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INFO-TURK

Conférence-débat avec
l'auteur de Journaliste "Apatride"

Dogan Özgüden

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Déclaration commune des associations des diasporas
Texte de l'intervention de Dogan Özgüden

 

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La conférence-débat autour du livre Journaliste « apatride » de Dogan Özgüden a eu lieu le 27 février 2014
dans les locaux de l’Institut Assyrien de Belgique avec la participation de plus de trois cents invités.
Après les interventions, la soirée s’est déroulée dans une ambiance d’amitié et de solidarité
avec les chants et danses représentant la richesse culturelle d’Anatolie.


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A cette occasion, les dirigeants des associations organisatrices, Nahro-Beth Kinne, Derwich Ferho, Bogos Ökmen,
Zeynep Görgü et Iuccia Saponara ont décerné à Dogan Özgüden et Inci Tugsavul le Prix "Citoyens de l'Humanité".


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Hommage à Deniz Gezmis exécuté par les militaires le 6 mai 1972 et dont le jour de naissance
coïncide avec celui de Dogan Özgüden, né le 27 février 1936

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Le journaliste-sénateur honoraire Josy Dubié,
le président du Comité des Arméniens de Belgique Michel Mahmourian et Julos Beaucarne

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Les anciens députés kurdes en exil Remzi Kartal et Zübeyir Aydar
 
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Stand de livres de Dogan Özgüden

(Cliquez ici pour beaucoup plus d'images de la soirée)

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Déclaration commune

Nous sommes ici ce soir à l’occasion de la sortie du livre en langue française de monsieur Ozguden. Ce livre est une autobiographie. Mais en réalité, c’est un condensé de l’histoire de la lutte démocratique en Turquie à travers un témoin authentique, dont la vie se superpose parfaitement à cette lutte.

Comme vous le savez tous, la Belgique fête cette année le 50ieme anniversaire de l’immigration Turco-Marocaine et le livre aborde un côté toujours ignoré de cette immigration : l’ exil politique et les diasporas.

La Turquie ne ressemble pas aux autres pays. Les généralités qui déterminent les autres pays, ne s’y appliquent pas. Le Kémalisme a produit des chimères. Des laïques-modernistes qui sont des nationalistes, des islamonationalistes qui sont des néo-fascistes et/ou des  islamistes, des néo-libéraux qui sont tout sauf libéraux,  même certaines organisations qui se disent de gauche voire socialistes sont nationalistes voire fascistes…

Pour couronner le tout, un état profond qui téléguide voire manipule tout ce beau monde.

Dans une situation comme cela, il est extrêmement difficile pour les véritables démocrates, progressistes, révolutionnaires, patriotes de sortir du lot et de lutter pour une Turquie démocratique, surtout dans les périodes de répression extrême, dont les peuples  de Turquie sont coutumiers.

Les grands médias sont à la solde du pouvoir, et pour garder leur train de vie, les journalistes dans leur grande majorité suivent le mouvement.

La Turquie, héritière de l’Empire ottoman et du pouvoir des Jeunes Turcs (sur ce constat, il y a un large consensus parmi les différentes forces qui gouvernent et qui ont gouverné le pays), la Turquie, état qui présente un continuum, s’est créé  et s’est  nourri des génocides, des  massacres à grande échelle  et assassinats des nations, minorités nationales et religieuses ainsi que des démocrates, des progressistes et des communistes, tout en appliquant une politique d’assimilation forcée et en essayant de créer une amnésie collective pendant plus de 80 ans sur l’ensemble de la population. Cette politique a forcément laissé des traces indéniables sur l’ensemble des habitants de Turquie. Y compris la plupart des forces de gauche qui sont anti système, et qui ont été largement influencées.

Dans une situation sociopolitique telle, il est extrêmement difficile de se libérer et aller vers les autres, sans a priori. Nous avons de rares personnalités qui ont pu se prémunir et garder le cap en arrivant à se détoxiquer du poison inculqué par le système Kémaliste.

