29 janvier pour propagande islamiste au sein de l'armée.
Le 5.2, dix-huit personnes furent arrêtées à Erzurum
pour avoir donné refuge aux militants du PKK.
Le 6.2, la police arrêta 15 personnes à Bursa pour
avoir pris part à des activités pour le compte du Parti Communiste
Révolutionnaire de Turquie (TDKP). Dix d'entre elles furent
ensuite placées en détention par un tribunal.
Le 7.2, fut clôturé à la CSE d'Ankara le procès de
quinze membres supposés de la Gauche Révolutionnaire (Dev-Sol) et neuf
défendeurs furent condamnés à des peines de prison allant jusqu'à 36
ans et 6 mois.
Le 8.2, vingt personnes furent arrêtées au cours
d'une série d'opérations policières dans la province de Van.
Le 8.2, à Gaziantep, la police arrêta 17 personnes
pour avoir aidé le PKK, parmi elles se trouvaient deux mineurs : Mehmet
Polat de 15 ans et Saadet Duran de 16 ans.
Le 8.2, à Urfa, la police arrêta le président
provincial du HEP, Eyüp Karageci.
Le 10.2, à Bodrum, cinq travailleurs de la
construction furent arrêtés pour avoir aidé le PKK. Le même jour,
à Mardin, 17 personnes furent arrêtées pour la même raison.
Le 13.2, s'ouvrait à la CSE de Malatya un procès
contre neuf personnes pour avoir soutenu les activités du PKK.
Le 15.2, à Ankara, la police est intervenue dans une
manifestation suivie par environ 5.000 fonctionnaires publics qui
revendiquaient des droits syndicaux. Pendant l'escarmouche, la
police blessa huit personnes et en arrêta quatre. Quelques jours
plus tard, la CSE d'Ankara introduisit une action en justice contre six
membres du comité qui avait organisé la manifestation.
Le 15.2, on rapportait que le bureau de
l'Association de Solidarité envers la Population d'Elazig à Elazig
avait été perquisitionné et fermé par la police à deux reprises au
cours du dernier mois.
Le 16.2, les forces de sécurité arrêtèrent 11
personnes à Silvan et quatre à Hasankeyf au cours des opérations
anti-PKK.
Le 16.2, la CSE de Diyarbakir condamna Salih Dönmez
à 10 mois de prison pour avoir méprisé le drapeau turc au cours d'une
cérémonie de mariage célébrée dans le district de Halfeti. Deux
autres personnes qui avaient pris part à la même cérémonie furent
condamnées par le même tribunal à deux ans de prison et à payer une
amende de 50 millions de LT pour avoir scandé des "slogans
séparatistes".
Le 16.2, à Istanbul, le bureau de
l'Association pour l'Etude et le Développement de la Culture Populaire
fut perquisitionné par la police. Pendant la perquisition, tous
les documents furent confisqués et dix personnes furent arrêtées.
Le 17.2, à Ankara, dix-huit personnes furent
arrêtées au cours d'une série d'opérations policières pour avoir aidé
le PKK.
Ils devraient être jugés par la Cour de la Sûreté de l'Etat.
Le 19.2, à Istanbul, les tentes d'un groupe de
travailleurs qui menaient une action contre une compagnie de transport
furent détruites par la police. De nombreux travailleurs furent
brutalement battus et arrêtés par la police lorsqu'ils tentèrent de
s'opposer à cette opération. Parmi eux se trouvait le président
du Syndicat des Travailleurs du Transport, Sabri Topcu, le Secrétaire
Général, Yurdal Senol et trois conseillers juridiques du
syndicat. Le même jour, 30 travailleurs de la même compagnie à
Adana furent également arrêtés pour avoir pris part à des actions de
protestation.
Le 20.2, la Cour de la Sûreté de l'Etat ouvrit le
procès contre le Président du Parti Socialiste (SP), Dogu Perincek, en
raison des discours qu'il prononça avant les élections d'octobre
1991. Accusé de propagande séparatiste, Perincek risque une peine
de prison de cinq ans en vertu de l'Article 8 de la Loi Anti-Terreur.
Le 20.2, à Izmir, 14 personnes furent arrêtées pour
avoir aidé le PKK.
Le 20.2, le président local du HEP, Davut Yalcin, et
douze autres personnes furent arrêtées à Kiziltepe.
Le 21.2, à Istanbul, 44 personnes islamistes furent
mises en accusation pour avoir pris part à une manifestation contre le
coup d'Etat militaire en Algérie. Chacun d'eux risque une peine
de prison de trois ans pour rassemblement non autorisé.