Une de ces personnalités est sans conteste Monsieur Dogan Ozguden avec Madame Inci Tugsavul. On ne peut citer l’un sans citer l’autre, car ils sont tellement complémentaires.

En plantant ainsi le décor, on peut plus facilement comprendre la personne qu’est Monsieur Dogan Ozguden ainsi que la place particulière  qu’il a joué et qu’il joue dans nos luttes.

Licencié de l’école supérieure des sciences économiques et sociale d’Izmir, Dogan Ozguden à commencé le journalisme en 1952, pendant ses études. Entre 1964 et 1966, il a été le rédacteur en chef d’Aksam, le plus grand quotidien de gauche turque. Son action sociale le mène au Parti ouvrier de Turquie à partir de 1962, où il sera d’ailleurs élu au comité central.

Inci Tugsavul-Ozguden a fait ses études en droit à l’université d’Ankara. Son parcours journalistique la mène à travailler aux côtés de Dogan Ozguden à partir de 1963 au quotidien Aksam.

Tous deux fondent ensemble la revue socialiste Ant, qui sera interdite après le coup d’état de 1971. Par ailleurs, ils furent tous deux condamnés pour leurs opinions à 300 ans de prison au total. Ils durent donc quitter la Turquie pour l’Europe.

Ils ont été présents dans toutes  les luttes. Pour les droits des Kurdes, des Syriaques, des Arméniens, des Grecs, des Juifs, des progressistes, des antifascistes, des antiracistes…

Ils ne se sont pas limités à la situation de la Turquie, mais également à tout ce qui s’est  passé de par le monde et ils apportent leur contribution sans compter.

Les deux camarades de vie ont créé un véritable centre d’information authentique que: il s'agit d'INFO-TURK. Une source d’ information sans censure et combien importante pour tous ceux qui sont à la recherche d’informations fiables venant de Turquie.

Ils ont créé également un centre d’éducation permanente en plein cœur de Bruxelles, où des centaines  de personnes de toutes nationalités et tous horizons ont découvert  leur réalité et celle des autres,  une autre façon de vivre la solidarité et le partage. C’est l’asbl Ateliers  du Soleil, qui fête cette année ses 40 ans.

Ils ont été également le fer de lance du collectif 1971, unique dans son genre, en regroupant quatre organisations provenant de l’immigration politique de Turquie ayant des origines différentes. « Quand on est ensemble, on ne sait pas nous distinguer par notre identité ethnique ou religieuse, d’ailleurs cela n’a plus d’importance.  Nous travaillons dans un esprit de respect mutuel et nous nous acceptons tel que nous sommes ». Vous avez beaucoup contribué à cette entente.  Ensemble, dans nos actions communes, nous avons pu rassembler et mettre côte à côte nos peuples. Tout le monde y a contribué bien sûr, mais votre contribution est des plus importantes.

Cet engagement et ce professionnalisme ont un prix, surtout si on parle d’un état comme la Turquie.

Vous êtes des exemples à suivre pour les générations futures.

Vous n’avez pas reculé d’un iota, dans l’engagement qui a été le vôtre, contre les dizaines de procès à votre encontre, contre le vol de votre nationalité par l’Etat Turc et même les menaces de mort.

Chacun de nous a eu l’occasion, en vous fréquentant  de se faire une idée sur vous. Mais nous pouvons dire sans exagérations que notre avis unanime est que dans tout votre cheminement vous êtes restés  toujours vous-mêmes,  toujours aimables, toujours à l’écoute et toujours disponibles.

Nous venons pour l’essentiel du plateau Anatolien, où il n’y a pas l’habitude de célébrer les vivants.

Nous célébrons plus facilement les morts surtout s’ils sont assassinés. Nous connaissons les dates  d’assassinat de nombreux martyrs et malheureusement ils sont nombreux (c’est la preuve aussi que des milliers de personnes se sont révoltées contre l’ordre établi). Mais nous ne connaissons pas le jour de leur naissance et souvent même pas l’année  de leur naissance. C’est notre culture commune et nous l’assumons. Cela dit il est légitime également de fêter les vivants.

Profitant de cette occasion nous voulons vous féliciter pour vos 78 ans et vous souhaitons  une santé de fer  à vous et à madame Inci Tugsavul, pour voir naître un plateau Anatolien démocratique  et y vivre en fraternité avec tous les peuples qui le composent.

Merci Dogan, notre grand frère à tous,

Merci Inci, notre sœur ainée à tous,

Heureusement que vous existez, que vous existez pour l'humanité,

Restez à nos côtés.

Association des Arméniens démocrates de Belgique                    
Institut Assyrien de Belgique
Institut Kurde de Bruxelles
La maison du peuple
Les Ateliers du Soleil
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Intervention d'Özgüden


Dogan Özgüden, après avoir remercié les associations organisatrices de cette soirée et particulièrement Inci Tugsavul, Iuccia Saponara, Elise Thiry, Mazyar Khoojinian, Catherine Périer et Mehmet Köksal pour leur contribution à la réalisation de son livre, a fait l’intervention suivante :

Comme disaient mes amis dans leur déclaration, la parution de mon livre coïncide avec la célébration officielle du 50e anniversaire de l’immigration turque en Belgique.

Un anniversaire dont l’inauguration a été faite il y a quelques semaines en présence du premier ministre turc. Celui-ci exploite actuellement chaque occasion pour se blanchir du scandale de corruption dont fait l’objet son gouvernement.

L’accord turco-belge sur l’immigration date de 1964,  mais ce mouvement migratoire économique avait déjà commencé dans les années 50.

Une petite anecdote que j’ai bien détaillée dans mon livre, j’étais un de ces migrants qui avait fait une escale à Bruxelles déjà deux ans avant la signature de cet accord.

Mis sur la liste noire des propriétaires des journaux à Izmir en raison de ma lutte syndicale, j’avais dû quitter la Turquie pour la première fois en 1962 pour gagner ma vie à l’étranger.

Lors d'un séjour à Londres j’avais trouvé un travail bien rémunéré, en Australie en tant que comptable mais j’ai dû renoncer à ce projet pour me rejoindre immédiatement à l’organisation du premier parti socialiste de mon pays.

Sur le chemin de retour : Bruxelles.

La chaussée d’Haecht n’était pas encore un village turc… Ce sont les charbonnages de Wallonie et du Limbourg qui attendaient bras ouverts la main d’œuvre turque pour la conquête du charbon.

Ma deuxième arrivée à Bruxelles, en tant qu’exilé politique, a eu lieu juste après le coup d’état militaire de 1971, après avoir fui la Turquie clandestinement avec un passeport de famille falsifié.

Les militaires nous cherchaient, Inci et moi, menacés de centaines d’années de prison.

Décidés à retourner au pays dès que la Résistance démocratique contre la junte serait organisée en Europe, nous avons choisi de rester clandestins en courant d’un pays à l’autre avec un passeport falsifié.

C’est suite à la dénonciation de notre présence clandestine au Conseil de l’Europe que nous avons dû demander l’asile politique en Hollande en 1973.

L’année suivante, en 1974, que nous nous sommes installés en Belgique pour lancer Info-Türk et d’autres activités socio-culturelles.

Mais toujours en semi-clandestinité…

Malgré le fait que nous sommes reconnus come réfugiés ONU et porteurs de laisser-passer pour journalistes délivrés par le ministre belge des affaires étrangères, la Sûreté de l’Etat et la Police des étrangers ont, sous la pression du gouvernement turc, refusé pendant trois ans de nous délivrer des titres de séjour et des permis de travail.