Le 21.2, on rapportait l'arrestation de 48 personnes
au cours du dernier mois. Ces arrestations eurent lieu au cours
d'opérations anti-PKK menées dans les provinces de Mardin, Siirt et
Tunceli.
Le 22.2, quatre personnes furent arrêtées à Izmir
pour avoir participé aux actes d'une organisation illégale.
Le 24.2, à Istanbul, quinze travailleurs furent
battus et arrêtés par la police au cours d'une manifestation.
Le 24.2, la police arrêta 11 personnes à Gaziantep
et cinq étudiants à Izmir pour avoir soutenu le PKK.
Le 25.2, à Izmir, la CSE ouvrait un procès contre 25
personnes pour avoir pris part aux actions du PKK. Un des
défendeurs risque la peine capitale et les autres risquent des peines
de prison allant jusqu'à quinze ans.
Le 25.2, à Kayseri, quinze prisonniers politiques se
sont évadés de la prison de haute sécurité par un tunnel de 190 mètres
de long qu'ils avaient réussi à creuser. Ils avaient été arrêtés
en raison de leur appartenance à l'Armée de Libération des
Travailleurs-Paysans de Turquie (TIKKO).
Le 26.2, à Ankara, l'avocat de la défense de Murat
Demir ne fut pas autorisé à s'entretenir avec son client se trouvant
dans le prison d'Ankara car il avait été détenu dans la même prison en
tant que prisonnier politique.
Le 27.2, à Istanbul, quatre membres supposés du
Parti Communiste Travailliste de Turquie (TKEP) furent arrêtés et
renvoyés devant la Cour de la Sûreté de l'Etat.
Le 27.2, les forces de sécurité arrêtèrent 14
personnes à Urfa et 23 à Mus pour avoir donné refuge à des militants du
PKK.
Le 27.2, à Izmir, les tentes des travailleurs du
transport qui participaient à une action de protestation furent
détruites par la police. Comme les travailleurs faisaient face à
l'intervention, la police en blessa deux et arrêta six autres.
rétablissement de la citoyenneté turque
Le 3 février, le Ministère de l'Intérieur annonçait
la préparation d'un projet de loi en vue de supprimer l'Article 25/G de
la Loi sur la Citoyenneté adopté par la junte militaire en 1981.
Une fois que la loi prendra effet, 209 personnes
privées de la citoyenneté turque pour avoir pris part à des actions
prétendument nuisibles pour la sécurité nationale, pourront récupérer
leur nationalité. Ces personnes ne furent pas seulement privés de
leur citoyenneté, la Trésorerie confisqua toutes leurs propriétés et
leurs avoirs financiers.
Parmi eux se trouvent deux rédacteurs d'Info-Türk,
Dogan Özgüden et Inci Tugsavul, qui ont introduit un appel auprès de la
Commission Européenne des Droits de l'Homme pour que soit annulé le
décret de la junte militaire.
Avant que la nouvelle législation ne soit approuvée,
certaines personnes qui avaient été privées de leur citoyenneté sont
retournées en Turquie en possession d'un passeport délivré par les pays
européens qui leur ont concédé la naturalisation. Deux célèbres
musiciens, le compositeur Sanar Yurdatapan et la chanteuse Melike
Demirag, ont visité leur patrie après dix ans d'exil, non en tant que
citoyens turcs mais en tant que citoyens allemands.
Cependant, ils sont rentrés en Allemagne avec une
grande déception. Avant de quitter la Turquie, Sanar Yurdatapan
fit couper ses cheveux le 7 février pour protester contre les
violations des droits de l'homme perpétrées dans sa patrie.
Yurdatapan expliqua son acte de la manière suivante
:
"Comme vous savez très bien, les élections du 20
octobre 1991 on conduit à la formation d'une coalition gouvernementale
qui promit de nombreuses réformes visant à assurer la démocratisation
et le respect des droits de l'homme.
"Malheureusement, les récentes évolutions survenues
dans notre pays nous ont déçus et n'ont fait qu'accroître notre
préoccupation pour les droits de l'homme :
"1. Selon un rapport de l'Association des Droits de
l'Homme (IHD) daté du 7 février 1992, les plaintes de torture dans les
postes de police continuent à se produire partout en Turquie. Depuis
que le nouveau gouvernement a accédé au pouvoir, 20 cas de torture, 2
décès en détention, 12 décès dans des circonstances suspectes et 3
disparitions ont été rapportés.
"Le 6 février 1992, à Istanbul, je fus informé d'un
nouveau cas de torture : un exilé politique, Haydar Beltan, fut arrêté
et torturé à Ankara alors qu'il rentrait d'Allemagne après un long exil.