Dans ces conditions, grâce à la solidarité exceptionnelle de nous amis belges (Julos Beaucarne, Jacques Bourgaux, Gisèle et Marcel Cröes, Marc Brunfaut, Mateo Alaluf), nous avons développé nos activités journalistiques et socio-culturelles.

Ces premières années 70 en Belgique, malgré toutes les difficultés, font partie des pages les plus impressionnantes de ma vie d’exil.

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La vie d’exil !

En tant que fils d’une famille de cheminots, elle avait déjà commencé en Turquie pendant les années de la 2e Guerre mondiale. Mes yeux d’enfant ont observé et éternisé dans ma mémoire toute la souffrance des paysans des steppes anatoliennes et des petites gens des quartiers populaires des villes d’Istanbul, Konya, Ankara et Izmir.

Grâce à cela, quand je suis devenu journaliste professionnel, déjà à l’âge de16 ans, ma ligne de conduite était bien tracée : Non seulement journaliste d’opposition, mais également dirigeant du mouvement syndical et de la vie associative de la presse et finalement un des dirigeants du premier parti socialiste légal du pays.

Je me souviens toujours avec grande fierté de mes luttes, en tant que rédacteur en chef du quotidien Aksam et de la revue Ant, pour la justice sociale, pour les droits de l’homme et des peuples ainsi que pour l’émancipation de mon pays de la soumission aux Etats-Unis.

Mon livre est plein d’anecdotes sur cette vie mouvementée sur mes terres natales. Je n’entre pas dans ses détails dans cette courte intervention.
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Je reviens à mon exil en Europe et notamment en Belgique.

Oui, à partir du lancement de la résistance démocratique en 1972, nous avons eu la coopération des plusieurs mouvements de résistance des pays opprimés sur trois continents. La campagne de solidarité avec le peuple du Vietnam était à son zénith. En Europe, trois pays occidentaux étaient encore sous la dictature fasciste : Portugal, Espagne et Grèce. Maintenant c’était le tour de notre pays, la Turquie.

Je n’oublie jamais… Une des personnalités légendaires de la résistance grecque était Maria Beckett qui nous a beaucoup aidés pour connaître les rouages diplomatiques européens.

A notre première rencontre, nous nous sommes rendus compte que son grand-père avait été tué par les Turcs et mon grand-père tué par les Grecs pendant les Guerres balkaniques.

Après la France, la Suède, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et les Pays-Bas,  mon pays d’accueil définitif était la Belgique.

Dans ce pays, les travailleurs immigrés et exilés politiques en provenance d’Espagne, du Portugal et de Grèce, avec les immigrés italiens, étaient les piliers du mouvement progressiste belge, aussi bien dans les syndicats qu’au sein des partis politiques.

Je me souviens des cortèges du 1er mai et des fêtes du Drapeau Rouge… Les organisations progressistes espagnole, portugaise, grecque et italienne étaient une sorte de force motrice de tous ces évènements.

L’immigration en provenance de Turquie, surtout après l’arrivée des exilés politiques, essayait de s’adapter à cet élan internationaliste.

Les deux centrales syndicales belges, la FGTB et la CSC, ont accéléré ce processus en mobilisant leurs affiliés en provenance de Turquie.

A cette époque-là, on ne parlait que de « l’immigration turque » sans tenir compte du fait qu’une partie importante de ces travailleurs était d’origine kurde.

Ce qui est malheureux, ces travailleurs kurdes, eux-mêmes, cachaient soigneusement leur origine ethnique ou linguistique, en raison de la répression nationale en Turquie qui visait également ses ressortissants dans leur pays d’accueil.

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Sur la question d’immigration turque je dois faire un retour en arrière…

Comme je le disais plus tôt, avec les médias progressistes que je dirigeais, nous étions très attentifs et critiques concernant la vente de main d’œuvre de notre pays aux pays européens.