"Pour manifester ma réprobation et attirer
l'attention sur l'existence de la torture, j'ai fait couper mes cheveux
au cours d'une conférence de presse que j'ai tenue à Istanbul. Ma
tête sera rasée jusqu'à ce que les autorités turques prennent des
mesures sérieuses pour mettre fin à cette pratique inhumaine.
"2. Des groupes d'exécution spéciaux,
officiellement appelés 'des équipes Anti-Terreur', abattent les
suspects au lieu de les appréhender vivants. Rien qu'en janvier
1992, six personnes furent victimes de cette chasse à l'homme.
"3. Ces mêmes équipes sèment la terreur dans les
régions habitées par les Kurdes. Les meurtres commis par ces
équipes sont délibérément tolérés par l'Etat.
"4. L'Organisation Contre-Guérilla (Gladio turc),
cerveau du terrorisme d'Etat, est toujours opérationnelle dans le pays
et les autorités n'ont entrepris aucune mesure concrète pour mettre fin
à ces activités subversives. C'est pour cette raison que de
nombreux auteurs de crimes politiques ne peuvent être identifiés.
Le terrorisme d'Etat incite alors au terrorisme individuel. Et ce
qui est plus grave, les chefs de l'Etat et de l'Etat-Major au lieu de
s'attaquer aux causes de la violence politique, incitent publiquement à
la revanche et poussent les forces de sécurité à commettre d'autres
actes de violence.
"5. Certaines sinistres forces de l'Etat ne tiennent
nullement compte de la législation. Citons l'exemple du procureur
de la Cour de la Sûreté de l'Etat d'Ankara, Nusret Demiral, qui
introduisit une action en justice contre 20 députés d'origine kurde
pour leurs discours électoraux et inauguraux et demanda pour eux la
peine capitale."
le proces du tbkp a strasbourg
Le 3 février, les leaders du Parti Communiste Uni de
Turquie (TBKP) portaient plainte contre une décision du Tribunal
Constitutionnel qui interdisait toutes les activités du parti estimant
qu'il s'agissait d'une violation des principes démocratiques des
accords internationaux. Après avoir porté l'affaire devant la
Commission Européenne des Droits de l'Homme, le président du TBKP,
Nihat Sargin et le Secrétaire Général, Nabi Yagci (Haydar Kutlu)
affirmèrent que la Turquie devrait faire l'objet d'un procès.
Le TBKP fut jugé sous prétexte qu'il soutenait la
lutte des classes, que son nom contenait le mot "communiste", que ses
positions sur la question kurde étaient de nature séparatiste et qu'il
représentait une continuation de partis disparus.
Le Tribunal Constitutionnel rendit son jugement à la
fin du mois de janvier et acquitta le parti des accusations de lutte
des classes et d'être une continuation de partis disparus mais le
condamna à fermer ses portes en raison de l'utilisation du mot
"communiste" dans son nom et de son soutien au séparatisme.
Sargin et Yagci ont également qualifié la décision
de la cour, se référant au programme du parti concernant le problème
kurde, de violation de la constitution.
"A un moment où le tabou kurde fait l'objet d'un
débat et le gouvernement lève les interdictions sur la langue kurde,
notre parti est fermé en raison de ses positions sur la question kurde.
S'il y a encore des interdictions en Turquie, peut-on parler d'une
constitution populaire et démocratique ?" demandèrent les leaders du
parti.
ouverture d'Ankara à l'asie centrale
La naissance de nouveaux Etats indépendants
turco-islamiques à l'Est et de fortes minorités musulmanes dans les
Balkans ont augmenté les chances d'Ankara de mener à bien des
manoeuvres diplomatiques sur la scène internationale.
Un rapport de Associated Press daté du 28 février
1992, résumait la nouvelle ouverture turque de la manière suivante :
"La Turquie a porté sont attention sur six
républiques musulmanes avec lesquelles elle possède des liens
ethniques, religieux et linguistiques. Mais elle essaie également
de renforcer ses liens avec la Russie, un important partenaire
commercial. Même ses relations avec un de ses ennemis
historiques, l'Arménie, s'améliorent rapidement.
"D'autres puissances dans la région, y compris
l'Arabie Saoudite, l'Iran et le Pakistan se bousculent pour accroître
leur influence parmi les république musulmanes.
"La Turquie a plusieurs buts. Premièrement, ce
pays musulman mais officiellement séculaire espère mettre un frein au
fondamentalisme islamique et à la campagne iranienne dans les
républiques musulmanes.
"Deuxièmement, la Turquie cherche des partenaires
commerciaux. Elle a l'intention de démontrer à l'Occident qu'elle
reste un partenaire de valeur.
"La Turquie, pilier de la défense de l'OTAN, tint un
rôle important pendant la guerre froide, affirmait un ambassadeur
européen dans la capitale turque. 'Si la Turquie veut bénéficier du
soutien politique et économique de l'Occident, elle devra miser sur
cette carte.'
"La Turquie fut la première à reconnaître
l'indépendance des républiques musulmanes et a rapidement exploité
diverses voies pour renforcer son influence.
"- Elle a envoyé des milliers de livres
d'alphabétisation afin de les persuader de passer de l'alphabet
cyrillique au latin plutôt qu'à l'écriture arabe.
"- Quelque 1.000 étudiants vont recevoir des bourses
pour suivre une formation commerciale dans les universités turques.
"- La Turquie a récemment annoncé un projet de 10
millions de dollars pour la diffusion de la télévision turque dans les
républiques musulmanes où le turc est une langue que de nombreuses
personnes comprennent.
"- La banque turque pour l'exportation-importation
concède aux républiques des lignes de crédit représentant des millions
de dollars.
"Un certain succès est déjà visible.
"L'Azerbaijan s'est engagé à suivre le modèle
séculaire turc et à entreprendre une transition d'une économie dirigée
par l'Etat vers un marché libre.
"‘La Turquie et l'Azerbaijan sont comme un arbre
avec une seule racine et deux branches’, déclara avec beaucoup
d'enthousiasme le ministre des affaires extérieures, Housseinaga
Sadykhov, au cours d'une récente interview à Istanbul.
"Cependant, les Turcs admettent qu'ils ne disposent
pas des ressources nécessaires pour redresser seuls les économies des
républiques musulmanes.
"La Turquie espère que son plus proche allié, les
Etats-Unis, lui donnera un petit coup de pouce dans cette compétition.
En prenant part à des projets conjoints avec la Turquie, les
représentants turcs soulignent que Washington soutiendrait un modèle de
marché libre et démocratique et mettrait en échec l'influence de l'Iran.
"‘Nous cherchons évidemment les moyens de coopérer
avec la Turquie... de voir ce que nous pouvons faire pour les nouvelles
républiques’ affirma un porte-parole de l'ambassade américaine à Ankara.
"Les Etats-Unis et la Turquie ont déjà coopéré pour
venir en aide à l'Union Soviétique. La Turquie apporte 90 tonnes
métriques de denrées alimentaires.
"Les échanges commerciaux entre la Turquie et
l'Union Soviétique n'ont cessé de s'intensifier depuis une décennie.
"Depuis l'accord de 1984 pour l'importation de gaz
naturel soviétique par la Turquie, les échanges commerciaux ont été
septuplés et représentent 2 milliards de dollars, disent les
représentants. Cependant, la majeure partie de ces échanges ont
lieu avec la Russie et non avec les républiques musulmanes. Un
des aspects fascinants du réchauffement des relations entre la Turquie
et les nouvelles républiques est le rapprochement entre des ennemis
historiques comme la Turquie et l'Arménie.
"Il existe un timide plan de construction
d'installations portuaires dans la ville turque de Trabzon, sur la Mer
Noire. Ces installations sont destinées à l'usage de l'Arménie qui ne
possède pas d'accès à la mer.
"La Turquie et l'Arménie qui n'ont toujours pas
établi de relations diplomatiques mais ont exprimé leur désir
d'améliorer leurs relations, ont souffert des allégations selon
lesquelles la Turquie aurait commis un génocide contre les Arménies
pendant la Première Guerre Mondiale."
l'arménie inquiète par les manoeuvres turques
En fait, tandis que la AP faisait état d'un
rapprochement entre la Turquie et l'Arménie, la presse soviétique
rapportait une inquiétude croissante d'Erivan à l'égard de la Turquie.
Le quotidien Hürriyet rapportait le 25 février que
l'Arménie était alarmée par les jeux de guerre prévus par la Turquie le
long de la frontière orientale pour les 27 et 28 février. Les
autorités d'Erivan étaient particulièrement inquiètes parce que
l'exercice visait à évaluer la capacité des Forces Armées turques à
repousser une attaque provenant de l'est (Arménie) et ce sous le regard
du Président Özal et du Premier Ministre Demirel.
Le journal Hürriyet considérait que l'exercice turc
coïncidait avec une concentration de troupes arméniennes le long de sa
frontière avec l'Azerbaijan.
Dans leur exercice, les Forces Armées turques
utiliseraient des hélicoptères, des avions de combat, des tanks et
l'artillerie.
Le quotidien Zaman précisa que le Président Özal
avait affirmé que si un important problème [la guerre] surgissait entre
l'Azerbaijan et l'Arménie, la Turquie serait sérieusement
affectée. "Il faut chercher une solution avant que les choses
n'échappent à tout contrôle et s' aggravent", affirma Özal.