Pour les dirigeants de Turquie, c’était un bon débarras dans un pays qui souffrait d’un chômage grave. En plus, ces travailleurs immigrés étaient considérés comme une poule aux œufs d’or pour l’économie turque souffrant de manque de devise.

En tant que journaliste et syndicaliste, j’étais souvent au bureau de recrutement des travailleurs immigrés par le patronat allemand dans un local dans le quartier Tophane d’Istanbul. Je me souviens, comment ces enfants anatoliens étaient soumis nus à un contrôle médical afin de vérifier s’ils étaient aptes à travailler dans les mines ou dans l’industrie lourde.

Pour nous, tous ces travailleurs immigrés constituaient un régiment d’avant-garde de la classe ouvrière de Turquie qui vont transférer à leur pays d’origine non seulement leurs économies en devises mais également la conscience et l’expérience ouvrière qu’ils gagneraient dans les pays industrialisés comme l’Allemagne ou la Belgique.

Notre hebdomadaire Ant était la seule revue en Turquie qui informait l’opinion publique turque sur ce côté de l’immigration et soutenait la formation des associations progressistes des travailleurs immigrés notamment en Allemagne.

Quand nous sommes installés en Belgique, nous avons programmé toutes nos activités socio-culturelles pour que les travailleurs arrivés de notre pays soient conscientisés rapidement et organisés dans les organisations syndicales et politiques de la Belgique.

J’apprécie toujours les efforts de nos amis syndicalistes turcs au sein de la FGTB et de la CSC dans ce sens. Pour soutenir leurs efforts, nous avons édité leurs journaux en turc destinés à leurs affiliés turcs ainsi que ceux des associations progressistes.

A cette époque-là, notre souci était d’inciter ces travailleurs immigrés à s’intégrer dans la vie politico-sociale belge sans tomber dans les manœuvres nationalistes ou fondamentalistes de l’Etat turc et des associations faisant partie du lobby du régime d’Ankara.

L’appel commun des associations progressistes immigrées, toutes nationalités confondues, Info-Türk compris, Objectif 82 était le point culminant de cette lutte démocratique. Cette initiative revendiquait également que les partis politiques fassent leur maximum pour éduquer et responsabiliser ces nouveaux citoyens d’origine étrangère.

Malheureusement, les partis politiques belges n’ont pas répondu correctement à cet appel.

Deux coups mortels, l’un après l’autre, à l’intégration socio-politique des travailleurs immigrés venus de Turquie…

Tout d’abord, la junte militaire de 1980 a ordonné la perte de nationalité pour les opposants de son régime à l’étranger avec la confiscation de leurs biens en Turquie.

Plusieurs travailleurs turcs avaient acheté une maison ou un  terrain en Turque avec leurs économies après avoir travaillé péniblement dans les charbonnages belges… Sous la menace de la perte de nationalité et la confiscation de leurs biens en Turquie, ils se sont éloignés des milieux progressistes pour assurer leur avenir.

En plus, la même junte militaire a pris une série de mesures pour mettre les associations immigrées sous contrôle de l’Etat turc par le biais de la Fondation des affaires religieuses à Bruxelles.

Quand la naturalisation des citoyens d’origine étrangère a été facilitée, le train était déjà raté.

Je ne veux pas entrer ce soir dans le vif du sujet, mais malheureusement les partis politiques belges, au lieu de former ces citoyens pour une intégration saine dans la vie politique belge, ont recouru à toutes sortes de marchandage avec les associations au service du lobby turc, ultra-nationalistes et fondamentalistes compris, pour obtenir quelques votes de plus dans les communes à forte densité de ressortissants turcs.

Pourquoi je raconte ceci ?

Beaucoup de monde a peut-être déjà oublié le saccage et l’incendie des locaux kurdes et arméniens dans la commune de Saint-Josse.

Une commune qui est dirigée actuellement par un bourgmestre turc qui avait revendiqué en 2006 la suppression d’un monument érigé en mémoire du génocide arménien de 1915.

Cette soirée a commencé par la lecture d’une déclaration commune des associations issues des diasporas anatoliennes.

Je suis fier d’avoir connu les amis de toutes ces associations et d’avoir fait une unité de force avec elles pour défendre la liberté d’expression, les droits de l’Homme et des peuples non seulement en Turquie mais dans tous les pays du monde.

Un aveu… J’étais en Turquie un des dirigeants des médias les plus progressistes, des syndicats et du parti socialiste.

Nous étions toujours solidaires avec le peuple kurde dans leurs revendications nationales.

Mais les revendications des peuples arménien, assyrien, ezidis, grec et juifs n’étaient jamais à l’ordre du jour des mouvements les plus progressistes.

L’idéologie kémaliste, héritière de Ittihad et Terakki, avait fort conditionné mêmes les organisations et les personnes les plus progressistes dans leur interprétation de l’histoire.

J’ai commencé à réfléchir à cette question aux premiers jours de ma présence clandestine en Belgique, en 1971, quand un intellectuel belge m’a posé une question concernant la prise de position du mouvement progressiste turc sur la question du génocide arménien.

Oui, officiellement l’immigration turque a commencé avec l’accord belgo-turc signé en 1964.

Or, l’immigration venue de Turquie avait déjà commencé il y a un siècle après le génocide des Arméniens et Assyriens..

Heureusement, avec l’arrivée massive des exilés Kurdes, Arméniens et Assyriens dans les années 80, nous avons participé à leur lutte pour les droits de leurs peuples.  Je suis fier d’avoir lutté avec l’Institut kurde de Bruxelles, l’Institut Assyrien de Belgique et l’Association des Arméniens démocrates de Belgique.

C’est après cet engagement que la haine du régime d’Ankara est devenue plus agressive contre Inci et moi,  contre les institutions que nous avons mises sur pied.

La chaîne de télévision A2 allait diffuser le 3 janvier 1985, dans la série "Résistances", un reportage intitulé “La Turquie sous la botte”. Ils n’avaient pas pu trouver en France un seul Turc qui pouvait relever le défi de témoigner.

Après mon intervention dans ce programme, le quotidien Hürriyet m’a attaqué à la une en me qualifiant de traître à la patrie.

Pas étonnant. Ce qui est étonnant, c'est que, à cause de cette émission, sous la pression du gouvernement d’Ankara, le gouvernement français a interdit mon entrée dans son pays.  M. Mitterrand était le président de la République. Le refus était catégorique, même quand sa femme Danielle Mitterrand m’a invité à Paris pour une réuni ion sur les droits des Kurdes.

La déchéance de la nationalité turque: d’abord en 1983 avec des centaines d’opposants en exil, ensuite la deuxième décheance 1988.

En 1995, quand j’ai critiqué l’organisation du festival Europalia pour honorer la Turquie alors que des milliers de prisonniers d’opinon se trouvaient dans les geôles, les médias turcs avec leurs collaborateurs belges m’ont attaqué avec beaucoup d’insultes, mais le festival a heureusement été reporté sine die.

Entre paranthèse : Europalia Turquie est à nouveau à l'ordre du jour. Les festivités pour honorer la Turquie seront organisées en 2015, au 100e anniversaire du génocide des Arméniens et Assyriens, alors que le régime d’Ankara maintient la négation de ce premier génocide du 20e siècle.

Le plus scandaleux dans le passé est arrivé quelques années plus tard…

Déchu de ma nationalité turque, interdit d’accès en France en tant que refugié politique, pour pouvoir me déplacer dans les pays européens en tant que journaliste, j’ai demandé la naturalisation en Belgique.

Cette fois-ci, la sûreté de l’Etat a trainé l’aboutissement de cette demande pendant cinq ans sous prétexte de « non intégration » dans la société belge.