Auparavant, un article paru dan le journal russe
Izvestia précisait que la Troisième Armée Turque basée à Erzurum, était
renforcée par la "plus importante mobilisation" depuis la Deuxième
Guerre Mondiale.
Un autre article paru dans la Nazavisimaya Gazeta
indiquait que des "conseillers" du Président Arménien, Leon Ter
Petosyan, estimaient que la Turquie essayait "d'intimider" l'Arménie
par la mise en alerte des troupes turques et leur déplacement vers leur
frontière commune. "Alors qu'on assiste à une escalade de la
crise de Nogorno-Karabakh, ces mouvements ne peuvent avoir d'autre
interprétation qu'une exhibition de force pour intimider Erivan,"
concluait l'article.
L'article de Izvestia considérait que l'Azerbaijan,
qui a déjà conclu des accords de coopération avec la Turquie dans un
certain nombre de domaines, demanderait une aide militaire
turque. La Turquie fournirait cette aide à partir de Nakhichevan
-- une enclave de l'Azerbaijan en Arménie -- et celle-ci s'unirait
finalement à l'Azerbaijan.
violations des droits de l'homme en 100 jours
Dans un rapport publié à l'occasion du 100e jour de
pouvoir de la coalition DYP-SHP, l'Association des Droits de l'Homme de
Turquie (IHD) déclare que depuis que la coalition gouvernementale a
reçu le vote de confiance, le 29 novembre 1991, l'Etat turc n'a
toujours pas cessé de violer les droits fondamentaux de l'homme.
Le rapport montre qu'au cours des 100 premiers jours
de coalition Demirel-Inönü, qui accéda au pouvoir en faisant la
promesse de restaurer toutes les libertés et les droits fondamentaux
dans le pays, quatre personnes sont mortes suite aux tortures
policières, trois sont toujours portées disparues et 28 autres sont
mortes dans "des conditions mystérieuses", euphémisme employé pour
indiquer d'éventuelles implications policières. Le nombre de 28
ne serait en réalité que le tiers du chiffre réel en raison du retard
dans l'enregistrement des nouvelles plaintes et des nouveaux cas.
Une analyse des 28 "décès mystérieux" enregistrés
montre une intensification de la campagne secrète destinée à éliminer
des civils pro-kurdes et de gauche.
Dans le Sud-est, où le Parti Ouvrier du Kurdistan
(PKK) mène une guerre de guérilla clandestine depuis huit ans, ont
remarqué une soudaine augmentation des civils et hommes politiques
pro-kurdes tués.
En décembre, cinq personnes ont été tuées dans des
circonstances controversées ce qui nous fait penser que les meurtriers
pourraient ne pas appartenir à une organisation "terroriste".
Le nombre des "meurtres mystérieux" s'élevait à 9 en
janvier, tandis qu'en février le nombre passait à 15.
Aucun des coupables n'a été arrêté et les activistes
des droits de l'homme prétendent que la plupart des assassinats sont
l'œuvre de l'organisation radicale islamiste Hezbollah Kurde qui serait
protégée par l'Organisation Contre-Guérrilla [Gladio Turc] et les
forces de sécurité.
Du 29 novembre 1991 au 20 février 1992, 169
personnes ont perdu la vie suite à des actes de violence à travers tout
le pays. Parmi elles, 161 personnes le furent dans le Sud-est.
Parmi les décédés se trouvent 31 soldats, 10 gardiens de village, 46
militants du PKK et 72 civils.
En attendant, six personnes furent tuées en janvier
dans ce que les activistes des droits de l'homme qualifient
"d'exécutions sans verdict", faisant surtout allusion aux opérations
policières destinées à supprimer les suspects quel que soit leur niveau
d'implication dans la résistance.
Au moins 1.600 "suspects" ont été arrêtés au cours
des 100 premiers jours de la coalition.
une chasse à l'homme incessante
Au cours des sept derniers mois, 45 meurtres
inexpliqués se sont produits dans la région du Sud-est. La
plupart des victimes provenaient de la population kurde. La plupart de
ces meurtres auraient été commis par des membres de l'organisation
islamique Hezbollah Kurde entraînée par l'Organisation Contre-Guérilla
et la police.
Le 3 février, l'hebdomadaire Yeni Ülke rapportait
que trois personnes avaient été tuées par les militants Hezbollah au
cours des dix derniers jours. Ces trois personnes sont :
Nizamettin Kisin, tué le 23 janvier à Mazidag (Mardin), Seyfettin
Aktan, tué le 25 janvier à Nusaybin et Hüseyin Pamukcu, président du
village de Fakiri et tué le 26 janvier à Besiri (Batman).
Non seulement les assassinats politiques n'ont pas
cessé mais ils ont augmenté au cours du mois de février 1992, troisième
mois du gouvernement DYP-CHP.
Voici les assassinats politiques enregistrés en
février
1992 :
Le 1.2, le secrétaire local du SHP à Nusaybin, Oktay
Türemen, fut abattu par trois inconnus.
Le 11.2, à Batman, le commerçant Metin Elikci fut
battu et ensuite assassiné à coups de poignard par trois personnes
inconnues. Pendant ce temps, dans un autre quartier de la ville,
la voiture d'Ekrem Aslan fut incendiée.
Le 14.2, au cours d'une opération dans le village de
Yaraköyü, province de Mardin, des paysans kurdes se sont opposés aux
forces de sécurité. Ces dernières firent feu en leur direction,
tuèrent six personnes et en blessèrent 12 autres. Le lendemain,
pour protester contre ce massacre, les paysans interrompirent le trafic
sur l'autoroute E-24 pendant quatre heures. Des manifestations
furent également suivies à Nusaybin.
Le 15.2, à Diyarbakir, l'instituteur d'école
primaire, Ahmet Bayhan fut abattu par des inconnus. Un garçon de
huit ans qui se tenait près de lui fut également blessé pendant
l'incident. L'instituteur avait préalablement fait l'objet de trois
arrestations pour avoir aidé le PKK. Ses obsèques furent suivis
par plus de 5.000 personnes.
Le 16.2, dans le village de Payamli, province de
Siirt, les forces de sécurité ouvrirent le feu sur des personnes
honorant la mémoire d'un militant du PKK mort, tuant deux personnes et
blessant quatre autres.
Le 17.2, des manifestations furent organisées
et les commerces restèrent fermés dans les districts de Nusaybin, Idil,
Silvan, Kulp et Pervari, pour protester contre le massacre de Mardin.
Le 21.2, à Midyat, la police fit feu en direction
des 2.000 personnes qui protestaient contre la terreur d'Etat dans la
région. Un jeune homme fut abattu, cinq personnes furent blessées
et de nombreux manifestants furent arrêtés.
Le 23.2, dans le village d'Altinoluk, province
d'Elazig, six personnes, dont une femme, furent tuées au cours de la
descente que les forces de sécurité firent dans leur maison.
Le 27.2, dans le district de Silvan, province de
Diyarbakir, un fonctionnaire public, Seyhmuz Akinci, fut abattu par des
inconnus. Deux heures plus tard, à Nusaybin, le membre du HEP,
Emin Narin fut trouvé assassiné. Narin avait été arrêté
pour avoir aidé le PKK, mais avait été remis en liberté quelques jours
après.
nouvelles confirmations de tortures
Malgré les promesses du gouvernement de faire cesser
la torture, des nouveaux cas ont été rapportés à la presse :
Le Rapport sur les 100 jours de l'IHD affirme que
les personnes suivantes sont mortes au cours de leur interrogatoire:
- Murat Özsat (arrêté le 23 nov. 1991 - décédé le 8
déc.),
- Agit Akip (arrêté le 10 déc. - mort un jour après),
- Ibrahim Demir (arrêté le 10 déc. - mort un jour
après),
- Refik Akin, emmené par la police le 29 janv., sa
mort fut rapportée le 1e fev.
Par ailleurs, le député de Mus, Muzaffer Demir,
révéla qu'Akan avait été battu à mort par des policiers après avoir été
obligé de se coucher nu sur la neige.
Voici les autres cas récents de torture :
le 10.2, à Istanbul, le concessionnaire automobile
Mustafa Sürer affirma avoir été torturé au poste de police de
Tozkoparan où il avait été conduit en raison d'une dispute familiale.
Le 16.2, cinq personnes furent brutalement battues
au cours d'une descente de police dans une maison de Diyarbakir.
Parmi elles se trouvait une femme de 80 ans, Halime Savas, et une femme
enceinte, Hanim Savas.
Le 20.2, à Izmir, trois personnes qui avaient été
conduites au poste de police dans le cadre d'une enquête, affirmèrent
avoir été torturés entre le 26 janvier et le 7 février 1992.
L'une d'entre elles, Kemal Gök, déclara avoir été obligée d'avaler des
clous et des morceaux de fil de fer.
rapport américain sur la torture en turquie
Un rapport sur les droits de l'homme du Département
d'Etat Américain déclare que l'année dernière, la torture était très
répandue dans les postes de police en Turquie. Il affirme également que
les coupables sont rarement poursuivis et l'indifférence est
générale. Selon le rapport, l'année dernière 18 personnes sont
mortes sous détention policière.