Le côté le plus ironique de cette affaire…

En tant que dirigeants d’une organisation d’éducation permanente, Ateliers du Soleil, nous délivrions des attestations à nos élèves d’origine étrangère pour témoigner de leur intégration et la quasi totalité obtenait la naturalisation sans problème.

Quant à nous : niet… Car notre participation aux conférences de presse des organisations des diasporas était considérée par la Sûreté de l’Etat comme « activités subversive ».

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Le temps passe vite.

Depuis les menaces de lynchages lancées par certains médias turcs à cause de mon soutien aux revendications concernant le génocide de Dersim, l’Etat belge, grâce à l’intervention de notre ami Josy Dubié, nous a mis sous protection.

Quelles surprises nous réserve l’avenir à Inci, à pour mes amis de diasporas et à moi-même?

Je souhaite terminer mon intervention en rappelant quelques lignes de mes mémoires qui sont liées à une de nos activités principales d’aujourd’hui aux Ateliers du Soleil : Lire et Ecrire.

Durant la guerre mondiale dans une petite station isolée et fréquentée souvent par des soldats chargés du dépôt de munitions. J’avais 7 ou 8 ans:
L’un des soldats, me voyant lire sous le préau du bâtiment de la gare, se planta près de moi et me dit :
- Bravo, tu lis aussi des livres.
- Non seulement des livres, mais des journaux et même des lettres répondis-je, en me vantant.
- Et tu sais aussi écrire ?

- Bien sûr, même la cursive...

- Pourrais-tu aussi écrire à mon village, en mon nom ?

- Pourquoi pas ?

J’allai dans le bureau de mon père chercher du papier et de quoi écrire. Et celui-ci me dicta la classique lettre de soldat, qui commençait par :
« Très honoré... » et se terminait par : « Salutations spéciales...», que je couchai sur le papier, de ma plus belle écriture.
Et puis, les autres soldats, ayant entendu ce qui se passait, arrivèrent. L’un était de Thrace, l’autre de Diyarbakır, un autre encore de Trabzon... C’était un défilé, qui pour faire écrire une lettre, qui pour en faire lire...
Là-dessus, l’un d’entre eux, plutôt petit et chétif, dénommé Muhammed, arriva avec un alphabet qu’il avait déniché on ne sait où.
- Peux-tu m’apprendre à lire et à écrire ?
- Bien sûr... De toutes façons, j’ai déjà l’expérience depuis l’école primaire de Kunduz...
En quelques semaines, celui-ci apprit à lire et à écrire. Les autres soldats s’esquivaient souvent de leur tour de garde et participaient à mes cours bénévoles de lecture et d’écriture.
Un jour, Muhammed reçut son ordre de transfert dans une autre unité.
Ce fut alors pour moi l’un des moments les plus émouvants de ma vie... Au moment de son départ, il me prit les mains en m’appelant : « Mon Maître ».
Nous nous séparâmes, les larmes aux yeux, moi, gamin haut comme trois pommes, lui, grand enfant.
Et encore quelques lignes de la fin de Journaliste « apatride » :
Mes pensées vont vers eux et tous ceux qui, en exil politique, ont lutté et laissé leur œuvre derrière eux. Et aussi vers ceux, des centaines de milliers, d’origines et de croyances diverses, que l’Ottoman et l’Etat turc ont chassés de leur terre...

Arméniens, Assyriens, Kurdes, Grecs, Juifs, Ezidis…

Et les travailleurs turcs, les paysans turcs, arrachés à leur patrie pour être vendus au capital européen à l’âge le plus productif de leur existence ; leurs enfants, et leurs petits-enfants nés en Europe, amère patrie.

Mes frères et sœurs de tous les peuples du monde.

Vous, les enfants de la “grande humanité” de Nazım Hikmet...
40 ans d’exil, c’est pénible et difficile, quand on est seul. 
Mais avec vous, l’exil est beau ; avec vous, l’exil est porteur d’espoir...