Le rapport fait état de l'utilisation de manches
d'eau froide à haute pression, de chocs électriques, de coups dans les
parties génitales et de pendaisons par les bras dans les postes de
police turcs.
Il ajoute que dans certain cas la police évite
d'utiliser ces méthodes car elles laissent des traces. Celles-ci
seraient remplacées par des abus psychologiques comme les intimidations
et les menaces verbales.
Le 2 février, le Ministère des Affaires Extérieures
turc faisait savoir que le rapport était en train d'être étudié.
assassinat de journalistes kurdes
Un reporter qui travaillait pour l'hebdomadaire
2000e Dogru fut assassiné le 19 février à Diyarbakir, deux jours après
la publication à la une d'un article prétendant que des membres de
l'organisation islamique Hezbollah étaient entraînés par l'Organisation
Contre-Guérilla et la police dans la ville.
Halit Güngen, de 22 ans, reçut une balle dans la
tête et mourut sur le chemin de l'hôpital.
Immédiatement après l'assassinat, un autre reporter
du magazine, Ahmet Sümbül, fut arrêté par la police.
Les deux reporters étaient auteurs des
articles concernant l'Hezbollah . Selon eux, les activités des
Hezbollah dans le Sud-est et principalement dans la province de Batman,
ont commencé après l'entrée en fonction du gouvernement de
coalition. Au moins cinq personnes furent tuées et plusieurs
commerces appartenant à des civils pro-kurdes furent victimes
d'attentats à la bombe. Aucun coupable ne fut arrêté.
L'année dernière, le bureau de 2000e Dogru à
Diyarbakir, ainsi que d'autres magazines de l'opposition, fut victime
d'un attentat à la bombe.
Des personnes non identifiées avaient affiché juste
en face du bureau du magazine, des posters menaçant les occupants de
l'immeuble et les incitant à "expulser les traîtres".
Les funérailles de Güngen se transformèrent en une
manifestation de protestation suivie par plus de 15.000 personnes.
Quelques jours plus tard, le 24 février, le
journaliste Cengiz Altun, correspondant à Batman de l'hebdomadaire Yeni
Ülke, fut abattu dans son bureau par des inconnus. Des témoins
oculaires déclarent avoir vu les assassins prendre la fuite dans un
moto après avoir commis leur crime.
Quelques jours auparavant, Altun avait été emmené au
poste de gendarmerie de Gercüs et avait fait l'objet de menaces en
raison de sa position sur la question kurde.
A ses obsèques assistèrent plus de 20.000 personnes
qui scandaient des slogans : "Le Kurdistan sera la tombe du
fascisme !", "A bas la Contre-Guérilla !" Le même jour, tous les
commerces fermèrent leurs portes et les étudiants boycottèrent l'école.
Le rédacteur en chef de Yeni Ülke, Hüseyin Akyol,
ainsi que d'autres rédacteurs furent attaqués et harcelés par des
soldats et des membres d'une équipe spéciale alors qu'ils revenaient
des funérailles.
Le 27 février, la voiture du journaliste Aykut
Tuzcu, éditeur du quotidien Sabah à Gaziantep, fut dynamitée par des
inconnus.
mort suspecte d'un coordinateur de télévision
Le coordinateur général de la chaîne privée Star-1,
Yekta Okur, est mort à Istanbul le 18 février dernier suite à un
"accident" de la circulation. Sa voiture heurta le rail gauche
puis le droit de l'autoroute E-5.
Dans un premier temps, la police conclut que la
vitesse de la voiture et une route glissante étaient les causes de
l'accident.
Cependant, une femme qui entra en contact avec
Star-1 affirma qu'elle conduisait en compagnie de son mari lorsque, à
deux heures du matin, elle vit comment un camion heurtait l'arrière de
la voiture d'Okur.
Star-1 laissa entendre que la mort était "suspecte"
si l'on considérait qu'Okur venait d'introduire une pétition auprès du
Procureur Public où il disait que sa vie était menacée. Un appel
anonyme aurait annoncé à Okur qu'il serait bientôt assassiné.
Dans sa pétition, Okur disait que les auteurs des
menaces étaient Ahmet Özal, fils du Président Turgut Özal, et son
partenaire Turgay Aksoylu.
Ahmet Özal est un des fondateurs de Star-1 mais on
rapporte qu'il aurait des différends avec le président du Conseil
d'Administration, Cem Uzan, et Yekta Okur.
Star-1 souligna qu'Okur conduisait une Nissan,
voiture qui se verrouille immédiatement en cas d'accident. Malgré
cela, Okur fut trouvé sur le trottoir et les portes de la voiture
étaient ouvertes.
"Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un accident",
déclara Nezih Demirkent, président de l'Association des Journalistes,
"Je ne comprends pas pourquoi son garde du corps et son chauffeur ne
l'accompagnaient pas comme ils le font toujours."
poursuites contre les médias en février
Au cours des 100 premiers jours, 11 magazines furent
saisis, 16 journalistes furent arrêtés et cinq rassemblements, y
compris un concert et deux "meetings de solidarité" furent
interdits. Quatre bureaux des branches provinciales des syndicats
furent également momentanément fermées par ordre des gouverneurs locaux.
Au cours de la même période, le gouvernement, qui se
prétend contraire à toute forme de censure, interdit 12 livres --
sept s'entre eux écrits par l'éminent savant Dr Ismail Besikci.
Les autres livres interdits dans la même période
sont :
Abidin Kizilyaprak : Comment nous avons combattu le
peuple kurde - Mémoires d'un soldat.
Hüseyin Karatas : Chanson d'une Rébellion - Dersim.
Metin Ciyani : Contes de Fées d'un Pays de l'Eternel.
Edip Polat : L'Aurore du Newroz.
Un livre intitulé Graffiti de Substance Sexuelle fut
également interdit au cours de cette période.
Le 1.2, le dernier livre du Dr Ismail Besikci,
Observations sur le PKK - Le Prix de la Liberté, fut confisqué par
décision de la CSE d'Istanbul en vertu des Articles 6 et 8 de la Loi
Anti-Terreur.
Le 1.2, l'Anthologie des poèmes de prison 1980-1990,
publication conjointe des maisons d'édition Melza et Sorun, fut
confisquée par la CSE d'Istanbul.
Le 2.2, le numéro 18 de la publication politique
Özgür Halk, fut confisqué par la CSE d'Istanbul en vertu de l'Article 9
de la Loi Anti-Terreur, pour avoir publié la traduction d'une entrevue
du leader du PKK, Öcalan.
Le 4.2, un ancien dirigeant du Parti Communiste de
Turquie (TKP) de 91 ans, Mehmet Bozisik, ne fut pas autorisé à se
rendre à l'étranger pour y recevoir un traitement médical. Il souffre
d'un cancer de la peau.
Le 6.2, le bureau d'Istanbul du bimensuel Emegin
Bayragi fut perquisitionné par la police et le rédacteur en chef,
Mukaddes Celik, l'éditeur responsable, Nazim Taban et cinq autres
collaborateurs furent arrêtés.
Le 7.2, la CSE d'Ankara décida de confisquer trois
livres du Dr Ismail Besikci en vertu de l'Article 8 de la Loi
Anti-Terreur : La Méthode de la Science, Une lettre à l'UNESCO et
Quelques Observations sur les Intellectuels Kurdes. Le premier de
ces trois livres, La Méthode de la Science, avait été publié en 1976 et
n'avait jamais fait l'objet d'une action en justice.
Le 11.2, le procureur public intenta un nouveau
procès contre le Professeur Yalcin Küçük pour son article "Öcalan, Mon
Frère", publié dans l'hebdomadaire Yeni Ülke. Accusé de
séparatisme, il sera jugé par la CSE d'Istanbul et risque une peine de
prison de 5 ans en vertu de la LAT.
Le 12.2, au cours de la nuit, le Dr Besikci était
arrêté à Istanbul et envoyé à la CSE d'Ankara pour y être interrogé.
Cependant, la CSE décida de traiter l'affaire sans le placer en
détention.
Le 17.2, le nouveau livre du Dr Besikci, Les
préalables de l'Insurrection, fut confisqué par décision de la CSE
d'Ankara pour propagande séparatiste (Art 8 de la LAT).
Le 18.2, le numéro 18 de l'hebdomadaire Yeni Ülke
fut confisqué par la CSE d'Istanbul pour un article demandant qu'on
reconnaisse au PKK le statut de "parti belligérant".
Le 19.2, le numéro 38 du bimensuel Mücadele fut
confisqué par la CSE d'Istanbul pour avoir publié une notice
nécrologique.
Le 28.2, la CSE d'Ankara décida de confisquer trois
livres du Dr Ismail Besikci : "Science, Idéologie Officielle, Etat,
Démocratie et la Question Kurde", "Les Statuts du Parti du Peuple
Républicain" et "Destruction des Murailles de notre Esprit". Les
deux premiers livres avaient déjà été confisqués il y a deux ans en
vertu de l'Article 142 du Code Pénal Turc. Après la suppression
de cet article, l'année dernière, deux livres ont été réimprimés, mais
le procureur les considère préjudiciables en vertu de l'Article 8 de la
LAT qui remplace l'Article 142.